Appel à communications : Présences de la voix XVIe – XVIIIe siècles

Colloque international

26-28 mars 2020

Université́ Toulouse Jean-Jaurès

 

Laboratoire PLH (Patrimoine-Littérature-Histoire)-ELH (Équipe Littérature Herméneutique) – EA 4601

 

Le colloque « Présences de la voix » a pour objectif d’interroger, dans une perspective interdisciplinaire, les différentes représentations de la voix dans les textes des XVIe-XVIIIe siècles, en articulant les approches littéraires et oratoires, scientifiques et médicales, mais aussi pratiques et théoriques.

 

 

Modalités de soumission

Les propositions de communications (titre provisoire, résumé́ de 150 mots, brève notice biobibliographique) sont à renvoyer pour le 15 juillet 2019 à l’adresse suivante : presencesdelavoix@yahoo.fr.

 

Organisateurs

Pascale Chiron, Philippe Chométy, Hélène Cussac, Agnès Rees

Université́ Toulouse Jean-Jaurès ELH-PLH

 

Appel complet

Le problème de la voix se pose en effet de manière particulière à cette époque dite « pré- classique » et « classique », où prédomine encore une conception largement orale voire oratoire de la littérature. Ainsi, au XVIe siècle, la volonté d’« imiter la nature » dans toute sa richesse, visuelle mais aussi sonore, se traduit par des tentatives mimétiques qui prennent la forme, dans certains poèmes de Ronsard et surtout de Peletier du Mans ou de Bertrand Berger, de véritables « tableaux » sonores reposant notamment sur des jeux d’harmonie imitative et sur les ressources de l’onomatopée. La lecture à haute voix et l’art de bien prononcer restent profondément ancrés dans les pratiques culturelles et littéraires. Ronsard, qui dans Les Amours de 1552 fait l’éloge d’une Cassandre à la voix enchanteresse, préconise encore, dans son Abrégé de l’art poétique de 1565, de bien « prononcer les vers » pour faire résonner le texte poétique et lui donner un surcroît de sens. Quant aux auteurs dramatiques, comme Jodelle, ils fondent le renouvellement du genre tragique sur une pratique essentiellement déclamatoire du texte théâtral.

Le XVIIe siècle développe un véritable « culte de la voix » (Ph. J. Salazar). Dans les manuels de civilité, le travail sur la voix et ses intonations, associé à la noblesse du maintien et à l’aisance du geste, occupe une place privilégiée dans l’art de la conversation polie. Sa maîtrise est essentielle à l’urbanité classique, condition indispensable des bonnes manières, tout en manifestant les dispositions du cœur, en lien avec les passions de l’âme. En termes d’actio oratoire, la voix est employée à la production du discours efficace. Par son énergie, elle donne aux orateurs, qu’il s’agisse de la chaire ou du barreau, le moyen de convaincre et de persuader par l’oreille. Témoignant d’une confiance dans les vertus communicationnelles de la parole humaine, elle s’inscrit dans une rhétorique de l’éloquence, envisagée comme un instrument du toucher. À cela s’ajoute, pour les prédicateurs, une forme d’oralité́ spécifique : il s’agit de faire agir, aussi bien qu’entendre, la voix tonnante de Dieu (Bossuet). Cette dynamique culturelle et sociale de la voix, qui participe d’une utilisation codée de la voix et de ses artifices, dans sa dimension publique ou privée, est indissociable d’une esthétique et d’une réflexion sur la théâtralité́. Comme des comédiens, l’orateur et le courtisan prêtent leur voix aux personnages qu’ils interprètent. Cette réflexion s’inscrit dans une pratique aux enjeux éminemment moraux – le loup devenu berger est attentif à « contrefaire sa voix » (La Fontaine) – et savants – le travail vocal participant de « l’art de prononcer parfaitement » (Hendret). Du point de vue de l’expression dramatique, une évolution du jeu scénique, et donc de la voix, se produit au cours du XVIIe siècle, tendant à l’émergence d’une diction prétendument « naturelle », au nom de la vraisemblance (Molière). Quant à la pratique de la lecture des textes à voix haute, elle fournit le critère de la réussite d’un texte, mesurée au plaisir qu’il procure. Boileau vante ainsi les qualités sonores du style et se moque de « ces auteurs nés pour nous ennuyer, / Qui toujours sur un ton semblent psalmodier » (Art poétique).

