Ducharme: Deux noms pour une muse: Melpomène et Thalia, ou Madeleine de Scudéry: une écriture romanesque, source de théâtre

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*/ Deux noms pour une muse, Melpomène et Thalia 1,

ou Madeleine de Scudéry :
une écriture romanesque source de théâtre2

«Des discours, des présents frivoles,
Certes n’ont rien de décevant,
Et des plumes et des paroles,
Autant en emporte le vent.»

Jean-Georges de Donneville 3

... Les lectures faites à haute voix s’envolent,
devenant de sourds bruits qui souvent résonnent
en écho dans le silence d’une autre lecture ...

Au XVIIe siècle, la lecture commune est envisagée comme une activité mondaine et salonnière, dans un pur esprit de sociabilité 4. Les magistrales œuvres romanesques de Madeleine de Scudéry, avec leurs diverses conversations intercalées, ont vraisemblablement été pensées à cette fin. Appréciées par des lecteurs grégaires (et d’autre solitaires), ses ouvrages ont habité l’air du temps et ont fait parler d’eux. Artamène ou le Grand Cyrus (1649–1653) a fait les délices d’un lectorat charmé dont l’abondance a sacré le roman de plus grand succès de librairie du XVIIe siècle. Pour sa part, Clélie. Histoire romaine (1654-1660) a ravi «mélancoliques» et «enjoués»5 à un point tel que le rythme des rééditions en fut précipité. D’ailleurs, la populaire taquinerie/mesquinerie de l’abbé Cotin au sujet de Scudéry confirme l’ampleur de l’engouement (voire de la dévotion)...

Les écrits de Sapho menèrent tant de bruit
Que cette nymphe en devint sourde 6.

2 juin 1701. Avec le dernier souffle de cette nonagénaire (1607–1701), c’est un grand nom de la littérature française qui s’efface simultanément du grand tableau de l’histoire. Pendant les siècles subséquents, Madeleine de Scudéry devient l’une des trop nombreuses minores qui n’intéressent quasi plus personne. Lecteurs, critiques et historiens, tous délaissent une auteure dont l’œuvre a néanmoins, et très certainement, marqué les esprits de son temps. Son importance, son influence dans l’histoire littéraire ainsi que ses écrits ont alors été banalisés, moqués. Depuis quelques trente ans toutefois, certains commentateurs ont entrepris la tâche périlleuse, vu son gigantisme7 , de dépoussiérer l’œuvre impressionnante et quantitativement surprenante de cette oubliée, une œuvre qui renaît donc lentement de ses cendres et à laquelle on s’efforce de restituer la valeur déterminante de son rôle dans la perspective du Grand Siècle littéraire.

Aujourd’hui, nul n’oserait plus contester l’idée attestant le caractère d’exception de Madeleine Scudéry au XVIIe siècle. Sa vie ne calque guère le modèle traditionnel, loin s’en faut. Après s’être désinféodée du joug d’un frère étouffant, cette célibataire fait de son indépendance, à tous points de vue (social, économique, littéraire, affectif), une vertu. Tout en entretenant de vieilles amitiés, elle tisse alors un nouveau réseau de relations, en tenant ses fameux Samedis, des relations dont certaines survivront aux épreuves de toute une vie. En parallèle d’une existence mondaine bien remplie, qui paraît être de tout instant, Scudéry se consacre diligemment aux tâches de l’écrivain. Sa fertile plume donne en cascade des romans-fleuves, des nouvelles, des conversations morales, des entretiens, des poésies et même des lettres. Un décompte qui semble toucher la perfection. Mais un vide subsiste : le théâtre est-il réellement un genre délaissé par Scudéry ?

Les pièces de théâtre du XVIIe siècle sont truffées de figures féminines «panachées». De célèbres comédiennes du siècle, pensons aux Madeleine Béjart et Marie-Thérèse Du Parc, ont ainsi incarné sur scène d’indomptables souveraines, d’aguichantes frivoles, d’éplorées amoureuses. Mais que dire de l’écriture théâtrale féminine au XVIIe siècle ? Peu de femmes s’y sont adonnées. Mentionnons les Mesdames de Saint-Bardon, de Gomez, de Sainctonge et Madame Deshoulières, Mlle de LaRoche-Guilhen, Marthe Cosnard, Françoise Pascale, Marie-Catherine Desjardins et Catherine Bernard. Ces dernières ont rédigé des pièces qui, si elles connurent un jour un quelconque succès, sont aujourd’hui devenues des pièces rares et étrangement «muettes». Quant à Madeleine de Scudéry, bien qu’elle n’ait guère écrit pour le théâtre, elle en inspira, dans une certaine mesure, certains fragments. Son nom flotte comme un murmure en arrière-fond de plusieurs pièces de la seconde moitié du siècle.

