Thanatos au péril de la mer: à propos du Journal de voyage de Robert Challe

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[page 1]Il n’est sans doute plus vraiment utile de commencer un article
sur Robert Challe (1659-1721) par quelques effets de manche sur la
stature exceptionnelle de cet ex-inconnu. L’auteur des Illustres
françaises a définitivement pris rang parmi les plus grands. Son irrésistible
ascension risque même d’avoir l’inconvénient paradoxal de
le sortir un peu indûment de son époque. A force de saluer
l’initiateur d’un romanesque renouvelé ou du déisme éclairé, on vient
à oublier que Challe, avant de préparer les voies à Prévost et à Voltaire,
aura été d’abord un témoin de sa propre conjoncture historique.
Challe fut un homme d’avenir, qui aura réussi quelques brillantes
amorces; reste, je crois, à découvrir un peu mieux qu’il peut nous
édifier aussi sur tout un Ancien Régime qui nous est devenu très
étranger.

Cela revient à dire que l’oeuvre de Challe n’est pas des seuls ressorts
de la narratologie ou de l’histoire des idées: elle intéresse encore
—ou devrait intéresser— l’histoire des mentalités. Les interrogations
dans ce sens ont été jusqu’aujourd’hui un peu rares1; la
découverte émerveillée d’une indéniable grandeur a pu détourner de
l’interroger d’abord sur les postures élémentaires de ses contemporains
quelconques. N’empêche que cet auteur hors de pair ne peut
pas ne pas nous renseigner aussi sur une humanité moyenne ambiante
dont il devait partager bien des réflexes. Son intérêt, dans
cette perspective, est de s’être attardé —et souvent avec un magnifique
bonheur de plume— à des vécus qui, majoritaires, restaient le
plus souvent silencieux —et de corriger ainsi l’inévitable sécheresse
des document sériels où l’histoire des mentalités aime trouver ses
sources les plus fiables.

La présente étude voudrait confronter la première grande oeuvre
de Challe à une des problématiques les plus controversées de
l’histoire des vécus ordinaires. Il m’a semble que le Journal d’un
voyage fait aux Indes orientales2 propose une évocation particulièrement
suggestive de ce que Philippe Ariès aimait appeler la <>mort
apprivoisée —et pouvait du coup contribuer à dissiper quelques
malentendus fréquents autour de ce concept.

De ces malentendus, le contresens habituel lié au terme dont
Ariès a choisi de nommer sa découverte devrait être le plus bénin.

[page 2] On n’apprivoise au sens propre que des animaux d’abord sauvages;
l’idée d’une mort apprivoisée engage, comme toute métaphore qui
se respecte, une comparaison boiteuse. Le style paisible qu’elle désigne
ne triomphe donc pas, au regard de l’historien, de quelque sauvagerie
première de Thanatos, que telles époques passées auraient su
juguler. Il s’agirait au contraire, sous la plume de Philippe Ariès3,
d’une sérénité révolue: elle s’oppose à un ensauvagement ultérieur,
dont nous resterions en cette fin du XXe siècle largement tributaires.
Il y aurait eu jadis tout un ars moriendi sans âge, c’est-à-dire en fait
tout un art de vivre, dont notre modernité aurait perdu le secret.

Je concéderai sans lésiner que l’hypothèse d’une crispation moderne
devant Thanatos risque, pour la beauté de l’antithèse, de rabattre
le passé sur un dénominateur commun un peu sommaire. Ce serait,
bien entendu, trop simple: acceptée plus aisément que de nos
jours, la mort ne devait pas figurer pour autant, de l’Antiquité tardive
aux Lumières, une réalité immobile. Le thème de l’acceptation, en
d’autres termes, ne rend pas compte de tout; le contraire serait plus
surprenant puisque c’est le propre de toute vue d’ensemble de privilégier,
aux dépens d’une diversité plus voyante, des traits communs
qui, pour s’avérer à l’analyse décisifs, peuvent être au premier abord
moins évidents. Un modèle, j’ai presque honte de rappeler un tel
truisme, n’est jamais qu’une épure; la vraie question est de savoir si
le concept forgé par Philippe Ariès réussit à isoler efficacement un
trait pertinent, qui a pu se prêter, du fait même de l’étonnante stabilité
de «ce fonds élémentaire et immémorial»4, à bien des alliages.

La réserve essentielle est sans doute ailleurs. Que les civilisations
traditionnelles aient globalement fait preuve d’une aisance devant
la mort qui nous est désormais interdite, l’idée, je crois, gêne
moins d’effacer quelques vieilles différences que de majorer un
contraste désobligeant. Nos historiens, pour la plupart, ne sont plus
des thuriféraires du Progrès; le vieux mirage prométhéen subsiste
comme une conviction instinctive, on répugne toujours à admettre
que, sur tel point crucial, le passé a pu se montrer supérieur au présent.
La vieille mort apprivoisée s’opposerait à des sauvageries plus
récentes; je ne connais dans toute l’historiographie du XXe siècle
aucune thèse qui prend si massivement le contre-pied de nos évaluations
spontanées. Il y a là, qu’on le veuille ou non, une manière de
déchéance. Six ans après Philippe Ariès, Michel Vovelle propose un
second panorama de l’histoire de la mort, qui reste jusqu’aujourd’hui
irremplacé; il s’y démarque en toutes lettres de son
prédécesseur:

[page 3]

Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu un temps où la
mort humaine a pu être naturelle, acceptée sereinement,
sans crainte ni appréhension

5.