Au XVIIIe siècle, Diderot explore dans ses théories sur le théâtre (Paradoxe sur le comédien), mais aussi dans Le Fils naturel et Le Père de famille, les accents, le silence voire les sons inarticulés, véritablement aptes à transmettre les passions. La voix emplit ses textes narratifs, des Les Bijoux indiscrets, sans oublier les performances vocales du Neveu de Rameau et les cris de Suzanne dans La Religieuse. Voltaire, lui, montre aussi un attrait particulier pour la voix au point d’élargir la potentialité́ vocale au domaine végétal (Dictionnaire philosophique, art. « Âme ») et à ridiculiser la voix humaine lorsqu’il lui fait imiter des cris d’animaux (ibid., art. « Délits locaux »). Le corps sonore privilégié́ du siècle des Lumières est en effet la voix, chantée en premier lieu, en ce qu’elle est instrument de la nature et parle directement à l’âme (on pense bien sûr à l’Origine des langues de Rousseau). Si les auteurs du XVIIIe siècle héritent des morales de l’honnêteté, qui faisaient de la conversation modérée le lieu par excellence du bon goût, recommandant d’apprendre à user de sa voix d’une manière accordée aux attentes du «grand monde », ils ne résistent pourtant pas aux conséquences sensualistes d’une nouvelle esthétique qui n’est plus celle du goût mais celle du plaisir et de l’émotion. La primauté est donc désormais donnée à une voix naturelle, articulée ou inarticulée, ce qui n’empêche pas les orateurs de la Révolution d’user à nouveau de la grande éloquence.

Ces recherches sonores et plus particulièrement vocales s’enrichissent enfin d’un discours scientifique et médical sur la production des sons, la « physiologie » et les pathologies de la voix. Dès le XVIe siècle, les traités de médecine s’intéressent à l’anatomie de l’oreille et aux mécanismes de production des sons. Le De Arte Gymnastica de Girolamo Mercuriale (1569) étudie quant à lui la manière dont les exercices vocaux peuvent entrer dans les processus de soins thérapeutiques. Aux XVIIe et XVIIIe siècles paraissent de nombreux traités sur l’ouïe, le bruit et la musique, dans lesquels la voix se trouve interrogée. Des articles de L’Encyclopédie à l’Émile de Rousseau, on s’intéresse au rapport privilégié́ entre la voix et l’ouïe. Si les textes savants développent de multiples axes scientifiques autour de la voix (Cordemoy, Discours physique de la parole, 1668 ; Dodart, Mémoire sur les causes de la voix de l’homme, 1703 ; Les merveilles de la trachée-artère, 1712, etc.), les traités sur le beau et le goût privilégient quant à eux des entrées morales, n’hésitant pas à faire le lien avec la physique de la voix (Crousaz, 1715 ; Père André́, 1741).

Il s’agira donc d’étudier, dans une perspective interdisciplinaire, les discours sur la voix, ainsi que les différentes représentations de la voix humaine (et éventuellement animale) dans les textes des XVIe-XVIIIe siècles. Les interventions pourront s’articuler autour de quatre axes de réflexion :

 

1. Savoirs de la voix

Ce premier axe privilégiera une approche scientifique, physiologique ou anatomique de la voix, fondée sur l’étude des textes théoriques et des planches illustratives des XVIe-XVIIIe siècles. Il s’agira d’explorer les théories de la voix et leur évolution au cours de la période étudiée, et de mettre en évidence les répercussions du discours scientifique et médical dans les textes littéraires, voire dans les pratiques artistiques. Parmi les pistes possibles, on pourra s’intéresser à la réflexion médicale sur le « complexe voix-ouïe », qui préoccupe tant les savants et les médecins que certains auteurs « littéraires » de l’époque. Autrement dit, que se passe-t-il entre le moment où le son de la voix atteint l’organe et celui où il parvient à l’intellect ? Plus encore, l’oreille est-elle apte à donner un sens raffiné à la beauté de la voix ? On pourra également prendre en compte les textes qui fondent les théories et les représentations de la voix sur des pratiques d’anatomie comparée, consistant par exemple à mettre en rapport la voix humaine et les sons émis par les animaux.

