Appel à contributions : Molière hors de l'hexagone

Appel à contributions pour un ouvrage collectif.

L’œuvre de Molière, de portée universelle, représente la culture française dans le monde grâce aux tournées et aux traductions qui la rendent accessible aux artistes étrangers, mais aussi par les mises en scène qui en sont présentées ou réalisées hors de l’hexagone.

De même que les textes de Shakespeare ont assez vite pris le statut de patrimoine international, le répertoire de Molière représente un socle culturel essentiel, un « lieu de mémoire » pour les Français, mais aussi, paradoxalement, pour les étrangers. Les metteurs en scène qui s’en saisissent tiennent soit un discours hypostasié selon lequel ce théâtre porte en lui des valeurs d’humanité universellement reconnues qui lui permettent de supporter bien des interprétations, soit un discours transcendant qui l’érige en modèle, même fantasmé. Enfin certains développent également bien souvent un discours patrimonial selon lequel il leur incomberait de faire vivre ce « lieu de mémoire » que représente Molière. Grâce aux tournées françaises, au travail de certains metteurs en scène français avec des acteurs étrangers ou encore parce que des hommes de théâtre partout dans le monde choisissent de se confronter à ses textes et de leur faire passer la rampe dans leur pays et dans leur langue, Molière semble garde une place de choix à l’échelle du monde. 

Premier axe : les artistes français à l’étranger.

Depuis la création des « Comédiens de l’Empereur » par Napoléon Ier, les représentations du répertoire classique à l’étranger ont souvent été utilisées comme fer de lance de la culture française. Toutefois, ce n’est qu’à partir de la Première Guerre mondiale que les initiatives des acteurs (ceux notamment de la Comédie-Française) se trouvent relayées par les pouvoirs publics. Soutenues financièrement par le ministère des Affaires étrangères, mais aussi le ministère de l’Instruction publique, un nombre croissant de pays européens sont investis dans des tournées. Dès 1920, Émile Fabre, Administrateur général de la Comédie-Française de 1915 à 1936, fait des Comédiens français des ambassadeurs dans les pays voisins de la France, de la  Belgique à l’Autriche en passant par la Grande-Bretagne, l’Italie, les Pays-Bas et la Scandinavie, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie...

Dans le même mouvement, Louis Jouvet, le TNP de Jean Vilar, la compagnie Renaud-Barrault, puis le Théâtre de la Cité de Villeurbanne, aidés par les puissances publiques, se rendent aussi bien au Japon qu’en Amérique latine ou en Union soviétique pour tenir ce rôle de représentants de la culture française à l’étranger dans laquelle les œuvres de Molière occupent une part de premier plan. 

Depuis quelques décennies, cette diffusion s’est beaucoup diversifiée. Certains metteurs en scène français créent des spectacles avec des artistes étrangers dans leur pays d’origine et dans leur langue. Par exemple Antoine Vitez a présenté Tartuffe à Moscou en 1977, en russe avec des acteurs du pays ; Jean-Marie Villégier a mis en scène à Lisbonne en 1986 (douze ans après la Révolution des Œillets) un Dom Juan portugais avec la troupe nationale du Portugal, soit une pièce de Molière interdite sous le régime de Salazar. Éric Vigner a créé en 2004 à Séoul un Bourgeois gentilhomme avec la participation de la troupe du Théâtre national de Séoul. Au-delà de leur contribution à la diffusion de la culture française, ce détour par l’étranger permet aux metteurs en scène de renouveler leur regard sur les œuvres de Molière.

Deuxième axe : les traductions et les adaptations comme leviers pour la diffusion internationale de Molière.

La diffusion de l’œuvre de Molière sur les scènes internationales a aussi été rendue possible grâce à la réalisation de traductions et d’adaptations, parfois dès le XVIIIe siècle, comme en Hongrie, parfois plus tardivement, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, comme au Japon, au Liban et en Égypte ou plus tard encore pour d’autres pays de langue arabe — en fonction de leur situation géopolitique et de leur lien à la culture française. 

