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Une imposture peut en cacher une autre : un frontispice de _Tartuffe_ démasqué

Article Citation: 
XIII, 2 (2011): 160–183
Author: 
Sophia Khadraoui et Sandrine Simeon
Article Text: 

 

 

 

En tant qu’objet iconotextuel, tout frontispice dramatique favorise une herméneutique où texte visuel et texte linguistique se lisent l’un à la lumière de l’autre. Si dans cet échange c’est le plus souvent le linguistique qui détermine la réception du visuel, il pourrait être enrichissant d’envisager une modalité de lecture de texte linguistique conditionnée par la lecture du texte visuel. Plus intéressant encore serait de rompre cette dialectique, d’élargir le cadre analytique et d’introduire le texte spectaculaire dans une lecture tryptique. Dans le cas de Tartuffe, considérer le texte iconographique en parallèle du texte spectaculaire et du texte dramatique (et vice versa), permet de mettre en relief tout un ensemble de mécanismes qui problématisent les attentes du lecteur/spectateur de cette pièce quant à la véritable identité de « l’imposteur ».

Cet article s’appuie sur le frontispice de Brissart pour l’édition de Tartuffe des Œuvres Complètes de Molière (1682), gravé par Jean Sauvé. Cette gravure liminaire s’inspire considérablement de celle attribuée à Chauveau qui illustrait l’édition de 1669 (Paris : Barbin)[1].

La gravure de Brissart représente une scène in medias res qui se déroule dans un intérieur bourgeois où l’on peut voir deux fenêtres sur le panneau décoratif côté jardin ainsi qu’un portrait et ce qui semble être une armoire sur celui du lointain centre. Trois personnages y figurent face centre: Elmire se tient près d’une table avec, à ses cotés, Tartuffe. Sous la table se trouve Orgon, qui semble sortir de sa cachette. Au bas de la gravure se trouve une légende « L’IMPOSTEUR ».

Brissart, Frontispicede Tartuffe des Œuvres Complètes de Molière (1682), gravé par Jean Sauvé

Précisément, qui est l’imposteur ? S’agit-il, dans le cadre définit par ce frontispice, de Tartuffe ? Pourrait-on, au contraire, imaginer que ce soit Orgon, maître des lieux, voire Elmire, bourgeoise aux apparences parfaites ? Sortant du cadre, ne pourrait-on pas aussi légitimement considérer ce dernier, le frontispice, comme imposteur ultime ? Serait-on en présence d’une imposture dans le texte visuel ou du texte visuel lui-même ? Le frontispice de Brissart est ainsi en mesure de déconstruire l’exégèse traditionnelle du texte dramatique de Molière selon laquelle l’imposteur serait d’évidence le personnage éponyme et antonomastique de la pièce.

Une recherche assez riche existe déjà sur les frontispices du XVIIe siècle avec, pour ne citer que quelques travaux, ceux de Francoise Siguret, Roger Herzel ou Georges Forestier, ou bien encore, et plus récemment, ceux de Michael Hawcroft, Abby Zanger ou Guy Spielmann. Ne réfutant aucune de ces études, cet article se veut néanmoins novateur en venant bousculer les idées reçues et présenter une perspective inédite, peut-être inattendue. En effet,  même si certains de ces articles ont parfois remis en cause un personnage de Tartuffe traditionnellement perçu comme imposteur, notre article s’ancre au contraire pleinement dans la remise en question de l’apparente transparence de l’épigraphe et suggère ainsi une multiplicité d’imposteurs possibles. Notamment l’imposture d’Orgon et d’Elmire, mais aussi, celle ultime, du frontispice lui-même, offrant à l’instance réceptrice une nouvelle lecture iconoclaste des textes iconographiques et dramatiques.

Contrairement à ce qu’affirme Barthes, que le signe linguistique grâce à ses deux fonctions d’ « ancrage » et de « relais » permet d’aider l’instance réceptrice à choisir le bon niveau de lecture dans le texte visuel, l’épigraphe « L’imposteur », dans notre cas, rend le message linguistique ambigu par l’épanouissement de cette « chaîne flottante de signifiés » (44). Le signe linguistique ne fixe pas ici l’interprétation, il la rend plurielle, équivoque, et remet en cause les éléments de l’image au lieu d’en rendre la signification transparente.

Guidée par cette seule présence de l’épigraphe « L’imposteur », le spectateur/lecteur est délibérément lancé à la recherche de ce dernier et cherche à dévoiler sa véritable identité. Qui est l’imposteur ?  L’exégèse traditionnelle pousse l’instance spectatrice vers le personnage principal, Tartuffe, dont le nom rentre rapidement dans le langage courant avec la définition d’ « hypocrite ». Or Tartuffe est-il le véritable imposteur comme on pourrait le croire ?

Dans son article « La vérité de l’hypocrite », Philippe Adrien questionne cette prétendue nature de faux dévot de Tartuffe. L’argumentation, tout à fait convaincante, révèle un Tartuffe pas si imposteur que l’on pourrait le croire. En effet, certains éléments du texte dramatique nous poussent, au contraire, à le considérer comme un homme pieux porté par une foi authentique. Certes, Acte V, scène 7, Elmire s’exclame « L’imposteur ! » (v.1885) et tout au long du texte, Dorine dépeint un Tartuffe hypocrite « Il passe pour un saint dans votre fantaisie / Tout son fait, croyez moi, n’est rien qu’hypocrisie » (I, 1), et influence l’instance réceptrice qui s’en tient à la réputation du célèbre satiriste du XVIIe siècle qui a longtemps dénoncé l’hypocrisie chez certains hommes d’Eglise. Cependant, comme le souligne légitimement Philippe Adrien, rien ne prouve que Tartuffe soit un faux dévot, si ce n’est « l’excès de son zèle » (46). Jamais Molière ne mentionne son absence de foi. Tartuffe est d’ailleurs « défini » par les personnages de l’action durant les deux premiers actes où il n’apparaît pas, et ne peut donc se défendre de ce dont il est peut-être injustement accusé. L’on pourrait considérer qu’il ait été « piégé » par ceux qui jalousent sa foi, et/ou sa relation avec le maître de maison. L’instance réceptrice accepte que les paroles proférées par Dorine soient les vraies. Or, pourquoi accepter les propos d’une domestique ? Parce que les gens du peuple des pièces de Molière font souvent preuve de bon sens ? Il semblerait que Tartuffe ne soit pas une comédie comme les autres, alors pourquoi ne pas considérer que Dorine soit une domestique atypique ?

De même, nous ne prenons aucune des éloges d’Orgon au sujet du protagoniste in absentia au sérieux parce que son personnage a lui aussi été stéréotypé par les comédies de Molière : il correspond au père de famille, le type même du monomaniaque. Adrien note qu’au cours des scènes précédant l’arrivée de Tartuffe, « le rire a pour fonction de nous délivrer de toute perplexité » (46). Dans cette position qui le détermine, Tartuffe doit alors se débattre, réaffirmer sa foi avec davantage de zèle pour convaincre ceux qui  doutent désormais de lui.

En réalité, rien ne nous empêche de penser que Tartuffe incarne un personnage-symbole dont la voix serait la voie d’accès, justement, à la critique d’une société qui s’acquitterait du désordre de sa propre conduite en se jouant de ceux qui tenteraient de les rappeler à l’ordre. Car, ce sont bien les convictions de Madame Pernelle qui croit qu’ « il en irait bien mieux, si tout se gouvernait par ses ordres pieux », et que, s’adressant à sa famille elle affirme que « Vous lui voulez du mal et le rebutez / Qu’à cause qu’il vous dit à tous vos vérités. /C’est contre le péché que son cœur se courrouce, /Et l’intérêt du Ciel est tout ce qui le pousse » (I, 1).

Bousculant la lecture traditionnelle de Tartuffe, Adrien ne va pas pour autant jusqu’au bout de sa pensée puisque cette remise en cause s’arrête prématurément au personnage de Tartuffe. C’est précisément cette lecture iconoclaste, amorcée par Adrien, qu’il est important de faire aboutir afin de dévoiler tous les imposteurs réellement impliqués. Alors, si Tartuffe n’est pas cet imposteur tant recherché, de qui s’agit-il ?

Ne pourrait-il pas s’agir d’Elmire en ce qu’elle joue également le rôle de la séductrice pour mieux berner Tartuffe ? Ne peut-elle pas également être considérée comme imposteur par les défenseurs d’un schéma familial patriarcal puisqu’elle représente, à ce moment précis, le chef de famille ? C’est elle qui provoque le démasquement de Tartuffe puisque le piège est son idée ; elle est le principal actant. La grandeur de son statut se confirme au niveau de la scénographie puisqu’elle constitue le personnage central dans la gravure liminaire. Se tenant debout au milieu des deux hommes, Elmire organise cette embûche pour faire justice à sa famille. Comme le souligne Siguret, Elmire, « lumière entre deux ombres » (365), est le point de focalisation rayonnant dans la mise-en-scène ; elle est là pour être vue et faire voir. Elle apparaît comme source de vérité à travers laquelle l’illusion de l’imposteur sera enfin exposée au jour, et rompt les liens qui unissaient Tartuffe à Orgon. C’est elle-même qui désigne Tartuffe comme « imposteur ! » (V, 7, v.1885).

Et pourtant, elle est entrée dans son rôle de séductrice si naturellement qu’on pourrait penser que Tartuffe, « si pour être dévot, [il] n’en est pas moins homme » (III, 3), s’est tout simplement trouvé impuissant à repousser cette séductrice. Philippe Adrien éveille également le doute et devine « la tragédie intime d’un personnage » (46) lorsque Tartuffe se lamente à l’idée de rencontrer Elmire (« Hélas », III, 2, v.875). Pris entre les feux de l’amour et les feux de la foi, il ne sait plus vers quoi se tourner.

De plus, comme le souligne Siguret, Elmire signifie « l’hypocrite » (365) au sens grec du terme, et c’est exactement ce rôle qu’elle joue afin de démasquer l’hypothétique hypocrisie de Tartuffe; elle est elle-même imposteur à ce moment précis du drame. En effet, rien n’infirme qu’Elmire n’ait d’arrière-pensées lorsqu’elle élabore son embûche. Ne serait-elle pas simplement jalouse de l’attention que porte son mari à un inconnu, la délaissant sous son propre toit ?

Elmire se présente donc comme une hypocrite idéale, mais qu’en est-il d’Orgon ?

A son tour, Orgon peut facilement revêtir le rôle d’imposteur. De par sa présence sur le lieu même de l’embûche, il représente l’intrus, celui qui est introduit illégitimement. Si l’on considère son statut social, Orgon perd toute sa prestance de bourgeois, obligé de s’abaisser à se dissimuler sous la table. Déchu au rang et rôle de simple laquais ou valet, il est celui qui écoute aux portes. Par rapport à son statut familial, il perd son statut de chef de famille au profit d’Elmire. Il l’écoute, suit ses directives.

Comme nous l’avons vu, l’imposture de ces trois personnages se dévoilent peu à peu sous la loupe de cette analyse. Les doubles-[je]ux de Tartuffe, d’Elmire et d’Orgon s’inscrivent non seulement dans leur position dans l’espace scénique du frontispice, qui d’ailleurs met en scène la nouvelle hiérarchie qui s’établie entre eux, mais également dans la géographie des gestes et des regards, et des jeux de lumières. 

Ces trois personnages s’organisent au niveau proxémique autour d’axes de lecture horizontaux et verticaux dessinant une géographie des gestes et des regards qui sont extrêmement riches en interprétations. Alors que la main gauche de chaque personnage, la senestre, est « retournée, collée à un lieu ou le drame prend appui » (Siguret, L’Image ou l’imposture 366) afin de mieux évoquer les secrets et les drames des protagonistes, la main droite, dans une danse révélatrice, présente au spectateur/lecteur la personne dans laquelle chacun voit ou voyait sa vérité. Elmire dans Orgon, Orgon dans Tartuffe et Tartuffe en Dieu. Siguret ajoute à ce propos « Les mains, en particulier, guident la circulation du regard à travers l’image muette et réaniment en dépit du tracé schématique et uniformisé des personnages, la scène figée de l’histoire » (Analyse des gravures 686).

En effet, tout aussi éloquent et symptomatique est le jeu triangulaire des regards des personnages. Celui-ci  influence la lecture du spectateur, il impose un point de vue sur l’action qui se déroule, et enveloppe le regard du lecteur qui ne peut alors se détacher de la gravure. Cette géométrie des regards renforce le message linguistique qui, comme nous l’avons vu, ne fixe pas de manière définitive et certaine l’identité de l’imposteur. Elmire regarde Tartuffe, qui lui-même regarde Orgon, qui lui semble regarder Elmire, fermant ainsi la boucle. Qui est l’imposteur ? Tous semblent s’éprouver et se soupçonner.

Enfin, il est intéressant de noter que deux des personnages, Elmire et Tartuffe, tournent leur visage dans la direction opposée de leur corps et de leurs mains. Le spectateur/lecteur remarquera que ces deux personnages sont ceux qui, dans la pièce, jouent un double-je(u).

Les jeux de lumière, riches dans ce frontispice, renvoient à la notion de clair-obscur chère au baroque qui masque autant qu’il montre. Même si certains pourraient arguer que ce fait serait le résultat de la mauvaise qualité de l’imprimerie à l’époque, il se veut, selon nous, étrangement précis quant aux différentes zones touchées par ce procédé hypothétiquement involontaire.  Dans son essai sur les frontispices de Molière, Donald Jackson relève d’ailleurs également la manière dont Brissart joue des contrastes comme d’un outil expressif. Ainsi, selon uncode chromatique bicoloresuivant les nuances de blanc et de noir les personnages sont tour-à-tour mis en relief : Elmire blanche sur un fond sombre, Tartuffe sombre sur un fond blanc. Le signifié  inhérent à ce code chromatique renforce l’idée d’une identité duelle dans chacun des deux personnages. Elmire, bonne épouse, est également séductrice; Tartuffe lui, selon l’interprétation, oscille entre dévot et faux dévot. Le jeu des deux couleurs dévoile la position manichéenne du frontispice : le blanc et le noir, le bon et le mauvais, le bien et le mal, la chasteté et la luxure. Ce double-je(u) de lumière, de mains et de regards, ces premières en constante contradiction avec ces derniers, souligne cette imposture multiple.

La relation entre les textes linguistique, visuel et dramatique permet de remettre en cause l’idée reçue que le seul imposteur à démasquer est Tartuffe. En effet, si l’on peut considérer chaque personnage du frontispice comme vecteur potentiel d’imposture, il est également clairement envisageable, suivant les arguments soulevés dans cet article, que chacun d’entre eux puisse tout aussi bien être un imposteur[2]. Or, si l’on sort du cadre définit par l’illustration afin de considérer le frontispice lui-même, en tant qu’objet en soi et pour soi, ne pourrait-on pas également entrevoir une imposture ?

A première vue, le frontispice pourrait correspondre à la scène 5 de l’acte IV. Cependant, une lecture attentive du texte dramatique et un examen minutieux du texte visuel révèlent que la scène représentée dans le frontispice ne coïncide aucunement avec une scène du texte imprimé ; il s’agit plutôt de l’interprétation de trois scènes confondues. 

En effet, dans la scène 4 de l’acte IV (v. 1362), Elmire enjoint son mari de se mettre sous la table : « Vous bien cacher est un point nécessaire ». Elle lui promet que grâce à ce subterfuge, elle aura raison de celui qui se prétend « homme de bien » : « Quoi que je puisse dire […] c’est pour vous convaincre […]. Je vais par des douceurs […] Faire poser le masque à cette âme hypocrite ». La scène 5, où Elmire fait montre de grands talents de séductrice, est la plus longue des quatre, et fait écho à la scène 3 de l’acte III, où Tartuffe avait alors tenté de la séduire. L’effet de chiasme souligne l’importance de ces deux scènes, à lire l’une à la lumière de l’autre. Elmire tente de faire tomber le masque de Tartuffe qui avait alors commencé à glisser. L’effet comique est ici réitéré par la toux indomptable d’Elmire qui lui sert de prétexte pour envoyer Tartuffe hors scène. Orgon sort de dessous la table à la scène 6, puis une didascalie décisive indique qu’Elmire « fait mettre son mari derrière elle ». Orgon n’est donc pas sous la table lorsque Tartuffe fait son entrée à la scène 7 et, ainsi, ne peut pas le prendre en flagrant délit, comme l’indique le frontispice.

Le frontispice n’est donc pas l’illustration du texte dramatique. Certaines disparités, ou mêmes incohérences, viennent remettre en question la gravure liminaire qui apparaît alors, à la lumière du texte imprimé, comme une véritable imposture. Mais qu’en est-il de la relation entre le frontispice et le texte spectaculaire ?

Cette relation gravures liminaires/texte spectaculaire a été l’une des approches les plus prolifiques parmi les critiques. Zanger, Herzel mais aussi Spielmann et Hawcroft, ont tous cherché à trouver des similitudes ou des dissemblances, sans pour autant connecter leurs résultats à la possible imposture du frontispice. L’article d’Herzel est un document essentiel pour notre analyse car il aborde précisément les différences de décor d’un même frontispice, celui de Tartuffe, effectué par deux artistes différents : Chauveau, puis Brissart quelques années plus tard. L’étude d’Herzel montre, entre autre, que Chauveau a certainement basé son dessin sur le décor existant de la pièce au moment de sa mise en scène, alors que Brissart a retravaillé la gravure à partir de celle de son prédécesseur.

Comparée à la version de Chauveau, celle de Brissart élimine un à un les éléments scéniques théâtraux. Ce sont les planches de la scène qui disparaissent au profit d’un sol unifié. Ce sont les moulures du plafond qui, non-alignées chez Chauveau, deviennent chez Brissart minutieusement rectilignes. « The result, inevitably, is that the background looks not like a stage setting but like an actual room, in which the side and back walls have identical projecting moldings that meet in a perfect mitered corner » (Herzel 939). Alors que Chauveau choisit de mettre l’accent sur la réalité du décor de théâtre, Brissart choisit, lui, de souligner la réalité de la salle de séjour, tout en prenant soin de changer l’épigraphe. Ce ne sera plus « Tartuffe » mais « L’imposteur ».

Même si ce frontispice fait tout pour prendre des allures d’intérieur bourgeois véritable, il reste néanmoins des éléments qui laissent entrevoir le monde du théâtre. En effet, alors que Brissart, au contraire de Chauveau, s’applique à gommer les références au décor de la performance scénique, il ajoute et retouche néanmoins quelques indices. Par exemple, la main gauche d’Orgon qui sort du cadre serait, selon Spielmann, un indice qui permet de rendre l’illusion que la gravure est une reproduction de la scène empirique au moment où la pièce s’est jouée ; indice sensé renvoyer à « sa réalisation scénique » plutôt qu’à la fiction (82). Posée à plat sur le sol de la salle de séjour ou plus exactement sur le bord de la scène, cette main interpelle le spectateur. Grâce au personnage-témoin d’Orgon, le spectateur n’est plus devant l’œuvre, il y est inclus. À l’instar de ces personnages admonesteurs recommandés jadis par Alberti, Orgon prend en charge le regard du spectateur, et le dirige;  il acquiert le rôle d’embrayeur visuel, de relais, entre la scène et son spectateur. En effet, Alberti écrit qu’

Il est bon que dans une histoire il y ait quelqu’un qui avertisse les spectateurs de ce qui s’y passe ; que de la main il invite à regarder […], que par un visage menaçant  ou des yeux farouches, il leur interdise d’approcher, ou qu’il leur indique qu’il y a là un danger ou une chose digne d’ admiration, ou encore que par ses gestes, il t’invite à rire ou à pleurer avec les personnages. (179)

Tout comme Spielmann, Zanger et Siguret mentionnent respectivement l’importance de ces « signifiers of performance » (29), de ces « intrusion[s] de la réalité théâtrale dans la représentation iconique » (Analyse des gravures 684) afin de garder dans l’esprit de l’instance spectatrice l’interprétation scénique.

Dans la même veine, le personnage d’Orgon, ou plus particulièrement son visage, se révèle être un autre indice significatif. Herzel observe qu’Orgon, sous le crayon de Brissart prend les traits de Molière (297). Selon lui, c’est une manière de remettre en contexte le personnage d’Orgon qui était toujours joué par Molière et ainsi de mettre l’emphase sur la performance davantage que sur le texte dramatique.

Michael Hawcroft, dans son essai « Le théâtre français du XVIIe siècle et le livre illustré »¸ observe qu’après la première moitié du XVIIe siècle, les illustrations représentent généralement un moment dramatique de l’action d’une pièce mais que, contrairement à certaines idées admises, si elles illustrent un moment identifiable, les composantes de l’image ne lui confèrent pas nécessairement « une réelle valeur de document » (327) : les éléments de décor, costumes et autres objets présents dans l’image ne font pas forcément référence à ceux de  la scène actuelle.

Alors que ces illustrations représentent des traces non négligeables pour certains historiens du théâtre, Herzel confirme qu’elles peuvent être trompeuses. Dans son article, « The decor of Molière’s Stage : The Testimony of Brissart and Chauveau », il écrit qu’il est possible de recréer en partie le décor d’une scène de Molière en comparant les frontispices réalisés pour ses pièces avec les notes du décorateur Michel Laurent (927). Cependant, Herzel remarque que certains éléments sont omis, comme par exemple les spectateurs assis de chaque côté de la scène.

En outre, et puisque les illustrations devaient se conformer au format de la page du livre, un haut rectangle étroit, qui n’est pas d’ordinaire le format de la scène, Herzel ajoute que: « some of the engravings solve this problem by showing only one side of the stage, others […] by ignoring the wings and showing the actors against the center of the backdrop, and […] by positioning the actors very far downstage from the scenery” (932). La scène apparaît alors plus réaliste par rapport au décor initial (elle ressemble à une « vraie » pièce d’un intérieur bourgeois), mais elle est moins « réelle » (elle n’est plus celle de Molière). En ce qui concerne le sujet des illustrations,  Herzel écrit qu’au contraire des éditions des tragédies du XVIIe siècle dont les frontispices dépeignent des évènements purement imaginatifs, les gravures réalisées pour les comédies mettent souvent en scène une action que les illustrateurs trouvaient particulièrement expressive durant la représentation (926).

Abby Zanger offre une perspective originale avec son étude sur les frontispices effectués pour les éditions du théâtre publié de Molière : elle soulève la spécificité particulière de ce type d’illustration qui s’érige comme lieu intermédiaire entre le texte imprimé d’une pièce de théâtre et sa représentation, et par conséquent doit renvoyer alternativement aux deux. Le frontispice contient à la fois des composantes de la fiction du texte dramatique, et s’efforce également de refléter les éléments scéniques, comme pour s’assurer que celui ou celle à qui elle est destinée, n’oublie pas qu’il s’agit bien de théâtre, d’une performance. Cependant, Zanger précise que contrairement à ses illustrations pour Racine et Corneille, celles que Chauveau a réalisées pour Molière sont fidèles aux textes spectaculaires : « It is as if Chauveau, so free in his interpretation of the texts of Corneille and Racine, does not dare take such liberties in the images he produces to illustrate Molière’s plays. […] That is because in illustrating Molière’s plays, rather than embellishing the story-line, translating if form the stage to the page for the reader by filling in necessary details, Chauveau (and its imitators) do not deviate from the playwright’s scenario. Instead, they capture a particular moment on stage » (28). Zanger note néanmoins une « divergence stylistique » dans le frontispice de Tartuffe qui décrit Orgon sortant de sa cachette. Elle considère que le moment aurait pu être exacerbé si l’illustrateur avait représenté Orgon bondissant sur Tartuffe. Au contraire, selon elle, l’illustrateur est resté fidèle au texte dramatique. Zanger semble négliger le fait qu’Orgon surprend Tartuffe dans un acte de séduction de sa femme (ou inversement) - digression importante par rapport au texte dramatique.

En admettant que cette dissonance soit davantage prise au sérieux, il est concevable que l’artiste se soit accordé une certaine liberté artistique. On peut également se demander s’il n’est pas probable que Chauveau ait assisté à un écart d’interprétation durant l’une des représentations où Molière et sa troupe auraient décidé de jouer leur pièce autrement ce soir-là. Guy Spielmann écrit d’ailleurs que, concernant les spectacles de foire, « ce qui se passait sur scène pouvant varier considérablement d’un jour à l’autre, il est impossible de systématiser ou d’idéaliser la relation entre les textes publiés et la performance » (78). En raison du nombre important des variations entre texte, image et performance, l’objectif du frontispice serait alors davantage de théâtraliser une image que d’en représenter une réalité performative. Tartuffe n’est pas un spectacle de foire, mais rien ne nous permet d’affirmer avec certitude que Molière, afin d’augmenter le comique des scènes de séduction entre Elmire et Tartuffe, n’a pas fait varier sa mise en scène de temps à autre. Puisqu’il a été établi que Chauveau aimait assister aux représentations (Herzel 926), il a pu être témoin de cet écart- bien que Zanger émettedes doutes sur le fait que Chauveau soit effectivement l’illustrateur initial du frontispice de Tartuffe (27).

Si le frontispice de Brissart peut légitiment être considéré comme une imposture vis-à-vis des textes dramatique et spectaculaire, deux questions légitimes se posent: pourquoi une telle imposture et quelles en sont les implications ?

Selon Hawcroft, une approche des gravures liminaires souvent négligée jusqu’à présent est celle qui met en relation le frontispice et le texte dramatique lui-même. Il observe avec justesse que les frontispices étaient, tout d’abord, destinés à l’instance lectrice des textes imprimés (325). Plusieurs fonctions primaires évidentes s’esquissent immédiatement quant à la présence d’un frontispice dans le texte dramatique. Tout comme Hawcroft le souligne aussi, les frontispices permettaient certainement l’accroissement de la renommé et de la réussite du texte dramatique, mais aussi de l’auteur et de l’éditeur (326). De plus, sur un marché de l’imprimerie difficile, enjoliver l’édition imprimée d’un frontispice permettait une augmentation notable des ventes (Zanger 26). Dans le cas du corpus de Molière, seulement ses œuvres les plus populaires étaient dotées de gravures liminaires.

Comme mentionné plus tôt, le frontispice réalisé par Brissart pour le Tartuffe de Molière ne correspond à aucune scène identifiable. Entre les deux textes iconographique et dramatique, indépendants l’un de l’autre, une relation ambiguë s’installe, comme un effet d’interpénétration qui nécessite attention, minutie et réflexion. Alors que Siguret ignore (in)volontairement que la scène représentée ne figure pas dans le texte dramatique, Hawcroft est, tout comme nous, intrigué par cette curieuse diffraction. Plusieurs exégèses et fonctions se dessinent d’emblée.

L’objet de la gravure est moins de représenter le texte dramatique que de captiver l’attention d’une audience : « l’illustration [semble] moins générée par le texte que le texte [n’est] commentaire d’une image » (Siguret, L’image ou l’imposture 362) ; le texte visuel occasionne une attente de la part du lecteur/spectateur qui cherche le moment où les textes (dramatiques, spectaculaire, iconique) se rencontrent.

Un autre type d’écart s’impose concernant les instances réceptrices. Parce que le lecteur du texte dramatique peut plus difficilement être berné ou lancé sur des fausses pistes que le serait le spectateur du texte spectaculaire, le frontispice tient ce rôle de déstabilisateur. Ainsi, la didascalie de Molière insérée à l’intérieur du dialogue de Tartuffe, Acte IV, scène 5, « C’est un scélérat qui parle » ne soulève aucune ambigüité chez le lecteur, mais elle garde au contraire le spectateur dans l’ignorance par son absence dans le texte spectaculaire. C’est ainsi pour palier à ce lecteur omniscient que le frontispice, imposteur, est introduit. Au lieu d’informer l’instance lectrice, ce dernier l’abreuve d’indices contradictoires voire chimériques. Jouant de son statut d’informateur stéréotypé, le frontispice exacerbe, séduit. Il entraîne le lecteur dans les méandres du caché, de l’illusion et du fantasmagorique, vers une nouvelle, troisième lecture de la pièce, une perspective que celui-ci n’aurait peut-être pas envisagée auparavant. Zanger ajoute d’ailleurs à cet effet « Frontispieces might organize or disorganize the reading experience » (27). Tout comme le texte spectaculaire, la gravure liminaire se joue de nos sens, manipule les perspectives, mêlent les lectures pour mieux nous conforter dans l’illusion. Si l’on considère que le frontispice est une imposture, alors le lecteur lui-même, s’il ne remet pas en cause l’illustration par rapport au texte dramatique, se fait abuser par la gravure liminaire, tout comme la famille d’Orgon soi-disant dupée par Tartuffe.

Considérant que toute image est un objet construit qui demande à être déconstruit, celle-ci est une invitation directe à « pénétrer » dans le livre, ou dans la salle. « Quand ces livres sont illustrés, il est du devoir du critique d’intégrer les illustrations à son interprétation du livre, car ce dernier met en place des interactions entre le lecteur, le texte, et l’image […]. Les lecteurs qui tentent véritablement de lire les illustrations de ces dramaturges […] peuvent saisir la complexité et la richesse des relations que les artistes engagent avec les textes, et, ce faisant, ils s’engagent eux-mêmes plus intimement avec les textes » (Hawcroft 339).  L’instance réceptrice est donc invitée à examiner le dialogue entre les textes dramatiques, spectaculaires et iconiques, leur interprétation respective n’en sera que plus enrichie. Dans notre cas, cet échange crée une distance – bénéfique – qui remet en cause les idées reçues et autres stéréotypes aveuglant et paralysant l’esprit critique. Il revient donc à l’instance réceptrice de faire sens du choix de l’artiste d’unifier l’action de plusieurs scènes en un seul lieu et moment. Elle devra, entre autre, s’interroger sur la signification d’une telle discordance. Est-ce une manière de renforcer le statut ontologique du texte iconographique comme texte indépendant ? Brissart s’appuie t-il sur une didascalie, une indication à chercher dans le texte dramatique ? Interprète-t-il un thème, une relation entre des personnages, leur motivation ? Et pourquoi l’artiste choisit-il de stimuler plus encore le travail d’interprétation du récepteur en modifiant un indice supplémentaire, la légende qui s’avère, après réflexion, être déroutante ?

Une explication plausible serait, selon Hawcroft, une volonté de pimenter une scène trop statique. Siguret note également que Chauveau a généralement préféré les scènes dynamiques dans ses gravures de tragédies et de comédies pour au contraire illustrer, si ce n’est les scènes les plus violentes, du moins celles chargées d’intensité dramatique où les personnages sont dépassés par les situations (Analyse des gravures 681). Loin des scènes statiques et lentes, il favorisait les courses poursuites ou les surgissements. La rencontre des trois personnages de Tartuffe, Elmire et Orgon, en un même lieu à ce moment précis de la fable, est hautement susceptible d’inspirer des artistes comme Chauveau et Brissart. La gravure interprète un instant décisif – ou rendu décisif –, un  moment culminant de l’action, un véritable « coup de théâtre » du texte dramatique puisqu’elle met en scène les trois personnages principaux, trois imposteurs, se jouant les uns des autres.

En combinant plusieurs scènes en une, Chauveau et Brissart créent justement un double coup de théâtre. D’une part, ils illustrent ce qui aurait pu être, et intensifient de ce fait la teneur dramatique et la puissance émotive d’un point culminant de l’action : c’est la scène du démasquement d’un imposteur, comme l’indique la légende (reste évidemment à savoir qui est l’imposteur). D’autre part, ils créent une attente du récepteur, attente qui se trouve déçue puisque le moment représenté n’existe pas. La gravure s’inscrit alors d’elle-même doublement comme une « fausse représentation » (Siguret, L’image ou l’imposture 363).

En une seule et même image, le frontispice présente ainsi aux lecteurs une séquence de moments distincts dont la chronologie est volontairement obscurcie. Siguret ajoute à cet effet « comme si [Brissart] voulait représenter sur la même gravure le passé, le présent et l’avenir » (L’image ou l’imposture 369). Hawcroft observe lui aussi ce procédé « Chauveau [et donc dans notre cas, Brissart] introduit dans son unique image bien des évènements, bien des émotions, « toute une histoire » (338). De manière plus prosaïque, cette représentation picturale pourrait prendre la place d’un « instantané » et avoir pour simple objectif de condenser « en une seule composition une série d’actes successifs dont l’exécution en scène prendrait plusieurs minutes » (Spielmann 81). Ce frontispice de Brissart est particulier puisqu’il amasse en son sein à la fois, et pour reprendre une terminologie de Hawcroft (327), une fonction proleptique, puisqu’il donne une indication sur les scènes [à]venir, et une fonction analeptique en ce qu’il permet de garder présente une scène du passé. L’illustration invite de cette manière le lecteur/spectateur à une lecture attentive du texte dramatique afin de décrypter, avec plus d’aisance, le dialogue qui s’instaure entre l’image, le texte et la performance (Hawcroft 326).

Or il est important à ce stade de l’analyse de signaler que cette conversation tripartite est plus complexe qu’il n’y paraît puisqu’elle implique différentes variations de lectures. En effet, l’on remarquera que la fonction signalétique du frontispice et sa signification diffèrent si l’instance réceptrice est confrontée ou non à ce texte visuel avant la connaissance du texte dramatique. L’interprétation de l’image est donc contingente de sa découverte par l’instance réceptrice, selon qu’elle représente un premier contact avec l’intrigue, suit sa représentation scénique et précède la lecture du texte dramatique, ou encore seconde la lecture de la pièce et/ou de sa mise en scène. A propos de la réception des textes dramatique et scénique, Jean-Claude Vuillemin dans son article « En finir avec Boileau… Quelques réflexions sur l’enseignement du théâtre “classique” », insiste sur trois modalités de lecture auxquelles il attribue trois fonctions en mesure d’affecter la réception du lecteur/spectateur. Appliquées à notre analyse, nous avons le cas où l’instance réceptrice a lu la pièce de théâtre avant de voir le frontispice, le texte dramatique « de manière rétroactive, [aura] un impact a posteriori sur la réception » du frontispice, et aura donc une « fonction correctrice » (141). Il indiquera éventuellement au récepteur les identités des personnages du frontispice, et qui est l’imposteur. Dans le cas où l’instance réceptrice a vu le frontispice avant de lire la pièce, les signes émis par la gravure « conditionneront la réception du texte [dramatique] et influenceront à divers degrés l’interprétation des systèmes signifiants textuels : l’on parlera ici de fonction génératrice » (141). Sorte de mise en bouche iconographique, le frontispice éveille l’intérêt de l’instance réceptrice. Ainsi, selon le rapport linéaire et hiérarchique choisi par le lecteur/spectateur, de nouvelles interprétations seront générées :

 

Cependant, quelque soit l’axe de lecture envisagé, et les différentes exégèses avancées quand à la fonctionnalité du frontispice, ce dernier ne peut-il pas être tout aussi bien appréhendé et constituer un texte autonome en lui-même, pour lui-même ? 

1) texte imprimé/production scénique/frontispice

2) texte imprimé/frontispice/production scénique

3) frontispice / texte imprimé/production scénique

4) frontispice/production scénique/texte imprimé

5) production scénique/frontispice/texte imprimé

6) production scénique/texte imprimé/frontispice

 

 

 

 

 

 

 

 

Même si tout lecteur et spectateur s’entendent sur le fait que le théâtre est le lieu de constructions, de subterfuges et d’illusions, ces derniers se méfient moins de l’image qui leur apparaît transparente. Nous devons combattre ce cliché du milieu du XXe siècle qui associe frénétiquement la gravure au réalisme. Zanger ajoute « thus if the actor’s face resembles that of Molière, if the costume looks like one described among Molière’s possessions on his death, or if there are elements of staging that match the incidence of certain decors in the plays, then the images are automatically assumed to be accurately reproducing the original stage event » (31). Dans le cas de la gravure liminaire de Brissart, le frontispice se dénonce lui-même en arborant ce titre provocateur. C’est précisément grâce à ce stéréotype évoqué plus tôt, que les analyses précédentes ont négligé de remettre en cause la gravure elle-même. Penser que l’épigraphe du frontispice concernait en réalité l’œuvre iconographique en tant que telle n’avait pas été  envisagé. Suivant la veine foucaldienne et la pensée que Magritte établit avec son tableau « ceci n’est pas une pipe », cet article montre comment le frontispice lui-même s’auto-définit « ceci n’est pas la réalité, une copie du texte spectaculaire ou dramatique, ceci est une "imposture" ». Toute image est représentation et pour cela « imposture » par rapport à la « réalité ». Le frontispice s’affirme donc en tant qu’imposture par rapport aux textes spectaculaire et dramatique comme pour mieux défendre sa propre nature et autonomie. Par ailleurs, la pièce de théâtre, dit Herzel, tourne autour de l’un des plus triviaux conflits de tous les temps, la conquête et le control du territoire (935). Il ajoute que le paroxysme de la pièce advient lorsque que toute la famille d’Orgon est sur le point de finir à la rue. C’est dans cette même lutte du territoire que s’inscrit le frontispice. Ni texte spectaculaire, ni texte dramatique, il revendique son propre territoire, sa propre autonomie.

Les frontispices s’affirment en tant que supplément indépendant, un troisième texte qui vient bousculer la dichotomie trop rigide qui s’opère entre texte dramatique et texte spectaculaire.

Selon Zanger, le frontispice représente ce seuil entre le texte dramatique et le texte spectaculaire, une sorte de tiers-lieu, « a site in which performance and publication might be said to converge around the depiction of a visual moment common to both experiences. […] As a threshold, these preliminary engravings do not translate one media into another. Rather, by their very nature as being neither stage acting nor print words but betwixt and between two visual media, gravures liminaires of printed plays provide a site for problematizing not only their own position, but that of the forms for which they serve as threshold » (25).

Roger Chartier, quant à lui, part d’une perspective différente lorsqu’il écrit que les gravures et frontispices sont des dispositifs « pour réduire la distance entre la scène et la page » (44). Cependant, de même que Zanger ouvre une porte sur une nouvelle perspective et s’arrête trop vite sur son seuil, il est tout aussi pertinent de se demander si la distance dont parle Chartier, n’est pas au contraire accrue lorsque la signification entre les textes dramatique et spectaculaire est loin d’être transparente. En effet, si une image illustrant un texte menace de déjouer son interprétation,  il faut admettre qu’elle renvoie à autre chose qu’aux textes dramatiques et spectaculaires dont elle s’inspire. Comme nous l’avons montré, le frontispice ne revendique plus un statut de documentaire de l’événement scénique, ni de l’action telle qu’elle a été écrite dans la pièce. D’une part, nous avons vu que ces dissonances incitent l’instance réceptrice à questionner la transparence supposée du texte iconique, et par extension, celle des textes dramatique et spectaculaire. D’autre part, l’illustration permet de remettre en cause une perception première et de susciter l’imagination du récepteur en renvoyant à une autre image, plus abstraite, thématique, voire imaginaire.