Comment «accepter» de bon coeur que des siècles entiers aient
été capables, face à l’échéance suprême, d’un «naturel» devenu pour
nous à peu près inimaginable?

Le lecteur se doute bien que je ne compte pas m’engager dans un
débat sur les mérites comparés du présent et du passé6. Il nous importe
plus ici que la répugnance à reconnaître une réussite passée
devenue désormais inaccessible a fini plus d’une fois par fausser les
termes du débat. On venait à prêter à la mort apprivoisée telle
qu’Ariès était censé la défendre une impassibilité marmoréenne, une
froideur en quelque sorte absolue que son hypothèse n’impliquait
aucunement. L’homme devant la mort, certes, accentuait ses
contrastes en alignant, «d’Homère à Tolstoï»7, les nonchalances, les
adieux sans phrases et les deuils expéditifs. En fait il n’en fallait pas
tant, ou plutôt il n’en fallait pas si peu: Ariès était le premier à admettre
que la mort n’avait «jamais» été «un phénomène neutre»,
qu’elle «rest(ait) toujours un mal-heur»8. La seule différence, à l’en
croire, était que les civilisations traditionnelles avaient su limiter les
dégâts, circonscrire la douleur entre des limites raisonnables. Le
deuil moderne est voué aux marasmes, à moins qu’on n’y échappe
au prix de dénégations laborieuses souvent suivies des pires effondrements.
La mort apprivoisée, au contraire, était faite d’émotions
qui ne tardaient jamais longtemps à rencontrer leurs limites, ni surtout
à s’y plier. Qui refuse aujourd’hui de reconnaître là une souplesse
que nous avons perdue, préfère croire que les larmes ou les
récriminations des chroniques ou des correspondances familières
rejoignent sans plus, et de plain-pied, les maladresses sans recours
qui prolifèrent autour de nous.

Y a-t-il lieu oui ou non de départager deux styles, l’un mesuré et
traditionnel, l’autre chaotique et «moderne», de l’émotion devant la
mort? Le Journal de Challe, auquel il est grand temps de revenir, me
semble apporter à cet égard un témoignage de choix. Le diariste note
en effet, parmi des occurrences plus anodines, quelques décès auxquels
lui-même et ses compagnons de route assistent avec une émotion
très intense. La mort du capitaine Hurtain, des débuts de sa
maladie à ses funérailles, domine un mois entier du Journal; il
s’agira ici de vérifier si les émois de toute évidence authentiques et
profonds autour de cette agonie —et de quelques autres que
j’évoquerai par la bande— comportent ou non leur dimension apprivoisée.

[page 4] Non sans avoir indiqué auparavant que Challe se montre fort capable,
pour des fins qui le concernent de moins près, des prosaïsmes
sommaires où les tenants de la mort apprivoisée ont découvert leurs
exemples les plus frappants 9. Le Journal nous ramène aussi à un
Ancien Régime démographique: les inconforts particuliers du voyage
s’ajoutant à certaine fragilité générale de la vie, la mort d’un matelot
ou d’un passager n’a a priori rien de surprenant. Challe note au pire
moment de la traversée qu’il «ne compte plus les morts» (II, 73): son
Ecueil n’a «plus l’air de vaisseau du roi, ni de vaisseau de guerre,
mais seulement d’hôpital» (II, 80). On est effaré de voir que, quelques
mois plus tard, un des chirurgiens de l’équipage estime
«qu’ordinairement les vaisseaux perdaient bien plus de monde
qu(‘eux) n’en av(aient) perdu» (II, 235)!

Aussi le diariste se contente-t-il volontiers d’une notation sèche.
Une échéance si banale 10 ne requiert, quand il ne se sent pas personnellement
lié avec le défunt, aucune émotion de commande. Je cite
au hasard:

Il nous est mort cette nuit un matelot, nommé René
Dérien. (II, 80)
Un matelot, nommé René Le Penneven, vient de mourir.
(II, 212)
Il nous est mort un passager dont j’ignore le nom.
(II, 264)

Écrivain du roi, Challe a des obligations notariales; il se gêne peu,
quand Thanatos frappe dru, de s’inquiéter surtout du surcroît de travail
que cela entraîne:

Il nous est mort ce matin un matelot. Toutes ces
morts me déplaisent terriblement, parce que cela affaiblit
notre équipage & me donne de la peine fort infructueusement
parce qu’il faut faire l’inventaire & le
procès-verbal de vente de ce qu’ils laissent & porter
chaque article au compte particulier de chaque adjudicataire...
(II, 230)

En guise de dernier honneur, les équipages jettent leurs cadavres
à la mer; on les alourdit d’un boulet pour les entraîner de suite au
fond, un corps qui continuerait à flotter ne serait pas vraiment enseveli.
Le défunt se fait sa fosse avec ses pieds11; la formule, c’est le
moins qu’on puisse dire, ne respire aucun romantisme! Comme la

