Appel à communication : « Le génie à l’épreuve du genre »

« Le génie à l’épreuve du genre »

Au cours de la première journée du Laboratoire Junior FIGÉE, consacrée à la définition des différentes acceptions du terme « génie » dans les discours savants et théoriques des XVIIe et XVIIIe siècles, est apparue comme une nécessité l’approche du « génie » au prisme du genre.

 

En effet, si rien ne permet a priori d’affirmer que le génie soit exclusivement masculin, il convient de remarquer dans les textes de l’époque une écrasante majorité d’occurrences décrivant des hommes glorifiés pour leur perception du « génie » poétique de la langue ou de considérations sur le génie de telle ou telle profession exclusivement masculine.

Du génie d’abord perçu collectivement au génie de plus en plus individualisé – philosophique, poétique ou même scientifique – les textes paraissent ainsi résister à une inclusion des femmes d’Ancien Régime qui se retrouveraient reléguées hors de toute génialité. Pourtant, si l’on s’en tient à l’identification du génie particulier avec un « démon » telle qu’elle était si courante à la Renaissance, n’est-il pas encore possible de trouver au XVIIe siècle ne seraient-ce que les traces d’un « mauvais génie » féminin dans les nombreux récits de possessions et d’exorcismes ? À une période où les chasses aux sorcières font encore rage, où les sages-femmes sont progressivement inféodées aux médecins, où les épistolières doivent se ranger aux règles du bon goût et de la pudeur telles que définies par des auteurs de traités de civilité, est-il possible de déceler quelque part dans les textes d’Ancien Régime une description du génie qui ne soit pas en fait exclusivement masculine ? Au XVIIIe siècle, Diderot lui-même ne considérait-il pas, suivant en cela Aristote et Galien, que les femmes pussent transmettre du génie à leurs enfants sans en être elles-mêmes pourvues ? En faisant des femmes des êtres « mutilés et imparfaits » par rapport aux hommes, la tradition scolastique a-t-elle également amputé les femmes de toute possibilité d’être géniales ? Toutes ces questions sont autant d’invitations à explorer, sous l’angle de la notion de génie, des textes écrits non seulement sur les femmes, souvent pour des femmes, et – pourquoi pas même ? – par des femmes.

 

Il est possible de définir cinq pistes autour desquelles organiser cette journée d’étude. Devant le constat que l’histoire socio-culturelle et littéraire survalorise les écrits des hommes au détriment de ceux des femmes, sans doute n’est-il pas si paradoxal de repartir de considérations écrites par des hommes, sur des femmes, mais à destination d’autres hommes – ce qui constituerait une sorte d’entre-soi masculin – afin d’essayer d’identifier, dans les blancs de ces discours ou même en creux sous les préjugés souvent misogynes, un génie proprement féminin.

Une deuxième approche consisterait à explorer la littérature masculine directement à destination des femmes afin de tenter d’y déceler les contours d’un génie qui leur serait imposé de l’extérieur. Jacques Du Bosc publie par exemple en 1632 un traité à la postérité exceptionnelle, L’Honnête femme, suivi d’une multitude de déclinaisons et rééditions comme La Femme héroïque ou les héroïnes comparées avec les héros en toutes sortes de vertus. Jusqu’où est-il possible d’y voir un effort normatif d’édification d’un génie féminin ?

Cette dichotomie du « génie » se heurte toutefois à une troisième conception, qui suppose au contraire l’universalité de la notion. À l’opposé de la cour et de Du Bosc, Descartes affirme que la pensée n’est pas liée aux idiosyncrasies du corps et résume son projet dans le Discours de la méthode, « un livre, où [il a] voulu que les femmes même pussent entendre quelque chose ». Est-il dès lors possible d’affirmer que le génie n’est pas l’apanage du seul genre masculin et que lecogito puisse suffire pour penser la possibilité même d’un génie partagé, affranchi de la barrière des corps, des sexes, des genres ? S’appuyant en particulier sur Poullain de la Barre, Elsa Dorlin n’hésite pas à répondre à l’affirmative. Pourtant, cette question déchire les cartésiens : Malebranche, Poullain de la Barre ou encore Spinoza y apportent des réponses radicalement opposées.

Quatrièmement, la littérature à destination des femmes ne se limitant pas aux écrits d’homme, il convient d’envisager à part entière les œuvres de femmes philosophes, autrices ou artistes de la période, pour voir dans quelle mesure elles ont elles-mêmes pu proposer des réflexions sur la notion de génie et des exemples dont elles ne soient pas exclues. Il s’agira alors de désinvisibiliser ces conceptions issues de femmes de lettres afin d’enrichir tant et plus les différentes acceptions du génie évoquées lors de la précédente journée du laboratoire.

Enfin, une cinquième approche consisterait à analyser rétrospectivement la question du génie à partir du moment où, au XVIIIe, il s’individualise. En effet, quelles femmes des XVIIe et XVIIIesiècles seraient à présent considérées comme géniales ? Naturellement douées pour tel ou tel art, telle ou telle science ? Capables de produire des réalisations sublimes ? Sont-elles des individus d’exception, selon des conceptions plus tardives du génie ? Ces femmes de génie, injustement méconnues, méritent sans doute aujourd’hui d’être considérées comme telles et de sortir de l’ombre. Il devient dès lors possible de repenser les possibles figures de « génies » au féminin, depuis la sage-femme Louise Bourgeois jusqu’aux plus communément admises femmes de sciences comme les célèbres Christine de Suède et Émilie du Châtelet qui, suscitant souvent la jalousie, ont su imposer leur indiscutable génie aux yeux de leurs condisciples masculins.

La journée d’étude est prévue en vidéo-conférence le mercredi 9 juin 2021. Les propositions de communication, rédigées en français ou en anglais et d’une longueur maximale de 500 mots, sont à faire parvenir avant le 19 avril 2021 à l’adresse figee@ens-lyon.fr.