L’ambigüité qui caractérise le frontispice, et ce à quoi il pourrait peut-être renvoyer, invoque cependant un autre phénomène : si le frontispice s’affirme en tant que supplément indépendant de tout texte, dramatique et spectaculaire, il n’a plus alors pour fonction de réparer la perte (selon Herzel) d’une quelconque « traduction » de la page à la scène ;  si chaque texte (linguistique, spectaculaire, iconique) est considéré dans sa pleine autonomie, l’on ne peut plus raisonnablement parler de « perte ». Cela reviendrait à considérer un lien de dépendance entre les divers textes qu’impliquerait la « traduction » d’un art à un autre, et dont les modifications seraient invariablement percues comme néfastes.

Il est maintenant admis que l’idée d’une traduction littérale d’un médium à un autre est un oxymore, et que la traduction est un texte à part entière. Lechangement inhérent au processus de transposition qu’implique toute « traduction », interdit en même temps tout discours, qui s’inscrirait en termes de gain ou de perte ; et attendu que ces discours s’accompagnent inévitablement de jugements de valeur, ils sont préjudiciables. Le fait que toute traduction s’accompagne de changements est indéniable, il semblerait alors plus intéressant, et surtout légitime, de juger un texte en fonction du support par lequel il se donne à voir et de l’apprécier en tant que tel : « the translation is not some fixed nontextual meaning to be copied or paraphrased or reproduced; rather, it is an engagement with the original text that makes us see that text in different ways » (Hutcheon 16). Nous avons vu que le frontispice de Brissart ne renvoie pas au texte dramatique de Molière et qu’il est impossible de dire s’il reflète effectivement un texte spectaculaire particulier. Il a également été établi qu’il ne fonctionne ni comme transition, ni ne réduit la distance entre les deux, mais qu’au contraire il tend à accroître cette distance.

Afin de se distancer du terme de traduction, Linda Hutcheon favorise le concept d’adaptation comme formule et moyen de revisiter des textes antérieurs. Il est certainement difficile d’ignorer les indices du frontispice de Brissart renvoyant aux textes dont il s’inspire lorsque ceux-ci restent « visibles » :traits de Molière dans la gravure de Brissart et signifiants scéniques dans celle attribuée à Chauveau, par exemple. Cependant, envisager les gravures liminaires comme des adaptations relativise encore l’autonomie du texte iconique. Le terme d’adaptation implique un lien encore trop étroit entre les différents textes, une relation intrinsèque, prévenant l’illustration de revendiquer un véritable statut d’œuvre autonome.

En effet, ce processus a tendance à se faire au détriment du comparé, et l’appréciation du nouvel objet se fait souvent à partir de critères de fidélité par rapport au premier. Or, tout processus d’adaptation requiert le transcodage d’une série de conventions d’un médium à un autre, et s’attendre à une quelconque fidélité, de moyen comme de substance, reviendrait à nier l’opération dans son ensemble, car celle-ci ne se fait pas sans modifications, aussi minimes soient-elles, du(es) texte(s) « adapté(s) ». Ces transformations sont le résultat d’une sélection qui, nécessairement, implique l’exclusion d’une partie de l’hypotexte. Dans certains cas, la construction de l’hypertexte est moins affectée au plan du contenu que sur celui de la forme, c’est le cas de certains frontispices qui représentent une scène aisément identifiable dans les textes dramatique et/ou spectaculaire. Cependant, même lorsque cela s’avère apparemment être le cas, certains aspects de composition de l’illustration n’empêche toujours pas cette réflexivité, à l’instar des « instantané » dont l’illusion [est] aussi trompeuse que celle des clichés de plateau de cinéma, qui ne correspondent pas à ceux qu’on voit à l’écran » (Spielmann 81).

Traduction et adaptation n’ont plus lieu de s’appliquer au texte iconique puisqu’il constitue un moyen d’expression dont les spécificités sont irréductibles à tout autre. Si le frontispice se trouve en un tiers lieu, il ne s’est pas contenté de transporter une action de la scène à l’écran: son sujet n’est plus celui de la pièce, mais le sien, avec des choix de mise en scène, de composition qui lui sont spécifiques. Il convient ainsi d’appréhender le frontispice comme une forme supplémentaire et en même temps nécessairement distincte des textes théâtraux, sorte de mise en abyme de ses représentations à l’intérieur d’un autre système dramatique ; et même si le frontispice de Tartuffe a peut-être permis de préserver une mémoire d’un texte spectaculaire différent du texte dramatique, il reste néanmoins un texte unique.

Le rapport du frontispice de Brissart aux textes spectaculaire et dramatique est véritablement plus complexe qu’il n’y paraît, « le théâtre ne peut être exactement fixé ni dans le jeu, ni par l’écriture, ni, évidemment, lors de sa réception » (Biet 65). C’est ce qui permet le « jeu » ou « double jeu » des interprétations ; la « lecture idéale du théâtre […], reste, malgré tout, imperméable à la volonté monosémique, parce que c’est aussi la polysémie, l’équivoque et l’ambigüité qui intéressent les lecteurs » (59).

Sans une lecture critique, l’instance réceptrice est aisément abusée par une image qui pourrait sembler « fidèle » de par son caractère souvent inductif. En effet, le frontispice pour Tartuffe, bien que vieux de 300 ans, continue de défier les idées reçues. Puisque le nom propre « Tartuffe » est rentré dans le langage courant, le lecteur/spectateur contraint par la « fonction  génératrice » dont parle Vuillemin, avant même de lire/voir les textes dramatique/spectaculaires, admet d’emblée que le personnage principal est un faux dévot, et suppose que le titre de la pièce désigne uniquement le personnage de Tartuffe. Cette liberté de lecture est encore ce qui fait la richesse des textes (dramatique, spectaculaire, iconique, etc.), qui leur permet de rester vivants, et les empêchent de sombrer dans le carcan des stéréotypes. Les textes et leur significations échappent constamment à l’auteur, et leur polysémie favorise une herméneutique « ouverte » du/au récepteur.

Notre analyse montre que l’épigraphe ne renseigne pas l’instance réceptrice sur l’identité de l’imposteur, mais qu’elle introduit au contraire une multitude d’imposteurs, Tartuffe, Orgon, et Elmire, déconstruisant par là-même l’exégèse traditionnelle. Notre article démontre surtout que l’ultime imposture ne se trouve pas à l’intérieur du cadre, dans le frontispice mais est le frontispice lui-même. L’image, lue à la lumière du texte linguistique et des indices spectaculaires, n’est pas aussi transparente qu’on pourrait a priori le croire. Afin d’interpréter le message de la gravure, l’instance réceptrice doit considérer son double support, iconique et linguistique.

Pennsylvania State University

 

OUVRAGES CITÉS

Adrien, Philippe. « La vérité de l’hypocrite. » Le Discours psychanalytique (déc. 1983) : 44–47. 

Alberti, Battista.De Pictura, in Jean-Claude Vuillemin, « Réflexions sur la réflexivité théâtrale », p. 7.

Barthes, Roland. « Rhétorique de l’image. » Communications 4 (1964) : 40–51.

Biet, Christian. « « C’est un scélérat qui parle » : Lire, Ecrire, Publier, Représenter, Interpréter le Théâtre au XVIIe siècle. » Du Spectateur au lecteur : Imprimer la scène aux XVIe et XVIIe siècles. Ed. Larry F. Norman, Philippe Desan et Richard Strier. Paris : Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2002 : 55–83.

Chartier, Roger. « « Coppied onely by the eare » : Le texte de théâtre entre la scène et la page au XVIIe siècle. » Du Spectateur au lecteur : Imprimer la scène aux XVIe et XVIIe siècles. Ed. Larry F. Norman, Philippe Desan et Richard Strier. Paris : Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2002 : 30–53.

Forestier, Georges. « Du spectacle au texte: les pratiques d’impression du texte de théâtre au XVIIe siècle. »Du Spectateur au lecteur : Imprimer la scène aux XVIe et XVIIe siècles. Ed. Larry F. Norman, Philippe Desan et Richard Strier. Paris : Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2002 : 85–110.

Foucault, Michel. Ceci n’est pas une pipe. Montpellier : Fata Morgana, 1973.

Hawcroft, Michael. « Le théâtre français du XVIIe siècle et le livre illustré. » Du Spectateur au lecteur : Imprimer la scène aux XVIe et XVIIe siècles. Ed. Larry F. Norman, Philippe Desan et Richard Strier. Paris : Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2002 : 317–348.

Herzel, Roger. « The Decor of Moliere’s Stage: The Testimony of Brissart and Chauveau. » PMLA, 93, 5 (Oct. 1978) : 925–954.

Hutcheon, Linda. A Theory of Adaptation. New York : Routledge, 2006.

Jackson, Donald. « Les frontispices des éditions de Molière parues au XVIIe siècle. Stéréotypes et expressivité. » Papers in French Seventeenth Century Literature, 26 (1987) : 37–59.

Siguret, Françoise. « Analyses des gravures illustrant l’édition des œuvres de Pierre Corneille. » Pierre Corneille, Actes du Colloque. Paris : Presses universitaires de France (1985) : 679-687.

———. « L’image ou l’imposture : analyse d’une gravure illustrant Le Tartuffe. » Revue d’Histoire du théâtre 36 (1984) : 362–369.

Spielmann, Guy. « Problématique de l’iconographie des spectacles sous l’ancien régime : le cas des frontispices du Théâtre de la foire  (1721–37). » Revue d’Histoire du Théâtre 237 (2008) : 77–86.

Vuillemin, Jean-Claude. « En finir avec Boileau… quelques réflexions sur l’enseignement du théâtre classique. »Revue d’Histoire du Théâtre 209 (2001) : 125–146.

———.  « Réflexions sur la réflexivité théâtrale. »L'Annuaire théâtral 45 (2010) :119–35.

Zanger, Abby. « On the threshold of print and performance: how prints mattered to body of/at work in Molière’s published corpus. » Word & Image, 17, 1-2, (2001) : 25–41.


[1]Les textes iconographiques de Chauveau illustraient les éditions de 1669 à 1673 de la comédie de Molière.

 

[2]De telles hypothèses pourraient avoir des répercussions au niveau de la langue française : faudra t-il changer l’entrée du terme « Tartuffe » dans le dictionnaire?

Site Sections (SE17): 

L’Humour dans les tragédies en musique de Jean-Baptiste Lully

Article Citation: 
XIII, 2 (2011): 130–159
Author: 
Luke Arnason
Article Text: 

 

 

 

 

Au premier regard, ce sujet peut paraître paradoxal : comment peut-on parler d’humour dans une tragédie ? Les opéras de Lully (et surtout ses derniers opéras) ne sont pas ce que l’on qualifierait volontiers de « ludiques ». Même le nom du genre, « tragédie en musique » ou « tragédie lyrique », fait bien entendre qu’il n’a pas vocation à être comique. Le mélange des genres étant une pratique réprouvée par l’esthétique classique, un opéra qui se qualifie de « tragédie » ne devait pas normalement comporter des épisodes comiques. Or l’humour a une place importante et bien définie dans les opéras français du XVIIe siècle. Selon Catherine Kintzler, « la tragédie lyrique se présentait, du fait de sa nature poétique, comme une sorte d’objet technique décalqué sur la tragédie dramatique : elle pouvait apparaître comme ludique. De ce fait, un certain effet comique en forme d’allusions, de clins d’œil, de réminiscences, n’en était pas exclu » (276). Le ludique provient de ce « rapport grimaçant » (277) entre la tragédie lyrique et la tragédie dramatique (ou tragédie déclamée) dont elle est le reflet à la fois exact et inversé. Les exemples donnés par Kintzler ne semblent cependant pas tirer leur effet ludique de leur rapport grimaçant d’avec la tragédie déclamée. Dans une note, l’auteur constate que les premières tragédies de Lully comportaient des scènes ouvertement comiques, mais elle attribue cette tendance à l’« influence directe de l’opéra italien et du ‘mélange des genres’ pratiqué au-delà des Alpes » (276, note 55), et cite des exemples de Cadmus et Hermione et d’Alceste (les deux premières tragédies en musique de Lully et de Quinault). Elle conclue que « [d]e telles scènes disparaissent rapidement (c’est un mélange générique indigne du système poétique classique), mais on note toujours des scènes empruntées au registre de la comédie, comme celles de l’aveu amoureux » (ibid).

L’analyse de Kintzler résume en quelques lignes le sort du registre comique dans l’opéra lulliste, mais l’extrême concision de ses remarques  laisse un certain nombre d’ambiguïtés et invite à une étude plus détaillée. L’importance des scènes comiques a été diminuée pour éviter le mélange des genres, il n’y a pas de doute ; mais quelle querelle, quel dessein esthétique a pu motiver cette modification soudaine de la dramaturgie opératique ? Existent-ils d’autres exemples d’épisodes comiques, après Alceste, dont Kintzler ne parle pas ? L’usage de l’humour disparaît-il effectivement, ou assume-t-il plutôt une forme moins « ouvertement » comique ? Quinault exploite-t-il réellement le « rapport grimaçant » entre l’opéra et la tragédie à effet ludique, ou l’humour se manifeste-t-il autrement dans ses opéras ? On se rend rapidement compte qu’un grand travail de réflexion reste à faire sur ce sujet. Une étude exhaustive de ce problème, comportant un dépouillement systématique des opéras et des ouvrages critiques pourrait facilement faire l’objet d’un mémoire de maîtrise. Un tel travail n’est évidemment pas possible dans le cadre de cet article. Notre tâche sera donc d’esquisser l’évolution du comique dans la dramaturgie opératique afin de déterminer sa fonction globale dans la poétique lyrique et afin de proposer un premier classement des situations se prêtant à un traitement ludique.

Il convient de préciser également que nos analyses se porteront sur l’action principale des opéras et non sur les divertissements. Il est vrai que ces derniers constituent un lieu conventionnel du ludique dans la mesure où ils proposent un épisode enjoué qui s’oppose à l’action encadrante, mais le caractère enjoué du divertissement est déjà reconnu et a déjà été commenté[1]. En tant que spectacles comportant systématiquement la danse, les divertissements ne sont pas strictement dramatiques et échappent donc à des classifications génériques[2] : ils ne sont ni tragiques ni comiques. Ils peuvent toutefois provoquer des effets comiques (c'est-à-dire qui font rire, sans relever strictement du genre comique) et certains divertissements sont plus drôles que d’autres. Nous ferons allusion à certains divertissements dans cet article, mais notre véritable objectif est de déterminer quels sont les autres lieux propres à l’emploi de l’humour au sein même de l’action opératique.

L’influence italienne

L’idée de faire une place au comique dans l’opéra vient des inventeurs de ce genre, les italiens. Le projet de Mazarin d’introduire l’opéra italien en France a échoué, mais le rejet de la dramaturgie italienne a donné naissance à la volonté de développer une nouvelle dramaturgie opératique française. La dramaturgie opératique italienne constitue par conséquent un premier modèle pour l’opéra français, même si ce modèle n’est pas à suivre en tout. Il y a en effet plusieurs aspects de la dramaturgie italienne que les français trouvent inacceptables et/ou impossibles à adapter à la scène française. Perrin énumère ces neuf défauts dans sa « Lettre » à l’archevêque de Turin. Katherine Kintzler les résume ainsi :

1. La plupart des opéras italiens sont mal faits, n’étant que des pièces de théâtre mises en musique.

2. La musique italienne ne convient pas aux oreilles ni au goût français.

3. C’est trop long.

4. Il y a trop de récitatif, une plus grande variété conviendrait mieux.

5. Il y a trop de monotonie dans l’alternance des voix dialoguées.

6. Les italiens ont le défaut de parler italien.

7. La poésie italienne est trop métaphorique et chargée de figures. Le goût français est plus régulier.

8. Les représentations se déroulent dans des lieux trop vastes, on n’entend rien.

9. L’usage des castrats n’est pas admissible (Kintzler 156)[3].

On remarque que la présence d’épisodes comiques n’est pas un des éléments qui posent problème.

Il n’est donc pas étonnant de constater la présence d’épisodes comiques dans les premiers opéras français. En fait, la première création de Lully pour l’Académie Royale de Musique, Les Fêtes de l’Amour et de Bacchus, est pour l’essentiel un amalgame des meilleurs intermèdes des comédie-ballets de Molière. Quinault et Lully s’efforcent d’enchaîner ces intermèdes de manière à ce qu’ils forment une petite pastorale en musique. Mais cette pastorale comporte des scènes célèbres des comédies de Molière, ce qui fait que le comique prime sur la pastorale. La première moitié du prologue, qui réutilise la scène de vente des livrets du Bourgeois gentilhomme, et le deuxième acte, tiré de La Pastorale comique, sont franchement bouffons. Le reste de la pastorale se déroule sur un ton enjoué sinon burlesque, à l’exception du premier acte (tiré du troisième intermède des Amants magnifiques) et la première scène du troisième acte. Autrement dit, seulement 7 scènes sur 16, soit un peu moins de la moitié des scènes, sont « sérieuses » (sans compter le prologue dont le nombre de scènes comiques et sérieuses est à peu près égal).

Au moment même de la création des Fêtes de l’Amour et de Bacchus, Lully et Quinault préparent déjà leur prochain spectacle, plus éclatant et plus sophistiqué. Ils l’annoncent dans l’avant-propos de leur pastorale :

Voicy un Essay qu'Elle [l'Académie Royale de Musique] s'est hastée de preparer pour l'offrir à l'impatience du Public. Elle a rassemblé ce qu'il y avoit de plus agreable dans les Divertissements de Chambord [Le Bourgeois Gentilhomme], de Versailles [George Dandin], & de saint Germain [Les Amants magnifiques] ; & Elle a crû devoir s'assurer que ce qui a pû divertir un MONARQUE infiniment éclairé, ne sçauroit manquer de plaire à tout le Monde. [...] Ce premier Spectacle sera bien-tost suivy d'un Autre plus magnifique, dont la perfection a besoin encore d'un peu de temps ; Cette Academie y travaille sans relasche, & Elle est resoluë de ne rien épargner pour répondre le plus dignement qu'il luy sera possible à la Glorieuse Protection dont Elle est honorée (n. p.).

Cet autre spectacle est Cadmus et Hermione, la première tragédie en musique française. En effet, tous les opéras de Lully et de Quinault seront dès lors des tragédies en musique et la transformation de l’opéra français de pastorale en tragédie constitue l’une des principales avancées de l’Académie sous la direction de Lully. Cette transformation s’explique en partie par la volonté d’égaler voire de dépasser l’opéra italien (qui connaît depuis longtemps la tragédie en musique). La raison principale de cette transformation est autre, cependant, et s’entend déjà dans l’avant-propos cité ci-dessus : « [l’Académie] est resoluë de ne rien épargner pour répondre le plus dignement qu’il luy sera possible à la Glorieuse Protection dont Elle est honorée. » À la différence de l’opéra italien, l’opéra français est l’ouvrage non d’un individu mais d’une institution. Le style et même le genre de l’opéra répond à l’importance de son protecteur, Louis XIV[4]. Laura Naudeix l’exprime ainsi :

La protection du roi s’étend symboliquement sur le théâtre de l’Académie à Paris, qui devient une dépendance naturelle des théâtres de la cour. Les spectateurs prennent acte de ce phénomène, s’en honorent, puisque le roi semble les convier à un divertissement dont il est seul destinataire (206-207).

Ce spectacle, destiné au roi, fait également allusion à lui : explicitement dans les prologues et implicitement dans l’intrigue (grâce aux héros qui incarnent certaines de ses vertus). Le rapport précis entre les héros opératiques et le roi est difficile à préciser de façon générale et fait l’objet d’un vif débat de la part de la critique moderne. Les experts français ont tendance à admettre sans problèmes l’adéquation de la personne royale aux héros opératiques, et recherchent même parfois des lectures à clés[5]. En revanche, les experts anglo-saxons ne cessent de souligner les problèmes d’interprétation que soulèvent une identification trop étroite entre le roi et les héros (trop imparfaits) de la scène lyrique[6]. L’objectif de cet article n’est pas de trancher ce débat, mais il est toutefois nécessaire de reconnaître et de comprendre la problématique de l’adéquation du roi au héros. Nous dirions donc que des héros tels que Cadmus, Alcide, Renaud ou même Persée ne sont pas des représentations allégoriques de la personne du roi, mais sont des incarnations de ses vertus (individuelles). Sous ce système de réflexion partiale, ces héros peuvent avoir les imperfections nécessaires à l’élaboration d’une action intéressante. Mais surtout, ce système flatte mieux le roi qu’une représentation allégorique directe, puisqu’il faut une armée de héros légendaires pour réunir toutes les vertus que Louis XIV rassemble dans sa seule personne.

Dans les premières tragédies lyriques de Lully, il y a une nette séparation entre les personnages à caractère « tiré vers le haut »[7]des personnages nobles et le caractère « tiré vers le bas » de leurs suivants. On alterne ainsi les effets tragiques (ou tout du moins héroïques, c’est-à-dire galants) et comiques selon que l’action concerne les personnages nobles ou subalternes. Cadmus et Hermione illustre cette coexistence du tragique et du comique. Le comique y est essentiellement réservé à deux personnages : Arbas et la nourrice d’Hermione.

La nourrice est un personnage type dans l’opéra italien du XVIIe siècle. Celle de Drusilla dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi est sans doute la mieux connue de nos jours. Le rôle est toujours en tessiture de haute-contre (ou de ténor) et est donc censé être incarné par un homme pour mieux renforcer la vieillesse et la laideur du personnage. Malgré son total manque d’appas (physiques et spirituels), la nourrice est souvent amoureuse. La Nourrice de Cadmus et Hermione ne présente, en cela, aucune exception à la règle, étant amoureuse de l’autre personnage comique, Arbas. Elle ne l’aime cependant pas de l’amour constant dont sa maîtresse Hermione fait preuve pour Cadmus. Pour la nourrice, l’amour doit être sans obstacles ; si un obstacle s’oppose à son amour, il faut changer. C’est pourquoi, à la troisième scène du premier acte, elle propose à Hermione de ne pas se laisser aller à son amour pour Cadmus. Comme « [t]out le monde [la] trouve à plaindre », mais « [p]ersonne […] n’ose [la] secourir », il vaudrait mieux qu’Hermione évite le danger en songeant simplement « à quel époux le Ciel [la] veut unir » (19). Concernant ses propres amours, elle montre qu’elle est capable de changer très rapidement. Quand Arbas fait preuve d’ingratitude, à la deuxième scène du deuxième acte, elle transforme sur le champ son amour en haine – non sans amertume – en disant,

Il me quitte, l’ingrat, il me fuit, l’infidèle !
Ne crains pas que je te rappelle ;
Va, cours, je te laisse partir ;
Va, je n’ai plus pour toi qu’une haine mortelle :
Puisses-tu rencontrer la mort la plus cruelle,
Puisse le Dragon t’engloutir (28).

La fonction principale des amours de la Nourrice est donc de contraster d’avec celles d’Hermione. En amour, elle n’a ni la générosité ni la constance de sa maîtresse, et quand elle est jalouse, elle n’a pas la majesté outragée d’une Phèdre. Elle est plus que divertissante : elle met en valeur la vertu de sa maîtresse par effet de contraste.

Arbas sert la même fonction dramatique, cette fois pour mettre en valeur les vertus de son maître Cadmus. Arbas s’efforce au moins d’imiter son maître, mais il n’est ni assez galant, ni assez vaillant pour y réussir. Il aime la suivante d’Hermione, Charite. Pour lui faire la cour, il s’efforce d’imiter la galanterie (sincèrement) triste de son maître, sans succès. Il fait sa cour au début du deuxième acte dans les termes suivants :

ARBAS
En te voyant, belle Charite,
J’avais cru que l’amour fût un plaisir charmant;
Mais lorsqu’il faut que je te quitte,
J’éprouve qu’il n’est point un plus cruel tourment.

La douleur me saisit, je ne puis plus rien dire…
Quand je pleure, et quand je soupire,
Tu ris, et rien n’émeut ton Cœur indifférent?

CHARITE
Tu fais la grimace en pleurant,
Je ne puis m’empêcher de rire (25).

Arbas fait aussi preuve de poltronnerie lors des scènes de combat. Au début de la troisième scène de l’acte 3, par exemple, Cadmus arrive sur scène juste au moment où Arbas fuit le dragon. Quand Cadmus apprend que le monstre est proche, il commence le combat sans hésiter. La frayeur d’Arbas est en revanche si grande qu’il n’ose pas regarder le combat, même de sa cachette :

O Ciel ! où sera mon asile ?

La frayeur me rend immobile ;

Je ne saurais plus faire un pas :

Ah ! cachons-nous ; ne soufflons pas (37).

Il ne se rend donc pas immédiatement compte de la mort du monstre à la scène suivante. Mais à la fin, en voyant le cadavre du dragon, toute sa bravoure revient et il lui donne des coups d’épée :

Je ne puis contre lui retenir mon courroux ;

Et je veux lui donner au moins les derniers coups.

Arbas met l’épée à la main et va percer le Dragon, qui fait encore quelque mouvement, qui oblige Arbas à retourner sur le devant du Théâtre (37).

Si ces épisodes sont divertissants, agréables et soulignent plus qu’ils n’amoindrissent la générosité des héros, pourquoi Quinault et Lully ne se sont-ils plus servis de ce genre d’humour ? C’est le style du comique, et non sa fonction, qui semble poser problème. En effet, plusieurs éléments semblent discréditer l’originalité de ce genre tout nouveau qu’est la tragédie lyrique. La Nourrice, nous l’avons vu, est un emprunt à l’opéra italien. Sa présence a dû sembler trop redevable à la dramaturgie italienne et sa suppression fait sans doute partie d’une réforme stylistique visant à rendre plus « française » la dramaturgie opératique. On remarque également une forte empreinte du style de Molière dans les scènes comiques de Cadmus et Hermione. La scène entre Arbas et le dragon rappelle la scène de l’ours dans La Princesse d’Élide. La réaction de Charite aux attentions d’Arbas rappelle également la deuxième scène du troisième acte du Bourgeois Gentilhomme, où Nicole ne peut s’empêcher de rire quand elle voit l’habit ridicule de M. Jourdain. Plutôt que de se moquer de ses vêtements, Charite rit des grimaces d’Arbas. Or les grimaces étaient la spécialité de Molière. Arbas partage également avec le grand comédien sa tessiture de voix : la basse-taille. Nous savons qu’au sommet de sa célébrité, Molière a dû s’abstenir de participer aux représentations de pièces sérieuses car sa seule présence faisait rire les spectateurs. Il est probable qu’une situation semblable se soit produite dans Cadmus et Hermione et que l’évocation trop poussée du style de Molière ne se soit montrée nuisible au sérieux de l’opéra. Enfin, la poltronnerie d’Arbas évoque un autre personnage de la scène française : le capitan Matamore. Vu que la tragédie en musique était alors un genre dramatique nouveau et avant-gardiste, il était dangereux d’inviter le spectateur à l’associer à la vieille comédie de l’époque de l’Illusion comique.

Un humour galant

La présence de scènes comiques dans Cadmus et Hermione semble avoir été critiquée, puisque Quinault se sentit obligé de défendre son usage du comique dans Alceste. Il se défend en se servant de la voix du chœur à la fin du prologue :

Nous allons voir les Plaisirs de retour ;
Ne manquons pas d’en faire un doux usage.
Pour rire un peu, l’on n’est pas moins sage (62, nous soulignons).

Quinault ne se contente cependant pas de réclamer la légitimité du comique à la scène lyrique dans le prologue. Pour sa deuxième tragédie en musique, il invente un nouveau registre comique, plus subtil et plus raffiné que dans Cadmus et Hermione.

Phérès (le père d’Admète) est le seul personnage bouffon dans cet opéra. Lors de la grande bataille du deuxième acte, Phérès est le seul à ne pas y participer, non pas parce qu’il a peur (contrairement à Arbas) mais parce qu’il est vieux et se déplace trop lentement. La didascalie indique que Phérès arrive « armé, et marchant avec peine » (80). On comprend qu’il peut à peine supporter le poids de ses armes, ce qui le force à se déplacer très lentement et ce qui explique pourquoi il n’a pu se rendre sur le lieu de la bataille qu’après la fin du combat.

On peut s’étonner que les serviteurs dans Alceste soient moins bouffons que le père du roi. Ces personnages subalternes provoquent également des effets comiques, mais leurs disputes jalouses relèvent d’un certain humour galant, plus raffiné que dans Cadmus et Hermione. Lychas, le suivant d’Alcide, et Straton, le suivant de Lycomède, sont tous deux amoureux de Céphise (la suivante d’Alceste) qui aime avoir plusieurs amants et refuse de se marier, même sous la menace. Charles Perrault explique (en justifiant) la fonction dramatique de ce genre d’humour dans sa Critique de l'opera. Cette justification se présente sous forme d’une réponse à une attaque formulée par un interlocuteur fictif. La Critique se présente sous forme de dialogue entre Aristippe et Cléon. Aristippe a aimé l’opéra lors de la représentation mais, ayant appris par des gens d’esprit que c’était un mauvais spectacle, il a changé d’avis. Cléon est donc le défenseur de l’opéra.

 [I]l faut demeurer d'accord, dit Aristippe, que les amours de Cephise et son inconstance, ont quelque chose d'abominable: Car outre que c'est un Episode qui n'a aucune liaison avec la Piece, et qui est tres-mal placé en cét endroit, il est tres-indigne d'une Piece aussi serieuse que celle-cy, et si vous avez eu quelque raison de blâmer la tromperie galante qu'Hercule fait à Admette en luy amenant Alceste voilée; parce, disiez-vous, que la chose estoit trop enjoüée, comment pourrez-vous soûtenir les badineries d'une Suivante et de ses Amans, veu que la tromperie d'Hercule est essentielle à la Piece, et que les amours de Cephise n'ont aucun rapport avec l'Histoire d'Alceste (Perrault 92-93).

La « tromperie galante » d’Hercule fait référence à l’Alceste d’Euripide, dont Cléon a préalablement critiqué certains aspects de l’intrigue concernant leur manque de bienséance ; notamment un épisode comique où Hercule, ayant ramené Alceste des enfers, la présente, voilée, à Admète comme une autre femme pour éprouver sa constance. Cléon explique pourquoi ce genre d’épisode comique est inacceptable et pourquoi les épisodes comiques de Céphise, au contraire, sont louables :

Vous vous souviendrez, s'il vous plaist, que quand j'ay parlé contre la tromperie d'Hercule, ç'a esté principalement parce que le mensonge, quel qu'il soit, ne peut convenir à un Heros; et que si j'ay trouvé la chose un peu trop enjoüée, c'est parce qu'elle se passe entre les principaux Personnages de la Piece. De sorte que bien loin de blâmer l'Episode enjoüé des Amours et de l'Inconstance de Cephise, je le louë extremement, parce que les choses agreables de cette Scene sont dites par des personnes du commun, une Suivante et des Confidents, et que ces mesmes choses font une tres-belle varieté. De plus, rien n'est de mieux lié ny de plus naturel au sujet. On sçait que c'est une des regles principales de la Rethorique, de relever le merite des vertus par l'opposition des vices qui leur sont contraires. Estant donc question de mettre en son jour la beauté de la constance et de la fidelité conjugale, il estoit de l'industrie du Poëte de donner un exemple d'inconstance et d'infidelité qui inspirast de la haine et du mépris pour cette foiblesse de l'esprit humain. […] Mais cét Episode n'est seulement pas joint à la Piece par la necessité qu'il y avoit d'opposer le vice à la vertu; il y est joint encore, en ce que Cephise est confidente d'Alceste, et que dans la suite elle sert à establir une verité, qu'on ne veut point mourir à quelque âge que ce soit, et de quelque condition qu'on puisse estre. Car en mesme temps que Pheres pere d'Admette refuse de mourir, parce qu'il est trop vieux; elle refuse aussi de quitter la vie, parce qu'elle est trop jeune; Ainsi sans faire venir des personnes de tous âges et de toutes conditions, qui s'excusent de mourir pour Admette; Pheres d'un costé qui est un homme de qualité extrêmement vieux, et Cephise d'un autre costé qui est une fille de peu de naissance, et extremement jeune, representent en quelque sorte tous les differens âges, conditions, et qualitez imaginables; et semblent asseurer que toutes les autres personnes du monde feroient la mesme chose (Perrault 93-94).

La fonction dramatique des personnages comiques est donc la même que dans Cadmus et Hermione : il s’agit de renforcer la grandeur et la noblesse des amours des héros en les faisant contraster avec l’amour volage et léger de leurs suivants. Quinault a réussi dans Alceste à aboutir au même effet dramatique sans se servir d’un style d’humour trop italianisant ou bouffon. Dans ce sens, l’humour employé dans Alceste semble plus subtil et plus raffiné que l’humour de Cadmus et Hermione.

Mais si l’humour employé dans Alceste réussit à s’affranchir de l’influence des Italiens et de Molière, il succombe à d’autres défauts, beaucoup plus graves. Dans Cadmus et Hermione, les épisodes comiques sont tous de caractère burlesque mais concernent uniquement des personnages subalternes, c'est-à-dire par des personnages de caractère convenable à l’action comique. Dans Alceste, l’humour est, de façon générale, de caractère plus raffiné, comme nous l’avons vu, mais les quelques exceptions sont flagrantes. Phérès, bien qu’il soit « un homme de qualité » (voir citation de Perrault, supra) est représenté de façon légère et parfois bouffonne, comme dans la scène suivant la bataille de l’acte II. Même Alcide, un demi-dieu qu’on peut voir comme l’incarnation de l’exceptionnelle maîtrise de soi de Louis XIV, participe à une scène burlesque quand il bouscule la file d’ombres traversant le Styx et fait presque crever la barque de Charon[8]. La séparation entre les personnages à caractère tragique et les personnages à caractère comique est donc moins nette que dans Cadmus et Hermione. Dans le langage de Corneille, les mœurs ne sont pas « égales »[9]. On pourrait dire que pour Phérès, elles ne sont même pas « bonnes »[10].

Quinault corrige ce problème dans Thésée, où l’humour respecte le ton galant établi dans Alceste, mais n’est provoqué que par les suivants[11]. Mais dans le long terme, Quinault abandonne même cet humour galant et didactique pour en inventer un autre, encore plus subtil, à partir d’Atys. L’on pourrait même dire que le recours à l’humour est nettement diminué après Thésée. Dans le reste des livrets de Quinault, le comique sera relégué exclusivement à deux situations dramatiques : la représentation des amoureux (ou, plus souvent, des couples sans amour) qui se disputent ; et la représentation des êtres infernaux (qui, dans la majorité des situations, n’apparaissent que dans les divertissements).

Un humour ambigu : les disputes entre amoureux

Il n’y a que quatre exemples de disputes entre « amoureux » : la dispute entre Vulcain et Vénus à la troisième scène du deuxième acte de Psyché ; la dispute entre Io et Hiérax à la troisième scène du premier acte d’Isis ; la dispute entre Andromède et Phinée à la quatrième scène du premier acte de Persée ; et la dispute entre Atys et Sangaride à la quatrième scène du quatrième acte d’Atys[12].

De ces quatre scènes, seule celle de Psyché est ouvertement et indubitablement comique. Cette circonstance tient peut-être au fait que Thomas Corneille en est l’auteur et non Quinault. Comme dans toutes les scènes comiques que nous avons vues jusqu’ici, elle fonctionne par effet de contraste. Elle est encadrée par deux épisodes sérieux : celui du sacrifice et de l’enlèvement de Psyché à la fin du premier acte, et par celui de la scène d’amour entre Psyché et l’Amour à la fin du deuxième acte. Elle soulage par un contraste étonnant la tension dramatique qui clôt le premier acte. On passe, à la fin du premier acte, d’un ton tragique à un ton farcesque qui représente les disputes et les caprices jaloux des vieux mariés. Cette situation est d’autant plus frappante que l’intrigue tragique du premier acte se passe entre mortels alors que les personnages de cette petite farce sont des dieux. On est ici en présence d’une juxtaposition générique et structurelle dont l’effet comique vise à soulager la tension dramatique de l’acte précédent.

Cette scène constitue également un contraste frappant par rapport à l’épisode qui la suit : la scène d’amour de Psyché et de l’Amour. Avant de voir les parfaites et innocentes amours de ces deux jeunes amants, on assiste aux disputes et à la jalousie des vieux mariés sans amour. L’effet dramatique est ostensiblement le même que dans Cadmus et Hermione : on met en valeur les comportements nobles en les juxtaposant aux comportements bas. Cependant, la situation est renversée en quelque sorte par rapport à Cadmus, puisque les mortels se comportent plus noblement et plus dignement que les divinités.

La dispute entre Io et Hiérax dans Isis est sur un ton plus léger que celles d’Atys ou de Persée, mais elle n’est pas ouvertement farcesque comme celle de Psyché. Le cadre pastoral du début de cet opéra invite à des échanges et même des disputes sur l’amour. Ce même cadre pastoral autorise en même temps une certaine légèreté de ton que Quinault met à profit pendant les trois premiers actes de l’opéra (il y a un changement de ton radical vers la fin de l’opéra, qui devient plaintif, grave et tragique). La dispute d’Io et d’Hiérax s’inscrit dans cette ambiance légère du début de l’opéra. La dispute se termine par un duo qui, loin de souligner l’harmonie des pensées des deux amants, représente leur peu d’intelligence et leur refus de s’écouter :

IO et HIÉRAX
Non, il ne tient qu’à vous
De rendre notre sort plus doux (240).

L’entêtement de ces deux personnages est amusant et rappelle des disputes entre jeunes amants des comédies de Molière. La légèreté de la situation est d’ailleurs confirmée à la scène suivante quand Io avoue à Mycène que « Ce prince infortuné s’alarme avec justice », que Jupiter lui fait la cour et que « du plus grand cœur le glorieux empire / Est difficile à refuser ».