Tandis que Madeleine de Scudéry fut familière avec la presque totalité des genres littéraires, l’histoire ne fait état d’aucune contribution possible de sa part en ce qui a trait au théâtre. Vu cet apparent «désistement» scudérien, il peut alors paraître particulièrement audacieux de chercher à raccrocher son nom à l’histoire du théâtre du XVIIe siècle. Et pourtant. À la lecture de certaines pièces publiées et jouées dans la seconde moitié du XVIIe siècle transparaît de manière évidente une filiation entre ces dernières et les romans de Scudéry. Ces pièces sont farcies de renvois, de parallélismes étroits et d’échos forts en lien avec Artamène ou le Grand Cyrus et Clélie. Histoire romaine, des marques qui témoignent de l’influence de cette écrivaine sur l’esprit de certains créateurs d’œuvres en actes au XVIIe siècle, qu’elles aient été tragiques, tragi-comiques ou simplement comiques. Dans cette perspective, il devient possible d’inscrire Madeleine de Scudéry au cœur de l’histoire du genre théâtral romanesque par le truchement de lecteurs attentifs, eux-mêmes hommes de lettres. C’est très souvent par l’allure que prennent ces œuvres théâtrales, par le ton qu’elles affichent, par le style qu’elles développent, par les sentiments qu’elles exposent, par les personnalités qu’elles construisent, qu’elles rappellent à maints égards les écrits de la romancière.

L’hétérogénéité du public scudérien n’est plus à questionner. Il fut composé d’aristocrates, de bourgeois, de savants, de lettrés8 , entre autres. Jusqu’à Louis XIV qui lui versa une pension jusqu’à sa mort et à Mme de Maintenon qui mit ses œuvres morales à l’étude à Saint-Cyr. Adulée de certains donc (dont nombre de ses pairs), vilipendée par d’autres évidemment, Scudéry n’entendit pas les propos satiriques de Boileau qui vinrent après sa mort et qui lui valurent de verser dans le monde de l’oubli. Ainsi, de son vivant, elle combla les attentes de son lectorat tout en ne perdant jamais de vue l’évolution de ses intérêts de lecture en constants changements.
Au nombre des figures littéraires du XVIIe siècle qui ont lu ses ouvrages, nous pouvons notamment mentionner les dramaturges Philippe Quinault et Thomas Corneille, frère de l’autre, et le comique Molière. Afin de mettre en lumière le lien qui rattache discrètement Scudéry au théâtre du Grand Siècle et, par là même, éclairer l’attention de ses contemporains pour ses compositions, nous cherchons dans le présent article à témoigner principalement de l’importance d’Artamène ou le Grand Cyrus sur l’écriture et la structuration de quelques-unes des pièces de ces trois auteurs. Nous retenons de Philippe Quinault La Mort de Cyrus (1656) et Astrate, ou le roy de Tyr (1665), de Thomas Corneille, Bérénice (1657), et enfin, de Molière, Mélicerte (1666) et Le Misanthrope 9(1666).

Dans le but de rendre à Madeleine de Scudéry la part qui lui revient lorsqu’on prend connaissance de ces pièces de théâtre et pour mettre en relief son ascendance littéraire sur ces dramaturges et comique du XVIIe siècle, nous orientons notre réflexion suivant trois principaux axes d’étude, à savoir les emprunts de personnages, la reproduction et l’adaptation pour la scène de quelques histoires du Grand Cyrus et, enfin, une succincte mise au point quant au développement d’idées chères à Scudéry auxquelles ces hommes de théâtre ont continué de réfléchir.

Des figures réincarnées : une nouvelle vie sur scène

Artamène ou le Grand Cyrus regorge de personnages, correspondant le plus souvent à des types. Mais nous n’y retrouvons pas exclusivement des personnages bienséants, aux mœurs réglées, aux passions contrôlées et à la personnalité quelque peu «frelatée». Nous y croisons également quelques personnages vifs, plus singuliers, qui se détachent des autres par la vigueur qui les anime. L’intensité qui les caractérise, dans ce qu’elle présente de dramatique, d’enflammé et de nouveau, leur a assuré une seconde vie sur les planches dans certaines des pièces de Quinault, Corneille et Molière. La figure de Thomiris, reine des Massagettes, en constitue un exemple éclairant.