[page 5]
mort, ici, est assez familière pour admettre les réflexions enjouées,
Challe s’intéresse parfois de plus près à ce qui risque d’arriver à tels
cadavres12:

Le ministre, ou le prédicant hollandais, & un des Lascaris
dont j’ai parlé ci-dessus, ont pris la peine de se
laisser mourir cet après-midi. Les bonites, ni autres
poissons dont ces mers sont pleines, n’en auront pas
fait un repas fort succulent, car ils étaient si maigres
que le diable, tout fin & tout subtil qu’il est, ne pouvait
pas les tenter du côté de la chair (II, 234)

Ce n’est pas la seule fois que le Journal plaisante près d’un cadavre.
A la mort du sous-lieutenant Levasseur, qui n’était, il est vrai,
pas très aimé, on devine un assaut de lazzi. Challe lui avait adressé
six mois plus tôt des «reproches publics» qui l’auraient «tellement
frappé» qu’il «n’avait pas porté de santé depuis»; notre diariste
pourrait donc être le fauteur secret (et encore) de ce décès:

On me l’a dit en riant. J’ai répondu sur le même ton
que je n’en croyais rien & qu’au contraire j’étais
persuadé que sa vie & sa mort avaient été des prodiges
de la nature, qui l’avait fait vivre sans coeur &
mourir sans rendre l’esprit. (II, 86)

Je terminerai ce tour d’horizon des sécheresses sur une perspective
moins riante; aussi bien ne s’agit-il pas d’idéaliser l’Ancien Régime.
La résignation familière devant la mort entraîne ou facilite
d’ordinaire tout un lot d’autres acceptations: la torture, la peine capitale,
les cruautés de la guerre paraissent moins intolérables quand
elle ne font en somme que seconder, de façon plus douloureuse, un
sort commun largement admis. Sur ce point, Challe, qui, par ailleurs,
prélude si souvent aux Lumières, prolonge une dureté très ancienne.
La bestialité et la sodomie restent des «crimes en effet dignes du
feu» (I, 222). Il rêve contre les banqueroutiers des capitulaires de
Charlemagne & de Louis le Débonnaire son fils(...) :

Qu’on mette le banqueroutier entre les mains de ses
créanciers indignement volés, & que chacun pour son
argent lui coupe un morceau de chair: telle est la loi.
Que si personne n’en veut faire soi-même
l’exécution, qu’on abandonne le scélérat, nu, & vivant,
aux dents de dogues affamés: ils sauront, en le
dévorant, le punir d’avoir dévoré les autres... (II, 93-
94)

[page 6]Challe ne se sera pas fait d’illusions sur la restauration d’une
justice si énergique. Resterait au moins, pour sauver le crédit public
compromis par quelques verdicts trop indulgents, de

faire finir à une potence tous les banqueroutiers, sans
en excepter un seul, & du moins faire rouer vifs les
frauduleux. (II, 98)

On hésitera peut-être à rattacher ces visées cruelles à la paisible
évidence de la mort apprivoisée. S’agissant de la guerre, qui nous
paraît aujourd’hui tout aussi foncièrement barbare, Challe indique
presque explicitement le rapport:

La guerre a été de tous temps: c’est un malheur attaché
à la nature humaine, mais dont on ne doit pas lui
faire un crime; à moins que de vouloir blâmer les décrets
éternels de la Providence, qui y a soumis tous
les hommes (I, 212)

Et de s’étonner, avec plus qu’une nuance de mépris,

que les Asiatiques ou les Indiens ne se battent pas
comme les Européens. Sitôt qu’ils voient un des
leurs tué ou blessé, c’est-à-dire du sang, ils prennent
la fuite, & ne savent ce que c’est que de se battre de
pied ferme. (II, 111)

Tout cela rejoint d’assez près les gestuaires désinvoltes ou fatalistes
qu’on associe d’ordinaire à la mort apprivoisée. L’intérêt
particulier du Journal, dans notre perspective thanatologique
s’entend, est de compléter cette image reçue à la fois pertinente et
réductrice. En avril 1690, l’équipage de l’Ecueil craint pour la vie de
son capitaine et finit par le perdre; Challe, qui connaissait le défunt
de longue date et qui est de ses collaborateurs proches, se montre
très inquiet, puis très affecté par la perte. Le Journal transcrit donc,
autour de ce décès, une douleur visiblement très sentie:

M de La Chassée, l’aumônier & moi tâchons de nous
consoler l’un l’autre; mais, nous perdons également
notre temps: nous ne faisons que nous attrister. (I,
173)

Quand le capitaine reçoit le viatique, Challe ne se trouve pas le
courage —et il n’est pas le seul— d’assister à la triste cérémonie:

[page 7]

Nous sommes sortis quatre ensemble, parce qu’il
nous a été impossible de voir d’un oeil tranquille un
spectacle si touchant. (I, 174)

N’y manque même pas un bref moment d’occultation. Autour
de l’agonie du capitaine, des matelots continuent à mourir à petit
bruit; on décide un jour de lui cacher un de ces décès, «crainte de lui
donner de mauvais pressentiments sur sa maladie» (I, 169).