Cette légèreté enjouée n’est pourtant pas la légèreté bouffonne de Cadmus et Hermione ou de Thésée. Mais de façon générale, l’humour particulier d’Isis est sans exemple ou parallèle dans les autres livrets de Quinault, comme s’il constituait une parenthèse dans sa production lyrique. Il s’agit peut-être d’une expérience, coupée courte par le scandale que suscita cet opéra. Quoi qu’il en soit, Isis est le meilleur (et, à notre avis, le seul véritable) exemple du système comique « grimaçant » identifié par Kintzler. Plus que tout autre livret de Quinault, celui-ci se prête à l’« effet comique en forme d’allusions, de clins d’œil, [et] de réminiscences » (Kintzler 276). Les parallèles que virent les spectateurs du XVIIe siècle entre Junon et Madame de Montespan montrent que ces clins d’œil et ces allusions pouvaient se faire sur le plan social aussi bien que sur le plan générique.

Dans Atys et dans Persée, le traitement des disputes entre amoureux est plus ambigu. L’ironie dramatique prête un fond sérieux à ces épisodes et les rend plus touchants que ludiques. Dans Persée, la fonction dramatique de la dispute entre Andromède et Phinée est exactement la même que dans Psyché (soulager la tension dramatique des scènes précédentes), mais il est difficile de dire objectivement si la scène est vraiment comique pour autant. Dans les scènes précédentes, Mérope devient consciente que son amour pour Persée ne pourra jamais se réaliser et elle exprime son chagrin dans un triste monologue[13]. À la scène suivante, cette plainte est interrompue par la dispute entre Andromède et son fiancé, Phinée :

 

 

ANDROMÈDE et PHINÉE
Croyez-moi, croyez-moi.
ANDROMÈDE            { Cessez de craindre.
PHINÉE                        {Cessez de feindre.
ANDROMÈDE
Je veux vous aimer, je le dois.

PHINÉE
Vous ne m’aimez pas, je le vois.
ANDROMÈDE            { Cessez de craindre.
PHINÉE                        {Cessez de feindre.
ANDROMÈDE et PHINÉE
Croyez-moi, croyez-moi (68).

Ce duo est chanté dans une tonalité majeure et à un tempo rapide qui contraste vivement avec le monologue languissant de Mérope à la scène précédente. Les deux chanteurs s’entrecoupent et s’interrompent. Le duo est certainement enjoué, ce qui permet au spectateur de se dégager de l’ambiance triste de la scène précédente. Mais il n’est pas certain pour autant que cette dispute soit conçue pour provoquer un effet comique, ou pour présenter Phinée et Andromède sous un jour ridicule. Il serait possible de réaliser cette scène de façon plus sérieuse et qui ne fasse que sourire, là où l’enregistrement de Christophe Rousset a préféré une réalisation frénétique qui fait rire. Il s’agit donc d’un nouveau type d’humour ; un humour ambigu. On est loin de l’humour farcesque de Psyché ou des épisodes ouvertement burlesques de Cadmus et Hermione.

Il en va de même pour la dispute entre Atys et Sangaride. Le prélude grave sur lequel la scène s’ouvre ne laisse pas augurer d’action comique. Seules les protestations, « Ah ! c’est vous » (211), – répétées plusieurs fois dans la partition, et superposées comme pour s’interrompre et se contredire – laissent imaginer une interprétation quelque peu ludique de cette scène. La dispute entre Atys et Sangaride est comique seulement dans la mesure où elle fait voir un faible et dernier obstacle (la jalousie) aux amours des deux amants. Cet obstacle est d’autant plus faible qu’il a sa source dans leur amour mutuel, avant qu’ils ne parviennent enfin à une parfaite intelligence. Le spectateur reconnaît l’erreur des deux amants et, il s’ensuit, l’absurdité de la situation. Mais si le fondement de la dispute est absurde, l’importance du débat est loin d’être trivial. Le conflit entre le sérieux de la situation et la trivialité de la dispute des amants, crée une ambiguïté de ton. Comme dans Alceste et dans Psyché, le moment sérieux (la reconnaissance d’un amour fidèle et parfait) est rehaussé grâce à un effet de contraste avec le moment plus enjoué (la dispute) qui le précède. Il semble que Quinault recherche une coloration comique pour alléger le ton, plutôt qu’un véritable effet comique qui fasse rire.

Le Démoniaque

Le démoniaque est une catégorie du burlesque lyrique et donc du ludique. Nous entendons par « démoniaque » les forces et les êtres à la fois merveilleux et maléfiques : démons, furies, lutins… Ces personnages (toujours mineurs, d’ailleurs) sont forcément de condition subalterne. Les méchants (Phinée, Arcabonne) et les dieux infernaux (Pluton et Proserpine) ont une « grandeur d’âme » ou une « bonté » des mœurs (voir note 10 ci-dessus) qui les relève au-dessus d’un traitement burlesque. Les êtres démoniaques se prêtent à un traitement ludique à deux titres. D’une part, en tant qu’êtres de basse condition (ce sont les serviteurs des dieux infernaux) et incarnant allégoriquement le vice et le péché, les personnages démoniaques sont convenables à une représentation burlesque, au même titre que des suivants bouffons comme Arbas. D’autre part, en tant qu’êtres merveilleux, ils sont autorisés à se comporter différemment des héros mortels. Selon Catherine Kintzler,

Les diables et les dieux dansent en vertu de la vraisemblance par laquelle le merveilleux s’autorise — et même prescrit — une manière de se mouvoir autre que le mouvement ordinaire et naturel, et propre à des être extraordinaires. […] C’est par le même raisonnement que les monstres dansent et que des phénomènes tels que nuages, éclairs, gouttes de pluie, vagues peuvent danser : il faut et il suffit qu’on les rattache à quelque origine magique qui aura la vertu de les métaphoriser (224).

Or la danse est pour Kintzler une forme de spectacle qui se prête à un traitement ludique, puisqu’elle n’est rattachée à aucun genre dramatique (261). Les scènes dansées peuvent donc être de caractère ludique sans relever du genre comique. On peut ainsi éviter le mélange des genres tout en permettant une alternance des tons. La représentation des forces infernales par l’entremise d’entrées burlesques remonte à une convention du ballet de cour. D’une part, la façon hautement stylisé de se mouvoir lors de ces entrées rend représentable les actions violentes de ces êtres dangereux. D’autre part, le caractère burlesque de l’entrée tourne en dérision ces manifestations de l’erreur et du péché afin de mieux montrer leur bassesse. Dans l’ensemble, ces entrées sont plus enjouées que comiques et il en va de même au sein même de l’action.

Dans l’ensemble des opéras de Lully, le recours à ce qu’on pourrait qualifier de « ludique démoniaque » joue un rôle beaucoup plus important que celui des disputes entre couples en termes de fréquence. On retrouve une représentation burlesque de la plupart des monstres et démons dans tous les opéras. Les hautecontres échangent leur rôle de nourrice pour celui de furie, toujours chanté par des hommes. Les furies apparaissent parfois ensemble, en petit chœur, comme dans Psyché où elles parlent toujours en même temps, en trio de haute-contre, taille et basse. On trouve exactement le même procédé dans Persée dans la représentation des trois sœurs Gorgones, au début de l’acte III.

Cependant, en même temps que l’humour galant devient moins « drôle » et plus ambigu, la représentation du démoniaque devient de plus en plus menaçante. Son emploi est si fréquent dans les opéras de Lully qu’il n’est pas possible de tracer son évolution en étudiant systématiquement chaque instance. Nous proposons plutôt, pour illustrer cette évolution vers un démoniaque menaçant, de comparer un des premiers opéras, Alceste, avec l’un de ses derniers, Amadis. Le quatrième acte d’Alceste en entier se déroule aux enfers. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cet acte est loin d’être noir, effrayant ou sérieux ; il est, au contraire, l’un des plus gais et des plus divertissants de l’opéra. L’acte s’ouvre sur une scène entre Charon et des ombres rebutées qui n’ont pas pu payer leur passage à travers le Styx. On s’attendrait à une représentation lugubre et noire de cette scène, mais la musique est enjouée et Charon se présente comme l’avare typique, digne d’une scène comique :

Charon fait entrer dans sa barque les Ombres qui ont de quoi le payer.

CHARON
Donne, passe, donne, passe,
Demeure, toi.
Tu n’as rien, il faut qu’on te chasse.

UNE OMBRE rebutée
Une Ombre tient si peu de place.

CHARON
Ou paie, ou tourne ailleurs tes pas.

L’OMBRE
De grâce, par pitié, ne me rebute pas.

CHARON
La pitié n’est point ici-bas,
Et Charon ne fait point de grâce.

L’OMBRE
Hélas ! Charon, hélas ! hélas !

CHARON
Crie hélas ! tant que tu voudras,
Rien pour rien, en tous lieux est une loi suivie.
Les mains vides sont sans appas,
Et ce n’est point assez de payer dans la vie,
Il faut encor payer au-delà du Trépas (Alceste 93–94).

Cette scène est interrompue par l’arrivée d’Alcide (Hercule), qui bouscule les ombres qui attendent de monter, saute dans la barque de Charon qui s’écroule presque sous son poids, et traverse le Styx pour arracher Alceste aux enfers. La représentation d’Alcide n’est pas des plus fines, ce qui est d’autant plus étonnant du fait qu’il est une incarnation (imparfaite et partielle) de Louis XIV. Une fois le Styx traversé, Alcide est accueilli par un chœur de « suivants de Pluton » qui lui ferait croire que l’enfer est le véritable paradis, puisque :

De cent maux le Trépas délivre ;
Qui cherche à vivre
Cherche à souffrir.
……………………….
Le Repos qu’on désire
Ne tient son Empire
Que dans le séjour des Morts (96).

Ils expriment ensuite leur joie d’être morts en dansant une canaries, danse très vive et rythmée. Dans l’enregistrement sonore de Jean-Claude Malgoire, l’usage des castagnettes pendant cette danse représente le claquement des os de ces trépassés dansants[14]. La musique de cette scène est extrêmement agréable et vivace, mais elle est complètement décalée par rapport à l’action à laquelle elle est associée ; décalage qui renforce la fausseté des paroles et la morbidité de la situation[15]. La situation est en effet extrêmement périlleuse. Alcide risque la mort. Plus encore, les démons le poussent à renoncer volontairement à la vie, ce qui est un péché. Cependant, les habitants des enfers sont représentés de façon tellement ridicule, qu’on ne craint pas vraiment qu’Alcide y trouve la mort. Le recours au burlesque minimise le danger de la situation.

Dans les derniers opéras de Lully, le démoniaque cesse tout à fait d’être burlesque pour devenir vraiment menaçant. Les démons d’Amadis, par exemple, sont beaucoup moins sympathiques que ceux d’Alceste. Ils interviennent à deux reprises : d’abord à la fin du deuxième acte « sous la figure de Monstres terribles » pour « étonner et […] arrêter Amadis » (169), puis à la fin du quatrième acte « pour secourir Arcalaüs et Arcabonne » (185) (les méchants de l’opéra), qui sont attaqués par l’enchanteresse Urgande qui vient secourir Amadis et Oriane. Même s’ils ne réussissent pas leurs projets, ces démons viennent inspirer la terreur et propager la violence.

Les démons d’Amadis ne partagent avec ceux d’Alceste que l’ambition de séduire les mortels[16]. Mais n’étant pas ridicules, les démons d’Amadis y réussissent mieux. En effet, s’ils ne réussissent pas à effrayer Amadis à la fin du deuxième acte quand ils prennent la figure de monstres terribles, ils réussissent à le séduire sous la forme de Nymphes et de Bergères. À la fin de ce divertissement, Amadis prend une des nymphes pour Oriane et la « suit avec empressement » (171). Les paroles de ce divertissement, en se servant de la représentation conventionnelle du combat amoureux, laissent entendre toute la violence et le danger de la situation,

Cédez ; il est temps de vous rendre,
Cédez, rendez-vous
Aux charmes les plus doux (170).

L’impératif, « cédez » est répété 9 fois au cours du divertissement, 18 fois si l’on tient compte des répétitions du chœur. On comprend grâce au texte que le ton de ce divertissement est menaçant, mais la musique cherche à faire oublier le danger de la situation. L’air est dans une langoureuse tonalité de sol mineur et est accompagné par des flûtes. Le mot « cédez » est à plusieurs reprises tenu sur une seule note pendant plus de trois mesures (soit en pédale tantôt supérieure, tantôt inférieure), ce qui cache la violence de son sens et déforme cette violence pour exprimer un sentiment de doux repos au lieu d’une défaite honteuse.

Cet abandon progressif de l’usage de l’humour dans la représentation du démoniaque se fonde sur l’idée qu’il n’est pas nécessaire de se moquer du mal pour le reconnaître. Nous avons vu que le but de la représentation burlesque des démons et des ombres dans le ballet de cour puis dans l’opéra (notamment Alceste) est d’adoucir voire de discréditer les paroles et l’influence de ces êtres infernaux (voir p. 22 & 23). Dans Amadis, il n’est pas nécessaire de se moquer des forces infernales : le spectateur reconnaît l’erreur du héros dès que celui-ci commence à parler aux nymphes qu’il prend pour Oriane. On reconnaît facilement la méprise du héros parce qu’Oriane n’est pas sur scène. Prendre le mal au sérieux sert à renforcer l’impression de danger caché des plaisirs illicites et, par conséquent, à mieux maintenir l’atmosphère sérieuse et tragique de l’opéra.

Dans Armide, Quinault va encore plus loin, se moquant non du mal en soi, mais de ceux qui y succombent[17]. Au quatrième acte, Ubalde et le Chevalier Danois s’approchent du château d’Armide pour venir au secours de Renaud. Comme Amadis, ils se défendent sans crainte des « bêtes farouches et des monstres épouvantables » (273) qui protègent le château, cette fois grâce à une baguette magique qui annule les sortilèges. Une fois les monstres vaincus, ils sont confrontés à une « troupe de Démons transformés en habitants champêtres » (275). Comme Amadis, chaque chevalier croit voir sa maîtresse parmi cette troupe. Le Chevalier Danois croit d’abord voir sa Lucinde. Ubalde se sert de la baguette magique pour faire disparaître l’illusion, mais quand le Chevalier Danois le remercie de l’avoir détrompé, il répond très orgueilleusement,

Près de l’objet que j’aime il m’était doux de vivre ;
Mais quand la Gloire ordonne de la suivre,
Il faut laisser gémir l’Amour.

Des charmes les plus forts la Raison me dégage.
Rien ne nous doit ici retenir davantage ;
Profitons des conseils que l’on nous a donnés (277).

Mais à la scène suivante, Ubalde succombe à son tour à l’illusion, croyant voir sa maîtresse Mélisse. Le Chevalier Danois le raille en faisant exactement les mêmes remarques qu’Ubalde lui avait fait deux scènes auparavant :

Non, ce n’est qu’un charme trompeur
Dont il faut garder votre cœur.
Fuyez, faites-vous violence (278).

Et plus bas,

Est-ce là cette fermeté
Dont vous vous êtes tant vanté ?
Sortez de votre erreur, la raison vous appelle (279).

L’ironie de ces paroles est évidente. On se moque gentiment de l’erreur des deux chevaliers. Quinault n’insiste pourtant pas trop car cette scène sert justement à illustrer qu’il est facile de critiquer les autres, mais tout aussi facile de tomber dans les mêmes pièges qu’eux. L’humour d’Armide n’appartient ni au rire burlesque de Cadmus et Hermione, ni à l’humour galant d’Alceste, mais à un humour doux et moral. Il est à Alceste ce que les premières comédies de Corneille — qui « firent rire sans Personnages ridicules » (Pierre Corneille 6) — étaient aux comédies paillardes de Troterel.

 

Conclusion

Dans son analyse du rôle du comique dans la poétique de l’opéra, Catherine Kintzler s’attarde sur l’ambigüité de l’expression « comique » qui, selon elle, peut avoir deux enjeux distincts. Ou l’on recherche une « coloration » comique (c'est-à-dire un ton plus léger, plus enjoué, en opposition avec le ton héroïque, qui tend vers le tragique), ou bien l’on recherche un « effet » comique, c'est-à-dire une situation qui fait rire (261). S’il fallait résumer l’évolution de l’usage de l’humour dans la dramaturgie opératique en deux mots, il faudrait dire (en empruntant la terminologie à Kintzler) que l’usage d’« effets » comiques a cédé dans le temps à l’usage dominant de la « coloration » comique.

Le déclin des « effets » comiques est vraisemblablement dû à la volonté de créer un opéra régulier et honnête. L’opéra était vivement critiqué en tant que genre, autant pour son irrégularité que pour son immoralité. Or en tant qu’art académique bénéficiant de la protection royale, il se devait d’avoir et de suivre des règles, et de ne pas trop choquer les mœurs. Le déclin progressif des effets comiques dans l’opéra permet de répondre, peu à peu, aux attaques que ce genre subissait. D’une part, l’élimination des personnages-types tels que les capitans et les nourrices sert à diminuer l’impression de redevance de l’opéra français envers la dramaturgie italienne, ce qui renforce l’originalité des opéras de l’Académie. S’il y a encore des personnages ridicules dans Alcesteet dansThésée, ce sont des coquettes, des vieillards, des avares et des jaloux. Autrement dit, ce sont des « originaux » ou des extravagants qu’on trouve dans les comédies contemporaines et non pas de vieux personnages de la comédie pré-classique.

La fonction principale des épisodes et des personnages comiques est de rehausser, par effet de contraste, la valeur et la vertu des héros en les juxtaposant aux comportements bas (mais non répréhensibles) des gens ordinaires. Sa fonction est donc didactique ou, si l’on veut, rhétorique. Mais cet usage des effets comiques entraîne deux conséquences indésirables. Il donne l’impression d’un mélange des genres. Il minimise également l’importance de l’erreur en le tournant en dérision. Alcide court un péril mortel au cours de l’acte IV d’Alceste, mais à cause du ton enjoué de cet épisode, le spectateur ressent plus de joie que d’inquiétude. Autrement dit, les effets comiques font oublier le péril de l’action. Or l’opéra français, tout comme la tragédie dramatique sur laquelle il se fonde en tant que genre, a besoin d’un péril dramatique véritablement dangereux pour être digne de son nom de tragédie[18]. Le véritable combat des héros opératiques n’est pas le combat physique contre les démons et les monstres, mais le combat personnel contre la tentation de la luxure et du vice. Minimiser l’importance du péril équivaut à minimiser le triomphe du héros et remet en question la légitimité des prétentions tragiques de l’opéra. C’est donc dans le but d’être une tragédie digne de ce nom que l’opéra sacrifie la place du comique.

La place légitime du merveilleux dans l’opéra lui permet de se passer des effets comiques. Nous avons vu dans Amadis, par exemple, que le comportement irrationnel du héros envers son environnement suffit à indiquer qu’il est sous l’effet d’un sortilège et qu’il a succombé à l’influence du mal qui l’entoure. L’incapacité du héros à résister à l’influence des démons illustre le danger réel qu’ils posent. Ne pas se moquer ouvertement des forces du mal permet de mieux maintenir une atmosphère sérieuse, tragique. Comme dans la tragédie classique, l’unité de genre est  respectée.

Il est toujours possible, certes, de faire contraster des évènements sérieux avec des évènements plus légers : l’épisode des deux chevaliers dans Armide le prouve. Mais dans ce cas, une « coloration » comique est préférable à un « effet » comique car il ne compromet ni l’unité du genre, ni la gravité du péril. L’atmosphère globalement sérieuse des opéras tardifs de Lully et de Quinault rend l’œuvre plus unifiée. L’opéra n’est plus une pièce à machines « lardée »[19]d’épisodes burlesques. Bref, Lully et Quinault ont sacrifié la variété des registres à l’unité du genre. Le fruit de ce sacrifice est une œuvre plus régulière qui peut légitimement s’appeler tragédie en musique.

Chercheur indépendant

 

 

Ouvrages cités ou consultés

Brooks, William. « Lully and Quinault at Court and on the Public Stage, 1673–86 ». Seventeenth-Century French Studies10 (1988), 101–121.

Corneille, Pierre. Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique (Discours du poème dramatique). Œuvres Complètes. Éd. Georges Couton. Vol. 3. Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980. 117–141.

———. Examen. Mélite. Œuvres Complètes. Éd. Georges Couton. Vol. 1. Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980. 5–8.

Corneille, Thomas. Psyché. Tragédie. Éd. Luke Arnason. Paris : Université Paris-IV, 2005. [Mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier. Publié en ligne : http://www.crht.org/ressources/bibliotheque-dramatique/corneille-thomas-...

Kintzler, Catherine. Poétique de l’opéra français de Corneille à Rousseau. 2e éd. Paris : Minerve, 2006.

Montfleury, Antoine Jacob (dit). L’Ambigu comique ou Les Amours de Didon et d’Ænée. Paris : Pierre Promé, 1673.

Moreri, Louis. Le Grand Dictionnaire historique ou Le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane. Lyon : Jean Girin & Barthélémy Rivière, 1681 (2 vol.).

Naudeix, Laura. Dramaturgie de la tragédie en musique (1673-1764). Paris : Champion, 2004.

Néreaudau, Jean-Pierre. « Du Christ à Apollon : les chemins d’une mythologie de la cour », dans La Tragédie lyrique. Paris : Cicero, 1991, 5–21.

Norman, Buford. « Le Héros contestataire dans les livrets de Quinault : politique ou esthétique ». Dans Roger Duchêne et Pierre Ronzeaud, éd., Ordre et contestation au temps des classiques, PFSCL 73 (1992), 289–300.

——— éd.Philippe Quinault : Livrets d’opéra. 2 vols. Toulouse : Société de Littératures Classiques, 1999.

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———. Avant-Propos. Les Festes de l’Amour et de Bacchus. Pastorale. Paris : à l’entrée de la Porte de l’Academie Royale de Musique, 1672.

———. Cadmus et Hermione. Norman vol. 1, 1–51.

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———. Persée. Norman vol. 2, 55–104.

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———. Thésée. Norman vol. 1, 107–169.

Thomas, Downing A.. Aesthetics of Opera in the Ancien Régime, 1647–1785. New York : Cambridge University Press, 2002.

 

Discographie

Alceste.La Grande Écurie et la Chambre du Roy, et l’Ensemble vocal Sagittarius, dirigés par Jean-Claude Malgoire, Astrée Audivis, 1994.

Amadis.La Symphonie du Marais, dirigée par Hugo Reyne, Accord, collection « Lully ou le musicien du soleil », vol. 8, 2006.

Armide.La Chapelle Royale, dirigée par Philippe Herrewegghe, Harmonia Mundi, 1993.

Atys.Les Arts Florissants, dirigés par William Christie, Harmonia Mundi, 1987.

Cadmus et Hermione (DVD). Mise en scène de Benjamin Lazar, direction musicale Vincent Dumestre, Alpha disques, 2008.

Isis. La Symphonie du Marais, dirigée par Hugo Reyne, Accord, collection « Lully ou le musicien du soleil », vol. 7, 2005.

Persée. Les Talens Lyriques dirigés par Christophe Rousset, Astrée, 2002.

Les Premiers opéras français : Les Fêtes de l’Amour et de Bacchus [de Jean-Baptiste Lully]et Pomone [de Pierre Cambert]. La Symphonie du Marais, dirigée par Hugo Reyne, Accord, collection « Lully ou le musicien du soleil », vol. 6, 2004.

Psyché. Orchestra and Chorus of the Boston Early Music Festival, dirigés par Stephen Stubbs et Paul O’Dette, CPO, 2008.

Thésée. Orchestra and Chorus of the Boston Early Music Festival, dirigés par Stephen Stubbs et Paul O’Dette, CPO, 2007.


Une imposture peut en cacher une autre


[1]Notamment par Laura Naudeix. Voir son chapitre « Sur les Divertissements » dans Dramaturgie de la tragédie en musique, p. 321-406.

[2]« L’appellation ‘ballet’ n’a pas de signification générique » (Kintzler 261).

[3]Voir également la « Lettre » de Perrin dans Arthur Pougin, Les Vrais Créateurs de l’opéra français, Perrin et Cambert, Paris, Charavay Frères, 1881, p. 56-68.

[4]L’idée, et même la nécessité, de d’élaborer et de représenter l’opéra français au sein d’une institution nationale remonte à Perrin qui a le premier détenu le privilège de l’Académie. Selon Kintzler, « Le programme [du développement d’un genre opératique français] est présenté par Perrin avec aussi peu de modestie que possible : c’est qu’en France, un tel programme ne peut revêtir de forme que nationale et prendre les voies d’une volonté politique. En termes politiques, l’aboutissement de la programmation devait nécessairement se traduire de façon institutionnelle par la création d’une Académie royale » (153). La politisation de l’opéra et la création de liens thématiques entre l’action lyrique et la politique et personne royales ne viendra que sous la plume de Quinault, avec la transformation de l’opéra français en genre héroïque. « [L]a dimension héroïque, selon Kintzler, [...] [o]utre le parti dramatique, musical et spectaculaire que les auteurs peuvent en tirer, [...] offre un avantage non négligeable : revu à la hausse, l’opéra se prête à un traitement politique. Non qu’il s’agisse de représenter une intrigue à caractère politique (puisque l’intrigue galante domine), mais le caractère noble et élevé des personnages qui la peuplent permet aisément l’allusion, l’allégorie, les personnages à clef, les prologues en forme de louange adressée au roi » (185).

[5]C’est le cas, par exemple, de Jean-Pierre Néraudau, « Du Christ à Apollon : les chemins d’une mythologie de la cour », dans La Tragédie Lyrique, Paris, Cicéro, 1991.

[6]Voir par exemple Buford Norman, « Le Héros contestataire dans les livrets de Quinault : politique ou esthétique » de Buford Norman (dans Ordre et contestation au temps des classiques, éd. R. Duchêne et P. Ronzeaud, PFSCL 73, 1992) et le premier chapitre (« Prologues – The King Comes First ») de son livre, Touched by the Graces (Birmingham, Summa, 2001). Voir également William Brooks « Lully and Quinault at Court and on the Public Stage » (dans Seventeenth-Century French Studies 10, 1988) et Downing Thomas, chapitre 2 (« The Opera King ») de son Aesthetics of Opera in the Ancien Régime, 1647-1785 (Cambridge University Press, 2002).

[7]Nous employons la terminologie d’Aristote, reprise par Corneille et Kintzler.

[8]Au début de l’acte IV. Nous étudierons cette scène en détail plus bas.

[9]Dans son Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique, Corneille interprète et commente les parties de quantité et les parties intégrantes établies par Aristote. Parmi ces dernières sont « les mœurs », qui doivent être « bonnes, convenables, semblables, et égales » (129). « [L]’égalité, explique Corneille, […] nous oblige à conserver jusqu’à la fin à nos personnages les mœurs que nous leur avons données au commencement » (132). Pour appliquer cette notion à Alceste, Alcide, qui est d’abord représenté en tant que personnage à caractère grave et généreux, ne devrait pas devenir grossier et bouffon pendant l’acte IV, pour redevenir généreux au dernier acte.

[10]Pour que les mœurs d’un personnage soient « bonnes », il faut que ses actions, bonnes ou méchantes, soient accomplies avec une « grandeur d’âme » (Corneille, Discours 129) convenable à un personnage de tragédie. La représentation bouffonne de Phérès est, en principe, incompatible avec son rang.

[11]Notamment dans l’opposition de l’amour léger d’Arcas et de Cléone qui, face aux menaces de Dorine (la suivante de Médée) promettent de ne pas s’aimer (acte III, scène 5), et les constantes amours d’Églé et de Thésée, éprouvées par Médée au cours du quatrième acte.

[12]Nous excluons de cette liste les deux confrontations de Théone et Phaéton, à la troisième scène du premier acte et à la première scène du troisème acte de Phaéton. Le « héros » éponyme de cet opéra étant totalement indifférent à l’amour de Théone, il ne se sent pas concerné par les plaintes de cette dernière et la pousse même à le haïr : «Je suis indigne de vous plaire ; / Je mérite votre colère, / Je ne mérite pas les pleurs que vous versez » (130). Il n’y a donc pas de véritable dispute dans la mesure où Phaéton refuse de répondre aux reproches de Théone.

[13]Pour des informations sur l’enregistrement de cet opéra, voir la discographie ci-dessous.

[14]Voir la discographie ci-dessous. Il semble que cet usage des castagnettes soit un choix artistique de Malgoire, puisque les éditions de la partition ne font aucune mention de cette pratique.

[15]L’on pourrait objecter que les enfers des opéras à sujet mythologique sont en effet l’Hadès de la civilisation antique (c'est-à-dire la demeure des morts et non pas un lieu de souffrance) plutôt que l’enfer chrétien. Il semble toutefois que la représentation des enfers et de ses habitants ait effectivement fait l’objet d’une lecture allégorique informée par la religion chrétienne. Ainsi Louis Moreri, dans son Grand Dictionnaire historique, explique que « Les furies des Anciens ne sont que les passions de l’ame […] [à] sçavoir la colere, la convoitise dereglée des biens, & la volupté. […] [C]es trois furies sont les trois pestes que saint Jean ordonne d’eviter, quand il dit que tout ce qui est dans le monde, n’est que concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie (article « Alecton »). Quoi qu’il en soit, les enfers ne sont pas un lieu de séjour convenable pour les mortels et ceux qui y séjournent trouvent l’expérience éprouvante voire atrocement douloureuse. Ainsi Psyché (dans la pièce éponyme de Molière (1671) puis dans l’opéra de Thomas Corneille (1678)) est envoyée aux enfers par Vénus pour récupérer une boîte magique de Proserpine. C’est un supplice infernal qui réussit à enlaidir cette beauté sans pareille.

[16]Tous les personnages démoniaques ne cherchent pas à séduire les mortels. Les furies de Psyché ne cherchent qu’à punir une téméraire mortelle. Dans Persée, Méduse est un être vaniteux qui cherche à punir le monde entier pour la perte de sa beauté. Méduse illustre bien, d’ailleurs, la coexistence du burlesque et du menaçant dans les personnages démoniaques. Son obsession avec sa beauté perdue est ridule (ce qui est souligné par la tessiture (basse-taille) de ce rôle « féminin »), mais elle est en effet extrêmement dangereuse, au point où seul Persée peut la vaincre, et seulement avec l’aide de nombreuses divinités.

[17]Ceci ne veut pas dire qu’Armide représente un sommet ou une fin dans le développement de la poétique lyrique de Quinault. Cependant, en ce qui concerne l’abandon de l’humour burlesque, y compris dans le cadre démoniaque, Armide a manifestement profité des expériences stylistiques effectuées dans les opéras précédents.

[18]« Corneille fournit la clé principale de la distinction entre un ouvrage dramatique simplement héroïque et une tragédie. Pour atteindre cette dernière, ce n’est pas assez de représenter des héros surdimensionnés, pas même de mettre en balance l’intérêt de l’État ou celui d’un rang, d’une condition, avec la passion amoureuse, il faut encore qu’un péril extrême fasse l’objet principal de l’agencement poétique » (Kintzler 250, nous soulignons). Kintzler se fonde sur le célèbre passage du Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique de Corneille : « Bien qu’il y ait de grands intérêts d’État dans un poème, et que le soin qu’une personne royale doit avoir de sa gloire fasse taire sa passion, comme en Don Sanche ; s’il ne s’y rencontre point de péril de vie, de pertes d’États, ou de bannissement, je ne pense pas qu’il ait droit de prendre un nom plus relevé que celui de comédie » (124, nous soulignons). Ajoutons, pour compléter, la suite de ce passage : « La comédie diffère donc en cela de la tragédie, que celle-ci veut pour son sujet, une action illustre, extraordinaire, sérieuse ; celle-là s’arrête à une action commune et enjouée : celle-ci demande de grands périls pour ses héros, celle-là se contente de l’inquiétude et des déplaisirs de ceux à qui elle donne le premier rang parmi ses acteurs » (125, nous soulignons).

[19]Nous empruntons l’expression à Montfleury et à sa pièce, L’Ambigu Comique, qui représente la tragédie de Didon et Ænée en trois actes, avec trois intermèdes comiques. Dans le premier intermède, un spectateur misanthrope parle de la pièce comme une « Didon lardée d’intermèdes ».

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Frontières troublées de la fiction à la fin de la Renaissance: Apulée et le débat sur la metamorphos

Article Citation: 
XIII, 2 (2011): 92–109
Author: 
Françoise Lavocat
Article Text: 

 

 

Quelles que soient les perspectives théoriques adoptées sur la fiction, les erreurs dans l’appréciation collective du statut d’un texte, d’une émission télévisuelle ou radiophonique (on pense évidemment à l’adaptation de la Guerre des mondes par Orson Welles à  l’antenne de CBS en 1938) ont récemment beaucoup attiré l’attention. Comme l’a relevé Olivier Caïra, le fait que le cas Marbot (en référence à l’autobiographie fictive écrite en 1981 par W. Hildesheimer) soit devenu un véritable topos critique est un indice de cette fascination pour les frontières troubles de la fiction, pour, en d’autres termes, les équivoques ou les « erreurs de cadrage pragmatique »[1]. Que l’on en conclue à l’absence de critères internes de fictionnalité (J.-M. Schaeffer) ou au contraire à leur extrême visibilité, puisque l’on peut si bien les imiter (D. Cohn), ces exemples d’interprétation fautive concernent généralement des forgeries, des fictions se faisant passer pour des documents ; ces cas, qui ne sont pas rares, hypertrophient peut-être seulement une propension simulatrice inhérente à la mimesis occidentale : que l’on songe au topos du manuscrit trouvé, qui remonte à l’Antiquité[2].

On a moins analysé, en tout cas dans cette perspective, l’erreur inverse, celle qui consiste à remettre en cause le statut de fiction d’un texte ou d’un personnage et à les doter d’un référent supposé. La fin du seizième siècle est justement marquée par un vaste mouvement de requalification de créatures mythologiques et de textes antiques et modernes. Avant de les faire, au siècle suivant, définitivement basculer dans le registre des fables, on les considère provisoirement sous l’angle du factuel. Ce phénomène s’explique sans doute par l’ouverture du champ des possibles : les grands voyages, les découvertes astronomiques, mais aussi la fracture de la chrétienté, ont eu une grande incidence sur la naturalisation des fables. L’erreur peut ressortir d’une crédulité accrue (dont témoigne l’essor de la démonologie) aussi bien qu’à la prudence, la suspension du jugement face à un monde qui se révèle inouï (Montaigne). Le discrédit du témoignage des sens, motif rebattu par le néo-scepticisme philosophique, contribue encore à reculer les frontières de la possibilité physique et à brouiller celles de la fiction.

Mais parler de brouillage des frontières de la fiction, de recul des fables, n’est-ce pas anachronique ? William Nelson (1969), Anne Duprat (2004), Teresa Chevrolet (2008) ont bien montré que les critères de la vérité, au moyen âge et à la Renaissance, ne sont pas indexés à la référentialité, mais à sa valeur instructive et morale. Le partage du vrai et du faux, du possible et de l’impossible, ne sont pas des enjeux décisifs dès lors que la fiction n’est que l’integumentum, le voile d’une vérité allégorique. Il n’en reste pas moins que le seizième siècle ménage un espace précaire, menacé, mais cependant bien repérable, pour la fiction ludique, identifiée comme invention et divertissement. Le requalification des fables en témoignages peut aussi se lire comme une offensive menée, et provisoirement couronnée de succès, contre cet espace de la fiction[3]. L’hypothèse principale développée dans cet article est que l’incapacité ou le refus de reconnaître une fiction comme telle, à la fin de la Renaissance, procède en grande partie du déclin du dispositif allégorique[4].

 Pour le montrer, on pourrait évoquer le destin de créatures fabuleuses et mythologiques telles que les chimères, les centaures et les satyres, soupçonnés à la fin du siècle d’exister dans la nature[5]. Dans les lignes qui suivent, l’accent est plutôt mis sur la question de la métamorphose, et plus précisément sur l’interprétation d’un texte, l’Âne d’or d’Apulée, choisi par ce qu’il est exemplaire de la confiscation des fables par les champs nouveaux du savoir moderne – parmi lesquels la démonologie. L’agencement discursif paradoxal de l’Âne d’or, qui combine les indices de fictionnalité et leur négation se prêtait en outre à des révisions herméneutiques[6]. Celles-ci sont extrêmement éclairantes quant au statut d’un texte, d’une parole à la première personne, entre seizième et dix-septième siècle.

Dans cet article, la confrontation de quelques traductions d’Apulée au seizième siècle, jusqu’à celle de Jean de Montlyard en 1612, vise à mettre en évidence le changement de statut de la fable à la fin de la Renaissance. L’usage de l’exemple d’Apulée fait par les démonologues, en particulier Jean Bodin, est solidaire d’un refus de l’allégorie et d’une promotion du littéral. Or, si Bodin ne reconnaît pas le statut des fables, son erreur modernise paradoxalement celui de la vérité[7]. Cette erreur redoutablement efficace est combattue, au début du dix-septième siècle, au moyen d’une anthropologie de l’illusion par le médecin Jean de Nynault et d’une méthode historique et philologique par Gabriel Naudé : l’une et l’autre contribuent à redélimiter le territoire de la fiction.

Les études savantes récentes sur la réception d’Apulée à la Renaissance (depuis l’édition princeps de Rome en 1496), ne manquent pas. Cependant[8], les éditions et les traductions, qu’il est inutile de recenser ici, n’y sont pas envisagées sous l’angle du débat sur la nature et la légitimité de la fiction, ni en relation avec la crise démonologique. Comme le signalent Olivier Pédéflous (2007), Julia Haig Gasser (2008), les traductions de l’Âne d’or, à partir du commentaire de l’édition latine de Filippo Beroaldo, en 1500, oscillent entre deux lectures concurrentes de l’œuvre, divertissement, histoire récréative, ou fable allégorique. Entre le début et le milieu du siècle, la dimension allégorique de l’œuvre s’appauvrit. Le mépris de George de la Bouthière, en 1553, à l’égard de la traduction de Guillaume de Tours de 1517, est révélateur : elle est à son avis « farcies d’allegories, & sens mystiques autant à propos que Magnificat à Matines, tantost se fondant en théologie, tanstot en philosophie, tantost sus la poesie […]: le tout ressemblant trop mieux à un commentaire confus & du tout maussade, que à une vraye traduction »[9].