Inspirée de l’Histoire d’Hérodote, Madeleine de Scudéry travestit la figure de Thomiris, captive de Cyrus qui en est éperdument amoureux, en une amante déchaînée, cherchant à tout prix à vaincre l’insensibilité de Cyrus à son égard. Le texte opère ainsi une réelle réversibilité des caractères. Si Thomiris était elle-même insensible à l’amour avant de voir pour la première fois Cyrus, elle se trouve dès lors pervertie par l’effet d’une brûlante passion, sans pouvoir se maîtriser. Définie à partir de cet instant «maudit» comme une figure de fatalité, Thomiris n’agit plus que dans l’unique but de gagner le cœur de Cyrus. La gloire elle-même en arrive à céder le pas devant une passion trop forte, ce qu’avoue l’amoureuse:

je sçay bien que je devrois plus aimer la Gloire
que Cyrus : mais il y a bien long temps
que j’ay fait voir, que j’aime plus Cyrus que la Gloire. (X, 3, 766)

Au dernier tome du Grand Cyrus, la passion a finalement raison de tout effort déployé par Thomiris pour l’apaiser. Éveillant en elle la colère, la cruauté et une impitoyable soif de vengeance, la passion qui l’assaille la contraint à faire choisir Cyrus entre un amour réciproque envers elle ou l’exécution de son amante Mandane, qu’elle tient prisonnière.

La pièce de Quinault intitulée La Mort de Cyrus reprend les grands traits de l’histoire de Thomiris et de Cyrus mise en scène par Madeleine de Scudéry. Thomiris, qui en est l’héroïne principale, confère à la pièce sa coloration tragique. Toutefois, pour saisir significativement la complexité de cette figure féminine, du moins dans les deux premiers actes, la lecture du roman scudérien s’avère essentielle. Les propos échangés par les personnages de Quinault tirent sans détour leur origine des dialogues composés par Scudéry dans Le Grand Cyrus. De surcroît, parce que les gestes et le caractère de l’irascible amante sont minutieusement dépeints dans le roman scudérien, Quinault évite la répétition fâcheuse, optant pour une simple mise au point de quelques vers. La Thomiris qu’il met en scène n’agit plus en direct, avec cet emballement passionnel qui répugne au lecteur de Madeleine de Scudéry. Quinault conserve à celle-ci le soin du détail terrifiant qui fait fi de toute bienséance. En fait, par le truchement de ses personnages, il privilégie une évocation plus atténuée, moins criante, des horreurs entreprises par Thomiris. C’est donc par respect des convenances, de la bienséance et de la juste mesure que le confident de Thomiris, l’hypocrite Odatirse, lui rapporte en peu de mots ses excès de rage, sous une forme interrogative qui penche vers l’affirmation contenue plus que vers le pur questionnement (lequel serait suivi de certaines précisions qu’il vaut mieux passer ici sous silence) :

d’entre les morts par une erreur extrême,
Un des chefs de Cyrus fut tiré pour lui-même,
Ne fites-vous pas plonger par des ordres pressans
Sa Teste en un vaisseau plein du sang des Persans ?

(La Mort de Cyrus, I, 5)

L’extrait, malgré sa brièveté, tient en lui le nécessaire de l’information dont a besoin le spectateur/lecteur. Le dramaturge laisse le rappel des événements antérieurs et subséquents en suspens, dans un silence qui interpelle le recours au texte-source pour saisir l’ampleur réelle de la scène. Quinault témoigne ici de son talent à aller à l’essentiel sans se perdre dans un dédale d’ajouts qui s’enracinent au cœur du Grand Cyrus, où ils y sont déjà parfaitement étayés. Par conséquent, l’explication de la scène se retrouve exclusivement dans Le Grand Cyrus où il est écrit :

dés que ce Capitaine des Gelons eut plongé cette Teste par trois fois dans ce vase plein de sang, la fiere Thomiris qui vit sur le visage de tous les siens, que l’action qu’elle faisoit leur donnoit de l’horreur, en eut elle mesme. (X, 2, 644)

Tout en mêlant «de façon inextricable le galant et l’héroïque 10» dans La Mort de Cyrus, Quinault emprunte à Scudéry sa cruelle et sanguinaire Thomiris sans sentir le besoin de dépeindre sa personnalité bouillante par le biais d’un historique répertoriant dans les moindres détails l’éclat de ses actions, ses attitudes ou ses gestes, parce que le lecteur en a déjà pris connaissance ultérieurement11 , tout comme lui, chez Madeleine de Scudéry .
Même sans évocation descriptive, La Mort de Cyrus de Quinault représente habilement le combat des passions qui tiraille Thomiris, un trouble déjà exploité chez Scudéry12

.

