Appel à communications : Du prosimètre au poème en prose, de "L’Astrée" aux "Petits Poèmes en prose"

Université de Caen (LASLAR) et Université d’Artois (Textes & Cultures)

Caen, jeudi 26 et vendredi 27 mars 2020

 

Le prosimètre, « ambigu de Vers & Prose » (anonyme, 1662), usage conjoint du « discours mesuré » et du « discours libre » (Jaucourt, L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert), est une technique de création littéraire fort ancienne, puisqu’on en trouve des exemples dès l’Antiquité, dans les satires dites « ménippées » (Ménippe, Varron, le Sénèque de l’Apocoloquintose), dans le Satiricon de Pétrone ou dans le De consolatione philosophiae de Boèce. La littérature médiévale ne l’a pas ignoré (Aucassin et Nicolette, chanson de toile ; Guillaume de Machaut, Le Livre du voir dit), ni non plus les grands rhétoriqueurs (Le Temple d’honneur et de vertus, Lemaire de Belges, 1504). Dans les siècles suivants, les textes « mêlés de prose et de vers entrelardés » (La Satyre ménippée, 1594) ne manquent pas dans l’espace français, que ce soient des textes destinés prioritairement à être lus ou à être représentés.

Ce mélange a été bien étudié dans ses manifestations à la Renaissance (P. Dronke, Verse with Prose from Petronius to Dante, 1994 ; N. Dauvois, De la Satura à la bergerie. Le prosimètre pastoral en France à la Renaissance et ses modèles, 1999 ; Le Prosimètre à la Renaissance, éd., 2005), mais rares sont les études consacrées à ses diverses occurrences dans les siècles suivants, ainsi qu’à l’idée et à la pratique de ce qu’on appelle très tôt une « prose poétique » (voir la thèse de S. Duval, La Prose poétique du roman baroque, 1571-1670). Peut-être parce que cela contrevient d’emblée à la séparation en quelque sorte fondamentale (« classique »), établie par Aristote, du point de vue de la technè, entre la « création » en vers et l’« écriture en prose » ‒ la différence des termes renvoyant aussi, sans doute, à une différence de « nature ». Un des rares critiques du XVIIe siècle à aborder le sujet, Paul Pellisson, à propos d’une œuvre de Jean-François Sarasin, admire sa capacité à « être poète et orateur en même temps », alors que « l’on naît poète, l’on devient orateur », tout en critiquant un autre poète, Théophile de Viau, qui selon lui l’a employé « hors de son véritable usage au traité de l’Immortalité de l’âme, en une des plus sérieuses matières du monde ; au lieu que cette liberté de changer de style […] doit être réservée, ce semble, aux jeux de l’esprit et à ces ouvrages d’invention qui tiennent comme un milieu entre prose et poésie ». Il y aurait donc une convenance rhétorico-stylistique qui lierait le prosimètre à un certain type de « sujet » et à certains « genres ». Mais, le traité de Théophile le prouve, cette « convenance » peut être l’occasion de transgressions, dont il importe de mesurer la fréquence, les procédures et les effets, au fil d’une histoire qui voit se déliter les normes et frontières constituées par le classicisme, jusqu’aux poèmes en prose du XIXe siècle – si tant est que l’âge dit classique n’ait pas déjà procédé à toutes sortes d’expérimentations en ce domaine : Pellisson lui-même s’essaie à une sorte de poème en prose (Vers en prose, prose en vers), qu’il oppose à un mauvais poème versifié.

Plus largement, au travers de cet exemple, le colloque aimerait s’interroger sur les liens entre les choix technico-esthétiques (prose et/ou poésie) et les intentions discursives, puisque tout écrivain doit choisir à la fois ce qu’il veut dire et comment il va le dire.

 

Ce colloque peut permettre d’aborder les questions suivantes (sans exclusive) :

- quelles évolutions et transformations sont-elles observables dans une histoire qui mène de la pratique des poésies insérées (citées) dans la prose (L’Astrée) aux Petits poèmes en prose ? sur ce plan, comment l’histoire littéraire française s’inscrit-elle dans une histoire européenne ?

- quelles procédures sont-elles techniquement mises en œuvre ? Comment passe-t-on des vers à la prose, et inversement : insertion de vers dans un récit en prose, sous forme citationnelle ? vers et prose alternant souplement, et comme à l’aventure ? autres ? Quels types de versification sont-ils utilisés ?

- quelles sont les significations esthétiques, en leur temps, de ces œuvres hybrides, selon la configuration générale des poétiques de référence ?

- cette hybridité est-elle ouverte à toutes sortes de contenus (éthiques, idéologiques), ou est-elle réservée à un certain type de discours ? Y a-t-il une répartition des contenus entre une forme et l’autre ? Ou est-ce simplement une question de variété et de « fantaisie », par exemple dans les « lettres en prose et en vers mêlés » du XVIIe siècle galant ? Comment interpréter le fait que le prosimètre soit apparu comme particulièrement adapté à l’écriture satirique ?

- comment expliquer l’utilisation plus particulière de cette hybridation dans des textes liant la littérature et d’autres disciplines : littérature et récits de voyage (les Lettres du Limousin de La Fontaine) ; littérature et philosophie (T. de Viau) ; littérature et musique (comédie-ballet, comédie en musique, vaudeville, opérette…) ; littérature et sciences ?

 

Comité scientifique

Brigitte Buffard-Moret (Université d’Artois), Delphine Denis (Université de Paris-Sorbonne), Carole Dornier (Université de Caen), Suzanne Duval (Université de Lausanne), Pierre Frantz (Université de Paris-Sorbonne), Hugues Marchal (Université de Bâle), Guillaume Peureux (Université de Paris-Ouest Nanterre), François Raviez (Université d’Artois), Nicolas Wanlin (École polytechnique)

 

Comité d’organisation

Marie-Gabrielle Lallemand (Université de Caen, LASLAR), Claudine Nédelec (Université d’Artois, Textes & Cultures), Miriam Speyer (Université de Caen, LASLAR).

Les propositions (une page, accompagnée d’un mini-cv) sont à adresser avant le 1er octobre 2019 à :

Marie-Gabrielle Lallemand marie-gabrielle.lallemand@unicaen.fret Claudine Nédelec clnedelec@yahoo.fr

Il y sera répondu début décembre 2019.