L’allégorie se réduit désormais à une mince et banale leçon exemplaire : la métamorphose de Lucius en âne, comme celle des hommes d’Ulysse à laquelle elle est systématiquement associée, illustre l’abrutissement de l’homme par les vices. Il n’est plus question, par exemple, d’identifier Isis et la Vierge Marie, comme le font Filippo Beroaldo et Guillaume de Tours. L’allégorie ne donne plus lieu à un commentaire séparé, comme chez les traducteurs du début du siècle. Mais cinquante ans plus tard, les nouveaux lecteurs d’Apulée ne sauraient s’en passer, même s’ils n’en font plus qu’un usage stratégique. En effet, autant chez Jean Louveau, en 1553, que chez William Adlington, en 1556, le sens allégorique et moral est explicitement convoqué afin de contrer le reproche anticipé de s’être occupé de « such frivolous and triflings toys »[10]. Ce pacte de lecture allégorico-ludique dispense de toute interrogation sur la possibilité de la métamorphose – puisque celle-ci est à la fois une plaisanterie et l’image d’autre chose. Jean Louveau articule cependant de façon explicite l’affirmation d’un plus haut sens (aussi mince soit-il) à une déclaration sans équivoque sur le caractère non possible et non crédible de la fiction de Lucius transformé en âne :

Car je ne pense & ne me puis aucunement persuader qu’il y ait aucun tant loing de bon jugement, & estrange de la raison, qui en lisant cest œuvre puisse croire & imaginer en son esprit un homme avoir esté mué en Asne par un si facile moyen d’un oignement[11]

Les vies d’Apulée jointes à ces traductions le présentent invariablement comme un philosophe platonicien et passent sous silence l’accusation de magie. Lorsqu’il est fait allusion à son procès, c’est pour défendre l’innocence de l’auteur, supposée amplement démontrée par lui-même dans son Apologie.

Une adaptation, par Agnolo Firenzuola (publiée de façon posthume en 1550), remplace même le personnage de Lucius par celui du traducteur lui-même, en transposant la fabula dans l’Italie contemporaine. L’auteur italien commence en effet sa traduction du roman par des indications biographiques précises le concernant[12]. Cette remarquable substitution suppose que l’auteur-traducteur ne se considère pas compromis par le narrateur-personnage à qui il fait porter son nom. Elle suggère par ailleurs que l’histoire de Lucius est aussi peu arrivée à Apulée qu’à Agnolo Firenzuola. Cela n’exclut cependant pas un lien, non pas référentiel mais allégorique, entre auteur et narrateur-personnage ; c’est sans doute, en effet, le sens allégorique implicite d’une éducation qui permet et justifie cet usage de la première personne, dont le paradoxe porte sur l’indexation. Il se rattache peut-être aussi à une conception ludique de la fiction à la première personne dans la lignée lucianesque et morienne, fondée sur le paradoxe du menteur.

La traduction de Jean de Montlyard, en 1612, s’inscrit dans un tout autre contexte intellectuel. Le titre de 1612 reproduit l’oscillation traditionnelle entre divertissement et savoir caché : il réside dans « l’intention de l’auteur », à laquelle le commentaire « facilite » l’accès[13]. Le titre de la réédition de 1633 affaiblit significativement la promesse herméneutique (Les Métamorphoses ou l’Asne d’or de L. Apulée Philosophe platonique. Œuvre d’excellente invention et singulière doctrine). Celle-ci n’est d’ailleurs essentiellement remplie par l’examen de questions que les traducteurs de la Renaissance avaient écartées, et qui portent moins sur le savoir d’Apulée que sur sa culpabilité. Apulée était-il magicien ? Qu’est-ce que la magie ? Les métamorphoses sont-elles possibles dans la nature ? Les réponses à ces questions ne sont pas simples pour Jean de Montlyard, qui mobilise pour y répondre une érudition empruntée à la vulgate démonologique de l’époque. Après une longue énumération des procédés de divinations sans doute empruntée au Tiers Livre, il distingue, comme Johannes Wier ou Giovanni della Porta, magie naturelle et magie diabolique. Malgré son Apologie, jugée convaincante, Apulée a sans aucun doute pratiqué la première, comme le prouve sans équivoque, selon Montlyard, l’œuvre elle-même ; il rappelle l’embarrassante réputation, antique et médiévale, d’Apulée considéré par les Païens comme un rival de Jésus-Christ. En ce qui concerne la métamorphose, la plus grande prudence s’impose désormais, dans une note accolée au mot « transformées » :

C’est une grande & subtile question entre les doctes ; sçavoir-mon si les hommes peuvent estre convertis en autres images, de loups, d’asnes, de chevaux, etc. Saint Augustin enseigne que ce sont choses fabuleuses & diaboliques illusions.[14]

Le fait que Montlyard associe aussitôt à la lycanthropie la métamorphose en âne de Lucius est significatif d’un changement de contexte intellectuel. Contrairement à Louveau, un demi-siècle plus tôt, il évite de trancher et se range à l’opinion redevenue majoritaire depuis la mise à l’index de La Démonomanie des Sorciers de Jean Bodin (l’ouvrage, paru en 1580, fut mis à l’index en 1594). Par la formulation curieuse du phénomène (« être convertis en image de ») et la mention de saint Augustin, il penche en effet vers la thèse illusionniste, comme Pierre Le Loyer, dont le Discours des Spectres paraît en 1605[15]. Le « fabuleux » change de nature : une représentation fausse orchestrée par le diable n’est ni une plaisanterie ni une allégorie. Parfois le commentaire est plus ambigu et semble avaliser la possibilité d’une métamorphose réelle. Ainsi, « fable incroyable », dans le texte, donne lieu au commentaire suivant : « il [Apulée] veut dire que le chaldéen lui a predit qu’il seroit transformé en Asne, & coucheroit par escrit l’histoire de telle metamorphose »[16]. D’une part, la métamorphose et sa mise en récit sont deux événements historiques et biographiques qui appartiennent tous deux, de la même façon, au même monde actuel ; d’autre part, le soulignement, par la note de « fable incroyable » semble qualifier à la fois le statut de l’événement et du texte.

 L’hésitation entre l’utile et l’agréable, l’allégorie et le divertissement n’a pas disparu, mais elle est supplantée par une autre ambivalence, très partagée au début du dix-septième siècle, entre interprétation réaliste ou illusionniste des phénomènes. Il s’agit en tout cas désormais d’une controverse, qui mobilise les « doctes », tandis que Louveau feignait de croire que seuls les esprits « éloignés de raison » étaient susceptibles de s’interroger. De même, Johannes Wier, à la même époque[17] se moquait du « vulgaire crédule et sans esprit » qui prenait pour vraies « les histoires plus fabuleuses que les fables même » d’Apulée[18]. Wier jugeait même que le texte d’Apulée, non crédible, fournissait les meilleures armes contre la croyance en la sorcellerie ; il consacre trois pages aux sorcières de L’Âne d’or[19], pour mettre en évidence l’exagération de leurs pouvoirs, indice, à ses yeux, du caractère ironique du texte. Il conforte sa démonstration en prêtant à Apulée des propos démystificateurs qui appartiennent en fait à un personnage que Lucius contredit[20], ce qui prouve qu’il n’identifie pas Lucius et Apulée. Il prête en revanche à un autre protagoniste du roman l’intention de l’auteur, sans autre justification que le fait que les propos de ce personnage confortent sa thèse : la méthode interprétative de Wier en reste à des approximations.

Par rapport à cette optique, on assiste à la fin du siècle à un virage interprétatif : L’Âne d’or pose désormais la question de la possibilité de la métamorphose, ce qui n’était pas le cas pour les lectures privilégiant le divertissement et l’allégorie. Bien plus, alors que L’Âne d’or prouvait d’abord l’inanité de l’hypothèse de la métamorphose réelle, elle en conforte désormais la plausibilité.

Jean de Montlyard est assez représentatif de ce tournant épistémologique, qui ne se repère pas uniquement le paratexte de sa traduction d’Apulée. Dans sa traduction de La Mythologie des fables de Natale Conti, en 1601, il mentionne en effet, à l’article « satyres », l’exhibition de deux spécimens vivants, à Gênes, en 1548[21]. Il manifeste ainsi à plusieurs reprises la tendance à chercher dans la nature les contreparties de créatures mythologiques et fabuleuses.

Il ne s’agit pas d’une position isolée. Autour de 1600, la métamorphose racontée par Apulée est assez généralement présentée comme un fait historique. Lope de Vega, par exemple, évoque dans son Arcadia un magicien qui a pris la forme d’Apulée, c’est-à-dire s’est transformé en âne[22]. Dans les traités démonologiques, au tournant du siècle, la lecture dominante envisage l’auteur comme accusé ou comme témoin, jamais comme inventeur de fictions ni même comme menteur. Henri Boguet, en 1603, estiment qu’Apulée « confesse » avoir été transformé en âne[23]. Pour Pierre Crespet, en 1590, Apulée, « insigne enchanteur tesmoigne de soy-mesme en son Asne doré, où il dit avoir esté transformé par force de charme en asne[24]… ». Apulée n’est certes pas le seul poète soupçonné de magie (Virgile, Horace et Ovide le sont aussi), mais l’usage de la première personne confère à sa parole une valeur d’authenticité inédite : elle n’est plus du tout opératrice de paradoxes ni indice de fictionnalité. On peut penser que cette erreur d’interprétation repose sur une conception moderne de la première personne; les lecteurs du début du dix-septième siècle pensent, comme Käte Hamburger, qu’un récit à la première personne, foncièrement référentiel, n’est pas une fiction. Je fais ici l’hypothèse que la mutation du statut de la première personne a partie liée avec la prééminence juridique de la confession comme preuve, qui s’établit lorsque qu’il revient au juge d’établir la vérité. Il s’agit d’une spécificité des systèmes juridiques latins (à partir du procès inquisitorial ecclésiastique) qui se systématisent lentement à la fin du seizième siècle en Europe, tout particulièrement en France et sauf en Angleterre[25].

C’est en tout cas un juriste, Jean Bodin, qui est en grande partie responsable de l’interprétation littérale aberrante de l’Âne d’or, en popularisant une thèse réaliste radicale et isolée, mais influente, même après la mise à l’index de la Démonomanie des sorciers.

L’ouvrage soutient en effet, contre saint Augustin et le Canon espiscopi, que tous les phénomènes liés à la sorcellerie se réalisent dans la nature.  La question la plus controversée, celle de la métamorphose, est développée dans un chapitre (II, 6) consacré à la lycanthropie. Comment Bodin est-il parvenu à faire accréditer cette opinion hétérodoxe, contre-intuitive, contraire à toute tradition théologique, humaniste et littéraire ? Il commence par repousser les frontières du possible, en faisant feu de tout bois : puissance infinie de Dieu, infirmité de la raison humaine ; prodiges de la technique, qui réalise tous les jours des métamorphoses dans la nature (par la botanique, la métallurgie, la verrerie) ; abondance des témoignages, indistinctement empruntés aux textes bibliques, aux récits de voyages, aux procès, aux fictions. Les poètes sont en effet mis à contribution, mais Bodin semble avoir conscience de procéder à un coup de force en versant au dossier les dépositions d’Ovide, d’Homère et d’Apulée ce que manifestent les prétéritions et les tournures négatives :

Je laisse la métamorphose d’Ovide, parce qu’il a entremeslé la vérité de plusieurs fables, mais il n’est pas incroyable ce qu’il escript de Lucain Roy d’Arcadie […] Et ce que dit Homère de la Sorciere Circé qui changea les compagnon d’Ulysse en Pourceau n’est pas fable […] Il se peut faire (à propos d’Apulée) qu’il a enrichy son histoire de quelques contes plaisans : mais l’histoire en soit n’est pas plus estrange, que celles que nous avons remarquées.[26]

L’effacement de la frontière entre fait et fiction (malgré la fausse concession qui consiste à admettre une composante fictionnelle qui ne modifie pas le statut factuel du texte) repose avec insistance sur une comparaison entre les mondes réel et fabuleux à partir du critère de la possibilité. Celui-ci est évidemment biaisé, puisque rien n’est impossible dans le monde actuel. À l’aune de ce réel merveilleux, les fables instaurent un écart négligeable, qui ne suffit pas à garantir leur statut. Cette négation des fables ne permet pas de considérer que les textes s’engendrent parfois les uns les autres. Alors que la plupart des commentateurs d’Apulée, jusqu’ici, avaient noté qu’il imitait Lucien, Bodin ne voit dans la similitude entre les deux textes que la répétition significative du même phénomène, confirmant la réalité de la métamorphose. Apulée, dont l’ironie est moins explicite que celle de l’auteur de l’Histoire véritable,est cependant un témoin de choix, d’abord parce qu’il a été accusé de sorcellerie (Bodin conclut bien sûr à sa culpabilité, malgré l’Apologie), ensuite parce que l’Âne d’or contient justement un débat sur la possibilité : Wier avait cité à décharge le contradicteur de Lucius, Bodin cite à charge Lucius lui-même, sans supposer la moindre ironie au narrateur-personnage, totalement identifié à l’auteur.

Cette promotion du littéral implique le refus de toute interprétation allégorique. Qualifier Apulée d’ « athéiste » rend caduque la lecture de l’Âne d’or comme une initiation, s’achevant par le culte d’Isis-Marie. Bodin récuse d’ailleurs explicitement l’interprétation banale, par Jean Chrisostome, de la métamorphose des hommes d’Ulysse comme l’image de leur abêtissement par la volupté, allégorie minimale mobilisée à satiété, au seizième siècle, pour sauver l’Âne d’or.

On assiste alors à une réévaluation du statut des fables : dépouillées de leur integumentum allégorique, elles sont envisagées dans leur rapport au monde réel. Ce tournant herméneutique relève d’une cécité volontaire étonnante, mais participe d’une certaine modernité, en ce qu’il focalise l’attention sur la possibilité, en d’autres termes, la vraisemblance dans sa dimension aléthique (et non axiologique ou déontique). D’un point de vue logique, Bodin indexe la vérité à la référence – même s’il tourne le dos à toute évaluation des faits fondée sur l’expérimentation : sa modernité, toute relative, n’est pas celle de Bacon. Parmi les démonologues, son influence est évidente : à propos de la métamorphose réelle, ceux qui lui succèdent font état de thèses concurrentes en s’abstenant de trancher, ce qui revient à en admettre, au moins formellement, la possibilité. Cette position a dû être largement partagée, comme le prouve la prudence de Jean de Montlyard.

Comment s’est effectuée la contestation d’une machine aussi efficacement irrationnelle ? La question du déclin de la chasse aux sorcières n’est pas le propos de cet article, mais la délimitation d’un territoire propre à la fiction en particulier lorsqu’elle est à la première personne.

Parmi les réponses suscitées par l’ouvrage de Bodin, celle de Naudé dans son Apologie pour tous les grands personnages qui ont esté faussement accusés de magie (1624)  et celle, moins connue, de Jean de Nynault dans son traité sur la Lycanthropie (1615)[27], méritent d’être confrontées, en ce qu’elles engagent, toujours à travers la référence à Apulée, un nouveau statut pour la fiction.

Nynault est partisan d’une thèse illusionniste radicale. Il n’exclut pas absolument que le diable puisse dérégler l’imagination, mais nie énergiquement toute possibilité de réalisation des métamorphoses dans la nature. Les prodiges relèvent selon lui de l’illusion ou du trucage (il donne de nombreux exemples de tours de prestidigitation). Dans cette perspective, l’exemple d’Apulée est encore utilisé de façon littérale et partielle : n’est mentionné, de l’Âne d’or, que l’épisode qui conforte la thèse illusionniste, celui où Lucius abusé croit avoir tué des hommes alors qu’il n’a percé que des outres. Cependant, Nynault esquisse un partage des eaux : « les poètes » se moquent, comme Virgile lorsqu’il fait louer à Circé ses propres pouvoirs, ou « feignent », c’est-à-dire disent une chose pour une autre. Nynault n’envisage cependant pas d’autre modalité pour la fiction que l’allégorie motivée par l’analogie : les poètes disent que les hommes se transforment en loups parce qu’ils se comportent comme des loups. La spécificité de l’énonciation fictionnelle, pour Nynault, existe néanmoins. Elle réside dans son caractère oblique, par ironie ou déplacement métaphorique.

La délimitation des frontières de la fiction, toujours en relation avec le débat sur la démonologie, se précise avec Gabriel Naudé. Certes, l’argument qui est le sien de la frivolité de la fiction n’est pas neuf ; mais l’articulation claire entre l’absence de référent des « fables » et l’absence d’engagement doxastique (c’est-à-dire qu’elles ne font pas preuve et que nous n’avons pas à les croire) est remarquable. Il est nouveau par rapport au traditionnel correctif de l’inanité des fables par l’allégorie. L’écart entre la fiction et le monde réel, conçu de manière logique et pragmatique, est prioritairement instauré par l’intention auctoriale. Isabelle Moreau a raison de remarquer que la démarche philologique de Naudé tranche de la tradition humaniste en ce qu’elle a moins pour fin de reconstituer le texte original que de cerner l’intention de l’auteur[28]. C’est dans cet esprit qu’il aborde L’Âne d’or, non pas, comme ses prédécesseurs, par une citation qui affirme ou nie la possibilité de la métamorphose, mais par une prise en compte de l’incipit, qui définit à ses yeux un protocole de lecture global. Le repérage du métatexte et l’attention portée à l’intertexte – les sources – proposent un nouveau mode de lecture, reposant sur une conception holiste des textes.

Le débat sur la démonologie, abordé ici à travers la question de l’interprétation de L’Âne d’or a fait surgir des questions qui sont encore au cœur du questionnement actuel des théories de la fiction. Peut-on parler de fiction à la première personne ? Un texte fictionnel peut-il être en partie référentiel, ou bien le statut de fiction s’applique-t-il à l’ensemble du texte ? S’il y a une différence entre fait et fiction, est-elle d’ordre énonciatif (l’ironie), modal (les mondes fictifs sont impossibles), pragmatique (les fictions n’engagent pas la croyance) ? Repose-t-elle en dernière instance sur l’intention auctoriale ? L’obliquité, comme le pense  Paul Ricœur, est-elle inhérente à la mimesis fictionnelle ? Toute fiction, comme le pense Paul de Man, est-elle allégorique ?

Quelles que soient les réponses apportées aujourd’hui à ces questions, elles se sont cristallisées dans un contexte polémique où les enjeux de l’interprétation juste et de la définition de la frontière entre fait et fiction engageait non seulement le statut des textes, mais la nature de la réalité – non sans conséquences juridiques sur la liberté et la vie des personnes.

Université Paris III, Sorbonne Nouvelle

 

 

 

Bibliographie

I Textes des XVIe et XVIIe siècle 

— Traductions de l’Âne d’or d’Apulée :

Adlington, William : Apuleius the golden Ass, Being the metamorphoses of Lucius Apuleius ; [1566] revised par S. Gaselee, Cambridge, Harvard University Press, Londres, William Heinemann, 1942.

Bouthière, George de la : Metamorphose autrement l’Asne d’or d’Apulée de Madaure philosophe platonicque, Lyon, Jean de Tournes, 1553.

Firenzuola, Agnolo : Apuleio. Dell’Asino d’oro, Florence, Giunti, [1550], 1553.

Louveau, Jean :  Luc. Apulée. De l’Ane doré XI, Paris, Claude Micard, 1570.

Michel, Guillaume (dit Guillaume de Tours) : Lucius Apuleius. De l'Asne doré, Paris, Veuve de Jehan Janot, 1517.

Jean de Montlyard :  L’asne d’or ou les Metamorphoses de Luce Apulée Philosophe platonicque. Illustré de commentaires apposez au bout de chaque livre, qui facilitent l’intention de l’Auteur. Œuvre de très galante invention, de tres-facetieuse lecture, & de singulière doctrine. Paris, Abel Langelier, [1602], 1612.

Les Métamorphoses ou l’Asne d’or de L. Apulée Philosophe platonique. Œuvre d’excellente invention et singulière doctrine. Paris, Samuel Thibout, 1633.

 

 

— Traités ayant trait à la démonologie :

Bodin, Jean : De la démonomanie des sorciers, Paris, Jacques du Puys, 1580.

Boguet Henri :Discours execrable des sorciers, ensemble leur procez, faits depuis deux ans en ça, en divers endroicts de la France… seconde édition, Paris, Denis Binet, 1603.

Naudé, Gabriel :  Apologie pour tous les grands personnages qui ont esté faussement accusés de magie, La Haye, Adrian Vlac, 1624.

Nynault, Jean de : De la Lycanthropie, transformation et extase des sorciers, où les astuces du diable sont mises tellement en évidence, qu'il est presque impossible, voire aux plus ignorants, de se laisser dorénavant séduire. Avec la réfutation des arguments contraires, que Bodin allègue au 6e chap. du 2e livre de sa Démonomanie, pour soutenir la réalité de cette prétendue transformation d'hommes en bêtes. Paris, Jean Millot, 1615.

Wier, Johannes : De praestigiis daemonum et incantionibus ac veneficiis libri sex, Bâle, 1553 ; Cinq livres de l’imposture et tromperies des diables des enchantements et sorcelleries, trad. Jacques Grévin, Paris, Jacques du Puys, 1569.

—autre

Lope de Vega :Arcadia [1598], éd. Edwin S. Morby, Castalia, Madrid, [1973], 1975.

Montlyard, Jean de : Mythologie ou explication des fables[1597],  Paris,  Pierre Chevalier, 1627.
 

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———. Avant le roman : l’allégorie et l'émergence de la narration française au 16ème siècle, Amsterdam, Rodopi, 2006.

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[1]O. Caïra, 2007, 30 (sur Marbot), et ch. 13.

[2]Voir J. Herman et F. Hallyn, 1999.

[3]Sur l’offensive idéologique contre la fiction divertissante dépourvue d’enjeu philosophique et moral, telle que l’incarnent par exemple les Amadis, voir M. Bouchard, 2004.

[4]Dans ses grandes lignes, cette hypothèse est également développée, grâce à un corpus différent, par M. Bouchard, 2006.

[5]Sur la chimère, voir M.-L. Demonet, 2009 ; sur le statut plus général des ficta à la Renaissance,  M.-L. Demonet, 2002 ; sur les satyres, F. Lavocat, 2005.

[6]Sur la construction narrative de L’Âne d’or, et les ambiguïtés qu’elle produit, on peut lire J. L. Winkler, 2005.

[7]L’optique de cet article est différente de celle de J.-M. Apostolidès dans son article intitulé  « Lycanthropie et rationalité juridique à l'aube du XVIIe siècle », (1985). La rationalité réside selon l’auteur dans l’effort de saisie globale du phénomène de la métamorphose mis en œuvre par les démonologues et repris par le Président Daffis, juge bordelais qui sauve Jean Grenier de la peine capitale.  Dans une perspective relativiste, J.-M.Apostolidès conclut que la croyance dans les démons constitue une « icône » (ou un mythe au sens de Legendre) qui n’est pas plus irrationnelle que celles, contemporaines, de la science et de la démocratie.  Je parle quant à moi de modernisation du concept de vérité quand la vérité d’une proposition réside dans sa correspondance avec la réalité (Tarsky, 1944).

[8]  L’article le plus proche de notre perspective est celui d’O. Pédéflous (2007) qui se concentre sur la traduction de Guillaume Michel (1517).

[9]G. de la Bouthière, 1553, 15. Le titre de la traduction de Guillaume de Tours, en 1517, porte l’empreinte de cette interprétation allégorique puisqu’il précise : « A la fine Cy finist l'exposition spirituelle de Lucius Apuleius de l'Asne doré, translaté de latin en françoys par Guillaume Michel ».

[10]Georges Adlington [1566], 1942, 16. La traduction d’Alington fut réimprimée trois fois, ce qui témoigne de la vogue de l’ouvrage dès la première moitié du seizième siècle ; elle se prolonge jusqu’au milieu du siècle suivant. L’édition de Beroaldo a été réimprimée à Paris en 1512. La traduction de Louveau fut réimprimée en 1586, 1631, 1648.

[11]J. Louveau, 1570, Dédicace, non paginée à Claude Laurencin, Baron de Rivirie. Louveau, qui a commencé, comme Adlington, par se défendre de s’être consacré à des œuvres frivoles conclut sans surprise sur le sens moral de l’œuvre.

[12]Il évoque tout d’abord le lieu de sa naissance qui porte son nom, Firenzuola, ses parents, sa lignée, son départ pour Sienne à l’âge de seize ans, son apprentissage forcé du droit, sa décision de se consacrer aux Muses et aux bonnes lettres. Il entreprend alors un voyage pour Naples, puis pour Bologne, et c’est sur cette route que le récit rejoint la fabula apuléeienne, continument adaptée à un contexte italien et moderne. Le titre du livre 3 souligne la substitution : « Il Firenzuola divenuto Asino ». La célèbre traduction italienne de Boiardo, en 1516, ne s’était pas livrée à des jeux comparables.

[13]L’asne d’or ou les Metamorphoses de Luce Apulée Philosophe platonicque. Illustré de commentaires apposez au bout de chaque livre, qui facilitent l’intention de l’Auteur. Œuvre de très galante invention, de tres-facetieuse lecture, & de singulière doctrine. Paris, A. Langelier, 1612

[14]J. de Montlyard, 1612, notes au premier livre, p. 2.

[15]Sur le statut de la fable chez les tenants des thèses réalistes et illusionnistes, voir mon article, 2007.

[16]J. de Montlyard, 1612, notes au second livre, p. 30. Cette note concerne  un passage où un chaldéen dit au héros son avenir « car il me prédit que je n’aurois pas peu de réputation, que je ferois une grande histoire avec une fable incroyable, et que je composerois des livres. » (Ibid., p. 49).

[17]L’édition latine des cinq livres de l’imposture et tromperies des diables, des enchantements et des sorcelleries, paraît à Bâle en 1563 ; l’ouvrage traduit par Jacques Grévin est publié à Paris en 1569. 

[18]« Mais il y a une infinité d’histoire plus fabuleuses que les fables mesmes, lesquelles meritent d’avoir lieu entre ces controuvements poëtiques : elles sont escrites aux onze livres de la Metamorphose, ou du jeu de l’asne, composé par Apulée de Madaurenne philosophe Platonique. En voicy deux que j’ay retirées, à celle fin que lon puisse collationner celles, lesquelles aujourd’huy sont racomptees pour vraies  par le vulgaire credule & sans esprit : & a celle fin aussi que lon adjouste autant de foy encore que ce soyent pures mensonges, ausquelles lon croit aussi facilement. » J. Wier, 1569, f. 114-115.

[19]Ibid., 115-116.

[20]Wier identifie Apulée au contradicteur d’Antimanes qui tient en effet des propos démystificateur. Lucius, dans ce passage, soutient au contraire Antimanes.

[21]J. de Montlyard,[1597], 1627, p. 444.

[22]«  en la misma forma di Apuleyo venia », Lope de Vega, [1598], 1975, p. 251. L’Âne d’or a été traduit en espagnol dès 1513 par D. López de Cortegana (Séville, J. Cromberger).

[23]H. Boguet, 1603, p. 115.

[24] P. Crespet, 1590,  f° 218r°.

[25]Plusieurs historiens s’accordent pour expliquer par ce fait la relative bénignité de la chasse aux sorcières en Angleterre. Voir B. Shapiro, 2000.

[26]J. Bodin, 1580, f. 99r., 99v,101r.

[27]Ce traité se présente, sur la page de titre même, comme un réfutation du chapitre II, 6 de la Démonomanie de Bodin.

[28]I. Moreau, 2007, p. 284-310.

Site Sections (SE17): 

The Theory and Practice of Honnêteté in Jacques Du Bosc's _L'Honnête femme_ (1632–36) and _Nouveau receuil de lettres des dames de ce temps_ (1635)

Article Citation: 
XIII, 2 (2011): 56–91
Author: 
Aurora Wolfgang and Sharon Diane Nell
Article Text: 

 

By the time the famous writer and courtesan Ninon de Lenclos declared in the late seventeenth century, “Mon Dieu, faites de moi un honnête homme, mais n’en faites jamais une honnête femme,”the definitions of honnêteté for women and men had taken on distinctly gendered, and unequal, connotations (qtd. in Duchêne 119). At the end of the century, Antoine Furetière validates this gendered version of honnêteté in his Dictionnaire universel (1690): “l’honnêteté des femmes, c’est la chasteté, la modestie, la pudeur, la retenuë, l’honnêteté des hommes est une manière d’agir juste, sincere, courtoise, obligeante, civile” (Furetière np). These dissimilarities, however, did not always exist. Noémi Hepp, for example, pinpoints the 1660s as the period in which moralists no longer portrayed women as equal to men in the masculine values of virtue, honor, and courage and began to regard women for their perceived difference from, and complementarity to, men (Hepp 110).Honnêteté reflects this split; the predominantly moral definition expressed in the 1630s and 40s highlighted women’s similarities to men whereas the mondain ideal of sociability became portrayed as an exclusively masculine type.  In contrast, the honnêtes women of salon society became ridiculed as “précieuse” for asserting their cultivation and worldliness.[1] Despite the different values placed on men and women for their honnêteté, the ideology of honnêteté in seventeenth-century French society had created the need for a common culture between women and men as they cultivated, side-by-side, worldly conversation, different genres of literature, a love of the French language, and a devotion to friendship. Some contemporaries, such as Antoine Gombaud, Chevalier de Méré, a theoretician of worldly conversation, recognized the continued likeness of honnêtes men and women, when he stated that “l’un revient à l’autre” (Méré 77). Even La Bruyère, in Les Caractères, expressed a desire for women to partake of the positive associations of honnêteté associated with men: “Une belle femme qui a les qualités d’un honnête homme est ce qu’il y a au monde d’un commerce plus délicieux: l’on trouve en elle tout le mérite des deux sexes” (La Bruyère 118). Ultimately, women continued to be honnêtes in both the moral and mondain senses of the word throughout the century; the history of their participation in this ideal, however, did not.

While prevailing critical wisdom today tends to say that only men, not women, were honnête, or that women’s honnêteté only encompassed their virtue,[2] some seventeenth-century texts themselves point to a more robust sense of women’s honnêteté. Indeed, some would argue that there was more to honnêteté than simply sexual virtue, since chastity alone would not suffice to make women good members of worldly society, able to instruct the men who frequented salons. During the first half of the century, and following the arguments of Baldassare Castilgione, Giovanni della Casa, and Michel de Montaigne, Nicolas Faret opens the door for women’s behavior to be qualified as honnête, since he discusses women on several occasions in his L’Honnête homme, ou l’art de plaire à la cour (1630).[3] In this article, we will focus on a prolific writer situated chronologically between Faret and Furetière: the Franciscan priest Jacques Du Bosc, who published a complementary sequel to Faret’s Honnête homme in the 1630s: L’Honnête  femme (1632–36),[4] which offers a fuller account of women’s participation in honnêteté.  Specifically, we will first show how Du Bosc defines the cultivation of reason and learning as key elements of women’s honnêteté in L’Honnête femme, thenexamine the depictions of women deploying their judgment socially through correspondence in his Nouveau Recueil de lettres des dames de ce temps. Our examination will show a more complicated version of honnêteté for women, surpassing the conventionally accepted definition of a chaste, modest woman. We believe it is Du Bosc’s version that most powerfully influenced seventeenth-century elite women.

Notwithstanding Faret’s comments, the idea of an honnête woman was itself controversial during Du Bosc’s time; indeed, Colleeen Fitzgerald tells us that Du Bosc’s contemporaries criticized him for “using honneste in the title of his work, for some considered it an exclusively male term” (Fitzgerald, "To Educate or Instruct?" 166).[5] In L’Honnête femme, the first major theorization of honnêteté for women, Du Bosc proposes, what he calls in part three of his work, a comprehensive “science for women” which focuses on the development of women’s intelligence and moral judgment though the practices of reading, conversation, and reflection.[6] Du Bosc’s use of honnêtété, then, differs substantially from that of his contemporaries; and the fact that Du Bosc keeps honnête in the work’s title through its multiple editions suggests strongly that he found the usage to be appropriate. While Du Bosc’s work remains largely unknown to scholars today, an obscurity that Jean Mesnard attributes to “the excessive length” of his treatise, Linda Timmermans finds that Du Bosc’s ideas in L’Honnête femme occupy a special place in the querelle des femmes:

Si un rôle de précurseur est quelquefois accordé à Mlle de Gournay [. . .] on attribue le plus souvent au P. Du Boscq le mérite de s’être, le premier, élevé au-dessus des polémiques traditionelles et d’avoir, dans L’Honneste Femme (1632–36), posé les fondements d’une nouvelle problématique, celle de la “science des Dames.” (281)

Thus, Du Bosc’s approach to honnêteté goes beyond questions of morality and civilité to articulate questions of women’s intellectual cultivation and writing.  Indeed, while L’Honnête femme provides the argumentation for women’s access to knowledge, Du Bosc’s companion piece, the Nouveau recueil de lettres des dames de ce temps provides examples of thepraxis for women to develop honnêteté.

The Problem of Definition

Defining the terms honnête and honnêteté has been a vexing task for scholars of seventeenth-century literature and culture. Not only do the terms have no exact equivalent in English, they refer to a constellation of cultural values and social behaviors that itself remains elusive. As Mesnard notes, for example, the title of Faret’s treatise (L’Honnête homme ou, l’art de plaire à la cour) was simply translated as The Honest Man (19). L’Honnête femme, however, elicited more nuanced translations in England: The Compleat Woman (1639), The Accomplished Woman (1656), and The Excellent Woman (1692). Yet, Faret’s honnêteté, far from merely designating an ethical position, was a complex notion involving sociability and seductiveness (Cohen 14). That is, in Michael Moriarty’s words, it “was the name of an ideal, a set of valorized practices” (52). The cultural ideology of honnêteté functioned as an emerging code of conduct—related to sociability, urbanity and politeness—that transformed elite French society from a military class to a cultural aristocracy. After the violent turmoil of the religious wars of the previous century, seventeenth-century society as a whole and aristocratic members of that society in particular sought to promote peace and stability through the new ideology of honnêteté. According to Roger Chartier, this ideology emphasized the art of self-control for the individual in society:

Le procès de civilisation consiste [. . .] dans l’intériorisation individuelle des prohibitions qui, auparavant, étaient imposées de l’extérieur, dans une transformation de l’économie psychique qui fortifie les mécanismes de l’autocontrôle exercé sur les pulsions et émotions et fait passer de la contraint sociale [Gesellschaftliche Zwang] à l’autocrainte [Selbstzwang]. (xix)

Honnêteté is the name given to this civilizing self-restraint.

Michele Cohen, among others, points out that elite women, who played a key role in this social transformation, were often portrayed as the civilizers of men uninitiated in the ways of polite society (15). The idea that this “civilizing function” serves as women’s chief contribution to honnêteté has become an oft-repeated commonplace in scholarship on the seventeenth-century. For example, Maurice Magendie, in his two-volume opus La Politesse mondaine et les théories de l’honnêteté en France au XVIIe siècle, de 1600 à 1660 asserts that women’s requirement that men sublimate their sexual drive into more refined, polite behaviors constituted their sole contribution to honnêteté. He writes:

Rien ne peut mieux polir les moeurs des hommes, qu’un commerce suivi avec les dames, à la condition qu’ils cherchent en elle autre chose que la satisfaction matérielle de leurs désirs. [. . .] Ils tâchent de les gagner par l’aisance aimable des manières, l’agrément des paroles, la délicatesse des sentiments [. . .] . (1: 88)

Does women’s own honnêteté consist then only of the “aisance aimable des manières, l’agrément des paroles, la délicatesse des sentiments”? And if, in fact, it encompasses more than chaste and delicate feelings, does women’s honnêteté rise to the same level of accomplishment and courtly honor as men’s? This last question further complicates scholarship; to Cohen, for example, the terms honnête homme and honnête femme do not parallel each other: “for women, the ideal of honnêteté was inextricably bound up with religion and morality, while for men it was a secular social ideal which … was related not so much to virtue as to honour” (19). Similarly, Roger Duchêne insists: “Dans une société qui distribue aux hommes et aux femmes des rôles différents, l’honnêteté ne peut être la même chez les deux sexes” (120) More recently, Lewis C. Seifert argues in Manning the Margins: Masculinity and Writing in Seventeenth-Century France that honnêteté is a “gendered construct” for men alone and that modern critics, like many seventeenth-century writers, have mistakenly assumed it to be “a model for both genders” (21). Mesnard, however, takes the opposite view, basing his opinion on Du Bosc’s notion of honnêteté in his claim that the ideal of honnêteté in the seventeenth century “s’est défini parallèlement pour l’homme et pour la femme, et [. . .] les deux modèles sont superposables” (15-16). To Mesnard, psychological and social differences might account for differences between the honnête homme and the honnête femme, but not only are both possible, they are necessary to each other.

Aside from these remarks by Mesnard, Duchêne, Seifert, and Cohen, and although scholars have widely studied the honnête homme as the embodiment of this new secular social ideal, research into the ideology shaping the honnête femme has been scant at best. An initial search of the MLA Bibliography, for example, brings up only three articles relating to the French “honnête femme,” while sixty-five appear addressing different aspects of the “honnête homme.” To date, the only extended exploration of the role of the honnête femme is found in Suzanne d’Orssaud’s unpublished 1939 thesis, “‘L’Honnête femme’ au XVIIe siècle d’après la société et la littérature” (D'Orssaud). Moreover, works such as Emmanuel Bury’s Littérature et politesse: L’invention de l’honnête homme (1580–1750) andDomna Stanton’s The Aristocrat as Art: A Study of the Honnête Homme and the Dandy in Seventeenth- and Nineteenth-Century Literature treat the role of women in the ideology of honnêteté in the most cursory manner.[7] Even Magendie’s extensive study onpolitesse does not address the honnête femme as an agent in her own right; rather, it shows how the honnête homme should interact with ladies in high society. Magendie concludes that women’s influence on men consisted of enforcing their upright morals. He asks:

[L]es femmes avaient-elles, en général, des moeurs assez épurées, pour exercer sur les hommes une action salutaire? Evidemment oui, puisqu’en fait cette heureuse influence a existé, et a largement contribué aux progrès de la politesse. Les femmes ont toujours été, par nature et par éducation, plus retenues que les hommes. (1: 101)

Thus, Magendie upholds Furetière’s definition of the honnête femme as a woman who is reserved, chaste, and moral, and justifies this view through a primarily essentialist reading.