On ne trouve les premières traductions en japonais qu’après la Révolution Meiji en 1868. Elles sont notamment l’œuvre du romancier Kôyô Ozaki. Elles se multiplient progressivement (on en compte onze différentes entre 1892 et 1903) et sont assez rapidement portées à la scène. L’Avare, à peine traduit, est présenté par des troupes du kabuki comme Ichimura. Des éditions complètes deviennent accessibles. Ces adaptations japonisées contribuent à un mouvement de diffusion à grande échelle. En 1934, celle de M. Kyôshô Yoshié comportait même les farces de Molière. Remarquable, elle fut aussitôt investie par des acteurs comme Sadao Maruyama qui se ressaisirent du Tartuffe, de Dom Juan, de L’Avare, mais aussi de Sganarelle ou le cocu imaginaire. Après la Seconde Guerre mondiale, de nouvelles traductions, liées aux réformes de la langue japonaise, sont publiées par le Professeur Tatsuno, de l’Université de Tokyo. Entre 1948 et 1957, le Haïyuza, une troupe de Tokyo, met en scène Les Femmes savantes, L’École des femmes, Le Bourgeois gentilhomme, Le Tartuffe avec un très grand succès.

Quant au Moyen-Orient, les traductions et adaptations des œuvres de Molière jouèrent un rôle crucial dans l’émergence du théâtre moderne dans le monde arabe dont la première pièce, Al Bakhil, créée par le libanais Marun al Naqash en 1847 à Beyrouth, fut une adaptation de l’Avare de Molière. Quelques années plus tard, en 1890, l’Égyptien Othman Galal, publia un ouvrage rassemblant les premières adaptations en arabe de Molière qu’il intitula Quatre pièces du meilleur théâtre (qui comprenait Tartuffe, les Femmes savantes, l’École des femmes et L’École des maris). Grâce à ces adaptations précoces, Molière devient, du Machrek au Maghreb, l’auteur le plus joué.

Troisième axe : les mises en scène de Molière hors de l’hexagone.

Pour prendre la mesure de l’importance du répertoire de Molière sur la scène internationale, appréhender les choix d’orientations scéniques et sentir comment telle ou telle mise en scène s’inscrit dans une société bien précise, comment sa réception est fonction du contexte social, politique et culturel de sa production, nous pouvons tenter de rassembler ensemble également un large corpus qui nous permettra sans doute d’apprécier combien ce répertoire est, à l’étranger comme en France, un lieu d’expérimentations.

Si les pièces de Molière ont fait l’objet d’une intense activité d’adaptation et de traduction dans le monde, elles ont aussi bénéficié d’une multitude de mises en scène via lesquelles des dramaturges ont tantôt essayé de proposer une nouvelle relecture de l’œuvre en l’ancrant dans leur propre culture, tantôt ils s’en sont servis pour critiquer ou dénoncer les travers de leurs sociétés et tantôt, dans un élan d’expérimentation, ils ont proposé de nouvelles formes dramaturgiques qui peuvent s’avérer quelquefois inhabituelles voire provocantes. Ce fut le cas du Hongrois Laszlo Marton qui a fait couler beaucoup d’encre (ou fait grincer), quand en 1976 il a joué L’École des femmes au Théâtre national de Finlande à Helsinski et à Budapest, en faisant de la demeure où est enfermée Agnès une forteresse noire et sinistre que le scénographe Miklos Feher a encerclée d’une large et haute grille aux piquets menaçants. Mais bien des noms à l’international sont à prendre en compte, de Serge Denoncourt à Peter Stein en passant par Jorge Mario Escobar.

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Vos contributions nous aideront à dessiner un panorama, le plus significatif possible, des tournées à l’international de Molière, des traductions et des adaptations de son œuvre, de leurs modalités, de leurs enjeux, comme des grandes tendances de ce pan de l’histoire de la mise en scène.

D’ores et déjà, les premières directions exposées ici montrent combien le répertoire de Molière (limité, il est vrai souvent à un petit nombre de pièces récurrentes idéologiquement chargées comme Le Tartuffe, L’École des femmes ou Le Misanthrope) a servi et sert encore de terrain d’expérimentations à l’étranger pour les déconstructions les plus radicales de la scène contemporaine. À la croisée des cultures, Molière autorise toutes les audaces (pour la traduction de ses textes, comme pour leur mise en scène), car, comme Shakespeare, il est devenu atopique et atemporel.

 

Directeurs de publication :

Omar Fertat (Université Bordeaux-Montaigne) et Brigitte Prost (Université Rennes 2)

 

Comité scientifique (en cours).

 

Les propositions d’articles sont attendues d’ici au 30 octobre 2020 aux adresses suivantes :

prostbrigitte35@gmail.com

omar.fertat@u-bordeaux-montaigne.fr

 

RESPONSABLES : 

Omar Fertat, Brigitte Prost

Date de sortie de l’ouvrage novembre 2022 (choix de l’édition en cours de validation).

 

Voir les autres événements annoncés sur le site Molière 2022 :

http://moliere2022.org/