Voici qui ne rend pas précisément un son très apaisé. La mort
du capitaine est bien, pour reprendre le terme de Philippe Ariès, un
mal-heur. A lire d’un peu près, on n’en finit pas moins par constater
que la douleur qui se déploie ici avec une insistance que je n’ai
pas cachée réussit pourtant par divers biais à garder certaine mesure.
Le chagrin, quelque lancinant qu’il soit, n’empêche personne,
quand cela s’impose, de jouer convenablement son bout de rôle. «Le
travail du vaisseau» continue à se faire, fût-ce «avec un silence
morne» (I, 173). Challe lui-même, assez effacé au long des derniers
jours du capitaine où la maladie ne lui crée aucune obligation spécifique,
se met au travail dès que l’instant suprême requiert son office:

Il a lâché son dernier soupir, en se recommandant à
nos prières. Il est plus facile de comprendre que
d’exprimer nos sentiments.
Cependant, comme il faut que je remplisse mes devoirs,
j’ai fait transporter le corps, avec le matelas &
les paillasses dans la chambre du Conseil. J’ai fermé
& scellé ses coffres, son armoire & ses caves... (I,
175)

Seul, l’aumônier qui «condui[t] le deuil» déclare un instant forfait.
Il préfère «envoyer quérir son frère», qui est le pasteur d’un autre
vaisseau de l’escadre,

pour faire l’office: il était trop plongé dans la faiblesse
humaine pour avoir l’esprit tranquille (I, 177)

Le terme «faiblesse» n’est pas indifférent13: Challe comprend et
approuve14 son aumônier, mais ne se retient pas de noter qu’une
douleur qui fait négliger des devoirs se profile du coup comme une
défaillance. Du moins ce prêtre un instant faible se ressaisit-il pour
la tâche suprême:

[page 8]

Il a cependant rappelé ses esprits, & sa constance,
comme on verra par l’oraison funèbre dont je parlerai
tantôt. (I, 177)

La douleur n’est pas admise à empiéter sur aucun devoir d’état et
n’y réussit que très momentanément. Nous sommes dans un monde
où les émois particuliers paraissent d’instinct moins importants que
la scène d’ensemble et ses rôles; qui s’abandonne aux premiers se
trouve vite requis —ou, si l’on préfère, ressaisi— par quelque urgence
immédiate. La mesure qui encadre la mort apprivoisée ne fait
qu’un avec ce vieux primat du collectif sur l’individuel, qui pourrait
bien constituer le contraste majeur entre les sociétés traditionnelles et
notre modernité15. Thanatos, en ce cas, serait devenu une tragédie
insurmontable au moment où les anecdotes particulières venaient à
prendre le pas sur un cours global des choses et sur des contraintes
de groupe que les endeuillés du Journal respectent encore spontanément.

On me dira que c’est m’aventurer un peu vite et bien loin sur la
foi de quelques notations incidentes. A y regarder de près, le thème
du coude à coude évident domine l’ensemble de l’épisode. La mort
du capitaine, tout d’abord, n’est pas un phénomène isolé; deux autres
décès lui valent si l’on peut dire des prodromes16. La maladie
fatale est amenée entre autres par la fin catastrophique d’un jeune
protégé qui lui tenait particulièrement à coeur. Quelques jours plus
tard, Jean Canevette, celui dont on avait caché la mort au capitaine de
peur de lui donner des pressentiments, tarde étrangement à faire sa
fosse:

Une chose jusqu’ici inouïe nous a étonnés dans ce
mort (...). S’étant tourné du côté du derrière du vaisseau,
il s’est engouffré dans le revolis ou ressac du
gouvernail, où il est resté plus de quatre grosses heures,
& nous ne l’avons perdu de vue que vers les six
heures du soir. Les boulets de canon ne sont point
échappés, puisque le corps paraissait tout droit. (I,
169)

Cela pourrait être simplement un peu lugubre; Challe appréhende
un signe, ce corps en attente lui paraît amorcer un compagnonnage:

Quoique M de la Chassée, ni moi, ne soyons nullement
ni superstitieux ni visionnaires, j’avoue que cela
nous passe. Ce corps en attend-il un autre? (I, 169)

[page 9]La question termine la notice du jour concerné: on voit mal
comment le diariste aurait pu y répondre. Du moins sa glose attestet-
elle un tour d’imagination très porté aux effets de groupe.
La suite retrouve des proximités plus naturelles. On sait combien
les chambres mortuaires d’Ancien Régime pouvaient être encombrées;
la mort du capitaine devient à son tour un événement public:

Nous ne nous sommes point couchés cette nuit: missionnaires,
aumônier, trois passagers, M de La Chassée
& moi l’avons passée dans la chambre de M
Hurtain, celle du Conseil, ou la mienne. Il a conservé
son bon sens jusqu’au dernier soupir... (I, 175)

Le moribond s’isole un moment pour se confesser; «au bout
d’une heure», il fait rentrer tout son monde, qui ne le quittera plus.
L’oraison funèbre loue surtout la parfaite insertion du défunt; elle
paraît à cet égard d’autant plus significative qu’à d’autres époques
ce capitaine de naissance commune et qui n’avait «jamais eu d’autre
protecteur que lui-même» pourrait apparaître comme un self made
man. L’aumônier préfère encore attribuer le succès à «son application
à remplir ses devoirs» (I, 178). S’y ajoute une exemplaire fidélité
religieuse, vérifiée par «quatre ans de souffrances &
d’esclavage» en Barbarie, où il aurait héroïquement refusé de «se
rendre mahométan» (I, 179). La péroraison envisage un ultime rapprochement:
l’auditoire se voit invité à imiter les vertus de Hurtain
«afin que nous puissions nous rejoindre tous dans la vie éternelle»
(I, 180)...