Given the lack of critical questioning on the role of the honnête femme, it is unfortunate that more scholars do not study Du Bosc’s work, and that when it is studied, it is sometimes misread. Cohen interprets L’Honnête femme as having a misogynistic message and conflates Du Bosc’s views with those of the much more conservative François de Grenaille (19). William St. Clair and Irmgard Maasen, however, interpret Du Bosc’s views more generously: the Franciscan points to ancient authorities (e.g., Plutarch and Seneca) rather than Scripture, praises rather than satirizes women, transforms their “intelligent conversation [. . .] from a penalized vanity into a desirable accomplishment,” and above all, following ancient sources such as Plutarch, attributes “masculine” virtues of courage, constancy and prudence to women (4). St. Clair and Maasen write that

[t]his argument is a familiar move from the traditional defense and praise of women in the Renaissance querelle des femmes, but while in that rhetorical context it is usually restricted to a few exceptional cases, it contains, at least potentially, the seeds for a much more revolutionary notion of gender equality. (4)

Carolyn Lougee cites Du Bosc in emphasizing this potential in his writing and points to his broader vision for women as integral members of social society. Du Bosc

lamented the assignment of household tasks to women; it was “a tyranny and a custom no less unjust than it is old to eject them from public and private governance as if they were capable only of spinning their distaffs. Their mind is suited to more exalted deeds.” (22)[8]

While L’Honnête femme by itself offers an invaluable complication of our understanding of the role of women in seventeenth-century France, it is not Du Bosc’s only feminocentric work: Nouveau recueil de lettres des dames de ce temps first published in 1635 and La Femme héroïque ou les héroïnes comparées avec les héros en toute sortes de vertus in 1645.[9] Written and published at roughly the same time as L’Honnête femme, the Nouveau recueil is particularly pertinent to the question of women’s honnêteté in France in the 1630s. At first read, this text appears to be a female response to Faret’s Recueil de lettres nouvelles (1627), a collection of courtly letters written by professional male writers such as Guez de Balzac, François le Métel de Boisrobert, and Faret. However, more than mere response, the Nouveau recueil stages correspondences between honnêtes women that, we argue, enact the theory of women’s honnêteté that Du Bosc spells out in L’Honnête femme. That is, in order to be properly understood, L’Honnête femme and the Nouveau recueil should be read in tandem, as theory and practice, with each work seen in complement to the other.

Who was Jacques du Bosc?

Jacques du Bosc was a Franciscan priest, a frère mineur de l’observance or Cordelier, who lived in France during the first half of the seventeenth century (1600–1669) (Mesnard 17). Very little is known about his life, but we have numerous indications that he had social and literary ambitions—in addition to his religious career—and he gained a certain measure of success in these arenas. While Du Bosc published prolifically on the religious issues of his day, especially concerning the controversy surrounding the Jansenists (whom he denounced) (Bayle 625), he also participated in the debates concerning women called the querelle des femmes (St. Clair and Maassen 1). Jean Chapelain implies that from 1630–40, Du Bosc left the religious life and set out to make his living as a writer though royal patronage (Chapelain 733, 738). We do know that Du Bosc sought the women of the Court to be his benefactresses.[10] He published three volumes of L’Honnête femme from 1632 to 1636, dedicating Volumes 1 and 2 to the Duchesse d’Aiguillon (Richelieu’s favorite niece, formerly known as Madame de Combalet) and Volume 3 to Louis XIII’s sister, regent of the Duchy of Savoy, Christine of France. In 1635, Du Bosc dedicated the Nouveau recueil de lettres des dames de ce temps to Mme de Pisieux, an intimate friend of D’Aiguillon and a lady-in-waiting. Both women frequented the Hôtel de Rambouillet. Later, in 1645, he would offer his third feminocentric text, La Femme héroique, to Anne of Austria.[11]

It is not surprising, then, that Du Bosc would engage the querelle des femmes and show women in a positive light. Du Bosc’s unique approach, however, breaks with the long-standing rhetorical polemics of the querelle in which an author argues aggressively for the superiority or inferiority of women using examples from the ancients, the Bible, and the Church Fathers. Rather, Du Bosc seems to have taken his cue from Marie de Gournay and her Égalité des hommes et des femmes(1622) that moves away from this traditional rhetorical approach and engages real questions of women’s education. Du Bosc defends women’s equality to men by emphasizing their shared morality and reason. Moreover, he is an admirer and disciple of François de Sales, who, in his Introduction à la vie dévote (1609), addresses a series of letters to a woman, Philothea,[12] to instruct her on how to reconcile piety with life at court.[13]Both De Sales and Du Bosc argue that piety does not have to be gained at the expense of politeness, civility, and participation in worldly affairs, a significant departure from the traditional misogynistic dogma of the clergy at that time. However, unlike De Sales, who instructs on questions of personal piety, Du Bosc focuses exclusively on manners and morality for women (and, by extension, men) in society. Indeed, Théodore Joran suggests that Du Bosc’s popularity might be attributed to his lack of religious moralizing: “Ce fut une surprise agréable pour les contemporains de rencontrer un homme, un ‘honneste’ homme, là où ils s’attendaient à trouver un moine. [. . .] Jamais il ne recourt à des arguments de catéchisme” (78). Unlike the majority of religious thinkers of his time, Du Bosc believes women to be as capable as men of making moral choices, and thus proceeds to reason with them. Du Bosc’s forum for engaging in this conversation is the three-volume L’Honnête femme.

L’Honnête femme

In the prefatory“Au Lecteur” in the 1632 edition, Du Bosc explained his unorthodox approach to teaching women in L’Honnête femme: he wishes “de louër seulement les qualitez qui leur sont necessaires pour reussir dans les compagnies” but not to “faire des regles aux Dames.” Du Bosc anticipated the deep-seated misogyny of his male contemporaries who would reject his method of praising and reasoning with women readers, rather than “giving them rules.” He claims those critics will be “poussés de haine, & de vengeance contre cest aymable sexe” to criticize his work rather than “declarer la guerre ouvertement à la plus belle partie du monde” (np). Thus, to propose that women think for themselves and even feel pride in their accomplishments was a controversial assertion for the time. Du Bosc’s text must have been fairly controversial, for in the second edition (1633), he included a lengthy Preface (written by his friend, Nicolas Perrot d’Ablancourt) defending his work (Du Bosc 1: np; Perrot d'Ablancourt 33-74). This preface supports the use of praise as the most persuasive way to teach women; moreover, Du Bosc emphasizes, in L’Honnête femme, that he is teaching women to think analytically about their moral choices and to act accordingly. He therefore refuses to give explicit instructions to women, because, in his view, they are capable of making good choices on their own:

Je m’étonne pourquoy l’on veut, que les Dames ayent besoin de leçons si grossieres, ou d’une conduite si sensible. Il n’y a que les Aveugles qu’on mene par la main, c’est assez de porter le flambeau devant ceux qui on la veuë bonne. C’est faire tort à leur bon esprit ou à leur bon naturel. (1: 25)

 By reasoning with women, he argues, we show respect for their reasoning abilities and display our confidence in their conduct. Ultimately, this attitude posed a threat to the Catholic Church, which dictated women’s moral conduct and distrusted women to resolve ethical dilemmas themselves. To sidestep this controversy, Du Bosc claims the secular ground of teaching the respectable society woman, whose love of virtue through honnêteté will lead her more readily to become the “pious” woman the Church prescribes.

By his 1658 edition, Du Bosc addresses his female readership directly in his note “Aux Dames” to praise them as the very models of female excellence he describes in his work (1: np). It is clear that by this time, Du Bosc’s notion that women should be educated to participate in elite society was by and large accepted. In fact, French women had taken matters in their own hands by organizing women-centered literary salons; they participated in group writing projects, called salon writing, and even began publishing more widely, albeit, for the most part, anonymously or under another name (DeJean 94-97).

While much of the advice found in L’Honnête femme cannot be construed as feminist in a modern sense, Du Bosc writes that he respects women’s intellect and trusts them to make moral choices when fully informed. In this way, Du Bosc’s version of honnêteté for women parallels that of Faret for men. Du Bosc makes a key point in the first volume:

[I]l me semble [que L’Honnête femme] sera beaucoup plus utile aux Dames, apres que je leur auray montré . . . pourquoy je fay voir la pluspart de mes sujets à deux visages, pourquoy je n’ay donné que des enseignemens generaux, qui peuvent servir aux hommes aussi bien qu’aux femmes, & n’ay pas voulu descendre à de certaines instructions particulieres, que le vulgaire souhaitte, pour estre touché plus sensiblement. (1: 21)

This passage shows that Du Bosc’s honnête femme has a meditative life, is capable of intellectual pursuits, and can make decisions in moral and ethical situations. She is not “une mere de famille qui sçait bien commander à ses servantes, & qui a le soin de peigner ses enfans,” nor does she require the instruction that Faret offers in playing the lute and fixing her hair (Du Bosc, L'Honnête femme (1658) 1: 116, 1: 27; Faret, L’Honnête homme 38–39). Indeed, Du Bosc chastises those who would deprive women of proper learning; he warns:

Leur bon naturel & leur bonne inclination demeurant sans effet, manque de lecture ou de conversation, quand la tyrannie de leurs meres, ou de leurs maris, ou bien quelque autre mal-heur les empesche d’acquerir les belles qualitez dont elles naissent capables. (1: 116)

Rather, a woman needs “exercises” that involve thinking and using her mind, such as in the study of history and philosophy. Du Bosc believes women to be completely capable of learning: “Il n’y a donc rien de si vray, que quand les sciences sont bien conceuës on les peut exprimer en quelque language que ce soit, & que les Dames sont capables de les entendre” (1: 118). Not only are women able to learn, Du Bosc writes, they need to learn—in order to become virtuous, and in order to avoid frivolous occupations (3: 23, 3: 175-78). Du Bosc devotes an entire essay to defending the femmes savantes or “learned ladies” (1: 113-21), a position that he also supports in his Femmes héroïques in which, following Plutarch, he portrays one of his heroic exempla, Portia, as a woman philosopher (Du Bosc, Les Femmes héroïques (1659) 213-96). He may advocate study for women, but similar to Scudéry, Du Bosc does not wish women to show their erudition; however, in contrast to Scudéry, Du Bosc explicitly addresses what a woman needs to do to learn to read, write, and think in order to attain the ideal of honnêteté which, in Scudéry’s novels, is performed in modesty rather than attained through a process of education (Timmermans 113-14). Moreover, Du Bosc states that one need not look only to antiquity for women with knowledge: he praises the writings of the Vicomtesse d’Auchy, a woman whose literary salon in the 1620s featured Malherbe, and who herself seemed destined for great things until she was forced to leave Paris by her husband in 1609 (Timmermans 71-72). Du Bosc considers Mme d’Auchy’s Homélies sur Saint Paul, published in 1634, to be serious intellectual work with a natural, clear and polished style (Timmermans 297):

Elle n’a pas entrepris les endroits les plus faciles, et où il estoit aisé de reüssir: elle a travaillé sur l’Epistre aux Hebreux qui contient, comme chacun sçait, les plus secrets & les plus hauts mysteres de nostre Religion. Cependant dans une matiere si relevée il n’y a rien qui resiste à la force de ce grand esprit, elle marche sur des espines comme un autre feroit sur des fleurs, son style n’a rien ny de forcé ny contraint, il est doux & pompeux tout ensemble, & les plus dégoutez admireront en cét ouvrage ce qu’on trouve rarement dans un mesme Autheur, la clarté, la vigueur, la pointe, & la politesse. Il y a dequoy instruire les devots & dequoy satisfaire aux curieux: les sçavants & les delicats y trouveront des choses qui meritent d’estre considerées avec attention, & tous ceux qui ne veulent pas qu’une femme puisse bien escrire, confesseront leur erreur apres la lecture de ce livre. (1: 120)

Du Bosc describes Mme d’Auchy’s writing in terms associated with masculinity in the seventeenth century (Peters 28, 31): rather than embellish her text with flowers and artifice, she forcefully walks on thorns while she writes with clarity, vigor and directness. Interestingly after her return to Paris in the 1630s, Mme d’Auchy was criticized for her “presumption” in naming her weekly gatherings an “académie” which, Linda Timmermans tells us, were “des institutions masculines” (76).

Just as Mme d’Auchy’s writings are the result of deep thought and her académie the site of intellectual conversation, the development of the practice of reflection forms a key component of Du Bosc’s theory of women’s honnêteté, and he emphasizes this introspection from the very first essay in Part 1 of L’Honnête femme (“De la lecture”). In another essay, “De la Naissance et de l’éducation,” he writes that knowledge can, in fact, be more valuable than noble birth (2: 225). According to Du Bosc, women must read in order to inform their natural reason and introspection, which will then inform their conversation. Just being present at the conversation of others is not sufficient; even though Du Bosc wishes conversation to fulfill the role of “une vivante Escolle,” reading offers more perfect knowledge (1: 3). To the Franciscan, then, reading (which he envisions as a solitary occupation) and reflecting on reading, influences whether the honnête femme develops a crucial aspect of her interior life—the ability to make good decisions:

[J]e veux que l’entretien des honnestes gens soit fort necessaire, & que ce soit une vivante Escolle, qui nous anime puissamment en voyant l’exemple avec la regle; Toutesfois il me semble, que ceux qui se contentent de communiquer avec les sçavants, deviendront encore plus parfaits en lisant leurs oeuvres. (1: 3)

 

Moreover, when one reads, one is not distracted by surface appearances—one can concentrate on the beauty of the reasoning of the writer and not on the beauty or ugliness of an interlocutor (1: 5).

Learning to self-regulate is important because Du Bosc refuses to give women “certaines instructions particulieres, que le vulgaire souhaitte” (1: 21); rather, he expects women to develop their capacity to judge so that they can make good choices. Nevertheless, the Franciscan does spend some time discussing what the honnête femme should and should not read. He sees the works of the ancients as particularly useful, and he is also fond of mythology: because he finds these tales diverse and pleasurable, Du Bosc demonstrates his own powers of judgment in the examples that he includes and his analysis of these examples (1: 9, 1: 22). After telling the tale of the rape of Europa, for example, Du Bosc gives us the moral of the story: “Voila ce qui en arrive quand on jouë avec les bestes, lors qu’on est plus libre, ou plus familiere avec des stupides qu’avec des bons esprits” (1: 83). Indeed, his own arguments might be seen as examples of the sort of reasoning in which he wants his readers to engage. Typically, Du Bosc presents both sides of an argument and then ends by advocating moderation. In the case of reading, for example, he begins by encouraging the practice; then restricts the activity severely (citing St. Jerome, who advocated reading only one book), explaining that it is better to read fewer books of quality than read many books indiscriminately; then forbids women from reading novels; and then ends with a recommendation to read his book (1: 1, 1: 7, 1: 11, 1: 36). The honnête femme will reason, judge, consciously decide which books to read, and if she cannot, she should follow the advice of those of superior judgment (1: 7, 1: 20).

The honnête femme also uses self-regulation in conversation, an activity that, as noted above, Du Bosc links strongly to reading: “La lecture et la conversation sont absolument necessaires pour rendre l’esprit & l’humeur agreables” (1: 115). Because Du Bosc expresses contradictory viewpoints (in the interests of teaching self-regulation), he does write that “je pense que plusieurs feroient un assez grand miracle, si elles se pouvoient seulement taire par discretion, autant de fois que la Vierge a parlé, & si elles abusoient aussi rarement de la parole qu’elle s’en est servie” (1: 36). Contrary to the way that Cohen interprets this statement, Du Bosc does not recommend “that women should model themselves on the Virgin Mary, who spoke only five times in her lifetime” (Cohen 30). Rather, as he explains in the same essay, Du Bosc advises  that women should regulate their speech and always show the restraint and discretion associated with the Virgin Mary: “Il ne faut pas toutesfois s’imaginer que j’ay dessein d’oster l’usage de la parole, au lieu de la regler: Je n’aurois pas bonne grace, de vouloir composer la Conversation de personnes muëttes” (1: 32). Women should reflect before speaking, and while women who have studied sometimes talk too much, reading and studying are prerequisites of being able to participate in conversation appropriately (1: 32, 1: 44-45): for, without study,

la Conversation n’est qu’une insupportable tyrannie: & il est impossible sans se mettre à la gesne, de demeurer long-temps avec celles qui ne vous peuvent entretenir que du nombre de leurs moutons si elles sont de la campagne, ou si elles sont de la ville, qui ne parlent que de collets et de juppes à la mode. (1: 116)

Because of her judgment, knowledge and skill, the honnête femme is good-humored, comfortable and appropriate in society where she demonstrates complaisance, or agreeableness. Although he does not list physical attributes, poses, or facial expressions (as Faret does regarding the behavior of men in society), Du Bosc states that the honnête femme comports herself gracefully in public (1: 144).[14]

Affective relationships serve as another area in which the honnête femme uses her judgment. In a chapter in which the Franciscan used the terms amitié and amour somewhat interchangeably and that calls to mind avant la lettre the Scudérian “Carte de tendre”, Du Bosc explores two extremes: amitié par élection and amitié par inclination, the “two eyes” of love (1: 168). As one might expect, Du Bosc feels that amité par inclination is dangerous: it can be fatal, it is inexorable and is, above all, pleasurable (1: 169)—“Quoy qu’on feigne, tout ce qui vient de là nous est agreable”—while it incapacitates our reason (1: 170).[15]  Yet, Du Bosc points out that Jesus himself loved one of his disciples more tenderly than the others (a reference to the disciple John) and it is the most natural and most noble feeling (1: 187). Without inclination, love cannot last (1: 174); however, inclination is blind and amitié par élection, a more judicious feeling based on knowledge (connaissance), does not lead to unhappiness. Du Bosc writes, “Ne vaut-il donc pas mieux aymer pour des qualitez aymables que nous voyons, que pour une inclination qui nous est cachée …?” (1: 177). He concludes by saying that we need to “regulate” the two and to find a balance between inclination and élection (1: 183).

Du Bosc insists a woman’s complaisance does not contravene Christian ideas about appropriate female behavior (1: 80). Indeed, the honnête femme must be as scrupulously virtuous as she is modest and natural. To Du Bosc, virtue constitutes not only a Christian quality but also a secular one: “C’est assez d’estre bon Courtisan pour estre devot: On ne peut maintenant observer les loix de la Police, en violant celles du Christianisme” (1: 73). To avoid vice, the honnête femme should avoid vicious people and she should keep busy (1: 39, 1: 87). She exists as the opposite of Du Bosc’s negative examples: scandalous, debauched and coquettish women. While she should value virtue more than reputation, her behavior should not give rise to gossip and scandal (1: 168, 1: 171). Du Bosc concerns himself very much with appearance: he cites the example of the appearance of vice in the relationship of Socrates to Alcibiades:

Je veux que Socrate n’aimast le jeune Alcibiade qu’avec toute sorte d’honneur, & que son affection ne fut point contraire à sa Philosophie; neantmoins le faisant coucher toutes les nuicts avec luy, il devoit au moins mesnager son entrée et sa sortie, afin d’oster le sujet à ceux qui le voyoient revenir au matin, de prendre le temps & le lieu de cette visite pour une occasion de médisance. (1: 67)

The kind of love that Socrates felt for Alcibiades is regrettable, Du Bosc notes; even more regrettable, however, is that the philosopher was indiscreet and this appearance of vice enabled his neighbors to talk about him.[16]

Du Bosc posits that because of her judgment—gained through the complementary activities of reading, learning, and conversing with others—the honnête femme can make her own choices:

Le secours des lettres fortifie les meilleures inclinations, & ceux qui se persuadent que la lecture des livres est une escole pour apprendre à faire le mal avec adresse, auroient meilleure grace de croire que les Dames y trouvent plus de moyens de se corriger que de se corrompre. (1: 115)

Anticipating his later Femme héroïque, he attributes heroic virtue to the honnête femme, although he does mention the fragility of her virtue (3: 188). She does not need a spiritual guide, for, through learning and knowledge, she can guide herself morally and understand better the consequences of her actions.

From Theory to Practice: The Nouveau recueil de lettres des dames de ce temps

From the very first edition of the Honnête Femme in 1632, and in many other prefaces afterwards, Du Bosc personified his text as a woman; in his dedication to Christine of France, for example, he wrote:

Voicy l’Honneste Femme qui vient rendre ses hommages à vostre Altesse royale, & luy donner ce qu’elle a de plus precieux, en luy dédiant ses dernieres pensées. Ce nést point une Affetée, qui vient vous entretenir de Miroirs ou de Parfums: sa conversation n’a rien que de serieux & d’important, soit pour la haine du vice ou pour l’amour de la vertu. (3: np).

 It is perhaps this rhetorical move that gave DuBosc the idea to imagine a work in the female voice, a correspondence from honnête woman to honnête woman in which elite society women perform the ideals of honnêteté through writing, as DuBosc imagined them. This very early example of women’s letters in seventeenth-century France, pays hommage to women’s burgeoning presence on the cultural and literary scene.

In Du Bosc’s view, reading and conversation served as central components of honnêteté for women. To demonstrate that he advocated expanding intellectual possibilities further for women, Du Bosc wrote and published his Nouveau recueil de lettres des dames de ce temps (1635) while completing Volume 3 of L’Honnête femme (1636), thereby adding letter-writing to the practice of honnêteté for women. Already by the 1630s, one can read praise of women’s letter-writing in the correspondences of men of letters.[17] Clearly, many educated women in the seventeenth-century wrote letters that men admired; they were simply not published out of consideration for bienséance, or decorum. In his correspondence, for example, Chapelain heartily praises the letters of Mesdames des Loges and Sablé, while Balzac applauds those of Mme de Liancourt (Chapelain 504-05). Further, Tallemant des Réaux wrote of Marguerite Vion, Mme de Saintot, the witty former actress who frequented the salon of Mme d’Auchy: “Enfin, elle parvint à faire de belles lettres; on en a vu des volumes entiers, écrits à la main, courir les rues” (2: 273). Thus, women’s letters did circulate in society in the early part of the century, only through more informal channels than did men’s letters. On the whole, however, Janet Altman writes, “epistolarians of the seventeenth century [. . .] are almost all men, and most of them are members of the Académie Française, which received its official letters of patent from Richelieu in 1635” (35). Of the few letter collections by women published in the seventeenth century, Altman includes Du Bosc’s Nouveau recueil. It is unclear if she does so because she believes Du Bosc’s claim that these letters are authentically written by women, or because they are unusual samples of women’s letters. Ironically, Du Bosc’s Nouveau recueil shares its first date of publication—1635—with the creation of the all-male Académie Française, perhaps an indication of just how innovative or unusual his publication must have been (Altman 42-43).

By publishing model letters by fictional “accomplished” women who enact his conception of honnêteté, Du Bosc not only encourages women to write their own letters, but shows women how to fashion themselves as honnêtes in and through letters. As Elizabeth Goldsmith reminds us, in the seventeenth century “writing [was] an extension of worldly talk” (2). Du Bosc targets elite worldly women, who might frequent the Court, salons, or socialize in le monde. His letters offer women a practical application of the general concepts found in L’Honnête femme. Indeed, Du Bosc’s Nouveau recueil serves as a companion piece to his conduct manual; without the theoretical context of L’Honnête femme the choice of letter topics in Nouveau recueil appears arbitrary and unconnected. Read in context, however, they illustrate how real women might conduct themselves according to the principles of honnêteté in a wide variety of social situations, predominantly in relation to other women. In addition, Du Bosc shows us women using their powers of reason to judge the world and act morally.

In his foreword to the Nouveau recueil, Du Bosc assures the reader that these letters should not shock, since they conform to notions of bienséance. Moreover, he tells us, letter-writing simply extends a woman’s ability to “faire un compliment;” these letters are neither “Traitez” nor “Harangues,” nor “grands discours,” that is, public and male genres of writing. Moreover, while some people have objected to women writing out of ignorance or envy, Du Bosc claims, this collection will change their minds: if some women have published on important matters of religion and morality (such as Mme d’Auchy), why shouldn’t women write good letters, too?[18]

The Nouveau recueil shows us a group of women friends writing to each other to reaffirm their connections to each other despite the geographical spaces that separate them; in Letter 1, for example, a woman writes to her friend who has been away in the country for two months to coax her to return because her women friends sorely miss her in Paris (1-7). Letters in the Nouveau recueil are signed only “Madame” or “Mademoiselle,” and very few proper names identify people mentioned in the letters themselves. On the whole, it is unclear how many women are a part of this writing group, or if there are indeed several groups, and no identifiable personalities emerge through the style or content of the letters. The reader knows only that the collection stages the correspondence of a dense network of women devoted to writing each other. Thus, the reader is left with much confusion about who these women writers actually are and must instead focus exclusively on their words. In this series of 96 letters, the overwhelming majority are written by women to other women (only five are written to men); the first thirty-four letters are coupled with a response to the initial letter (except in two cases) and Letters 35 to 65 stand alone with no response included.

The talented ladies of Du Bosc’s new collection display the utmost modesty about their own social abilities while singing the praises of those of their friends and acquaintances as “accomplies” and possessing “rares qualitez.” In justifying women’s writing as an extension of their ability to “faire un compliment,” Du Bosc positions women as members of polite society who, like men, depend on social networks for political and social advancement. Thus, it is not surprising that these letters reflect the language of patronage found in contemporary correspondences. The courtier’s art of flattery does indeed dominate the collection, demonstrating many eloquent ways for women to praise each other (241-43, 430-33, 479-86, 494-97). The letters do far more than compliment, however; they demonstrate how to negotiate properly elite social relationships through correspondence. Just like the professional male writers of Faret’s Recueil de lettres nouvelles who extol the virtues of important dignitaries, Du Bosc’s letter-writers adopt the conventions of the courtly letter and the language of patronage. Further, while published courtly letters were written by men to other men, Sharon Kettering reminds us that “French noblewomen exercised a considerable amount of patronage power” too (818). As noted above, Du Bosc sought female patronage for his writing, especially that of the Duchesse d’Aiguillon who served as a generous patron to writers such as Marie de Gournay, Pierre Corneille, Vincent Voiture, George de Scudéry, and Molière, and took care of  Richelieu’s charitable endeavors. She became what A. Bonneau-Avenant terms the Cardinal’s “ministère des libéralités et des aumônes” (224).

Letter-writing as a tool to gain patronage would certainly have been a socially acceptable activity for women since it could improve one’s family’s social standing. The letters of the Nouveau recueil are replete withthe language and topoi found in published courtly letters of the time. “The words of friendship, loyalty, zeal, esteem, and affection are repeated over and over in the correspondences of sixteenth- and seventeenth-century France,” Kettering writes of patron/client relations (Patrons 12). Moreover, patrons and clients often used the language of personal friendship and affection to characterize their bond, hiding conflict and inequality behind an ideal image of amity; while “the formal rhetoric of clientage was the language of master and servant,” it eventually became “the language of courtesy” (Kettering, Patrons 15). One can certainly see this tension in Letter and Response 4 of the Nouveau Recueil, when two ladies debate the etiquette of using “Je vous aime” in a letter to a woman who is both socially superior and yet presumably a friend (48-66).

The discursive mix of clientage and courtesy pervades the Nouveau Recueil, in which the épistolière swears obedience to her “Maîtresse,” “Amie,” and even “Deesse.” The letters reiterate offers of service and acknowledge debts of obligation. Invoking terms used to describe the favors bestowed by a patron upon a client, Du Bosc’s writers make frequent reference to “favors and kindnesses.” Of equal import are the letters expressing concern for losing a friend’s or a patron’s good graces. The missives themselves serve to strengthen social bonds during prolonged absences by keeping the friend present in the memory of her benefactor. Independent of their content, letters may act as a form of flattery or favor: in letter 28, a gentlewoman vows to “publier” how generous her friend has been (Du Bosc, Nouveau recueil 344-49).

If letter writing is a new cultural ritual for women, it is perhaps not surprising that the anonymous correspondents of the Nouveau recueil express frequent anxiety about the appropriateness of their epistolary practices and their wish not to inconvenience their correspondents. Within the letters, the women fret about whether sending a letter will be seen as an imposition or a gift; whether they can demand letters of others; or whether they should despair over the lack of news from a good friend. In fact, many of the women try to gauge just how often to write others. Letter 5, for example, is entitled: “Elle tesmoigne la crainte qu’elle a de luy desplaire, & dit qu’elle a peur d’estre ingrate, si elle escrit rarement; ou si elle escrit souvent, d’estre importune” (67).[19]  The exchange of letters is pregnant with meaning. Some writers fear that not receiving letters means that one is forgotten or has fallen from a friend’s good graces; others excuse their friends for their tardy responses. One writer sees letters compensating for a friend’s absence; while another fears that if her letters please too much, her friend will stay away to prolong their epistolary exchange (279-86).

These fictional women frequently express the concern that their letters may not be eloquent enough to please. While a pose of modesty was necessary for women displaying their social skills, letter writing, as a new medium of communication used to cement the bonds of friendship or patronage, must have genuinely made many women nervous as they attempted to ingratiate themselves to others. In letter 5, a lady writes:

J’advoüe librement que je ne sçay pas faire de bonnes Lettres: mais je pense qu’il vaut mieux avoir de l’affection pour rendre du service, que de l’éloquence pour l’offrir. Et qu’importe-t’il en cette occasion de violer les Loix de la Rethorique, pourveû qu’on observe celles de l’Amitié? (69)

Her correspondent offers her friend reassurance, and counters with her own modest stance: “je ne voy personne qui s’exprime de meilleure grace; & si vous n’estes pas satisfaite de vos discours ou de vos escrits, croyez que vous estes toute seule de vostre sentiment.” (75). Du Bosc’s letters, then, provide not only models of women who write letters, but also provide the language that justifies their writing.

In addition to eloquence, Du Bosc expects the gentlewoman to be able to judge for herself and reason gracefully with others. Indeed the first fifty-six of ninety-six letters are paired letters and responses which debate two sides of an issue. The two perspectives are left open-ended; no correct stance emerges. As we have seen, arguing the pros and cons of an issue was a favorite technique of Du Bosc in the L’Honnête femme as well. The ladies of this collection debate questions such as whether one is less troubled to be stupid or wise (letter and response 2); whether it is just for a young man to marry an older woman (letter and response 3); whether one should entertain the company of free thinkers (letter and response 10); or whether a woman should be learned (letter and response 12) (17-31, 32-47, 130-160, 178-189, respectively). Other discussions revolve around questions of social judgment such as what is the appropriate kind of company to keep (letter and response 16); how to judge a good book (letter 60); how to judge a friend (letter and response 1); or whether it is preferable to live in the country, city, or at Court (letter and response 8, letter 7, letter and response 31) (225-240, 559-562, 1-16, 101-8, 87-94, 370-388, respectively).

In the Nouveau Recueil, honnêteté comes to define a new social identity for women in which conversation serves as their main occupation and preoccupation. Conversation is a key term in the letters; “conversation” and “entretien” appear forty-four times in the ninety-six letters. In a set of letters, for example, a group of Parisian women write to entreat their friend who is living “entre des Barbares” to return to Paris for fear she might become accustomed to “solitude” (letter 1); in the response, she assures her friends that this would be impossible because, she notes, “je suis en un païs sauvage, où il n’y a point de conversation, que je n’appelle un supplice …” (response 1). She desires to return to the good company of her female coterie of “tant de Dames excellentes” who are “tres-accomplies” (response 1) (3,11-13). Throughout the collection, the women correspondents lament the loss of each other’s “conversation”; they desperately seek a reunion with their female companions, as in letter 42, in which the letter writer reminisces about “ce Cabinet Celeste” where her friend reigned with “avec autant de Majesté qu’une Reine sur son Thrône de gloire” (456).

At the same time that these women find each others’ companionship indispensable, they fret about how to avoid unrefined visitors. Numerous letters allude to the difficulty of socializing with others who do not share their social practices. Reading, writing, and reflection come into conflict with the traditional rules of civility and conformity for women. The épistolière in letter 48 writes from the country: “Si je sçavois bien parler, ou bien escrire, j’aurois des qualitez qui n’y sont point en usage, & qui ne me seroient pas seulement inutiles, mais dangereuses” (490). The imperative to conform may make it dangerous for a learned woman to display the qualities admired by her friends in Paris. Another woman, in letter 7, writing from the country, vows to read and reflect in solitude rather than to play the role of gracious hostess to the “petits Messieurs” who talk at her incessantly (91). She reasons these men are worse than bad books, for at least one can put down a bad book when it gets tiresome. In the response, Du Bosc offers a corrective to this desire to withdraw from society to the company of books. Her friend reminds her she must take care of her reputation by avoiding public scandal or disapproval. She must endure her guests to maintain her good reputation. Moreover, Du Bosc softens the elitist stance toward the unsophisticated provincials when the letter writers’ friend reminds her that while these people may lack polish, their affection is well intentioned; indeed, she would prefer “une Franchise un peu rude, qu’une feinte avec toutes les douceurs du monde” (95-96). In letter 55, a lady confesses that her friends’ letters are a lifeline when she resides in the country; they serve as an “antidote” to the undesirable conversations of “ces petits Messieurs de Lieures” (528).The contrast of the cultured ladies to the uneducated folk constitutes these “accomplished” women as an elite group as much as a persecuted one.

Indeed, Du Bosc makes the case for the value of this new honnête femme who possesses learning, virtue, and judgment. Letter 3 describes the outrage of a woman who finds it unfair that her friend, Belinde is passed over by the handsome, young Lydian for a woman who is “ny belle, ny riche, ny jeune” (33).[20] The “païs des Monstres” is no longer in Africa, she writes, but can be found in the extravagances of Paris (32). In response, her friend defends the young Lydian’s decision to marry the older, more experienced, Numanté, for she possess the two qualities without which all others are meaningless: “esprit” and “vertu” (43). She writes about Numanté:

Sa conversation est agreable & utile, il deviendra honnête homme en sa compagnie; & si les autres Dames cessent d’estre Maitresses apres leurs nopces, celle-cy commencera de l’estre apres les siennes. (43-44)

Thus, virtuous women with experience and learning make good wives and equal companions to their husbands, as Du Bosc argued earlier inL’Honnête femme.[21]

While he offers an overwhelmingly positive portrait of women’s conversation in the Nouveau Recueil, some of Du Bosc’s letter writers nonetheless highlight the danger for women of interjecting too much learning into their conversation. While letter 12 defends women who study, the correspondent in the response cautions:

Vous sçavez comment [leur conversation] est importune. […] Elles résvent, quand elles pensent raisonner. Elles deviennent toutes Memoire, & prennent la peine d’amasser beaucoup de biens, dont elles ne sçavent point l’économie. On a pitié de les voir quelquefois embarassées: ce ne sont que lambeaux qu’elles dérobent; & ne disent rien avec cette naïveté, sans laquelle les plus riches discours sont importuns. (188-89)

Hence modesty and simplicity in conversation are essential for the honnête femme. Women who reason about what they have learned in books are seen as displaying fragments of purloined goods that could never be their own. “Learned women” in letter 53 are called “des Icares de nostre sexe” and “des Nains sur des patins”; these two images suggest the dangers awaiting the incautious woman whose aspirations are too elevated (521). And for those women who find themselves encouraged in their intellectual endeavors, response 12 warns of the danger of accepting the praise of flatterers, for “cependant que la flatterie les loüe en particulier, la verité les condamne souvent en public” (189).

In addition to modeling behavior in society regarding knowledge that women have acquired, Du Bosc also provides advice in L’Honnête femme and examples of behavior in the Nouveau recueil in another area of thorny controversy: that of birth versus merit. Carolyn Lougee writes, in her groundbreaking study Le Paradis des femmes, that the elite society of nobles and talented bourgeois that congregated in seventeenth-century salons cultivated a space outside of the Court in which an individual’s worth was based, not on their sex or birth, but on their merit.

What set the feminist writers apart was their advocacy of widespread ennoblement. If existing rank did not confer virtue, existing virtue in the feminist view should confer rank. [. . .] The right to ennoblement of all men of achievement was an essential component of the feminist call for change. (42)

In Volume 2 of L’Honnête femme, Du Bosc tackles the question of whether aristocratic birth (“Nature”) or education (“Art”) decides the quality of a person. While he admits that noble birth provides a great social advantage, he concludes: “La bonne education est donc entierement necessaire à l’un & à l’autre sexe quelque bonne naissance que nous ayons” (2.227). Du Bosc admits, however, that without wealth, neither a person of noble birth nor one of exceptional education will receive the due they deserve (2: 216).

In several letters of the Nouveau recueil, Du Bosc addresses the position of the “accomplished” woman who lacks wealth. Significantly, letters 32 and 65 that broach the topic are both addressed to Mademoiselle (only 9 letters in total address a Mademoiselle). In Letter 32, a woman responds to her cultured friend who laments her own lack of wealth. Her friend reassures her that while lady Fortune has been blind to her “qualitez extraordinaires,” she should gaze in a mirror to see her exceptional beauty and virtue and be consoled by them (393). The talented, but poor, friend responds: “Je soufre la Pauvreté, mais je ne le desire point” (397). Indeed, she does not disdain riches; rather she believes that no matter how virtuous she is, she will be at a disadvantage in society without it. She writes: “[L]a Vertu des pauvres fait compassion, comme une Belle miserable; & mesme il semble qu’on ne la sçauroit loüer sans la plaindre” (399). Letter 65, the closing letter of the Nouveau Recueil, reiterates the lesson of Letter 32 that personal merit is a consolation for lack of wealth: “Dans vos plus tristes pensées, un Miroir vous peut servir d’un grand Consolateur: & si vous regardez bien à ce que la Nature vous a donné, vous aurez moins de desplaisir pour ce que la Fortune vous dénie” (582). Du Bosc’s accomplished woman attracts the high regard of other talented women who gaze at her with “un autre oeil”: that of admiration and respect (585).

Indeed, what sets the Nouveau Recueil apart from other epistolary collectionsis its vision of female solidarity. The honnête femme is valued by her women friends for her learning and judgment. The correspondent of the ultimate letter expresses the general attitude of these fictional épistolières, promising to emulate and admire her friend of “rares qualitez” and rejecting the reactions of other women who envy her friend and consider her competition for men’s attention (585).Instead, this writer claims she will look at her friend with that “different eye,” a signal, perhaps, that Du Bosc wishes all of his female readers to look upon accomplished women with passionate admiration. A Modern before his time, Du Bosc promoted both a feminocentric space for women and the discursive practices—reading, conversation, letter writing—that would propel them to the center of the literary public sphere for the next century and a half. As Dena Goodman observes, letter-writing brought women into what Habermas called the “rational-critical debate”; that is by writing and reflecting critically women developed a sense of self or subjectivity that allowed them to enter the public sphere (10).

Conclusion

In the debate over honnêteté, Cohen and other critics take a negative view of the role of women and the attitude of writers like Du Bosc: “The status of salon women was elevated commensurably with their vital role in refining the conversation of the nobleman, but ultimately it was the noble man who benefited and achieved honnêteté” (14). However, Du Bosc’s two-part work on honnêteté, both the theory and practice, itself offers no such half-measure for women. If the honnête femme is the equivalent of the salon woman (as Cohen seems to think), it is clear that, contrary to the critics, Du Bosc does not see her primary function as merely producing the honnête homme. Rather, he proposes a way for elite women to perfect themselves for social interaction through the practices of reading, reflection, and conversation. Following Montaigne and Marie de Gourney and anticipating Descartes, Du Bosc argued for women’s equality with men based on their shared reason and virtue.[22] As he wrote in L’Honnête femme:

La raison & la vertu sont de deux sexes, quoy qu’elles soient d’une mesme espece. Les Dames ne peuvent renoncer à cette science sans renoncer à un privilege & à un advantage, qu’elles ont aussi bien que nous, par le droit de leur naissance. (3: 5)

Through his principles of honnêteté, Du Bosc makes powerful claims for women as equal participants in the new cultural elite. L’Honnête femme and Nouveau recueil deserve a more prominent place in our understanding of the role of women in the cultural transformations of the early seventeenth century.