La romancière ne camoufle guère la préoccupation et la tourmente de la reine lors que ses troupes capturent Cyrus lors d’un combat, ce qui lui fait avouer

j’ay de la haine pour luy [...] Mais helas, ces momens ne durent guere! [...] que ne doit point penser une Reine qui aime (X, 3, 764/767).

Si le déchirement intérieur de Thomiris s’étend sur plusieurs lignes dans Le Grand Cyrus, l’épanchement de la reine dans la pièce de Quinault est concentré en quelques alexandrins seulement :

Sous le nom de la haine, avec toute la flame
L’Amour s’introduisit jusqu’au fond de mon ame;
Et je crus beaucoup faire, en me laissant toucher,
Ne le pouvant plus fuir, de le pouvoir cacher. (La Mort de Cyrus, I, 5)

Si la langue de Thomiris se délie pour laisser libre cours à de longues tirades chez Scudéry, les états d’âme de l’amoureuse de Quinault donnent plutôt lieu à des confidences ramassées et synthétiques. Au détriment de l’abondance (de l’enflure sentimentale même), Quinault préfère la force de l’aveu direct. Tout en se montrant fidèle à la reprise de la thématique scudérienne portant sur «la légitimité et la bienséance des passions13 », Quinault s’efforce de résumer la pensée scudérienne en peu de mots pour lui insuffler la vigueur de l’écriture théâtrale
14. C’est dans cette perspective que «le roman de Mlle de Scudéry offre une théâtralité implicite que Quinault a exploité et [...] cette théâtralité dans le roman s’articule déjà autour des passions15 », de souligner Nathalie Pierson, dans son étude récente vouée au spectaculaire tragique. À ce titre, pensons à la prise de Cyrus par ses ennemis, permettant un éclaircissement concernant le sentiment de Thomiris, comme le note Madeleine de Scudéry :

[elle] eut plus de joye de voir Cyrus en sa puissance, que si elle eust gagné cent Batailles, & conquis cent Royaumes. (X, 3, 749)

L’aveu de Thomiris, chez Quinault, se fait dans un même esprit :

Lors que pour terminer cette guerre funeste,
Des ennemis vaincus vous défîtes le reste,
Et livrâtes Cyrus vivant en mon pouvoir,
Je sentis tout-à-coup tous mes sens s’émouvoir. (La Mort de Cyrus, I, 5)

La figure de Thomiris est sans doute l’une des figures les plus originales du Grand Cyrus de Scudéry. Elle représente le déséquilibre, elle figure l’excès, elle incarne l’intensité non réfrénée. Bref, elle se donne comme l’antithèse de la figure féminine idéale dans la tradition du roman héroïque. Pourrait-on voir en elle une ancêtre de la Phèdre de Racine, soumise aux ballottements d’une insondable fatalité ? Par ses emportements irrépressibles, ses décisions (cruellement) passionnées, sa personnalité flamboyante et ses sentiments incontrôlables qui tournent au spectaculaire romanesque, Thomiris confère une dimension théâtrale déterminante au roman scudérien, une dimension que Quinault a certes entrevue, assez à tout le moins pour construire son œuvre comme un lieu de résonances du Grand Cyrus, étant lui-même la clé pour saisir avec justesse l’aura de la pièce et éclairer en nuances ses non-dits
16 .

Thomiris n’est toutefois pas l’unique personnage du Grand Cyrus à avoir suscité l’intérêt des hommes de théâtre. Pensons à ses coquettes Artelinde et Dorinice. Toutes deux amantes infidèles et frivoles, volages et feuillantines, Artelinde et Dorinice se délectent dans Le Grand Cyrus à entretenir des relations amoureuses simultanées au grand dam de leur plus fidèle amant. Elles aiment sans aimer, elles donnent leur cœur sans le donner. Elles se glorifient à l’idée d’avoir conquis un nouvel amoureux et d’être le centre d’attention des honnêtes gens autour d’elles. On lit au sujet de Dorinice :

il faut que vous sçachiez que cette Personne qui ne fut jamais capable d’amour, & qui ne le sera de sa vie, est la plus grande Coquette d’amitié qui soit au monde [...] Mais elle a pourtant cela de particulier [...] qu’il y a des bornes dans son cœur, au delà desquelles personne ne sçauroit aller : car on est aussi bien aupres d’elle en trois mois, qu’on y peust estre en trois ans. (X, 3, 659–660).