En deçà de ces leçons qui pourraient être convenues, l’émotion
exceptionnelle du diariste et de ses entours est elle-même d’essence
sociable. Le Journal ne distingue nulle part entre les qualités de
l’homme et le prestige du capitaine; quand, au cours de l’agonie, «il
semble à chacun qu’il va perdre un père» (I, 173), l’image achève de
fusionner les deux registres. Les officiers des autres navires qui
viennent assister au service funèbre

sont tous très édifiés de notre dévotion, & plus encore
de la véritable douleur que nous avons de la mort
de notre capitaine. (I, 182)

La douleur est édifiante17. d’exprimer en tant que telle la cohésion
du groupe. La succession assurée, l’équipage ne tarde pas à se
regrouper autour du nouveau capitaine; sa prise de fonctions est un
[page 10]«jour de réjouissance pour l’Écueil» (I, 186). Elle est suivie quatre
jours plus tard d’une seconde «réjouissance» de style plus carnavalesque.
Comme on avait passé l’équateur pendant la maladie de M.
Hurtain, les matelots ont différé le traditionnel baptême de la ligne,
mais n’entendent pas s’en priver. Le nouveau capitaine le leur permet
tout de suite: «cela est d’usage et ne se refuse pas» (I, 194).
Comme quoi le mois tragique s’achève sur une joie elle aussi très
partagée:

Tout le monde a le coeur en joie, & les soldats & les
matelots, à leur dîner, se sont presque égosillés à crier
Vive le roi & à boire à la santé du commandeur. (I,
196)

La mort reste adossée à la permanence évidente et spontanément
respectée du groupe. Esprit indépendant s’il en fût, Challe est aussi
un homme du coude à coude: l’isolement, la séparation d’avec le
monde, où le Romantisme goûtera de hautaines délices, lui paraît
fondamentalement malsain. Les autorités ne manquent pas pour appuyer
une telle évidence:

Jésus Christ a donné de l’homme la peinture la plus
frappante lorsqu’il dit Vae soli.18. En effet, l’homme
n’a point de plus grand ennemi que lui-même lorsqu’il
se livre aux divagations de son esprit.
L’Espagnol a trouvé très juste le point & la définition
de l’esprit humain lorsqu’il dit Guardia me Dios de
me. Mon Dieu gardez-moi de moi-même. Je le répète:
l’homme est à lui-même son plus cruel ennemi
dans la solitude. L’exemple des Chartreux me le
prouve. Ceux de Paris disent que l’année n’est pas
mauvaise quand il n’y en a que douze d’entre eux qui
s’étranglent... (I, 111–12)

On n’est pas moins individualiste! Une exploration systématique
de l’importance et de l’autorité des groupes dans l’oeuvre de Challe
nous mènerait ici trop loin; je me contente de rappeler que l’Ecueil se
trouve héberger aussi un solitaire livré «aux divagations de son esprit
». Le lieutenant Bouchetière n’en fait qu’à sa tête, «son amourpropre
(...) l’autorise à préférer son sentiment particulier à celui de
tous les autres» (I, 60); il «vit seul comme une bête fauve, sans société
avec qui que ce soit» (I, 92) —et n’en finit donc pas de se rendre
ridicule par ses incartades. Cet «homme insensible à tout» (I,
173) est le seul à ne pas partager l’inquiétude de l’équipage pendant
la maladie du capitaine, le seul aussi, parmi les notables du navire, à
[page 11] ne pas assister à son agonie. Il réussit le tour de force de ne pas se
réveiller au bruit des six coups de canon «tirés de quart d’heure en
quart d’heure» pour saluer la mort de Hurtain selon «l’usage de la
mer» (I, 175). Le lendemain, il se croit assuré de la succession et se
donne déjà des airs de capitaine; il y gagne quelques déconvenues de
plus. La leçon de tout ceci n’est que trop claire. Le diariste, lors de
l’ultime humiliation du brutal, en emprunte l’énoncé à Pétrone:
quam male est extra leges viventibus! (I, 209). Me permettra-t-on de
suggérer que la mort apprivoisée ne se définirait pas trop mal
comme une mort intra leges?

A condition bien entendu de ne pas confondre ces leges avec un
corpus écrit aux stipulations précises. La sociabilité traditionnelle est
faite de règles vernaculaires, de gestes et de rôles qui se répètent et
qui y gagnent l’autorité de l’évidence. Thanatos s’accommode lui
aussi de ce naturel, des gestes qui l’accompagnent d’ordinaire
comme de ceux qu’il ne convient pas d’interrompre. Les uns et les
autres empêchent les émotions et les angoisses de se donner libre
cours.