 

2. Dire la voix

On s’intéressera dans cet axe aux descriptions linguistiques, littéraires et artistiques de la voix. Dans les différentes façons de représenter verbalement la voix aux XVIe-XVIIIe siècles, quels mots, quels qualificatifs permettent de designer ou de décrire la voix ? Quelle signification leur accorder ? Jusqu’à quel point une voix est-elle dite par exemple criarde, enrouée, faible, etc. ? Note- t-on une évolution de ces caractérisations au fil des textes ? Les descriptions poétiques et plus largement littéraires de la voix constituent également un terrain d’étude privilégié : qu’on pense au chant du rossignol chez Ronsard ou à ces vers du poème « Sur la mort de Marie » : « Hélas ! Où est ce doux parler, / Ce voir, cest ouyr, cest aller, / Ce ris qui me faisait apprendre/ Que c’est qu’aimer ? », ainsi qu’au « doux charme des voix humaines » évoqué́ par Théophile de Viau. La voix peut également faire l’objet de descriptions détaillées dans les blasons anatomiques du corps féminin (Victor Brodeau, « Blason de la bouche » ; Maurice Scève, « Blason du Soupir » ; Eustorg de Beaulieu, « Blason de la voix », etc.) Enfin, l’étude des illustrations plastiques de la voix pourra compléter ces réflexions. Peut-on représenter visuellement la voix ? Comment l’image, muette, peut-elle rendre compte des inflexions de la voix ? N’est-ce pas, après l’idée du clavecin oculaire du Père Castel, par la couleur que Diderot faisait «entendre » les voix (des « voix brunes, blondes ») à Mélanie de Salignac, sourde ?

 

3. Restituer la voix

Un troisième axe d’étude s’intéressera plus spécifiquement aux restitutions littéraires de la voix. On accordera une attention particulière aux effets de mimesis sonore qui visent à reproduire dans les textes littéraires les voix de la nature et tendent ainsi à reconstituer le « paysage sonore » d’une époque (selon l’expression de J.-M. Fritz). Cette réflexion pourra s’appuyer sur la distinction entre l’articulé (la parole humaine) et l’inarticulé (cris, soupirs, bruits, invocations). On s’intéressera ainsi au rôle des onomatopées, qui visent à reproduire les bruits de la nature dans leur diversité, et des interjections, qui traduisent dans certains poèmes lyriques de la Renaissance la nostalgie d’une oralité primitive : ainsi, dans les Dithyrambes à la pompe du Bouc de Ronsard, les « Hoh ! », « Évoé, ïach, ïach », habités du furor poétique, renvoient directement à la poésie orale de la Grèce antique. Voltaire ne se moque-t-il pas de l’humain jusqu’à en réduire la voix à sa valeur sonore : « Le prophète s’écria : « Pouah ! Pouah ! Pouah ! » (Dict. philosophique, Art. « Ézéchiel ») ? À l’inverse, la parole humaine peut être un moyen de donner la voix à toutes les créatures du monde : les Fables de La Fontaine entendent ainsi traduire « Tout ce que disent sous les cieux / Tant d’êtres empruntant la voix de la nature ». On étudiera plus largement les effets d’euphonie et de cacophonie dans les textes littéraires et dans les œuvres musicales. Une attention particulière pourra être portée au genre littéraire et musical des « cris » (Cris de Paris...).

 

4. Donner de la voix

On abordera enfin la mise en voix des textes, du XVIe siècle à l’époque contemporaine, du point de vue de la performance vocale. On étudiera, d’une part, les ressources rhétoriques et énonciatives des textes littéraires voués à une pratique orale ou à la mise en scène (textes de théâtre, sermons, oraisons funèbres, éloges, psaumes, cantiques, poèmes lus devant des académies, poèmes lus dans les salons mondains, etc.). Qu’il s’agisse des indications laissées par les auteurs eux-mêmes ou des éléments présents dans le texte écrit (exclamations, interjections, apostrophes, périodes oratoires), on mettra en évidence ce qui rend le texte propre à la déclamation. On pourra également s’appuyer sur les témoignages d’époque pour appréhender les performances vocales des poètes, acteurs et prédicateurs des XVIe-XVIIIe siècles. D’autre part, on s’intéressera aux dictions reconstituées, historiquement informées, des textes de l’âge classique en s’appuyant sur le travail de certains metteurs en scène (Eugène Green, Benjamin Lazar) ou de spécialistes de la prononciation (Olivier Bettens). On mettra ainsi en évidence le rôle essentiel de la mise en voix dans l’interprétation et la transmission des textes littéraires.

 

Source: Dramatica