California State University, San Bernardino

Loyola University Maryland

 

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[1]Domna Stanton recognizes preciosity as a negative version of honnêteté: “préciosité (-) and honnêteté (+) share the same elitist impulse, the same desire to create a consummately artistic—and of necessity artificial—secondary self designed to exact recognition of superiority through an elaborate strategy of seduction” (Stanton 30).

 

[2]Roger Duchêne writes that “[l]a chasteté [est] chez la femme la définition même de l’honnêteté” (121).

[3]Faret includes several chapters in L’Honnête homme which specifically discuss the negative aspects of women’s behavior (“Contre les femmes fardées” [39] ; “Que les plus chastes sont souuent les plus sujettes à la médisance”[ 249]; “Vices odieux en la conversation des Femmes” [251]). Despite this less positive view of feminine characteristics, Faret does contend that women’s virtue is the same as men’s (“Que la vertu des femmes est la mesme que celle des hommes” [243]. Moreover, he discusses at length reasons why men should frequent women (“De la complaisance parmy les femmes” [240]) and why it is necessary to honor and respect them (“Qu’il faut respecter les femmes” [239]; “Raisons pourquoi l’on doit honorer les femmes” [241-42]).

[4]Since the 1658 edition is the definitive edition (all three volumes with final versions of the essays, all paratextual materials are in their final form [e.g. the dedicatee of volume I is the Duchesse d’Aiguillon rather than Mme de Combalet]), references to L’Honnête femme will refer to this edition unless otherwise noted.

[5]Fitzgerald does not explain this comment but may be referring to Nicolas Perrot d’Ablancourt’s equally vague comments in his preface regarding the criticisms of Du Bosc’s title (Perrot d'Ablancourt 38, 71).

[6]Ian Maclean notes that “although honnête was at first only chastity for women, its scope did enlarge with Du Bosc’s work, however the sense of chastity was never lost for the term connected to women, where it was not part of the honnête homme” (122-23).

[7]Bury dedicates less than three pages to Du Bosc’s Honnête femme and only briefly mentions salonnières such as Des Loges, D’Auchy, Scudéry, and Rambouillet (75-77).

[8]Here, Lougee translates a citation from the essay “De la prudence et de la discretion”  from the 1632 edition.

[9]La Femme héroïque was later published as Les Femmes héroïques in 1659(Du Bosc,La Femme héroïque (1645); Du Bosc, Les Femmes héroïques (1659)).

[10]While Colleen Fitzgerald questions the notion that Du Bosc had secular ambitions, we are prone to accept Jean Chapelain’s assessment that Du Bosc “se desfroqua par desbauche, et se refroqua par ambition. Il ne médite pas moins qu’une mitre et a mis tout le moine au dehors” (Chapelain 738; Fitzgerald, "Authority" 25). In another letter, Chapelain describes Du Bosc in 1641 printing up his own panegyric to the powerful Cardinal Richelieu to distribute to the appreciative members of the newly formed French Academy (733). In addition, Du Bosc published panegyrics to Louis XIII and Mazarin and maintained friendships with many of the founding members of the Académie Française, such as Perrot d’Ablancourt (the author of the apologetic preface to L’ Honnête femme) and Olivier Patru. Du Bosc’s dedications to powerful women of the court and panagyrics to the powerful men of the court strongly suggest he sought patronage based on his secular writings. See also Nicole Mallet (310).

[11]These dedications attest to the influence of royal women at this time and the changing attitudes toward women in power. Europe had already seen the successful reigns of Queen Elizabeth I in England and Catherine de’ Medici in France during the sixteenth-century. In 1610, Marie de’ Medici took power as regent, until her son, Louis XIII, could govern in his own right, just as Anne of Austria would do for her son, Louis XIV. Thus, despite Salic law in France, the French had experienced female rule for much of the previous century. Ian Maclean notes that: “An account of the works published between 1640 and 1647 indicates the volume and importance of writing in honor of women.” Maclean points out that François de Grenaille, a prolific writer who imitated Du Bosc with works such as L’Honneste fille, L’Honneste mariage, and L’Honneste veuve, among others, dedicated many of them to Anne of Austria and to the Grande Mademoiselle (76).

[12]In real life, Philothea was Mme de Charmoisy, who initiated a correspondence with De Sales in 1602 (Timmermans 407).

[13]In his Preface to L’Honnête femme, Du Bosc’s friend Nicolas Perrot d’Ablancourt explains that this work is the “Introduction à l’Introduction à la vie dévote” (Perrot d'Ablancourt 74; Du Bosc, L'Honnête femme (1658) np).

[14]Colleen Fitzgerald views graceful behavior as the essential characteristic of Du Bosc’s honnête femme (Fitzgerald, "Authority" 109-62).

[15]Domna Stanton writes: “The tendency to substitute for the more primitive, energetic emotions a small set of consummately civilized signs finds its clearest demonstration in discussion of love. Passionate love had no place in a system predicated on total control over internal feelings; Faret states in no uncertain terms that the smitten can have no use for his precepts” (135).

[16]As Domna C. Stanton and Lewis C. Seifert note, Socrates and Alcibiades were regarded as positive models for the honnête homme in the seventeenth century (Stanton 22; Seifert 30, 48); moreover, it is to be noted that several letters in the Nouveau recueil address the relationships between women, in particular, which feelings are appropriate for women to have for other women and which feelings one may express. See in particular, letter and response 20 in the Nouveau recueil.

[17]For example, in Faret’s Recueil de lettres nouvelles, the salonnières Mesdames de Rambouillet and Des Loges are privileged interlocutors; however, the letters that women write are not included in Faret’s anthology despite the fact that M. de Conac acknowledges to Des Loges:  “je ne cognois point d’homme qui escrive à l’esgal de vous” (Faret, Recueil de lettres nouvelles 2: 166).

[18]To the extent that Du Bosc elaborates the roles of reading, conversation, and reflection as essential activities to the honnête femme, he remains largely silent on the role of writing in his new “science of women.” As we pointed out above, the exception is Du Bosc’s praise of Mme d’Auchy’s writing. We believe Du Bosc forges a link between women and letter writing based on his belief that men and women are equally capable of many virtues. If men, even if they are professional writers, can write courtly letters, as in Faret’s collection, so can women.

[19]The verbe importuner and its variants, such as importunité, occur forty-seven times in the Nouveau recueil.

[20]In volume 2 of  his Recueil de lettres nouvelles, Nicolas Faret includes three passionate letters from Godeau to a much different Bellinde, one who is cruel, unfaithful and coquettish (2: 114-35).

[21]For Du Bosc, women should not be under the tutelage of their husbands. In “Du Mariage et du celibat,”an essay in Volume 2 of L’Honnête femme, he describes marriage as a reciprocal responsibility between husband and wife:

Il faut que le devoir soit reciproque, & puis qu’on nomme le mariage un lien, comme il est necessaire que les deux rubans ou les deux cordages, soient entrelassez des deux costez pour faire un noeud: aussi faut-il que l’homme & la femme soient attachez l’un à l’autre par un devoir mutuel, pour rendre la societé plus ferme. Si elle n’est reciproque, elle est imparfaite, & mesme injuste. La façon de creer la premiere femme témoigna assez cecy: elle ne fut pas tirée des pieds, ny de la teste, mais du costé: pour monstrer qu’elle ne doit pas estre ny esclave, ny maistresse, mais compagne. (2: 312-13)

[22]Rebecca M. Wilkin argues in Woman, Imagination and the Search for Truth in Early Modern France (Aldershot: Ashgate Publishers, 2008) that “the equality of the sexes is not of Cartesian origin” and “that Marie de Gourney drew the idea of equality from her reading of Montaigne’s Essays” (144).

 

Site Sections (SE17): 

Women of the Raison d'État

Article Citation: 
XIII, 2 (2011): 31–55
Author: 
Thomas Finn
Article Text: 

Seventeenth-century tragedy and tragi-comedy often push the limits of the raison d’État, that is, the belief that the State may go to extreme measures, or even commit immoral acts, to accomplish its aims.  Furthermore, this ideology dictates that, since both cannot be satisfied, individuals should sacrifice their personal interests to those of the State, often embodied in the sovereign ruler.  Male characters of the era seem to accept this either/or bargain because, in the worlds created on stage, they will be hailed as great champions, saviors whose memory will be eternally cherished.[1]  Some female protagonists, however, seeing little hope of equal reward for their sacrifices, defy this stereotypically male portrayal of heroism by widening the horizon of possible options and proposing a more varied and, at times, radical response to the raison d’État conundrum.

Testing the boundaries of the raison d'État was certainly not confined to the seventeenth century.  French monarchs throughout history have tried to augment their power and legitimate their rule often by associating themselves with religious/sacrificial images of Christ and military leaders.  Pépin le Bref, in 752, was the first Franc king to have his ascension to the throne consecrated by a sacre.  The practice ignited fears in the Catholic Church that the ceremony would be seen as granting religious authority to a secular ruler.  Thus, Pope Innocent III, in 1204, forbade kings to be anointed on the head (as was the custom with bishops), an interdiction French monarchs ignored (Apostólides 1112).  In the thirteenth-century, after Philippe-Auguste’s victory in the battle of Bouvines, French kings found a balance between the religious and military images by portraying themselves, with varying degrees of success, as legitimate because of their willingness to sacrifice their lives in battle for their people (Apostólides 21, 24).

Over the centuries, this idea of a servant/king bestowed on the sovereign wide moral latitude as he constructed State policies that justified actions even against individual citizens of the realm.  Machiavelli’s The Prince (1532) was well known for advocating absolute sovereignty entitling the ruler to the unbridled and unchecked capacity to do as he pleases.  Most French and European thinkers rejected this extreme view yet found ways to accord the monarch wide-ranging powers.  The rex et sacerdos notion from the Middle Ages remained a popular image among Early Modern thinkers because it implied a king subject to civil and religious laws (Thuau 16), but it was undermined by numerous societal observers who accepted the occasional “necessity of immoral policies” (Church 3) especially during such crises as the Wars of Religion of the sixteenth century and the Fronde of the early and mid-seventeenth century. 

While Jean Bodin (153096) sees the king as the ultimate authority who may dispose of his subjects’ lives and possessions (Keohane 17), Michel de Montaigne (153392) seems to be of two minds on raison d’État tactics as he generally condemns dissimulation, yet realizes justice cannot be universal and absolute and therefore seems willing to accept a number of vices in a sovereign, including breaking his promises and authorizing violence (Church 7374), if he is acting for the public good (Kruse 15052). The Flemish humanist Justus Lipsius (15471606) condones fraud and treachery if the ruler believes them necessary (Church 61).  Echoing many of the ideas of Montaigne and Lipsius, Pierre Charron (15411603) condemns dissimulation at the court (Kruse 153), deeming it a method by which individuals seek gain for themselves but includes dissimulation and even secret executions as permissible monarchical actions if done to protect the populous (Church 76).  Even those who seek to limit royal power in the name of religion concede to the king the prerogative to take the lives of his subjects as long as he does not corrupt their souls (Thuau 11213).

All of these notions are, of course, in the air when Cardinal Richelieu holds his post as principal advisor to Louis XIII from 16241642.  Richelieu never advocates national policy be divorced from morality as does Machiavelli, but at the same time he sees no conflict between religion and interests of the State (Church 11, 48), both of which should ostensibly work for the public interest.  Richelieu is unequivocal, however, in his contention that the public interest is solely visible to the king and his ministers as they alone are divinely selected as trustees of the public good (Keohane 17576).  The cardinal is mindful not only of his responsibility to justify State authority but also of the power of the theater to disseminate and reinforce his ideology.  Not merely a fan of the stage, he may have authored or co-authored three plays during the 1630s and for a time kept several dramatists on contract while arranging pensions for Jean Rotrou and Pierre Corneille (Howarth 5961).

While it is difficult to establish a definitive quid pro quo between Richelieu’s patronage and Corneille’s work, the playwright offers some of the best examples of male characters, typical of the era, who accept the raison d’État as superceding their particular interests.  Corneille creates a kind of androcentric heroism that deprives the protagonists of any middle ground between State policy and personal concerns, yet showers them with reward when they choose the kingdom over their individual desires.  The protagonists of Horace remain prime illustrations of heroes who realize that, although fighting for the State is a great honor, it also demands they sacrifice personal relationships and the lives of loved ones (46970, 479, 502).  Before they know they will fight each other, Curiace and Horace see nothing but “gloire” for the combatants who will determine the fates of Rome and Albe (35558, 37880, 399402, 44952).  Their predictions are proven correct when Valère brings news of Horace's victory as well as the “chants de victoire” and the forthcoming tribute from the king, who pardons Horace's murder of his sister because of the hero's military value to the empire (115061, 174063). Likewise, Rodrigue’s renowned stances make clear that the hero of Le Cid cannot escape the irresolvable conflict between his family’s reputation and his love for Chimène (Act II, Sc. 6). Whereas the son focuses on his tragic dilemma, his father foresees public adulation for the son’s military exploits as he defends Spain from invasion (108691).  Rodrigue’s situation is, however, only partially a classic raison d’État dilemma since his choice is not between Chimène and the State, but rather between Chimène and familial honor.  Nonetheless, his warrior prowess and willingness to risk his life earn him effusive adulation from his people and his king (110116, 122128).  In Cinna, an act of mercy, not military maneuvers, proves to be in Rome’s best interest. Instead of punishing the conspirators plotting his assassination, Auguste pardons them largely because he is swayed by his wife's argument that the raison d'État demands he relinquish his personal desire for vengeance.  Livie contends the emperor's clemency will ensure the long-term stability of Rome while earning him eternal popular acclaim for his leniency.  Satisfying a personal vendetta must be subordinated to the needs of the empire (11991216, 175774).[2]  Although their situations differ, these heroes are emblematic of the predominant raison d'État attitude of male protagonists of the time in their belief that these situations disallow any possibility of satisfying both their country and their individual wants.  They must choose to serve either the Sate or their own interests and are amply rewarded for their sacrifice. 

Several female protagonists of the era simply do not accept that either/or situation.  Less preoccupied with rewards or their opportunities to earn them, which are often nonexistent or denied, these women concentrate more on entertaining a multitude of considerations in their deliberations on the traditional raison d’État dilemma.  Unconstrained by the usually male dichotomous perspective that sees only mutually exclusive choices, these heroines are free to develop alternative answers where none seem to exist.

While an exhaustive study of the subject is beyond the scope of this article, the four plays discussed represent the wide spectrum and vicissitudes of ideas on the raison d’État dilemma during the period.  A sequentially linear evolution toward a consensus on this issue is hardly discernible in the seventeenth century; thus adopting a chronological approach would be counterproductive.  Instead, I have chosen a character-driven study that will focus on the progressively more complex understanding the female protagonists have of their own predicaments and the increasingly sophisticated, and at times extreme, solutions they find.  Jean Rotrou’s L’Innocente infidélité (1634), Jean Racine’s Bérénice (1670), Catherine Bernard’s Laodamie reine d’Épire (1689), and Marie-Catherine Desjardins’s Nitétis (1664) span much of the era, offer examples of tragedy and tragi-comedy from minor and major playwrights, and include perspectives from male and female dramatists.  Despite little or no expectation of even posthumous recognition, the women of all four plays shape new perspectives on the threats of death, banishment, a loveless marriage, or a combination of all three in service to the State.

Rotrou’s L’Innocente infidélité offers the most extreme example of self-abnegation in the form of the Queen of Epirus, Parthénie.  Soon after she marries Felismond, he is put under a spell by Hermante, a spurned lover seduced by the king’s earlier promise of marriage.  Via demonic incantations and a magic ring, Hermante convinces Felismond to kill his new bride so Hermante may ascend to the throne.  Learning of the order of her execution, Parthénie makes no effort to save herself, believing that such actions would constitute a violation of marital obedience and her promise to respect royal proclamations.

Although the plot is eventually discovered, Hermante imprisoned, and the royal couple reunited, Parthénie must nevertheless make some difficult and innovative decisions before this happy ending is realized.  Fully aware that Felismond is carrying on a liaison with Hermante, she initially dismisses it as a fleeting affair that will soon run its course:

L’amour ne dure pas estant si violente,
J’obtiendray quelque jour ce que possede Hermante (64950)
********************************************
Un jour les Dieux touchés de mon amour extreme
Pour me le rendre enfin le rendront à soy-mesme (65354)

However, Evandre, a royal advisor, seeing a more ominous threat in Hermante, makes a proposal that would circumvent the dichotomous raison d'État that dictates separation between private and State matters.  He suggests killing Hermante as a way of fulfilling both Parthénie's personal interest in preserving her marital honor and the State's interest in political stability:

Coupons racine aux maux dont ces salles amours,
Troublent vostre repos & menacent vos jours.
L'honneur, & les respects deubs à la loy divine
Et le bien de l'état dépend de sa ruine, (659–62)

Evandre's words convince Parthénie that Hermante represents a danger more serious than a mere tryst, but her reply signals a more submissive approach to her husband's dalliance:

Evandre, que ma mort previenne la pensee
D’irriter cette ardeur dont son ame est blessee;
Un si pressant instinct me porte à le cherir,
Que si je luy déplais, il m’est doux de mourir, (66568)

There is nothing she would not tolerate as she subordinates herself completely to the king’s extramarital affair: “J’ayme cette beauté, parce qu’elle luy plaist / Et prefere son bien à mon propre interest” (67576).  Parthénie has not only internalized the previously mentioned ideologies that allow a ruler to demand the death of any citizen; she also embodies Richelieu’s belief that only the monarch is able see the necessity of such a demand.

When Evandre tells her the king has ordered him to kill her, the queen seems to agree with the principle implied in Evandre's initial deadly proposal: she is not constrained by the traditional raison d'État ideology demanding an individual choose between personal romantic relationships and State imperatives.  However, instead of interpreting this principle as a license to kill Hermante and save her own life, Parthénie sees it as an order to obey her husband and the king as one and the same.  Evandre, and perhaps the audience as well, may have expected Parthénie to embark on a path of tortuous introspection during which she would be required to choose between obeying the king’s order by accepting her death or appearing before Felismond as the persecuted wife begging her husband for mercy.  Yet Parthénie rejects this mutually exclusive perspective.  She does not see Felismond as either ruler or husband just as she is not either subject or wife.  She cannot resist her execution, whether ordered by Felismond as sovereign or Felismond as spouse, because both must be obeyed regardless of his motivation. Seeing herself simultaneously as an obstacle to her husband’s happiness and a victim of the king’s death sentence, she readily offers her life: “Ce que hait un Monarque est digne de perir, / Et déplaire à son Roy, c’est plus que de mourir” (73132). 

She does yield to Evandre’s request that she remain alive and in hiding until the king comes to his senses (87994), but when she and Evandre discover a plot to whisk her away to a safer location (95764), she calls such a plan “lâche trahison” (1024). Unaware that Clarimond, her former lover, is behind the plot (103136), Parthénie seems guided by an unswerving loyalty to the king as she accepts Evandre’s dangerous plan to foil her kidnapping: “Mourons fidellement pour un Prince infidelle / Ma vie est importune, & ma mort sera belle” (106768).  She learns of Clarimond's part in the scheme only after Evandre shoots him dead. She then claims it is honor that prevents her from shedding any tears.  While she accepts responsibility for Clarimond's demise, her only regret is that she did not punish Clarimond by her own hand (111930). 

Love usually reigns supreme in the hierarchy of values in the typical tragi-comedy of this period.  Protagonists will cast aside their own desire for social ascendancy, their obligations to their families, and even their duty to the raison d’État if they believe they are acting in the best interest of their beloved (Gethner, L'Innocente VI).  In essence, Parthénie flattens this hierarchy by putting her marital and patriotic commitments on the same level.  In her consciousness, love and duty converge rather than clash.  She is not particularly remarkable for her willingness to make a grand sacrifice—many male tragic heroes do the same—but rather for her decision to attenuate a rigidly dichotomous worldview even when such an action puts her life in danger.  This decision allows her to merge seemingly incompatible forces into one, thereby reconciling any potential conflict, though receiving little recognition for such a feat.  Even at the end of the play, despite agreeing that postponing her execution was the right decision, she tells the king she is “…une femme, indigne de son sort, / Puis que de vostre part j’ay redouté la mort” (144748).  Although Evandre had earlier praised such dedication, “Quelle ame de rocher, quel esprit si babare / Verroit sans s’amolir une amitié si rare?” (67778), Parthénie’s force of will and her acceptance of an especially cruel State decision (traits not unlike those displayed by Horace) go unnoticed at the dénouement.  Most of the men (her father, uncle, husband, and priest) marvel at this “divine advanture” (1455) and give thanks to heaven for the happy conclusion, but they have nothing to say about the queen’s strength of character, no accolades for her loyalty, and no praise for her unique point of view.

Self-denial and a readiness to entertain alternatives also play crucial roles in Jean Racine’s Bérénice, in which both Titus and Bérénice must eventually sacrifice their mutual love for the stability of the Roman Empire.  Bérénice, Queen of Palestine, eagerly anticipates the end of official mourning for Vespatian, former Roman Emperor and Titus’s father, so that Titus may keep his promise of marriage to her, allowing them to claim the titles of emperor and empress (16476).  The two have been waiting for years for this union, all the while seemingly ignoring the Roman law prohibiting the emperor from marrying either a foreigner or a monarch.  Bérénice's idealistic vision of a happy future as wife of the new emperor ultimately yields to the harsh reality that such a union is not possible if Titus is to ascend to the throne.  It is an equally agonizing sacrifice for both parties, but one that does not translate into equitable dividends.

Bérénice resembles Parthénie in that the former also struggles to find a way around the raison d'État dilemma, which forces a choice between romantic and State interests.  However, she differs fundamentally by her absolute and almost brazen refusal, until the very end, to acquiesce to an imperial proclamation, promulgated by her fiancé, that will bring about her emotional ruin. By championing the individual’s rights over those of the empire, for a time, she incarnates the antithesis of the raison d’État justifications of State power cited earlier.  Racine’s work also deviates from a traditional raison d’État apology by portraying an emperor whose wishes are diametrically opposed to those of the empire.  The fact that even a sovereign must bend to a non-divine superior authority conjures the image of an abstract and overwhelming State entity.[3]

In Act I, despite the dictates of Roman law, Bérénice convinces herself Titus's promise of marriage will win over the Roman populace:

Le temps n'est plus, Phénice, où je pouvais trembler.
Titus m'aime, il peut tout, il n'a plus qu'à parler.
Il verra le Sénat m'apporter ses hommages,
Et le peuple de fleurs couronner ses images. (297300)[4]

In Act II, she dismisses the possibility that Titus will not flout the law and chooses to believe that his abrupt departure in the previous scene is due to his jealousy of Antiochus, the king of Commagene, who has declared his love for the queen (64051).  Desperately clinging to this unlikely explanation, she refuses to entertain others: “Ne cherchons point ailleurs le sujet de ma peine” (652).  Bérénice continues to reject the either/or reality of her circumstances in Act III in which she still contends Titus will disobey the law because reneging on his promise of marriage would be an affront to his personal honor (90608).  It is not until the final act that Bérénice internalizes the fact she must renounce her love and accept banishment, but she pays a higher price than the new emperor.

Titus's more dichotomous perspective of their predicament allows him to see the grave consequences Bérénice will have to face as a result of his decision to banish her.  He sees no middle ground and recognizes the injustice of his attempts at reparation as he exclaims to his “confident”:

Je lui dois tout, Paulin. Récompense cruelle!
Tout ce que je lui dois va retomber sur elle.
Pour prix de tant de gloire et de tant de vertus,
Je lui dirai: «Partez, et ne me voyez plus.» (51922)

The emperor knows full well, and Paulin reminds him, that the Senate will accord new lands to Bérénice upon her departure from Rome (52227).  He makes a similar offer to Antiochus as payment if he will be the bearer of the bad news and take her away (74167).  But Titus is aware that these offerings are merely “Faibles amusements” (528) for the queen, “Je connais Bérénice et ne sais que trop bien / Que son coeur n’a jamais demandé que le mien” (52930).

This is not to say she is blind to the pomp and pageantry surrounding the new emperor.  Indeed, Bérénice sees the trappings of power, but fails to realize that if Titus embraces them, she must relinquish them, to preserve Roman stability.  Still hoping they may reign together, she becomes swept up in the excitement.  Of the recent ceremonies, she says:

Ces flambeaux, ce bûcher, cette nuit enflammée,
Ces aigles, ces faisceaux, ce peuple, cette armée,
Cette foule de rois, ces consuls, ce sénat,
Que tous de mon amant empruntaient leur éclat; (30306)[5]

Such observations in reality constitute of list of the perks Titus will enjoy, and Bérénice will surrender, when he orders her exile.  A life together is only possible if he abdicates and they both abandon Roman splendor—a prospect the emperor briefly contemplates before quickly realizing that even Bérénice would be unhappy with “Un indigne empereur, sans empire, sans cour / Vil spectacle aux humains des faiblesses d’amour” (140506).

Mitchell Greenberg underlines this almost insidious atmosphere of absence and “melancholia” that goes beyond the “psychological state of the protagonists” and grieves for a union of opposites that can never be.  He sees Racine’s tragedy as an “allegory of a more profound loss that the play…mourns in ways that are perhaps forever incomprehensible to it itself” (80).  There is no doubt Titus, allegorically associated with familiar, Western culture (Greenberg 79), is tortured by this profound feeling of alienation stemming from having fallen in love with Bérénice, symbolic of the exotic Orient (Stone 225, Greenberg 79).  This allegory aptly describes an unbridgeable chasm, lurking in Titus's psyche, between Rome's vision of itself as a disciplined, ordered society and the East as a decadent culture of forbidden sensuality (Stone 225).  What is “coded as male and Roman” stands in stark contrast to “otherness: beauty, female, oriental” (Greenberg 82).  Titus's Roman indoctrination teaches that foreigners do not understand that individual desire for advantage or stature can exist only insofar as they perpetuate the glory of the State.  As a foreigner, then, Bérénice cannot fathom Titus’s acceptance of an ideology that dictates he must sacrifice his desire for her for the good of the empire.  Thus, she persists in her stubborn belief that Titus will not withdraw his marriage proposal for fear of acquiring a dishonorable reputation (90608).  The queen “confuses Titus's ‘gloire’ as personal honour…with the reality of his ‘gloire’ in the political sphere” (Barnwell 24).  She accurately gauges his sincere love for her and, following the cultural norms of her homeland, naturally assumes he will indulge his passion, allowing it to lead him to union with her. Yet Bérénice misunderstands Titus's adherence to a Roman ideology that sees willingness and ability to suppress emotions as necessary qualities of a fit ruler.  Loss of self-control is unacceptable in a Roman potentate and would turn Titus into nothing more than “a slave to a passion defined as Otherness” (Ahmed 291).  Despite his love, Titus aspires to be the ideal monarch characterized by his control of his emotional, internal chaos provoked by the clash between his overpowering, fervent affection and his simultaneous willingness to forgo immediate gratification for a greater good (Han 5).[6]  But no time remains for him to reconcile “deux identités qui, selon la loi romaine, doivent rester distinctes” (Stone 227).  Titus knows the stakes and understands he can no longer defer implementing a decision that will ruin any chance for personal happiness.[7]  As he says to Bérénice: “Mais, il ne s’agit plus de vivre, il faut régner” (1102).

The rewards for submitting to a raison d’État ideology may bring no solace to Titus, but they nevertheless constitute a compensation package seemingly available only to men.  Both protagonists are equally devastated by their renunciation of a life together, yet the advantages are certainly more immediate and ostentatious for Titus.  Paulin describes how the Romans express their appreciation for his actions:

Déjà de vos adieux la nouvelle est semée.
Rome, qui gémissait, triomphe avec raison;
Tous les temples ouverts fument en votre nom,
Et le peuple, élevant vos vertus jusqu’aux nues,
Va partout de lauriers couronner vos statues. (122024)

There are no bonfires of praise for Bérénice and the recompense for her exile is substantially inferior to that of the emperor.  She and Antiochus will receive the aforementioned lands, but, as Pierre Han observes, this territorial expansion still only serves as an outpost of Rome’s power (5).  The queen also departs with her honor intact, fully aware that she would have been the “woman scorned,” both by the emperor and the Roman people, had she stayed after Titus’s decision to abandon her (117980). In her last verses of the play, which take the form of wistful and wishful thinking, she expresses only a faint hope that others will some day remember their example of tender and doomed love:

Adieu: servons tous trois d’exemple à l’univers
De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse
Dont il puisse garder l’hstoire douloureuse. (150204)

But even if the collective memory of the empire honors their sacrifice, any adulation would be shared among all three protagonists.  The tally is clear.  Despite Bérénice's initial audacious offer of an alternate life, Racine has her internalize the inevitability, if not the justification, of a State much as Richelieu envisions it: one that exists to augment its own supremacy and to achieve its territorial and economic objectives (Keohane 176).  Both rulers must accept the same agonizing loss of an intense passion so Rome may continue to reign as the most powerful empire of the known world.  Titus will be cherished for years as its courageous leader while Bérénice is banished to its outer rim.

Catherine Bernard's Laodamie, reine d’Épire reveals some of the problems especially pertinent to an unmarried female sovereign.[8]  Bernard features strong women, motivated by a mix of their devotion to each other and to a suitor as well as to the State, who receive rather muted praise for their actions.  The play begins with the eponymous heroine resigned to the prospect of passionless matrimony with Attale, Prince of Paeonia.  The queen has renounced her love for Gélon, a Sicilian prince and successful warrior she has promised to her sister, Nérée, in deference to her father's wishes and because Attale's military prowess would assure the kingdom's safety (125760).  The queen's struggle to serve her country, her sister, and herself is complicated when news of Attale's death pushes Paeonia to threaten war and incites Epirus to clamor for Gélon as its new king.  The incompatible loyalties of the sisters clash until Nérée decides to retreat to the Temple of Diana so Gélon may wed Laodamie thereby forming a solid and popular union that will defend the realm.  Her fiancé dissuades her from entering the temple, the palace guards take her away, and a crowd gathers hoping to convince Gélon to disobey the queen's order to banish him as punishment for his refusal to accept the throne.  Sostrate, a pretender to the throne and Attale’s assassin, attacks Gélon who kills Sostrate just as Laodamie arrives on the scene.  One of Sostrate's men seeks revenge, but slays the queen as she protects Gélon.  The play ends as Nérée offers Gélon her hand and the throne.

Bernard paints a world of dubious or tenuous connections between personal sacrifices for the raison d'État and the compensation they supposedly produce.[9]  Like Parthénie and, eventually, Bérénice, Laodamie and Nérée submit themselves to the will of a State that offers them few rewards for their readiness to endure hardship, in this case, forfeiture of a felicitous marriage with Gélon.  Although the play is set in antiquity, the sisters seemingly accept the prevailing seventeenth-century ideology that theneeds of the realm supercede individual wants. Their sacrifice may not be as extreme as Parthénie’s or Bérénice’s, but Bernard's heroines inject new criteria into the debate by introducing poignant, sisterly pain and empathy as serious factors essential to their raison d'État deliberations.

The opening scene makes clear Laodamie consents to a union with a man she does not love for the good of the State (1228), but any personal gain or “gloire” she would acquire for her sacrifice is unclear.  There is no mention of gratitude among her people or even any indication they are aware of her gesture.  Already queen, she could hardly hope for higher rank and may even expect her power to diminish as she would, at best, have to share it with the new king and, at worst, see it wrested from her altogether.  Attale's untimely death removes that onerous eventuality while introducing an opportunity for both personal gain and loss.  Marrying Gélon would secure a union with a man she loves, protect her territory from imminent invasion from Paeonia, and please the populace, but comes with the price of betraying Nérée.  In a moment of sisterly tenderness rarely seen on the stage at this time, the queen summarizes their utterly impossible situation:

A cette guerre encor Rome va prendre part.
Pour mon peuple effrayé, serai-je sans égard?
Il demande pour roi le prince qui vous aime,
Dites, que puis-je faire en cette peine extrême?
Je vous aurais peut-être épargné de l'ennui,
En vous désavouant ce que je sens pour lui.
Mon amitié n'a pu se résoudre à se taire, (84753)

Laodamie makes the heart-wrenching decision to offer Gélon the throne, in essence, by proposing to him, and to banish him if he refuses:

L’on a besoin d’un roi, vous le voyez assez.
La guerre dont encore nous sommes menacés,
Par un roi seulement peut être soutenue;
Un roi seul peut calmer la populace émue. (122124)
******************************************

Si vous ne régenez pas, fait que je vous exile.
Mes sujets à l’aimer seraient toujours portés.
Les détours seraient vains: ou régnez, ou partez. (1232)

Although she stresses the offer stems from popular pressure and the urgent need for a military leader, the tremendous personal advantage she would gain diminishes the “gloire” traditionally associated with a purely raison d'État sacrifice.  In any case, her offer carries little consequence since Gélon's preference of exile over offending Nérée denies the queen even the opportunity to prove she is willing to endure personal loss—Laodamie’s marriage to Gélon would alienate the queen from her beloved sister— for the good of the State.  Assassinated in her final selfless act, it remains unclear whether her motivation is to protect a man she loves or a valued soldier whom the people have already declared king (132528).  In any case, there are no songs, accolades, or predictions of celebrations of the queen's legacy.

Nérée's goodwill parallels Laodamie's in that she is willing to sacrifice for her country, but she never gets the chance.  She sees Gélon is the people's choice: “On vous appelle au trône…” (910), knows her love has been an obstacle to his royal destiny: “Mon amour inquiet vous ôtait la couronne;” (937), and fears the wrath of her compatriots if she is seen as the impediment to his national leadership: “Verrais-je contre moi tout un peuple en furie, / Me reprocher les maux de ma triste patrie?” (95758).  Nonetheless, Nérée's rather original solution of accepting a life of isolation draws neither praise nor admiration.  The queen, having ordered Nérée's return from the temple, does little more than curse the gods and express jealousy that Gélon thinks only of pursuing his fiancée after refusing the crown (12951312).  The prince's wailing and begging of Nérée (131819) are completely consistent with a character who cares only about love and nothing about the will or fate of the people (899, 944, 96567).[10]  Even the citizens of Epirus give only the faintest acknowledgement to the inner struggles of Nérée and Gélon: “Tout le peuple est touché d'un si parfait amour” (1322).  Despite the fact the women surpass the men in their willingness to sacrifice for the State, they are denied both the chance to execute their plans and the admiration usually accorded such efforts.[11]

Our fourth play features a queen who ostensibly fulfills her duty to the State by endangering her own life to defend the contemptible Cambyse, King of Persia, who has threatened her with expulsion and death.  Even though her actions lead to the king’s demise, her assertion that she was trying to protect her husband goes unchallenged largely because she brings about a regicide welcomed by all.  Yet she reaps no recognition and no reward for the personal risk she undertakes.  Marie-Catherine Desjardins, the future Mme de Villedieu, takes poetic license with a story found in Herodotus to dramatize the tale of Nitétis, Queen of Persia.  Nitétis is forced to marry the monstrous Cambyse who shows utter disregard for his people and their customs.  Nitétis deplores, but will not stop, her husband’s plan to dethrone her by marrying his own sister, Mandane.  The queen’s respect for the State is so extreme that, when faced with rebellion, she garners forces to protect the king, believing lèse-majesté to be a more serious crime than royal incest.  To everyone’s relief, the king mistakes the guards sent to protect him as a contingent of attackers and commits suicide.

Like Bérénice, Laodamie, and Nérée, Desjardin’s heroine realizes her first obligation is to the State. At times, she mirrors Parthénie’s immutable dedication to her duties as wife and queen even though Nitétis is convinced such devotion may strip her of both roles and despite the widespread support for rebellion against the king.  Where Nitétis differs radically from the other heroines, and especially from Parthénie, is in her bold actions that suggest she has, in her mind, separated the State, Cambyse as husband, and Cambyse as king.  To the State and to her husband, she will remain loyal, but as for the king, she seems to decide he has forfeited his right to rule and thus Nitétis has no choice but to assume the role of a temporary, legitimate sovereign to restore order to the State.[12]

Early on, however, none of her words or deeds implies she has made such a mental leap nor that she is thinking of such drastic action.  Aware of Cambyse’s criminal behavior, Nitétis remains unmoved when Mandane and Smiris, Mandane's and the king’s brother, suggest resisting the king’s plan to wed his sister:

…les crimes du roi vous semblant détestables,
Vous formez des desseins encor moins pardonnables; (18182)

*********************************************
Quoi qu’à sa cruauté Cambyse ose permettre,
Il vaut mieux le souffir que d’oser le commettre. (18586)

She remains steadfast even as others foment revolt and the king threatens her life.  In Act I, Predaspe, head of Cambyse’s personal guards, informs the king that Smiris is encouraging Mandane’s resistance (30510).  In Act II, Smiris echoes the advice of Evandre (the royal advisor from L’Innocente infidélité) by exhorting Prasitte, Mandane’s suitor, to entice Nitétis to dethrone the king for the sake of her own ambition, for the good of the State, and to eliminate the royal rival for Mandane’s affections (32124).  He further assures Prasitte that the Persians are ripe for rebellion, favor Nitétis, and that he is ready to excite the people’s revolutionary passions (33442, 44346).  Smiris even dares to tell his brother/king that nature itself opposes his incestuous union and, in that sense, puts the monarch on the same plane as ordinary men (50514).  In Act III, Cambyse catches the queen in conversation with Phameine, her former lover and prince of Egypt, who has escaped from the king’s prison.  It is in this scene where Nitétis may be initiating her mental division of Cambyse as husband and king.  In this exchange, she rarely refers to his royal authority, yet talks of “la foi” (816) and “l’honneur” (819) she owes to a cruel man only because he carries the title of husband: “Ainsi malgré ta haine, et ma première ardeur [for Phameine] / Le devoir t’a rendu le maître de mon coeur:” (82324).  Nitétis makes it painfully clear that her respect is reserved for the institution of marriage:

Que c’est au nom d’époux que mon âme se donne,
Qu’en t’aimant comme tel j’abhorre ta pesonne,
Et que si dans ta place un monstre avait ma foi,
Il aurait dans mon coeur le même rang que toi; (82932)

Later in this conversation, when she does allude to Cambyse as king, her words sound like a warning:

Mais lorsque dans un prince au crime abandonné,
Je vois ce même époux que les Dieux m’ont donné,
Que la raison me dit que la foudre s’apprête,
Et que ma foi m’oblige à craindre pour sa tête, (85558)

Cambyse, undaunted, threatens to torture and kill Phameine in front of her and then do the same to her (87985), to which Nitétis replies somewhat enigmatically:

Ah! méchant, ah! barbare,
Vas-tu donc immoler un mérite si rare?
Ha! courons sur ses pas, et détournant ses coups,
Epargnons s’il se peut un crime à notre époux. (88588)

This seemingly tepid response may represent Nitétis’s marital loyalty to a fault and her respect for the raison d’État.  Yet, her only concern seems to be “sparing” her husband, not the king, from committing another crime, as though she had the power to stop it.