Les leges ne se confondent pas plus avec les règles de la médecine.
Bouchetière vaut une doublure sommaire d’Alceste; Challe
prolonge aussi, et avec quelle insistance, les brocards de Molière
contre les médecins. Ils seraient moins utiles que les charpentiers19 ,
les animaux sont «heureux (...) de n’avoir ni chirurgiens ni médecins
de leur ordre» (II, 67). Le diariste se vante de n’en jamais consulter
pour lui-même20 ni pour son valet21. et s’amuse de disputes où les
hommes de l’art ont tous raison de se traiter les uns les autres
d’ignorants22. Dans la même optique, rien ne paraît plus plaisant
qu’un médecin malade; Challe y va à trois reprises d’un Medice
cura te ipsum23, dont la vertu comique lui semble apparemment inépuisable.

Comment comprendre tant d’acharnement? La médecine, au
XVIIe siècle, paraît suspecte de déployer elle aussi une initiative indue:

On veut éviter la mort, & très souvent, au lieu d’être
reculée, elle est précipitée par leur secours, soit par
leur ignorance, soit par leurs mortels remèdes donnés
mal à propos. (I, 122)

La vie du corps est de ces réalités primordiales sur lesquelles il
semble dérisoire de prétendre exercer une quelconque emprise savante.
Cela ne signifie pas qu’on se contentait invariablement de le-
[page 12]ver les bras au ciel: Challe sait fort bien, sans avoir besoin du conseil
de personne, expliquer une maladie ou indiquer un remède. Il lui
suffit pour cela d’un gros bon sens, qui se veut étranger aux élucubrations
de la Faculté. Bon sens qui n’a au demeurant rien
d’individualiste: Challe se loue —et se sert deux fois— d’un remède
de cheval qu’il aurait découvert dans les Mémoires de Bassompierre24.
Pour dompter une fièvre, il suffirait de vider à l’affilée, sans
rien manger avec, quatre bouteilles de vin de Grave; on sue, on vomit,
on s’endort ivre mort —et on se réveille guéri...

Les diagnostics et les remèdes que Challe préfère à ceux des professionnels
vaudraient à eux seuls une petite étude. J’y note seulement
un mélange pour nous assez déconcertant entre des considérations
que nous appellerions proprement médicales, liées aux
dysfonctionnements physiologiques du corps, et des étiologies qui
engagent la situation globale du malade. Cette médecine d’amateur
nous édifie peut-être sur un avers positif que les comédies de Molière
devaient traiter par prétérition: ce serait peu de la dire d’avance
psychosomatique, la maladie y est toujours un phénomène humain
total. Hurtain avait trop de raisons de tomber malade:

J’impute sa maladie, premièrement à son âge, de plus
de soixante ans; au cruel chagrin que son fils lui a
donné, dont j’ai parlé ci-dessus; à la mort de Nicole;
& à la chaleur excessive du climat, qui seule est capable
d’abattre les tempéraments les plus robustes. (I,
164)

Accumulation d’autant plus significative que le dernier motif aurait,
en principe, pu suffire; un vieux bon sens répugne à attribuer
une maladie un peu importante à la seule détérioration matérielle
d’un tempérament.

Une maladie, c’est plutôt une situation qui se dégrade. La méfiance
envers les remèdes des médecins tiendrait alors au fait qu’ils
achèvent de sortir leurs patients de leur assiette ordinaire; il s’agit par
définition, et en empruntant un terme que le XVIIe siècle réservait
plutôt à d’autres domaines, de nouveautés, dont on ne pouvait attendre
grand chose de bon. Les remèdes préconisés par Challe prolongeraient
plutôt le régime habituel, dont on sait d’expérience que
l’intéressé s’est déjà bien trouvé. Hurtain aurait pu en réchapper si
les médecins de l’escadre ne s’étaient obstinés à lui imposer saignées
et tisanes: Challe est persuadé que s’il

[page13]

pouvait vivre jusqu’à ce que nous attrapions une zone
plus tempérée ou un climat moins brûlant, la bonté de
son tempérament le tirerait d’intrigue sans (le) secours
(des médecins). Faire tant de fois saigner un
homme de son âge sous un climat de feu! Réduire à
la tisane, qui ne vaut pas le diable, et interdire le vin,
qui est sain, à un homme qui n’a jamais bu autre
chose et qui en est pétri et confit! (I, 172)

Hurtain serait-il mort de se voir «réduit à la tisane, lui qui n’en
but jamais» (I, 170)? Le diagnostic prouve au moins que la médecine
de Challe ramène elle aussi à un monde où les chemins battus
n’ont pas encore fini d’imposer leur évidence.