La présentation d’Artelinde s’échafaude également autour de la notion de coquetterie. D’ailleurs,

[il] n’a jamais esté une Personne plus Coquette que celle là. Car non seulement, elle vouloit gagner des Amants par sa beauté et son esprit, mais encore par ses soings, par sa complaisance, et par sa civilité (IV, 3, 408).

En contrepoint de ces deux figures féminines au cœur léger, Scudéry construit le personnage de Cléonice, quelque peu casanière, préférant la tranquillité à l’énervement amoureux, désireuse de conserver sa liberté, qui simplement

prenoit les divertissements mais ne les cherchoit pas
avec empressements (IV, 3, 407–408).

Cléonice est dite comme une figure féminine plaçant ses seules espérances en l’amitié et tâchant de préserver son cœur de toute attache amoureuse. Elle peut d’ailleurs être vue, dans cette optique, comme une des premières manifestations de préciosité insérées dans les romans de Madeleine de Scudéry. Si Cléonice condamne Artelinde pour sa légèreté papillonne, cette dernière, en retour, blâme la sévérité, voire l’austérité de Cléonice.

Dans le Misanthrope de Molière, ces blâmes réciproques de la prude à la coquette et de la coquette à la prude sont fidèlement repris du texte de Scudéry. Nous constatons une parenté incontournable entre la Célimène de Molière et l’Artelinde de Scudéry et, en parallèle, entre l’Arsinoé de Molière et la Cléonice du Grand Cyrus. Seul suffit de citer à la suite un extrait du Grand Cyrus lors duquel Cléonice critique Artelinde et l’échange qui se tient entre la prude et la coquette dans Le Misanthrope pour y voir confirmée l’hypothèse d’une filiation entre le roman et la pièce. Nous lisons dans le Grand Cyrus :

Car enfin, lui disait Cléonice, vous ne me ferez point croire que cette multitude qui vous suivent, & qui vous obsedent eternellement, & aux Temples; & dans les ruës; & aux promenades; & aux Maisons où vous allez; vous suivent sans espérer : & vous ne me ferez pas croire non plus, qu’ils puissent tous espérer si vous n’y contribuyez rien. (IV, 3, 412)

Chez Molière, les propos de la prude s’orientent de même manière :

Hélas ! Et croyez-vous que l’on se mette en peine
de ce nombre d' amants dont vous faites la vaine,
et qu'il ne nous soit pas fort aisé de juger
à quel prix aujourd’hui l’on peut les engager ?
Pensez-vous faire croire, à voir comme tout roule,
que votre seul mérite attire cette foule ?
Qu’ils ne brûlent pour vous que d' un honnête amour,
et que pour vos vertus ils vous font tous la cour ? (Le Misanthrope, III, 4)

De même qu’Artelinde dans Le Grand Cyrus qui s’efforce de justifier son attitude légère en tournant en dérision l’attitude «solitaire» de Cléonice, la Célimène de Molière use d’une stratégie identique :

Là, votre pruderie et vos éclats de zèle
ne furent pas cités comme un fort bon modèle :
cette affectation d’un grave extérieur,
vos discours éternels de sagesse et d’honneur,
vos mines et vos cris aux ombres d’indécence
que d’un mot ambigu peut avoir l’innocence,
cette hauteur d' estime où vous êtes de vous,
et ces yeux de pitié que vous jetez sur tous,
vos fréquentes leçons, et vos aigres censures
sur des choses qui sont innocentes et pures,
tout cela, si je puis vous parler franchement,
madame, fut blâmé d’un commun sentiment. (Le Misanthrope, III, 4)

Les Artelinde, Dorinice et Cléonice de Scudéry, Molière les lui emprunte, voyant en elles des figures-types, des caractères susceptibles de servir efficacement la comédie. De leur personnalité, de leur manière d’être, de se dire et de dire, Molière a tiré un réel comique de situation en rédigeant une pièce au cœur de laquelle ces figures scudériennes ont pris un souffle frais tout en s’affichant sous de nouveaux noms17.