If Nitétis, at the end of Act III, has mentally separated Cambyse as ruler from Cambyse as husband and decided on her course of action, it is never explicitly revealed.  She does not appear in Act IV whose conclusion brings news of a popular rebellion.  Apprised of the revolt, Nitétis reappears in Act V and explains to Mandane her efforts to save Cambyse even though, once again, she realizes she has little chance of success: “Eh bien que dans l’état où le sort me réduit, / Je dusse de mes soins espérer peu de fruit,” (121516).  Nonetheless, the queen takes charge of the palace guards, leads them to free Phameine, then guides them to the king.  At this point, Nitétis returns to the palace (122060) discovering, only after Prasitte’s arrival near the end of the play, that the king commits suicide rather than face what he believes to be a mutinous mob (134150).

Throughout the final act, Nitétis insists that she suppresses all other motivations and acts only for the welfare of Cambyse. Yet, the narration of her rescue operation shows her more preoccupied by her duty as a wife than as a loyal subject to the king:

J’apprends que mon époux était presque aux abois.
A peine ce récit a frappé mon oreille,
Qu’au milieu de mon coeur mon devoir se réveille;
Il ne me souvient plus des injures du roi,
J’oubliai tout, Princesse, hors les lois de ma foi. (124044)
*******************************************
Ce prince [Phameine], mes désirs, ma crainte, mon courroux,
Tout [céda] dans mon âme au péril d’un époux. (124748)

Her final words, which dispel any immediate hope of marriage with Phameine and omit any reference to her ascending to the throne (135986), seem consistent with her character throughout the play.  Nonetheless, I would like to entertain two questions by Nina Ekstein, which may reveal other forces at work.

Ekstein asks: “Who is responsible for Cambises’s death?  Shouldn’t she [Nitétis] have known better than to send Phameine to save him?” (219).  In other words, what can (or should) Nitétis reasonably believe the king’s state of mind to be when he encounters the forces ostensibly sent to protect him?  Furthermore, what exactly are Nitétis’s intentions given the likelihood she no longer sees Cambyse as a legitimate sovereign and the fact that she seems to be acting in that capacity?  Nitétis makes no statement on these matters, but an examination of the chain of events that leads to that meeting provides evidence she knew or should have known the king would die one way or another.  First, amidst the chaos of the popular revolt, Nitétis assembles the palace guards:

Que la garde effrayée abandonnait la place
A cette criminelle et vile populace.
Où courez-vous, leur dis-je, où courez-vous soldats?
Pour calmer votre effroi, venez, suivez mes pas; (122528)

That is, the queen rallies a squadron that has already proven its cowardice in the face of attack.  Next, her first mission for these soldiers is to liberate Phameine.  Freeing a prisoner of the king in time of insurrection, without his permission, is certainly a disloyal, if not treasonous, act.  Moreover, Nitétis does not force his release intending to make him leader of a garrison to protect the king, for her immediate instinct is to hide him (1214).  Soon after, she seemingly changes her mind: “Il ne me restait plus qu’à ménager sa fuite” (1237).  Clearly, these are the actions of someone who either disregards her duty to the realm or sees herself as responsible for it.[13]  Only upon learning her husband is in distress and doubtless vulnerable to attack (1240, referenced above) does she decide to lead Phameine and the guards to Cambyse, presumably to help him.  To summarize, instead of leaving Cambyse’s fate to chance, she decides to allow a suitor, whom she still loves and whom Cambyse has sentenced to torture and death, to direct a band of armed and disloyal men to the king with instructions to shield him against an angry mob.  Finally, conveniently, she leaves. 

Prasitte provides the only other specific details about what happens next, assuring everyone that while Phameine was the monarch’s only defender (1341), the king committed suicide believing Phameine to be an attacker (134750).  This could mean that Cambyse does not see or misjudges Phameine’s role in the mêlée, but, more interestingly, suggests that the queen's paramour is the only combatant who follows her instructions.[14]   Under these circumstances, it is quite unlikely Nitétis could not foresee regicide as the final outcome.[15]  Even though there is no explicit textual proof she intends to precipitate Cambyse's demise, her quick thinking in a chaotic moment highlights an uncanny capacity to remain open to multiple possibilities.  Nitétis rejects the either/or mindset that one must always openly choose between mutually exclusive alternatives, which is the crux of much seventeenth-century tragedy.  Refusing to accept a narrow-minded, black-or-white mentality enables her to see myriad options and allows her to find a way to at least project respect for her husband and to serve the raison d’État by ridding the kingdom of a tyrant while preserving her life, lover, friends, and honor.

Within the historical framework of the raison d’État, it would be difficult to find male characters of the era more pro-State than the women depicted in these plays. Although some of these heroines are more audacious in their actions and thinking than others, they all stand out from the men by their ability to entertain multiple solutions to a dilemma where their male counterparts usually only envision two. Parthénie’s choice to see king and husband as one has little effect on the outcome of the play but offers a fresh perspective on an old dilemma.  Bérénice will find no accolades for eventually adopting what is essentially the typical male response to the raison d'État yet remains a bold leader for seriously considering an alternative approach to such a challenge.  Although more noteworthy for their intentions than their completed actions, Laodamie and Nérée inject the neglected dimension of sisterly compassion into the raison d'État equation.  Finally, Nitétis executes the daring move of temporarily seizing power to save her people from the clutches of a megalomaniacal tyrant, then makes the glaringly un-male decision to relinquish that power.  Clearly the raison d’État provides more reasons to some than to others.

WORKS CITED

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[1]Paul Bénichou observes that, during the first half of the era, tragedy sought to excite this same kind of admiration among spectators for grandiose action and noble sentiments, as “tout était orienté vers le grand” (175).

[2]For an excellent discussion on kings and the raison d’État, see Ferrier-Caverivière.

[3]For a thoughtful exploration of the paradox of sovereign authority as embodied in a human ruler and as an abstract construct, see Keohane 17.

[4]For a short while, Titus also indulges the fantasy that Rome will accept his marriage to Bérénice, but promptly recognizes his self-delusion (1000–24).

[5]Noting the “queen's attraction to the discrete, the quantitative, and the cumulative,” Ellen McClure sees Bérénice's ebullient admiration of this spectacle as her attempt to recreate the “moment of love at first sight” with Titus (310).

[6]This ideology of self-control is not just a prescription of virtuous behavior for theatrical characters.  It is indicative of a larger societal ethos of the second half of the seventeenth century that advocates the use of absolutism, reason, and morality to combat an inherently corrupt human nature (Rohou 5354).

[7]Mary Reilly's blunt and accurate description of the dénouement foresees a “dream of eternal life together transformed into the nightmare of never dying…an eternity of anguish and alienation…everlasting torment, an existence attuned to hell” (96).

[8]This was not merely a theatrical conflict; the Early Modern period is replete with examples of women holding de facto, if not de jure, power.  Despite Salic Law, France witnessed three female regencies during this period—Catherine de Médicis (156064), Marie de Médicis (161017), and Anne of Austria (164351)—while Jeanne d’Albret, mother of the future Henri IV, was queen and sole ruler of Navarre from 156277.  Elizabeth I’s reign over England during the 1500’s and Queen Christina of Sweden (16321654) provide evidence France was not the only nation grappling with the extension of monarchical authority to women.  Nonetheless, by the seventeenth century, at least in France, a queen’s temporary right to rule if her father or husband/king was absent or incapacitated was largely undisputed (Gibson 14243).

[9]This is a theme common to several French dramatists of the century and their female protagonists. Philippe Quinault's Astrate (166465) recounts the story of Élise, Queen of Tyre, whose murderous rise to power brings only the threat of constant rebellion.  She assassinates her predecessor only to discover she is in love with his son.  At play's end, her suicide helps restore the rightful heir to the throne but garners no appreciation.  Gautier de Coste de La Calprenède, Thomas Corneille, and Claude Boyer offer their versions of the Comte d'Essex (1638, 1678, and 1678, respectively).  Corneille's adaptation portrays an especially tortured Queen Elizabeth I who must order the execution of her beloved count for his alleged participation in a conspiracy, even though her unrequited love is also a motivating factor.  Whatever her incentive, she gains no praise for her strength of character.  My thanks to Perry Gethner for bringing these plays to my attention.

[10]Perry Gethner highlights how Bernard reworks male heroism, making Gélon into a character who “ne ressent pas la moindre fidélité envers sa famille ou son pays natal, est dépourvu d'ambition politique, et ne recherche que la gloire personnelle en accumulant des exploits et gagnant l'amour de sa dame” (Femmes…Tome I 186).

[11]Outside the theater, this was not always the case.  Women were sometimes rewarded with land for exceptional service to the State (Gibson 15758).

[12]Nitétis’s actions parallel those that Gabriel Naudé (160053) calls “coups d’Estats” which are only permissible to a king in desperate times and include reviving a corrupt kingdom (Keohane 173).

[13]She refers to the squadron of guards as “ma troupe” (1249) and is hailed as “reine” four times during the last act (1293, 1321, 1338, 1346).

[14]Prasitte's entire account of the conflict could, of course, be suspect because, as Mandane's fiancé and a supporter of Nitétis, he has an interest in recounting a version of Cambyse's death that maintains the queen's innocence.

[15]While Desjardin’s text makes no allusion to Charron’s list of acts permissible to a sovereign, Nitétis’s actions could be seen as authorizing a secret execution (Church 76).

Site Sections (SE17): 

Le corps souffrant au XVIIe siècle (à travers le Journal des Sçavans)

Article Citation: 
XIII, 2 (2011): 1—30
Author: 
Francis Assaf
Article Text: 

Dans les premiers Temps modernes (XVIe– XVIIIe siècles), la philosophie informe a priori la médecine dans un très grand nombre de cas et pour un très grand nombre de médecins, en particulier ceux de la faculté de Paris, qui sont pour la plupart mécanistes, c’est-à-dire disciples de Descartes (infra). Dans la cinquième partie du Discours de la méthode (1637), le philosophe qui, sans être médecin, avait pourtant de bonnes notions de cette science, a énoncé les principes fondamentaux du mécanisme :

Ce qui[1]ne semblera nullement étrange à ceux qui, sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l’industrie des hommes peut faire sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps une machine qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée, et a en soi des mouvements plus admirables qu’aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes (Discours de la méthode 78–79).

Il réitérera sa position dans une lettre à Mersenne, datée du 20 février 1639 :

La multitude et l’ordre des nerfs, des veines, des os et des autres parties d’un animal ne montre point que la nature n’est pas suffisante pour les former, pourvu qu’on suppose que cette nature agit en tout suivant les lois exactes des mécaniques, et que c’est Dieu qui lui a imposé ces lois. […] [J]e n’y[2] ai trouvé aucune chose dont je ne pense pouvoir expliquer la formation par des causes naturelles […] (Œuvres 1050).[3]

Qui dit médecine mécaniste, dit diagnostic et traitement mécanistes. Mais qu’est-ce que le iatromécanisme ? C’est un terme qui apparaît en fait au XVIIIe siècle (bien que les pratiques médicales fondées sur le mécanisme de Descartes datent de bien plus tôt) et qui dérive lui-même du terme mécanisme, défini en 1701 dans la deuxième édition du Dictionnaire Universel de Furetière (1re édition 1690) en ces termes : « ‘[S]tructure d’un organisme naturel ou artificiel et action combinée de ses parties’. Très vite le terme mécanisme revêt un sens philosophique plus large selon lequel le mécanisme est l’opinion qui admet que tout dans la nature est produit par les propriétés mécaniques de la matière »[4]. On peut donc dire que le iatromécanisme est une doctrine médicale et physiologique qui enseigne que la matière vivante fonctionne selon les lois de la mécanique. Parmi les premiers iatromécanistes formels ont été l’Italien Giorgio Baglivi[5](1668–1707), l’Écossais Archibald Pitcairne (1652–1713) et le Français Philippe Hecquet (1661–1737).

Semblablement, les iatrochimistes traiteront leurs patients en conséquence de leurs engagements idéologiques. Le iatrochimisme a été conçu par le Suisse Paracelse (1493–1541)[6], qui redécouvre les philosophies néoplatonicienne, hermétique et atomiste de la nature (Brockliss & Jones 119). Le système échafaudé par Paracelse, fondé sur l’observation directe plutôt que sur l’autorité des Anciens, est mis en forme selon un système cohérent par le célèbre anatomiste et physiologiste néerlandais François de Le Boë, dit Sylvius (1614–1672). Ce dernier suppose un corps subtil mais matériel qui règle et dirige les réactions chimiques dans l’organisme humain, dont les fermentations, les effervescences et autres phénomènes sont la manifestation. Selon lui, la maladie est due à un déséquilibre entre l’acidité et l’alcalinité des humeurs, lequel déséquilibre doit être corrigé chimiquement. En conséquence, les remèdes chimiques visent à rétablir l’harmonie entre l’acide et l’alcalin. On en présentera en exemple la « corne de cerf préparée philosophiquement ». Voici comment se fait cette préparation : « on prend des morceaux de corne de cerf ; on les arrange dans le chapiteau d’un alembic, où l’on fait distiller quelque herbe, & après avoir remis le chapiteau, on laisse ainsi ces morceaux de corne à la vapeur de l’alembic, laquelle les ramollit considérablement[7]. »

La source primaire dont je me sers dans cette étude consiste en les cinquante premières années du Journal Des Sçavans, c’est-à-dire les numéros sortis durant le règne de Louis XIV, depuis le début de parution en 1665 jusqu’en 1715, date la mort du Roi-Soleil. Adoptant une approche thématique, je poserai la question suivante : de quelles maladies souffrait-on au XVIIe siècle et comment est-ce qu’on les traitait ? La réponse à la première partie ne comporte pas de difficultés particulières : celles qui retiennent en premier l’attention des médecins ainsi que des chroniqueurs et mémorialistes sont les épidémies, l’épidémie de peste qui ravage la France en 1628–1629 et de nouveau en 1634[8], puis qui frappe l’Angleterre en 1665[9](la Grande Peste de Londres), ensuite celle d’Autriche et de Bohême en 1679, dite peste d’Allemagne, dont je parlerai plus bas. Si elles causaient d’immenses ravages dans les populations européennes aux XVIIe et XVIIIe siècles, elles n’y existent plus de nos jours, du moins sous cette forme[10]. Par ailleurs, les maladies individuelles, chroniques ou non, étaient sans doute à peu près les mêmes qu’aujourd’hui (à part peut-être le Sida, mais certainement, depuis au moins le XVIe siècle, la syphilis et autres maladies sexuellement transmissibles), encore que les possibilités de diagnostic dont étaient capables les praticiens du XVIIe siècle fussent sérieusement réduites par rapport à celles dont on dispose de nos jours. On peut citer en exemple les causes de décès dans la commune de Plougonver[11]entre 1640 et 1660 (Brockliss & Jones 51)[12].  Les plus fréquentes, par ordre d’importance, sont dues à des maladies respiratoires. Viennent ensuite diverses fièvres, puis la vieillesse, les troubles digestifs (l’hydropisie y est comprise), les traumatismes, la dysenterie, la variole, diverses infirmités, apoplexies et morts subites, le paludisme, les cancers, enfin diverses causes non identifiées. A part les maladies infectieuses dues à des conditions d’hygiène douteuses comme la dysenterie, largement éliminées aujourd’hui en Europe, on peut voir que les gens souffraient plus ou moins de ce dont ils continuent à souffrir aujourd’hui.

Pour en revenir au Journal Des Sçavans, je mentionnerai des affections les plus communément rapportées par les médecins de l’époque dans cette publication. Il semble bien que les tumeurs attirassent l’attention par leur « visibilité », si l’on peut dire. Je relève au moins cinq articles sur ce sujet, dont le plus détaillé est rapporté dans le numéro du 6 août 1691[13]. Il s’agit d’une étude par le médecin Jean-Adrien Helvétius[14] : celui-ci est un praticien hollandais qui pense que l’origine du cancer est « une petite coagulation de quelque goutte d’humeur dans une glande, & que cette coagulation se peut faire ou par la seule disposition de deux humeurs qui se rencontrent, ou par quelque accident exterieur. » (345).  L’article du Journal Des Sçavans implique qu’il est moderne (« ...une idée des Cancers bien différente de celle des anciens, & beaucoup plus propre à nous satisfaire. ») En dépit de l’erreur (en 1691 on ne connaît pas encore la nature cellulaire des tissus, malgré l’existence de microscopes capables d’identifier les cellules), il note que beaucoup de cancers sont dus à un traumatisme.  Il reconnaît également que plus tôt le cancer est identifié, plus il est traitable.  Il reconnaît également la métastase du cancer, qu’il appelle le « levain ». 

Méthodes de traitement:

Si l’humeur n’est pas encore durcie, la dissoudre ou la consumer par quelque remède caustique.

Si l’humeur est complètement durcie, il faut se garder d’appliquer quelque remède que ce soit, de peur d’en disperser le levain (danger de métastase); il faut extirper la tumeur.

La mastectomie radicale n’est pas inconnue, mais il reconnaît que si le cancer s’est communiqué aux ganglions lymphatiques du thorax, la guérison n’est plus possible. L’article mentionne également l’opération du cancer sur une Anglaise à Paris, sans dire au juste de quel cancer il s’agit, mais il est possible que ce soit celui du sein[15]. Le chirurgien choisi pour l’opération est La Vergne, premier chirurgien de Mademoiselle[16].  L’opération a lieu en public et consiste en l’extirpation de la tumeur, qui ne semble pas s’être métastasée.  Après l’opération la plaie est pansée et la totale guérison semble s’en être suivie. Helvétius a même inventé une pince spéciale pour opérer les tissus cancéreux.

Les affections urologiques, principalement la pierre (calculs de la vessie) préoccupent aussi beaucoup la Faculté : je relève au moins huit articles traitant de cette affliction, avec des détails sur les opérations (opération de la taille) effectuées pour soulager le (ou la) malade, le plus détaillé étant celui qui apparaît dans le numéro du 1er  février 1700[17].  Il rapporte une opération ayant eu lieu des années auparavant. Le Journal Des Sçavans décrit ainsi l’opération pratiquée à Bordeaux : le 24 juillet 1663, un dénommé Raoux se présente pour faire l’opération.  Il fait placer le malade sur les genoux d’un valet, sur le « petit appareil »[18]. Il introduit l’index et le médius gauches dans l’anus du patient et pousse le col de la vessie avec le pouce vers la gauche.  De la main droite, il effectue une incision au périnée avec le bistouri, ouvrant le col de la vessie avec les tissus du périnée.  Poussant la pierre avec les doigts, il la fait sortir.  Relâchant le col de la vessie, cette dernière reprend sa place normale.  Les deux incisions du col de la vessie et du périnée ne coïncidant plus, il n’y a pas de danger que le patient rende l’urine par l’incision de la vessie, les incisions se refermant d’ailleurs très facilement.

On notera que, pour les cas de cancer comme ceux de la pierre, le traitement est chirurgical plutôt que médical. Longtemps tenues par les facultés de médecine pour inférieures à la médecine proprement dite[19], la chirurgie, l’obstétrique sont moins dépendantes des dogmatismes, plus empiriques, donc plus reconnaissables dans leur pratique, pour nous autres contemporains.

Il est évident, en l’absence d’antibiotiques ou même d’antiseptiques efficaces, que les difficultés et les sérieuses complications ne manquaient pas en médecine comme en chirurgie, à une époque où la pharmacologie et la thérapeutique étaient primitives, toxiques, dogmatiques. Qui plus est, le traitement médical est informé, au moins dans la Faculté de Paris, par une idéologie souvent intransigeante, régissant la perspective iatromécaniste, qui s’oppose, comme on l’a dit plus haut, à la perspective iatrochimiste, laquelle a hérité de Paracelse une attitude relativement plus pragmatique.

Une autre maladie qui revient dans le Journal Des Sçavans au moins à quatre reprises est la goutte.  Inconscient en apparence des contradictions qu’il publie, le journal énumère les causes et traitements de cette affection, aussi diverses les unes que les autres. Fait assez rare, le premier en date des articles sur le sujet (numéro du 2 août 1677) représente l’opinion propre du journal : la goutte serait causée par une inflammation du périoste due à une vapeur maligne, froide ou sèche. Le traitement doit être la moxibustion[20]d’une herbe (non identifiée) utilisée depuis toujours en Chine et au Japon. D’autres articles (1683, 1689, 1708) en évoquent les causes comme un tempérament froid et humide, l’envahissement des articulations par la pituite[21]qui coule en excès du cerveau, un défaut du sang artériel ou encore l’hérédité. Les traitements sont eux aussi hétérogènes, consistant surtout en absorption de lait de chèvre, de vache ou d’eau.

En plus des maladies ordinaires, comme la goutte, le Journal Des Sçavans rapporte fréquemment des états exceptionnels, voire monstrueux.  On en mentionnera trois, rapportés par  les praticiens de l’époque. Bien que sans relation véritable l’un avec l’autre, les exemples suivants illustrent le penchant du Journal à mettre en relief les cas spéciaux, voire ceux qui défient la science médicale (telle qu’on la comprenait et la pratiquait à l’époque) ou même la vraisemblance (infra).

On relève dans le numéro du 11 novembre 1688[22]l’extrait d’une lettre de M. Courtial, médecin de Toulouse, sur un « trou trouvé au ventricule[23]d’une personne de la même ville », et dont voici le résumé succinct : une jeune dame, tourmentée de douleurs d’estomac depuis son enfance, meurt des suites d’une fièvre continue. On s’aperçoit, à l’autopsie, qu’elle a dans l’estomac un trou ovale. Suit une description minutieuse du trou avec remarque qu’il était bouché par un des lobes du foie, qui y adhérait très fortement.

La lettre rapporte un certain nombre de réflexions sur ce qui a pu causer ce trou et surtout ce qui l’a empêché à la fois de se refermer et de s’étendre. Courtial conclut que l’ulcère initial a dû se former dans l’enfance du sujet et se perforer, mais que le lobe du foie (ou la membrane qui l’enveloppe) s’est collé exactement dessus, l’empêchant de s’étendre ou de provoquer un épanchement dans la cavité abdominale[24], ce qui a permis à la jeune fille de survivre jusque-là. Toulousain, Courtial devait avoir effectué ses études médicales soit dans sa ville natale, soit à la faculté de Montpellier, la grande rivale de Paris, résolument moderne et iatrochimiste. Ici, nul dogmatisme mécaniste, mais une constatation de fait. Ce que la lettre du médecin Courtial ne mentionne pas, c’est pourquoi ou comment le lobe du foie bouchant le trou n’a pas été corrodé par l’acide stomacal. Il n’est pas clair, toutefois qu’on ait eu à cette époque une connaissance exacte de cette substance[25]

L’autre cas, dont la description défie plus nettement l’imagination –et la crédulité– et fait douter du sens critique tant de son auteur que de celui du Journal Des Sçavans, est une lettre écrite de Beaune à un certain M. Perron, docteur en droit. En fait, cette lettre reprend un mémoire en latin intitulé Historia admirandæ cujusdam suppresionis alvi, &c., imprimé à Paris chez Jean de La Caille. Pour ce qui est de l’authenticité des faits, elle semble plus que douteuse. Voici en tout cas l’histoire, celle d’une constipation incroyablement rebelle : un gentilhomme de Beaune est pris, vers l’âge de 14 ans, de fortes douleurs au ventre, suivies d’une fièvre qui dure quatorze jours. S’ensuit une constipation totale qui dure trois ans. Il continue cependant à manger et boit force tisanes. La lettre déclare que les remèdes et les aliments se consument entièrement dans son corps sans aucune évacuation. Sa constipation est accompagnée d’urination normale et d’asudation, sauf quand il prenait des purges. Il ne manifeste nul symptôme ou incommodité : ni douleur, ni oppression, ni lassitude, ni dégoût, ni insomnie.

Un jour, en revenant à cheval de Sainte-Claire-de-Seure (à 16 km de Beaune), il est pris d’une fièvre soudaine qui le tient 9 à 10 jours. Au bout de ce temps, il est saigné et purgé. Sa fièvre alors cesse ainsi que la constipation et il retourne à son état normal. Depuis, il jouit d’une parfaite santé.

Diagnostic : le médecin qui l’a traité (saignée et purgation sont les traitements mécanistes par excellence) juge que ses douleurs venaient de « sucs bilieux mêlés de flegmes et d’humeurs crues causées par une trop grande quantité de fruits et de légumes ». Si d’autres médecins trouvent des causes plus probables, dit-il, il sera bien aise de profiter de leurs lumières. Aucun commentaire éditorial du Journal Des Sçavans, qui n’émet pas d’habitude de jugements sur les articles qu’il imprime ou rapporte, sauf rares exceptions. Il s’en remet, de toute évidence, au jugement du lecteur…

Voici maintenant un cas plus surprenant, qui décrit ce qui semble bien être une dépression clinique: c’est le seul cas de maladie psychosomatique que j’ai pu recenser parmi 564 articles traitant de médecine ou de ses domaines annexes, comme l’anatomie, la pharmacologie, etc, entre 1665 et 1715. L’« Extrait d’une lettre hollandoise, qui contient l’histoire d’une létargie extraordinaire »[26]rapporte un cas de dépression chronique, survenu à un jeune Hollandais. Dirkclaas Bakker, de Stolvik (entre Gouda et Rotterdam), est atteint vers le 15 janvier 1706 de ce qui semble bien être une dépression clinique aiguë lorsqu’il apprend, à la mort de son père, que sa part d’héritage ne répond pas à ses espérances. Il en est si fortement frappé qu’il en devient reclus, se cachant toute la journée dans les champs et fuyant la compagnie des gens, y compris des membres de sa famille ou alors il passe des journées entières au lit, ne s’alimentant presque pas. À partir du 18 juin de la même année il devient si faible qu’il tombe dans une léthargie (profond sommeil) dont il ne se réveille qu’épisodiquement. Les soins qu’il reçoit (saignée, purgation, vésicatoires) ne lui apportent qu’un soulagement temporaire. Le 29 juin, on lui fait avaler un vomitif qui lui fait rendre une grande quantité d’« humeurs glaireuses », le réveillant tout à fait, mais il se rendort bientôt. Depuis le 29 juin, il a rendu peu à peu l’eau qu’il avait bue et ne prend que très peu de nourriture, avec les excréments à proportion. Le 13 juillet, il se réveille en sursaut et demande à boire. Il avale 5 grandes tasses d’eau et se rendort immédiatement après sans avoir rouvert les yeux. Il se rendort et reste endormi sans interruption jusqu’au 11 janvier 1707.  Ce jour-là-là il se réveille et se met à parler avec bon sens. Le lendemain il retombe dans son premier état, qui continue jusqu’au moment où la lettre est écrite (14 mars 1707). Il est d’une si grande maigreur que son ventre paraît collé à sa colonne vertébrale[27].

Il faut noter le traitement mécaniste, à base de saignées, de purgations et d’émétique. Thérapeutique brutale et certainement sans effet. Sans vouloir surimposer des concepts contemporains sur les méthodes et attitudes de l’époque, on observe, dans cette description sèchement clinique, que rien n’indique que les médecins ou ses parents proches aient songé à conseiller ou à mettre en effet une modification de l’héritage en sa faveur, chose qui aurait pu produire un effet de soulagement...

Ni le Bourguignon constipé ni le Hollandais dépressif, cependant, n’approchent en intérêt spectaculaire les grandes maladies infectieuses, dont la plus redoutable est l’épidémie de peste, qui frappe deux fois durant le règne de Louis XIV entre 1665 et 1715 (supra). Le médecin anglais Nathan Hodges décrit la grande peste de Londres en 1665 dans son livre δοιμολοτια Sive Pestis Nuperæ Londinis Grassantis Narratio Historica, Auctore Nathan Hodges, M. D., &c[28]. Son livre est divisé en 8 sections.

1.     Origine et progrès de la peste.

2.     Opinion touchant la cause de la contagion. C’est un esprit nitreux et très subtil qui s’exhale de la terre et s’insuffle dans les corps, passant de l’un à l’autre. C’est pourquoi, dit-il, il est très malsain de manger de la chair d’animaux morts de la peste (!)

3.     Principal sujet où réside la contagion : dans les esprits, qui la font passer dans les viscères. Le Journal Des Sçavans ne précise pas s’il s’agit des esprits animaux, chers à Descartes, ou d’une autre forme d’esprits.

4.     Hodges constate une affinité de la peste et du scorbut, sans doute basée sur une observation empirique, les scorbutiques ayant le système immunitaire compromis. Mais il attribue aux deux maladies un principe « salin ». Il note que les goutteux frappés de la peste et qui en réchappent sont aussi guéris de la goutte.

5.     Symptômes de la peste : fièvre, tachycardie, bubons, charbons (taches noires sur la peau). Les bubons viennent du mélange des humeurs salées et des humeurs acides. Nouvelle analogie (vraisemblablement mécaniste) de la réaction de l’esprit de vitriol (acide sulfurique) et du sel de tartre (carbonate de potassium). Il parle des charbons en termes contradictoires : d’une part il cite le cas d’une femme avec un charbon pesteux sur le sein, qui continuait d’allaiter son enfant, et qui est guérie sans contaminer son enfant. D’autre part, il dit que les charbons sont des signes certains de mort.

6.     Pronostics : transformation des états chroniques en états aigus avec symptômes violents. Hémorragie, diarrhée, dysenterie sont des présages de mort. La peste pneumonique est invariablement fatale (ce qui demeure largement vrai jusqu’aujourd’hui).

7.     Moyens de guérir : il est intéressant de noter qu’il tient compte des facteurs psychologiques. Il faut faire prendre courage au malade. Il préconise des remèdes puissants, mais ni saignée, ni émétique, ni purgation. Antidotes : gingembre en poudre ou confit pour faire suer et servir d’antiseptique. Il favorise le bézoard minéral[29], mais pas le bézoard animal[30]ni la corne de licorne. Il recommande l’esprit de corne de cerf (supra).

8.     Prophylaxie pour le moins bizarre : s’exposer au vent du nord, tirer des coups de canon de gros calibre soir et matin, s’exposer aussi à la fumée âcre de bois résineux (peut-être pour purifier l’air ?).

Le nombre de morts de la peste se monte selon le Journal Des Sçavans à 68.596. Comme on voit, aucune observation clinique sur la présence de rats et autres vecteurs de la peste, ni corrélation entre conditions de vie peu hygiéniques et occurrences de peste.

Le numéro du 27 mai 1680 fait voir que des progrès certains se sont accomplis dans la compréhension et le traitement de ce fléau. Un rapport intitulé Histoire de la peste d’Allemagne; son origine, son progrès, les ravages qu’elle a causez &c. 1680[31]raconte les événements lors de la peste noire de Vienne (1679), qui frappe également Prague. L’épidémie est attribuée à la garnison turque envoyée à Neuhäusel[32]. Le Journal Des Sçavans rapporte 52.000 morts. Les estimations modernes portent à 100.000 le nombre de victimes.

Le médecin de la cour de l’impératrice douairière[33], un certain Jean-Baptiste Alprun, imagine un moyen de soigner la peste en analysant le « venin ». Il extrait du pus d’un bubon, le met dans une cornue hermétiquement scellée et le distille, constatant la déposition d’un sel volatil sur les parties supérieures de la cornue. A l’ouverture de la cornue, une telle puanteur se dégage que le Dr. Alprun en est tout ébranlé. Il goûte ce sel et en note l’extrême âcreté, à laquelle il attribue la virulence de la maladie.

Alprun préconise comme meilleurs remèdes contre la peste les sudorifiques, notant que ceux qu’on fait suer abondamment ont survécu à la peste, alors que les autres ont tous péri. Intéressante intersection de la thérapeutique et de la hiérarchie des classes : médecin de cour, il en prépare de compositions différentes pour les riches et les pauvres, de même pour les potions cordiales (On en trouvera des exemples avec un commentaire dans l’appendice)[34]. Il décrit aussi comment il se préserva lui-même de la peste. Comment ? Raisonnant que le « venin » de la peste est transporté dans le courant sanguin jusqu’aux aines et aisselles où il forme les bubons, il lui vient l’idée de se faire (ainsi qu’à 2 de ses amis) une légère incision à chaque aine, où il introduit ensuite un petit tampon pour éviter que la plaie ne se referme et laisse ainsi s’écouler le « venin ».

Suivent des gloses et commentaires sur l’expérience de J.-B. Alprun sur la distillation de la matière extraite d’un bubon pesteux[35]. Le doyen de la faculté de médecine de l’université de Heidelberg critique Alprun sur les risques qu’il a pris dans cette expérience.

Jusqu’ici pas de mesures préventives de masse. Il faut attendre l’année 1715 pour le traité du médecin danois Johann Gottlib Botticher, lequel sort à Copenhague[36]. Tout en étant mécaniste, Botticher fait preuve de pragmatisme dans le 2e chapitre, qui traite de la prévention ; il préconise de brûler des substances aromatiques, de se tenir à l’écart des pestiférés, d’éviter le contact avec les ordures et les lieux où elles se trouvent : égouts, boucheries, hôpitaux. Il faut également éviter les passions violentes, consommer du jus de citron, du vinaigre et de l’ail. Pour ce qui est du traitement, il est empirique. Le Dr. Botticher préconise la saignée prompte et déconseille la purgation. Il est partisan de la sudation abondante.

A part ces épidémies, le Journal Des Sçavans rapporte des découvertes récentes dans le domaine pharmaceutique, dont une des plus notables est le quinquina. Connu en Europe depuis 1650, il est reconnu dès 1679 pour guérir les fièvres (considérées à l’époque comme des maladies plutôt que des symptômes) et non les suspendre seulement. Du point de vue mécaniste, la fièvre est attribuée à un bouillonnement ou fermentation du sang, causée par un « levain » qui tient de l’aigre et de l’âcre et perturbe la circulation. L’action présumée du quinquina est de dissoudre ce levain et de dégager les passages. En médecine mécaniste, saignée et purgation doivent obligatoirement précéder tout traitement quel qu’il soit.

Le nationalisme, voire le chauvinisme, interviennent même dans ce qui est censé être une pure matière scientifique. Le Journal Des Sçavans recense dans son numéro du 8 juin 1682[37]un ouvrage identifié par les seules initiales de l’auteur –N. de B–  publié à compte d’auteur, sur « le remède anglois » c’est-à-dire le quinquina. L’article adopte un ton fortement politique (et polémique !) concernant l’usage du quinquina par l’apothicaire anglais Sir Robert Talbot (1642–1681 ; aussi épelé Talbor ou Tabor)[38]. Ce dernier a laissé des traces dans la littérature française : dans sa lettre du 8 novembre 1680 à sa fille, Mme de Grignan (1646–1705), la marquise de Sévigné (1626–1696) fait mention de lui :

L’Anglois a promis au Roi sur sa tête, et si positivement, de guérir Monseigneur dans quatre jours, et de la fièvre, et du dévoiement[39], que s’il n’y réussit, je crois qu’on le jettera par les fenêtres ; mais si ses prophéties sont aussi véritables qu’elles l’ont été pour tous les malades qu’il a traités, je dirai qu’il lui faut un temple, comme à Esculape (128).

La lettre continue en mettant en relief l’impuissance d’Antoine d’Aquin[40], archiatre[41]du roi, devant la fièvre, bien que le Mercure de France[42]déclare que ce dernier lui aussi se servait du quinquina.

Après avoir abondamment loué la générosité de Louis XIV pour Talbot, l’article du Journal Des Sçavans passe en revue les prétendues erreurs et imperfections de ce dernier dans la préparation et l’administration du quinquina, soit qu’il ait introduit des ingrédients inutiles pour déguiser la formule correcte, soit qu’il ait prescrit un cours de traitement imprudent. C’est tout juste s’il ne le traite pas de charlatan[43] ! Il ne tarit pas d’éloges, par contre, à l’endroit de d’Aquin, qu’il dit avoir rectifié et corrigé les erreurs et malversations de Talbot.

Nous constatons là une claire intervention politique dans l’intégrité scientifique du Journal Des Sçavans : en fait d’Aquin était contre le quinquina ; le peuple se moquait de lui et le comparait désavantageusement à Talbot, chose peu surprenante ; trois ans plus tard, d’Aquin s’était opposé (en 1683, donc) à ce que le chirurgien royal Pierre Dionis[44]opère la reine Marie-Thérèse d’un abcès à l’aisselle gauche, avec le résultat que l’abcès avait crevé dans la poitrine de la reine, entraînant la mort de celle-ci par septicémie. C’est sans doute en réaction contre le praticien d’outre-Manche et pour se faire valoir que d’Aquin adopte l’usage du quinquina. L’année suivante sort un livre de recettes pour la préparation de ce remède avec, là encore, deux niveaux : l’un pour les riches, l’autre pour les pauvres. De 1679 à 1706, nous recensons 12 articles rapportant des ouvrages où il se traite, peu ou prou, de ce produit-miracle. La Fontaine lui donne ses lettres de noblesse en 1682 avec le Poème du quinquina[45].

Mais revenons aux cas de maladie individuels.  Nous rapporterons à présent trois histoires, assez peu spectaculaires ou exceptionnelles au demeurant, encore que pitoyables.  La première porte sur la gynécologie, les deux autres sur la cardiologie. Le Journal Des Sçavans recense dans le numéro du 1er mai 1702[46]l’histoire de Marguerite Malaure[47], qui eut son heure de célébrité à l’époque et qui illustre autant l’incompétence des médecins que la cruauté des lois de l’époque.