Comment conclure? L’article qu’on vient de lire ressemble à la
mentalité qu’il décrit dans la mesure où lui aussi ne prétend apporter
rien de vraiment neuf. L’idée que «la mort la plus ancienne» 25.était
apprivoisée essentiellement par la proximité ininterrompue des groupes
figure en toutes lettres dans la grande synthèse de Philippe Ariès,
qui y revient à chaque fois qu’il fait le point sur la vieille familiarité
avec la mort. Tout au plus le théorème est-il quelque peu écrasé au
niveau des exemples, où l’historien privilégie les désinvoltures les
plus abruptes, suggérant du coup l’idée d’une insensibilité sans
faille qu’il était trop facile de réfuter. Le Journal invite à une vision
des choses plus nuancée, qui retrouve, je crois, la vraie leçon de Philippe
Ariès.

Challe nous vaut aussi, et ce sera ma vraie fin, une manière de
contre-épreuve. Le diariste est assez sincère pour avouer à trois reprises
une viscérale horreur de la mort; cela coïncide à chaque fois
avec un relâchement des cadres. Ovide affirme dans un passage bien
connu des Tristes qu’un ensevelissement en pleine mer est plus terrible
qu’un enterrement: le premier met trop loin de tout. Challe, un
jour, abonde dans ce sens en en proposant une traduction amplifiée:

C’est quelque chose au moins à qui trouve la mort
Dans une guerrière aventure,
D’espérer une sépulture!
On parle à ses amis, on parle à ses parents:
Cela console en quelque sorte;
Mais se voir dévorer par des gouffres vivants... (I,
144)

Le Journal, nous l’avons vu, consigne plusieurs enterrements «à
la Marine» (I, 110) sans s’en formaliser autrement. Le propos
[page 14]d’Ovide exprime une angoisse de terrien toujours très répandue au
XVIIe siècle26, mais qu’un voyageur comme Challe devait avoir oublié
de longue date. Sa paraphrase prouve qu’il n’a au moins aucun
mal à s’aligner sur un tel sentiment, qui s’effraie d’abord d’une affreuse
solitude.

Le second moment d’effroi est moins littéraire: Challe tremble
pour sa vie au cours d’un bref engagement de son escadre avec une
flottille hollandaise. C’est apparemment surtout qu’il s’agissait
d’une canonnade, où l’écrivain du roi ne pouvait que compter les
coups:

Nous étions trop éloignés l’un de l’autre pour en venir
à la mousqueterie: ainsi, j’étais simple spectateur;
& n’étant occupé en rien, cette inutilité m’a donné le
temps de regarder le péril dans toute son étendue.
J’étais bien sur la dunette, mais, je ne m’en cache pas,
les boulets passaient si fréquemment au-dessus de
ma tête & à côté de moi... (II, 33)

Le «simple spectateur» ajoute qu’il avait su cacher sa peur et que
c’est tout ce qu’on peut raisonnablement demander dans une telle
occasion. Sa crainte n’a pas dégénéré en panique:

Je puis dire que la peur que j’avais a été celle d’un
honnête homme, & d’un bon chrétien qui ne regarde
point la mort avec brutalité. (II, 33)

La fin de la phrase doit signifier qu’à cet article de la mort le diariste
se devait de penser à son salut; on serait «brutal», au XVIIe siècle,
à ignorer un souci si impérieux. Avec un tel souci des convenances,
l’apprivoisement coutumier n’est pas très loin.

Le pire était encore à venir. Sur le chemin du retour, l’Ecueil, a
demi-démonté par une terrible tempête, n’obéissant plus à son gouvernail,
devient un jouet des flots, eux-mêmes fouettés par un vent
qui semble venir de tous côtés à la fois. Nous assistons en somme,
au long de deux jours interminables, à un retour au chaos. Challe
reprend la plume quand la tempête s’est apaisée; les notes de cet
homme curieux de tout ébauchent alors une petite psychologie de
l’angoisse. Le Journal précise notamment que, dans une bataille,
«l’animosité &la dissipation» (II, 185), autant dire la participation à
l’événement, ne tardent pas à conjurer la peur. La tempête exclut
toute participation puisqu’elle se joue de tout ce qu’on lui oppose.
Triomphe alors la peur toute nue, qui n’est plus contenue par rien:

[page 15]

On conçoit bien mal ces horreurs de la mort lorsqu’on
ne la voit que de loin: il faut avoir été aussi
près d’en être la victime que nous l’avons été pendant
plus de cinquante-quatre heures, pour les bien comprendre.
MM. le Commandeur, de Bouchetière, de
la Chassée & tous les autres, qui l’ont affrontée au
canon, au mousquet & à l’épée, n’en ont point été
exempts; & tel d’eux, qui passe pour être, & est en
effet, intrépide, se battait la tête contre la lice, en levant
les mains & les yeux au ciel . (II, 186)

Challe s’était avisé d’un ultime échappatoire: «ayant toujours regardé
la mort comme un mal nécessaire, & en stoïque» il s’était préparé
«six pistolets chargés à la balle de calibre» (II, 186) pour abréger
son agonie si le navire venait à couler. C’est, si je ne me trompe,
le seul projet de suicide du Journal, autant dire sa seule mort personnelle;
encore n’aurait-elle précédé que d’un instant un mal nécessaire
très imminent.

UFSIA/Anvers

NOTES

1Cf. surtout J. Goldzink, 1995.

2Références (tome, page) à Robert Challe, Journal..., éd. Frédéric
Deloffre/ Melâhat Menemencioglu, Paris, Mercure de France,
1983.

3Cf. «Quand nous appelons cette mort familière la mort apprivoisée,
nous n’entendons pas par là qu’elle était autrefois sauvage et
qu’elle a été ensuite domestiquée. Nous voulons dire au contraire
qu’elle est aujourd’hui devenue sauvage alors qu’elle ne l’était pas
auparavant. La mort la plus ancienne était apprivoisée» (Ariès, 1977:
36)

4Id, Ib.

5Vovelle 1983:9.

6Il y aurait beaucoup à dire sur les arrière-plans idéologiques
des controverses sur la mort apprivoisée. Ainsi, ce n’est sans doute
pas un hasard si les réserves de Michel Vovelle, qui fait ici figure de
principal opposant, sont le fait d’un historien marxiste, qui restait
donc immédiatement tributaire d’une idéologie du Progrès. Philippe
Ariès en était pour sa part aussi loin que possible: il coquetait plutôt
avec ses sympathies maurrassiennes. Cf. par exemple les contributions
à La nation française rassemblées récemment (Ariès 1997)
dans Philippe Ariès, Le présent quotidien. 1955-66.
[page 16]
7Ariès, ib.

8Ariès, ib., p. 599.

9Cf. aussi à ce sujet mes ’Quelques visages de Thanatos dans
Les illustres Françaises in Frédéric Deloffre, 1993: pp. 167-81.

10Quand, à l’escale de Moali, il ne meurt «aucun homme de
l’escadre» tout entier, un succès si inespéré vaut un «signe évident
que l’air de cette île est très pur et très salubre» (I, 238). L’escale de
Négrades est moins salubre: «l’Ecueil est le seul des navire qui n’y a
laissé personne» (II, 68).

11Cf. I, 110; II, 236

12Signalons -le contraste a son prix- qu’une bonne année plus
tôt, le diariste ne s’inquiète pas outre mesure du sort d’un homme
tombé à la mer:
Il est arrivé ce matin au Gaillard ce qui nous arriva le 22 du
mois passé, c’est-à-dire qu’un de ses matelots est tombé à la mer.
Ce vaisseau a mis comme nous vent devant: j’ignore s’il l’a sauvé;
car avant qu’un navire n’ait perdu son erre et que son canot
soit à l’eau, un malheureux est bien loin, surtout dans des parages
pleins de requins. (I, 164)

13On se souvient de l’aparté d’Orgon attendri malgré lui par les
larmes de Marianne: «Allons ferme mon coeur, point de faiblesse
humaine!» (Tartuffe, v.1293).

14Cf.: «Il a bien fait d’envoyer quérir ...» (I, 173)

15Cf. notamment l’oeuvre de Louis Dumont et surtout Dumont
1983.

16Le Journal n’en fait jamais autant pour les autres décès: la
mort d’un matelot est un événement banal, qui s’inscrit de lui-même
dans une série. Le capitaine, par définition plus singulier, est, si l’on
peut dire, amarré au sort commun.

17Cf. aussi une notation pour nous surprenante lors de la messe
du bout de l’an du capitaine, où les pleurs attestent d’abord une déférence:
Il y a encore eu des pleureurs: cela a fait plaisir au
commandeur, qui a vu le respect que nous conservons
pour le défunt. (II, 220)

18La formule vient en réalité de l’Ecclésiaste (IV:10); Challe a dû
citer de mémoire. L’erreur d’attribution prouve au moins que
l’axiome lui paraît digne de la Caution suprême.
[page 17]

19Cf. II, 79.

20Cf. II, 74/182/266..

21Cf. I, 172.

22 Cf. I, 85.

23Cf. I, 122 et II, 79/204.

24 Cf. II, 181/265.

25Ariès, op. cit. , p.36.

26A propos de la peur de la mer sous l’Ancien Régime, voir
p.ex. Jean Delumeau, 1978: 31-42.
Ouvrages cités ou consultés
Ariès, Philippe. L’homme devant la mort Paris: Seuil, 1977.
____________ Le présent quotidien. 1955-66, avant-propos et notes
de Jeannine Verdès-Leroux, Paris: Seuil, 1997.
Challe, Robert. Journal..., éd. Frédéric Deloffre/ Melâhat Menemencioglu,
Paris: Mercure de France, 1983, 2vol. (coll. Le
temps retrouvé 36/37).
Deloffre, Frédéric (éd.), Autour de Robert Challe, Paris: Champion,
1993.
Delumeau, Jean. La Peur en Occident (XIVe-XVIIIIe siècles), Paris:
Fayard, 1978.
Dumont, Louis. Essais sur l’individualisme : une perspective anthropologique
sur l’idéologie moderne, Paris, Seuil, 1983.
Goldzink, J. »Droit canon, casuistique, religion et roman dans les
Illustres françaises» in id., De chair et d’ombre, Orléans : Paradigme,
1995, pp.43-60.
Vovelle, Michel. La mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris,
Gallimard, 1983, p.
Author: 
Paul Pelckmans
Article Citation: 
Cahiers du dix-septième: An Interdisciplinary Journal 8, 1 (2003), 1–17
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