Orpheline toulousaine née en 1665, Marguerite Malaure est élevée par le curé de Pourdiac (diocèse de Toulouse). Affectée depuis l’enfance d’un prolapsus utérin extériorisé ou hystérocèle, elle est à 21 ans, en 1686, en service chez une dame, lorsqu’elle tombe malade. Elle est portée à l’Hôtel-Dieu de Toulouse, où l’on s’aperçoit par hasard de son infirmité. L’ignorance du médecin lui fait prendre la jeune fille pour un hermaphrodite ; en conséquence, lui est imposée l’obligation, après consultation des vicaires généraux, de mettre un habit d’homme. Mécontente, Marguerite s’en va à Bordeaux, où elle reprend l’habit de fille et se met au service d’une autre dame. En 1691, elle est reconnue par quelqu’un qui la fait renvoyer de sa place, la forçant à retourner à Toulouse, où elle est emprisonnée pour avoir mis des habits de fille. Les capitouls[48]rendent contre elle une ordonnance le 21 juillet 1691, dans laquelle ils décrètent qu’elle se nommerait désormais Arnauld Malaure, avec défense de prendre le nom et l’habit de femme à peine de punition corporelle. Incapable de gagner sa vie comme servante, elle est obligée d’errer de ville en ville en mendiant, ne sachant aucun métier convenant aux hommes.

Tout en concédant qu’il existe des cas d’ambiguïté sexuelle si bizarres qu’il est difficile de se faire une opinion, le Journal Des Sçavans exprime ici sa désapprobation d’un traitement aussi rigoureux, prenant nettement parti pour la jeune fille, dont la malformation ne pouvait ni ne devait en aucun cas être prise pour de l’hermaphrodisme. Il se montre dur envers l’aveuglement des médecins, qui ont négligé toutes ses caractéristiques féminines (y compris les règles) pour ne voir dans sa descente de matrice qu’un sexe masculin.

Venue en octobre 1693 à Paris, elle est examinée par Saviard[49], qui la fait soigner et l’opère, remettant l’utérus en place « en moins d’un demi-quart d’heure » (281). En conclusion, l’article évoque les très nombreux médecins et chirurgiens qui, après le succès de l’opération, avaient prétendu connaître l’état de la patiente et lui avoir recommandé cette même opération. En fait, Marguerite Malaure a déclaré après sa guérison qu’une seule personne lui avait conseillé l’opération pratiquée par Saviard.

Passons maintenant aux cas d’insuffisance cardiaque : en 1672, Louis XIV nomme Dionis professeur d’anatomie « selon la circulation du sang », encore contestée par la Faculté de Paris quarante-quatre ans après la parution de l’ouvrage de William Harvey (1578–1657) Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus (1628). Dionis pratique des dissections en public au Jardin du Roi (aujourd’hui Jardin des Plantes)[50]. Il pratique aussi des autopsies sur les individus de l’entourage de Louis XIV qui meurent d’insuffisance cardiaque. Nous retiendrons en premier celle d’un personnage important de la Cour, le sieur Besnier, chef du gobelet du Roi[51]. La description de la cardiopathie de Besnier est très claire et d’une grande précision clinique. Il meurt subitement le 2 novembre 1703 en servant le duc de Bourgogne[52]. Dionis trouve les poumons remplis de sang coagulé et d’une consistance plus « parenchymateuse » (comme le foie ou la rate) que spongieuse, avec cardiomégalie[53]. Il semble bien que Besnier soit mort d’une congestion due à une insuffisance cardiaque, le cœur n’ayant plus la force de propulser le sang hors des poumons. L’article ajoute (citant sans doute Dionis) que Besnier était souvent à bout de souffle et forcé de s’arrêter lorsqu’il marchait ou parlait. Dionis attribue la mort à une circulation déficitaire, ce qui est évident pour nous autres contemporains.

Un autre cas cité par le Journal Des Sçavans : le 24 février 1704, le sieur Guillain, valet de pied du roi, meurt subitement. Voulant savoir la cause de la mort avant de partir pour Marly, le roi ordonne une autopsie immédiate. L’autopsie révèle que le poumon gauche est trois fois plus gros que le droit, qui adhère à la plèvre ; il est aussi plein de sang coagulé. Le cœur, très gros, est presque vide de sang. Dionis a pratiqué d’autres autopsies de morts subites et à chaque fois il constate la même chose : poumons remplis de sang coagulé, cœur très grossi et presque vide de sang. Il conclut que les morts subites sont dues à la cessation de la circulation. Curieusement, ni Dionis ni le Journal Des Sçavans ne commentent la cardiomégalie et l’incapacité du cœur à pomper efficacement. Impuissance à lier la cause et l’effet ? Cela semble pour le moins difficile à croire. Il faudrait penser plutôt que pour le chirurgien comme pour le journal (et les lecteurs), la relation est évidente, même si les causes demeurent mystérieuses.

Mais comment la clientèle ordinaire réagissait-elle en gros aux médecins et à leurs pratiques ? Brockliss et Jones rapportent —avec précaution— qu’en dépit des limitations de la médecine à l’époque, le public conservait une certaine estime pour le cops médical. Vu ce qui précède dans le cas de Marguerite Malaure et d’autres, on serait tenté de croire que les médecins et la médecine étaient tenus en mépris.  Or, il semble bien que non.  Dans un passage intitulé « Rereading Molière », les auteurs déclarent que

On the one hand, the obvious limitations of secular medicine and the pain and discomfort of interventionist therapeutics did not bring the art of healing into disrepute, for the sick were perennial optimists. They recognized that in the final analysis the restoration of health was a divine gift, but they accepted too that disease was normally a natural phenomenen (however caused) and that God had given man the natural means of curbing its ravages (336).

Cette position est soutenue par des recherches que les auteurs ont effectuées dans les manuels de médecine de l’époque[54]. Mais cela ne veut pas dire que la caricature que trace Molière, dans Le Malade imaginaire (1673) en particulier, soit entièrement fausse.  Mes lectures sur la médecine telle que la présentent les cinquante premières années du Journal Des Sçavans m’ont amené à conclure que, lorsqu’il s’agit de thérapeutique (en particulier la saignée, la purgation et l’administration de substances toxiques telles que le mercure et l’antimoine), Molière exagère à peine, en fait.

Il existe dans le Journal Des Sçavans de bien plus nombreuses descriptions de la souffrance humaine au XVIIe siècle qu’un texte de longueur raisonnable ne permet de décrire ici. On peut cependant constater à la lecture des articles et recensions, de 1665 à 1715, que la médecine apporte relativement peu de soulagement à cette souffrance. Ce n’est pas que les médecins ne se soucient pas de leurs malades, mais il existe deux obstacles intellectuels majeurs à une pratique efficace de l’art de guérir : le premier est la dépendance d’un engagement idéologique : influence — encore très forte — des Anciens (Hippocrate, Galien)[55], philosophie mécaniste, alchimie de Paracelse, voire la concurrence acharnée entre Paris et Montpellier. Le deuxième est historique et scientifique : c’est l’absence d’une médecine authentiquement expérimentale.  Celle-ci ne verra vraiment le jour qu’au XIXe siècle, avec Claude Bernard[56].

Il existe cependant des figures admirables parmi les praticiens de l’époque, spécialement les chirurgiens (Dionis, Saviard) et les médecins accoucheurs (Mauriceau[57]), mais les prétendues guérisons rapides après saignées et purgations que rapporte le Journal Des Sçavans demeurent pour le moins douteuses. L’intersection de la médecine et des lois, tant laïques qu’ecclésiastiques, comme dans le cas de Marguerite Malaure, ou celle de la médecine et des intérêts financiers, comme dans le cas du Hollandais Dirkclaas Bakker, fait voir à quel point le corps souffrant est laissé à lui-même. Les grands n’y échappent pas plus que les humbles.

Il semble approprié de conclure sur le malade le plus illustre du Grand Siècle, c’est-à-dire Louis XIV lui-même.  On sait qu’il a été tourmenté toute sa vie par de nombreuses maladies et dérangements ; nous nous arrêterons sur trois « étapes » majeures de sa morbidité : la célèbre opération de la fistule anale, en 1686, l’opération de l’autre fistule, naso-palatale, l’année précédente et une brève description de ses derniers jours, à partir d’août 1715[58].

Ézéchiel Spanheim (1629–1710) est un diplomate et savant allemand qui passa neuf ans à partir de 1680[59]comme ambassadeur du Grand Électeur de Brandebourg[60]à Versailles et à Paris. De l’année 1690, il a laissé un important mémoire[61].  Ce long récit commence, justement, par une description de l’opération de la fistule anale du roi, qu’il subit sans anesthésie et avec un courage exemplaire.  Voyons plutôt ce qu’en dit Spanheim :

En 1686, il [Louis XIV] fut atteint d’une fâcheuse fistule au fondement, dont il fut guéri par une opération qu’il souffrit avec beaucoup de courage. L’opération se fit le matin, et, le soir, on tint conseil devant son lit, de même que les jours suivants, jusques à ce qu’il fût guéri. Il a eu depuis des atteintes de goutte et des accès de fièvre intermittente, dont il se guérit par le quinquina préparé par un médecin anglois[62]. Quoique remis de ces maux, il ne laissa point de paroître de temps à autre des abattements qui se répandent dans son air, dans son visage, et même dans son humeur. (1–2)

 Ce qu’il ne rapporte pas, c’est la succession d’opérations sur la fistule palatale de Louis XIV l’année précédente, en 1685. Une extraction dentaire mal faite laisse un trou dans le palais, qui le fait communiquer sur le côté gauche avec la cavité nasale, ce qui faisait couler les liquides par le nez chaque fois que le roi buvait ou se gargarisait.  Dans son ouvrage (q.v.),  Stanis Perez a laissé une saisissante description de l’opération, qui consistait en une série de cautérisations au fer rouge[63]que Louis XIV avait dû subir pour éviter le pourrissement de sa bouche (73–76). Perez  décrit également en grand détail l’opération de la fistule anale du roi (78–87), qui eut lieu le 18 novembre 1686, après des mois de souffrance.

Les derniers jours de Louis XIV sont consignés dans le journal des frères Antoine, garçons de chambre et porte-arquebuses du roi, lequel journal le montre aux prises avec une gangrène d’origine diabétique qui lui pourrit inexorablement le côté gauche du corps, alors que Fagon[64]et les trente-neuf autres médecins du roi prescrivent des remèdes aussi bizarres qu’inefficaces, comme les bains de lait d’ânesse, chose que rapportent en détail les auteurs :

FagonLa nuit suivante du 24 du mois [d’août] et 15. de la maladie le Roy fut attaqué de vapeurs qui l’incomoderent fort et obligerent M. Fagon a faire assembler toute la medecine tant de la Ville que de la Cour pour consulter sur le nouvel accident.

Dans la consultation quils firent après avoir touché le poulx du malade en céremonie comme ils avoient fait cy devant, ils accuserent l’anesse de ce malheur et la disgracierent sous pretexte que son lait n’avoit pas plus de vertu que leurs raisonnements.

Mais qu’ordonnerent ils à la place du remede qu’ils rejettoient ? Rien du tout ; ils visiterent seulement la jambe affligée et y observerent une noirceur au dessous de la jarretiere : cétoit une marque de mauvaise augure qui menaçoit de la gangrene ou plutôt qui l’indiquoit, et ils l’enveloperent de linges trampés dans de l’eau de vie canfrée pour y rappeller la chaleur naturelle (41).

Ce passage n’est qu’un parmi de nombreux autres qui laissent transparaître l’indignation et la rage impuissante des auteurs à voir leur maître bien-aimé s’en aller sans aucun vrai secours de la part des médecins. Mareschal[65], premier chirurgien, préconisait que pour sauver le roi il fallait amputer la jambe, mais Louis XIV s’y opposait sur les conseils de Fagon, protégé de Mme de Maintenon.

Mareschal.jpgPeut-on dire que ces récits de maladies, de difformités et autres misères physiologiques ou pathologiques constituent « l’envers du Grand Siècle ? » Dans la mesure où la maladie et la souffrance affectaient universellement la population, sans égard au rang ou à la fortune, où les morts étaient plus la norme que les guérisons, il faudrait penser plutôt que l’envers du Grand Siècle, ce sont les fastes de Versailles, l’enjouement de la marquise de Sévigné, le génie de Molière, de Corneille, de Racine, la grâce de Poussin, la splendeur de Lully. Le véritable endroit du Grand Siècle, dont nous n’avons le plus souvent qu’une image imprécise, est bien moins agréable à contempler…

University of Georgia


 

APPENDICE

On présente ci-dessous deux exemples de préparations pharmaceutiques qui démontrent nettement le lien entre soins médicaux et statut socio-économique. Les remèdes pour les riches contiennent plus d’ingrédients et des ingrédients coûteux (pierres précieuses, en particulier). Le Journal Des Sçavans ne donne aucune indication quant à leur efficacité respective, mais on peut supposer que les patients nantis étaient persuadés que l’abondance et le prix des ingrédients garantissaient un résultat bénéfique. Ces préparations sont l’œuvre de J.-B. Alprun, médecin de l’impératrice douairière de l’empire autrichien.

Sudorifique pour les riches

Prenez poudre Diambra[66]& Damoschi[67]de chacune deux dragmes[68], Licorne marine[69]et pierre de bézoard pulvérisées de chacune une dragme, sels volatils de vipères, de corne de cerf, de succinum[70]et de nacre de perles de chacun quinze grains, de l’extrait de contrayerva[71]et des confections préservatives décrites dans la pharmacopée augustine de chacune demi-dragme, et des sirops de scordium[72]et de coraux de chacun deux onces. Dissolvez ces choses dans une pinte des eaux cordiales de scorsonère[73]et de chardon bénit[74]parfumées avec le musc, et donnez trois onces de ce mélange de huit en huit heures observant incontinent après de bien couvrir le malade (15 ingrédients). Noter la présence de la nacre, de l’ambre, de l’ambre gris et du musc, substances précieuses.

Sudorifique pour les pauvres

Prenez poudres Diamargaritum[75]& de Diarodon[76]de chacune trois dragmes, électuaire[77]de chacun une once, antimoine diphtérique et bézoard minéral de chacun deux dragmes et ajoutez à ces choses les syrops et eaux marquées dans le sudorifique précédent pour en faire le même usage (6 ingrédients). La proportion de perles dans le diamargaritum est bien plus faible que dans la potion pour les riches.

Potions cordiales pour les riches

Prenez confections d’hyacinthes et alkermès[78]de chacune demi-once, magistère de perles et des grenats de chacun une dragme, le tout dans un demi-setier[79]de l’eau cordiale d’Hercule Saxon, pareille quantité de celle d’Angelus Salo, et chopine de toutes les parties du citron pour en faire dix doses qui seront prises à une heure près l’une de l’autre (7 ingrédients).  On notera la présence de pierres précieuses (perles et grenats) dans la préparation.

 

 

Potions cordiales pour les pauvres

Prenez corail rouge préparé deux dragmes, confection d’alkermès incomplète deux onces, et thériaque de Venise trois onces, que vous dissoudrez dans une chopine d’eau de tormentille[80]et pareille quantité de celle de chardon bénit pour vous en servir en la manière prescrite pour la précédente (5 ingrédients).

 

 

Ouvrages cités ou consultés

Antoine, Jean et François. Journal de la maladie et de la mort de Louis XIV (Drumont, Édouard, éd.) Paris : A. Quantin, 1880.

Bluche, François, Dictionnaire du Grand Siècle. Paris : Fayard, 1990.

Brockliss, Laurence & Colin Jones.  The Medical World of Early Modern France.  Oxford : Clarendon Press, 1997.

Descartes, René. Discours de la méthode. Paris : Garnier-Flammarion, 1966.

_____. Œuvres, lettres. Textes présentés par André Bridoux. Paris : Gallimard (Pléiade), 1970.

Journal Des Sçavans. Paris : divers éditeurs, 1665–1715.

Letouzey et Anet. Biographie universelle. Paris: Delagrave, 1870.

Perez, Stanis. La Santé de Louis XIV : une biohistoire du Roi-Soleil.  Paris : Champ Vallon, 2007.

Richardt, Aimé. Les Médecins du Grand Siècle. Paris : François-Xavier Guibert, 2005.

Rivière, Patrick & J. L. Garillon. La Spagyrie ou la médecine de Paracelse (http://www.miroir.com/spagyrie/main3.html).

Sévigné, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de.  Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis , recueillies et annotées par M. Monmerqué.  Tome VII. Paris : Librairie de L. Hachette et Cie, 1862 (source : gallica.bnf.fr).

Siegel, Rudolph E. & F. N. L. Poynter. « Robert Talbor, Charles II, and Cinchona: a Contemporary Document ». Med Hist. 1962 January; 6(1): 81–85.

Spanheim, Ezéchiel.  Relation de la Cour de France en 1690.  Société de l’histoire de France, Publications. N° 209.  Paris : Librairie Renouard, 1882.


[1]Ce qui précède dans le paragraphe : « J’avais expliqué assez particulièrement…» (Discours de la méthode)

[2]Il parle de ses expériences de dissection des animaux.

[3]Les italiques sont de moi.

[5]D’origine arménienne.

[6]Philipp Aureolus Theophrastus Bombast ab Hohenheim (1493–1541). Voir Rivière, Patrick & J. L. Garillon. La Spagyrie ou la médecine de Paracelse (http://www.miroir.com/spagyrie/main3.html) Interrogé le 30 décembre 2009.

[7]Détail de ce que M. Rosinius Lentilius, docteur en médecine, a fait de plus considérable par rapport à l’exercice de son art, chaque jour de l’année 1709. (Stuttgart, s.d.) Recensé dans le nº du 25 mai 1711, pp. 322–334. La corne de cerf râpée est encore aujourd’hui considérée par certains comme un contrepoison et une panacée. La corne de cerf contient beaucoup de gélatine et de phosphate de calcium. La chaleur humide avait sans doute l’effet de ramollir la partie gélatineuse.

[8]Le Journal Des Sçavans ne rapporte évidemment pas ces épidémies, qui ont eu lieu trois décennies avant sa première publication. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Grand-Pressigny. Interrogé le 29 décembre 2009. Quant à l’épidémie de peste de Marseille en 1720-1722, elle se situe hors de la fourchette des dates examinées.  Voir à ce sujet http://fr.wikipedia.org/wiki/Peste_de_Marseille.  Interrogé le 8 janvier 2010.

[9]Le Journal Des Sçavans ne la rapporte pas.  La coïncidence des dates est sans doute trop proche.

[10]Encore que la peste bubonique existe encore à l’état endémique dans plusieurs parties du monde, notamment dans le sud-ouest des Etats-Unis.

[11]Aujourd’hui dans le département des Côtes-d’Armor (Bretagne).

[12]In A. Croix : La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles : la vie, la mort, la foi(Paris, 1981), p. 227.

[13]Lettre de M. Helvétius, docteur en médecine, à M. Régis, sur la nature et la guérison du cancer.  In-4º.  Paris: Jean Cusson, 1691.  Recensée pp. 345-346.

[14]Adrien Helvétius (ca. 1661-1727):  médecin hollandais (sans doute d’origine suisse —Schweizer est latinisé en Helvétius— établi en France.  Il devient protégé de Colbert.  Premier à employer la racine d’ipécacuanha pour traiter les troubles de l’appareil digestif, notamment la dysenterie.  Il était grand-père du philosophe Claude-Adrien Helvétius (1715-1771).  1691:  Lettres sur la nature et la guérison du cancer, rééd. 1706.  Michaud.  Biographie universelle, ancienne et moderne 85-86. Voir également Brockliss & Jones 622.

[15]A noter qu’Anne d’Autriche est morte en 1666 d’un cancer du sein. Il n’est fait nulle part mention de cela dans le Journal Des Sçavans.  La revue passe sous le silence le plus complet tout ce qui a trait aux maladies du roi ou de son entourage.  Ainsi, pas un mot dans le numéros de 1685 ou de 1686 sur les opérations des fistules du roi.

[16]Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier (1627–1693).

[17]C’est la recension d’un ouvrage intitulé Observations sur la manière de tailler dans les deux sexes, pour l’extraction de la pierre, pratiqué par Frère Jacques. À Paris, chez Jean Boudot, ruë s. Jacques. 1700.  Pp . 54–58.

[18]L’opération de la taille (extraction des calculs de la vessie) se faisait au moyen soit du « grand appareil », soit du « petit appareil ».  Malgré des recherches poussées, je n’ai pas pu trouver en quoi consistait l’un ou l’autre.

[19]Il faut toutefois reconnaître que le Journal Des Sçavans ne fait pas état de cette distinction.  On peut même dire —si l’on s’en tient au ton des articles— qu’il manifeste une certaine bienveillance à l’égard de ces deux disciplines.

[20]La moxibustion est une technique de stimulation par la chaleur de points d'acupuncture. Le moxa est l'objet chauffant qui permet cette stimulation.

[21]L’une des quatre humeurs d’Hippocrate. Les trois autres sont le sang, la bile jaune et la bile noire.

[22]Pp 360–361.

[23]Au XVIIe siècle, ventricule veut dire estomac.

[24]Ce qui aurait causé une péritonite rapidement mortelle.

[25]Je traite de la controverse sur la digestion (trituration mécanique vs. « levains », une dispute en 1710–11 entre d’une part Philippe Hecquet [1661–1737], de la faculté de Paris, et de l’autre les médecins montpelliérains Raymond de Vieussens [1641–1715] et Jean Astruc [1684–1766]) dans l’article suivant: « Digérer au Grand Siècle: une querelle d’idéologies scientifiques. » Nourritures. Actes du 40e congrès de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature. (Biblio 17, 186 — 2010): 105-117.

[26]Recensé dans le Journal Des Sçavans du 30 avril 1707, pp. 175–177.

[27]C’est la première fois que nous constatons que le pouls est mesuré par battements/minute. Ordinairement 50 battements /minute, mais si on lui fait sentir un spiritueux, le pouls monte à 80. Lorsque l’effet s’en dissipe, le pouls retombe à 50.

[28]Recensé dans le Journal Des Sçavans du 27 juin 1672, pp. 109–112.

[29]Ancien nom du deutoxyde d’antimoine.

[30]Concrétion qui se forme dans l’appareil digestif de certains animaux et à laquelle on attribuait des vertus antipoison.

[31]Recensé pp. 145–156.

[32]En Autriche, au nord du Danube.  A ne pas confondre avec le village du même nom en Allemagne (Rhénanie-Palatinat).

[33]Éléonore de Gonzague-Mantoue (1630–1686), troisième épouse de Ferdinand III (1608-1657), empereur romain germanique.

[34]Je note que les remèdes décrits dans l’appendice sont le fait du seul J.-B. Alprun et ne se rapportent pas à une pharmacopée plus générale.  Le fait qu’il était médecin de cour pourrait servir à expliquer pourquoi il prépare deux catégories de remèdes, l’une pour les riches et l’autre pour les pauvres. 

[35]Pp. 155–156.

[36]Recensé dans le Journal Des Sçavans du 21 janvier 1715, pp. 33–39.

[37]Pp. 171–176.

[38]Brockliss & Jones ne mentionnent pas ce nom, mais il est fort possible qu’il ait été faussement épelé dans le Journal Des Sçavans.  Ils rapportent (292) un certain Sir Robert Tabor ou Talbor, un apothicaire itinérant anglais qui aurait en effet introduit le quinquina à la Cour dans les années 1680 pour soigner la Dauphine d’une fièvre que ses médecins ne pouvaient guérir. Ils font également référence (292, n. 33) à la lettre de Mme de Sévigné à sa fille du 8 novembre 1680 citée plus haut. Robert Talbot (ou Talbor) avait rencontré en 1672 le roi d’Angleterre Charles II (1630 – 1685 AS), à l’occasion de la troisième guerre anglo-hollandaise (guerre de Hollande) qui l’avait nommé médecin royal et lui avait accordé le rang de chevalier pour ses guérisons au quinquina. Voir l’article de Siegel et Poynter, qui épelle le nom « Talbor ».

[39]Désordre de santé.

[40]Antoine d’Aquin (1620 ?–1696). Premier médecin de Louis XIV en 1672. Disgracié en 1693 pour son excès d’ambition. Remplacé par Guy-Crescent Fagon (infra).

[41]Médecin en chef ou premier médecin.

[42]Numéro d’octobre 1680, pp. 272 ss, in Lettres de la marquise de Sévigné pp. 128–129 n. 4

[43]Brockliss & Jones le présentent comme un charlatan ambulant (292), mais il est peut-être plus exact de le voir comme un apothicaire empirique itinérant.

[44]Dionis, Pierre (1643–1718). Voir l’article de François Bluche in Bluche 481.

[45]Dédié à la duchesse de Bouillon (Marie-Anne Mancini, 1649–1714), il paraît simultanément chez Denis Thierry et Claude Barbin.  On peut consulter une version électronique de l’édition originale au site suivant : http://www.narbolibris.com/doc689. Interrogé le 4 janvier 2010.

[46]Pp. 279-282.

[48]Sous l’Ancien Régime, les capitouls étaient, depuis le Moyen Âge, les habitants élus par les six quartiers de Toulouse pour constituer le conseil municipal de la ville.

[49]Saviard. Barthélemy (1656–1702). Maître-chirurgien à l'Hôtel-Dieu. Excellent opérateur. Nouveau recueil d'observations chirurgicales (1702). Biographie universelle(T. 38, 119)

[50]Son ouvrage Anatomie de l'homme suivant le circulation du sang et les nouvelles découvertessort pour la première fois en 1690 et connaît de nombreuses éditions et traductions. Dans son numéro du 26 janvier 1705, le Journal Des Sçavans rend compte de la 4e édition.

[51]Encore appelé échansonnerie-bouche, c’était le service de la boisson, partie d’un important département, celui de la bouche du Roi, lui-même partie essentielle de la Maison du Roi. Voir Solnon, Jean-François, « Maison du roi » in Bluche 941.

[52]Louis de France (1682–1712), petit-fils du roi, fils de Monseigneur et de Marie-Anne de Bavière.

[53]Dilatation pathologique du cœur, qui diminue sa capacité de pomper le sang à travers l’organisme.

[54]D’autre part, disent-ils, il n’existait guère de points de friction entre les médecins patentés et les guérisseurs « officieux », empiriques et autres charlatans, vu les clientèles respectives différaient. Le Journal Des Sçavans ne parle pas de ces derniers.

[55]Je relève 14 références à Hippocrate et 12 à Galien dans le Journal Des Sçavans entre 1665 et 1715.

[56]1813–1878.  Son ouvrage majeur est l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865).

[57]François Mauriceau (1637–1709). Voir l’article de Jacques Gélis sur les médecins accoucheurs in Bluche 39–40 et
 http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Mauriceau.  Interrogé le 4 janvier 2010.

[58]Rappelons que Louis XIV meurt le 1er septembre 1715, à 8h15 du matin.

[59]Il revient en France en tant qu’ambassadeur de 1697 à 1701.

[60]Frédéric-Guillaume Ier de Brandebourg (1620–1688).

[61]Plus de 440 pages dans l’édition citée (q.v.).

[62]Talbot.

[63]Nommé « feu actuel », par opposition au « feu virtuel » (vitriol et autres acides employés comme agents cautérisants).

[64]Fagon, Guy-Crescent (1638–1718). Médecin et botaniste français. Il devient premier médecin de Louis XIV en 1693 après le renvoi d’Antoine d’Aquin. Voir l’article de Bruno Pons in Bluche 573-574.

[65]Mareschal, Georges (1658–1736). Voir l’article de Bruno Pons in Bluche 968.

[66]Préparation à base d’ambre gris, de musc et d’autres épices.

[67]Le diamoschum est une poudre de musc dulcifiée au sucre.

[68]5,1 grammes.

[69]Vraisemblablement de la défense de narval, recherchée depuis le moyen âge et sans doute réputée avoir des propriétés curatives.

[70]Ambre.

[71]Racine et rhizome d’une plante sud-américaine, ayant un effet tonique doux.

[72]Plante européenne ayant des propriétés anti-inflammatoires.

[73]Salsifis noir, réputé contrepoison.

[74]Plante de la famille des chardons, réputée avoir de nombreuses propriétés médicinales.

[75]Tablettes de sucre rosat, dans la composition desquelles on fait entrer, sur chaque livre, une demi-once de perles dissoutes. http://web2.bium.univ-paris5.fr/livanc/?cote=61157&p=227&do=page. Interrogé le 3 janvier 2010.

[76]Poudre tonique et excitante, où entrent des roses rouges. Voir note précédente pour la référence.

[77]Préparation complexe contre l’indigestion et les vents.

[78]Soit teinture de cochenille soit oxysulfure d’antimoine.

[79]Pour les liquides, le mot « setier » servait parfois à désigner la chopine de Paris, valant un peu moins d’un demi-litre. http://fr.wikipedia.org/wiki/Setier. Interrogé le 4 janvier 2010.

[80]Plante de la famille des rosacées.

Site Sections (SE17): 

Book Reviews -- Gaines (2010) and Racevskis (2008)

Article Citation: 
Book Reviews--Cahiers XIII, 1 (2010) 177-179 & 179–182
Author: 
Michael Call (Gaines); Ellen R. Welch (Racevskis)
Article Text: 

 

Gaines, James F.  Molière and Paradox: Skepticism and Theater in the Early Modern Age. Tübingen: Narr, 2010.  ISBN 978-3-8233-6577-8.  Pp. 151.  49€

Daniel Mornet commented over sixty years ago, “Que de Molières en effet dont chacun est la négation d’un autre Molière.”  James Gaines’s latest and welcome addition to this parade of Molières provides not only an additional perspective on France’s most famous comedic playwright, but also differentiates itself precisely through an aversion to categorical négation.  Gaines persuasively argues that Molière’s theater is built upon paradox and a skeptical resistance to supposedly self-evident truths, combating dangerous tendencies towards dogmatism with a search for acatalepsia, the Classical skeptic’s freedom from entrenched opinions.  The resulting study sheds light on Molière’s dramaturgy and on the intellectual climate and tradition in which the plays were written and performed.

Gaines’s focus on paradox necessarily brings him into extensive dialogue with Robert McBride’s landmark analysis The Sceptical Vision of Molière: A Study in Paradox (1977).  Drawing predominantly on the works of La Mothe le Vayer , McBride described Molière’s comedic “double vision” as the maintaining of a certain critical distance, reflecting the traditional skeptic suspension of belief.  If McBride’s skepticism was a rather loosely defined philosophical attitude, Gaines on the other hand observes that traditional skepticism also entailed precise rhetorical techniques, or modes of argumentation and reasoning, specific examples of which abound within Molière’s plays.  Drawing on a variety of texts, Gaines traces Molière’s interactions with skeptical rhetoric and thought to a wide network of thinkers, from contemporaries like Gassendi to Classical authors such as Sextus Empiricus.  In addition to revisiting major plays like Dom Juan and Les Femmes savantes, Gaines expands the examination of Molière’s skepticism to include works not addressed by McBride.  While the most notable additions are chapters consecrated to L’Ecole des femmes and Le Malade imaginaire, Gaines also includes shorter studies of Les Précieuses ridicules, L’Ecole des maris, L’Avare, and Le Bourgeois gentilhomme.  Gaines’s analysis of some of these plays is fairly rapid, and indeed his observations concerning these two latter plays merit further expansion.  However, taken as a whole these studies demonstrate convincingly Molière’s pervasive use of paradox and open up useful avenues for further research. 

As might be anticipated in a study on skepticism, the chapter devoted to Dom Juan is of particular significance.  The Spanish nobleman (and ostensibly Molière’s most famous would-be skeptic) certainly afforded the playwright a chance to explore skepticism in its more extreme forms.  But in Gaines’s view, Dom Juan’s hyperbolic doubt actually places him outside of the skeptical current, and he describes the grand seigneur méchant homme as “a faux pyrrhonien in the long line of false précieuses, spiritual directors, gentlemen, and other bogus figures in the Molière canon” (56).  Not that Sganarelle fares any better: while McBride had viewed the valet as an embodiment of ultimately wise foolishness, Gaines portrays him as a “[f]ailed Aristotelian” (72) whose efforts at establishing premises from which to understand the universe are ultimately as doomed as his master’s.  As Gaines notes, “Molière effectively clears the field of all but the suspension of judgment” (73).

The rapprochement that Gaines effectuates between Molière and skepticism in its Classical and seventeenth-century manifestations works particularly well for Dom Juan, L’Ecole des femmes, and Le Malade imaginaire.  The critical approach, though, is not always evenly applied, as certain chapters appeal less specifically to rigorously skeptical modes of discourse than others.  This is not necessarily to be regretted—while the chapters on Le Misanthrope and Tartuffe, for example,examine the plays within a more widely-construed framework, they present invaluable insights and constitute excellent close readings.

Given the extent of Gaines’s research into the history of skepticism and the study’s distinction between various strains of philosophical thought (including Pyrrhonism, Academic skepticism, and Lucretian Epicureanism), an expanded introduction could have been beneficial for the uninitiated in justifying some of the more subtle differentiations that the study establishes.  This is particularly apparent when, in his own seeming paradox, Gaines dismisses the skeptical credentials of the one professional Pyrrhonist philosopher in Molière’s theater: Marphurius from Le Mariage forcé.  While this move is justifiable, a more thorough explanation of the various forms of Classical and early modern skepticism, and how these differ from scholastic argumentation or even Cartesian models, would help the reader situate more precisely Molière’s engagement with and within this complex philosophical tradition.

Gaines is admirably careful in the overarching conclusions that he draws, noting both the presence of skeptical modes of argumentation and the satire of these modes in Molière’s work.  If paradox represents a typically skeptical way of dealing with the world, it also becomes a way to surpass philosophical strictures.  As Gaines writes, “Paradox for [Molière] meant not confounding good sense and making it kneel in reverence to elitist revelation, even to one with the label of Pyrrhonism or skepticism” (147).  In a similar fashion, Gaines’s study also demonstrates a commendable mix of theoretical direction and good sense, usefully illuminating the playwright’s appropriation of skeptical philosophy while avoiding a reductive reading of the plays that would make them mere pièces à thèse.

Michael Call, Brigham Young University

 
 
 
 

Racevskis, Roland. Tragic Passages: Jean Racine’s Art of the Threshold. Lewisburg, PA: Bucknell University Press, 2008. ISBN 978-0-8387-5684-3. Pp. 221. $47.50.

Racevskis’s excitingly fresh interpretation of Racine’s secular tragedies focuses on their “liminary esthetics” – that is, their exploration of “identity in suspension. . . . the human predicament of being caught in between states of being” (15). Drawing insights from Derrida, Nietzsche, and especially Heidegger, the author identifies a “poetics of the threshold” in Racine’s plays and convincingly argues that the tragedies’ distinctive quality lies in their illumination of the psychological anguish of characters self-consciously poised between past and future, action and inaction, subjection and sovereignty, life and death.

The book’s nine short chapters analyze Racine’s nine secular tragedies from La Thébaïde to Phèdre, examining their dramatization of characters poised at the thresholds of power, love, and existence itself. These thought-provoking readings exemplify Racevskis’s call for a flexible approach to Racine’s work that recognizes each play’s singularity while exploring their shared engagement with the problem of liminality. Among the book’s rich and varied discussions, chapter 3’s exploration of “temporal construction” in Andromaque is one of the stand-outs. Here, Racevskis breaks from traditional interpretations emphasizing the way characters are haunted by the past and shifts his focus, subtly but crucially, to how they express the “paltriness of the present” (81) and the “radical ambiguity of the future” (90). In addition to teasing out Andromaque’s complex temporal structure, this reading brilliantly analyzes how the play imparts feelings of terrifying uncertainty to its spectators. Indeed, throughout the book, Racevskis makes the case that “in-betweenness” not only serves as a major fictional theme but also generates the plays’ emotional effect on audiences. For example, he usefully compares La Thébaïde with Rodogune to illustrate, by way of contrast with Corneille’s depiction of power’s dangers, how Racine derives terror from its revelation of the throne as an unresolved void. Other readings elegantly synthesize analyses of Racine’s poetic language with attention to the plays’ inscription of dramatic space, time, and movement; this is especially true for the chapters devoted to Britannicus and Bérénice which demonstrate how the idea of the threshold permeates all aspects of Racine’s dramaturgy up to and including set design.

Racevskis’s stated ambition in tackling all of Racine’s tragedies in this streamlined book is to articulate a new basis for understanding the coherence of the playwright’s work. While the book accomplishes this goal, one drawback to its comprehensiveness is that it sometimes leaves the reader wanting more on a particular play. For example, chapter 4’s skillful reading of Néron’s court in Britannicus as a Foucauldian panopticon concludes with a tantalizing gesture to the thresholds occupied by an excluded Britannicus and imprisoned Junie (103), leaving the reader eager to know how Racevskis would interpret the play’s expression of these characters’ suspended states of being. In other respects, the completist approach is a strength. By proceeding chronologically through the tragedies, Racevskis succeeds in demonstrating the evolution of Racine’s liminary aesthetics throughout his career. The thresholds structuring earlier plays often delimit a space of worldly power. By the later tragedies (Mithridate, Iphigénie, and Phèdre), the characters’ articulation of their suspended state points toward the “ontological threshold” between existence and non-existence. In these chapters, the book also returns to a Heideggerian interrogation of poetic language, as when chapter 9 considers Phèdre’s sustained examination of language’s failure to communicate innermost truths. The book concludes with a brief analysis of the resolution of the liminary aesthetic in sacred tragedies Esther and Athalie, where ambivalence dissolves under the certainty provided by an omnipotent Judeo-Christian god. This coda effectively throws into relief the secular plays’  reliance on the aesthetic of the threshold which, Racevskis argues, is especially compelling for today’s audiences who are grappling with the biological and ecological limits of existence.

Precisely by setting aside well-worn, more narrowly historical concerns for Racine’s relationship to Jansenist theology or the development of French national consciousness, Tragic Passages succeeds in articulating the play’s relevance for modern audiences and opens new lines of inquiry without foreclosing the ambiguity of the plays’ meanings. Very occasionally, the desire to liberate the plays from narrow historicism goes a little too far. For example, I wonder whether “self-actualization” is really the best term to designate the state to which Racine’s characters aspire, loaded as it is with the particular assumptions of twentieth-century American psychology. Yet such a minor anachronism is a small price to pay for Tragic Passages’ refreshing point of view on Racine’s tragic oeuvre. Throughout the book’s pages, Racevskis articulates theoretically sophisticated readings with such lucidity that they could be employed in many undergraduate classrooms. This is no small advantage for a book that aims and succeeds at offering richly insightful new ways to appreciate Racine’s works in our era.

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Ellen R. Welch, University of North Carolina at Chapel Hill

 

Ellen R. Welch, University of North Carolina at Chapel Hill

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