Quant à son misanthrope Alceste, Molière le rapproche étrangement du personnage de Méréonte, amant de Dorinice, chez Scudéry. Leurs aspirations sont les mêmes. Leur passion pour une coquette, qu’ils savent comme telle, les force, en dernier recours, à l’exil. Dans le Grand Cyrus, Méréonte a beau reproché à Dorinice ses trop nombreuses relations, en demandant

pensez vous effectivement qu’il n’y ait point quelque espece d’honneste coquetterie, à en avoir tant ? (X, 3, 682),

Dorinice se refuse à lui promettre l’exclusivité de son cœur. L’Alceste de Molière ne réussit guère dans sa tentative auprès de Célimène lorsqu’il lui demande de partir en quelque lieu isolé avec lui passer le reste de sa vie. Sa volage amie lui répond simplement, tout bonnement :

La solitude effraye une âme de vingt ans :
je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte. (Le Misanthrope, V, 4)

Molière ne s’inspire pas seulement de quelques personnages construits par Scudéry pour établir les grandes lignes de son Misanthrope. Quelques éléments du plan de sa pièce correspondent habilement au développement narratif de l’histoire de Cléonice et d’Artelinde dans Le Grand Cyrus. Mentionnons sa reprise de la lettre galante envoyée par la coquette à plusieurs de ses amants ou encore l’épisode ultérieur lors duquel la supercherie, découverte, entraîne son lot de railleries. Étant là l’essence en quelque sorte de l’intrigue du Misanthrope, l’influence de l’écriture scudérienne sur l’écriture moliéresque prend tout son relief, comme l’a noté Alain Niderst en concluant que «[Molière] admire et imite Madeleine de Scudéry; il lui emprunte ses analyses psychologiques [et quelques-unes de ses idées de construction narrative] [...]. Mais il tente de rendre cette nouvelle plus théâtrale et plus émouvante18 ».

La multitude d’histoires force le choix...

L’histoire de Cléonice et Artelinde est une parmi combien d’autres. Le Grand Cyrus de Scudéry regorge d’histoires, constituant un réservoir abondant où se juxtapose un lot considérable d’histoires plus ou moins succinctes où les hommes de théâtre ont su puiser la matière première de quelques-unes de leurs pièces. Pensons, par exemple, à l’histoire des amoureux Sésostris et Timarète au sixième tome du Grand Cyrus
19 . La méprise sur l’identité des personnages est l’élément focal de l’histoire et catalyse son dénouement. Sésostris n’y est pas le simple berger qu’il croit être. Il est fils d’Apriez, le prédécesseur de l’actuel roi d’Égypte. De même, Timarète n’est pas une bergère mais plutôt la fille de l’actuel roi égyptien Amasis. Entre un amour possible, puis impossible, puis à nouveau possible, la narration scudérienne navigue en eaux troubles. Cette histoire, par ses revirements continuels de situations, a été adaptée maintes fois pour le théâtre. Qu’on pense à l’Astrate de Quinault, à la Bérénice de Corneille, ou encore à la Mélicerte de Molière, une comédie pastorale héroïque inachevée. Ces pièces ont toutes comme principal sujet les fausses identités révélées à la fin du dernier acte.

Au Sésostris de Scudéry correspond d’abord l’Astrate de Quinault, fils survivant du roi assassiné et auquel la couronne doit revenir; correspond aussi le Philoxène de Corneille, lequel est roi de Phrigie et non celui de Lydie, ce qu’il croit être; enfin, correspond le Myrtil de Molière, qui se découvre comme fils héritier du roi légitime d’Égypte.

À la Timarète de Scudéry correspond d’une part la Bérénice de Corneille, laquelle n’est pas la fille du gentilhomme de cour Araxe mais plutôt la fille de Léarque, qui occupe le trône de Phrigie; d’autre part, correspond la Mélicerte de Molière, reconnue pour fille d’Amasis, roi d’Égypte.

Au-delà des noms qui ont été modifiés d’un texte à l’autre, la vie de ces personnages ressemblent étrangement à celle des Sésostris et Timarète du Grand Cyrus. Sans aucun doute, l’exemple le plus achevé et ressemblant à l’égard de l’histoire de la fausse bergère et du faux berger amoureux l’un de l’autre n’est autre que la Bérénice de Thomas Corneille. C’est en extirpant les deux amants scudériens de leur cadre pastoral en les faisant d’emblée de sang royal de manière à les fondre dans l’univers du tragique théâtral, que Corneille fait de Bérénice le condensé de l’histoire élaborée par Madeleine de Scudéry.

Thomas Corneille importe dans son théâtre les personnages scudériens, les situations-clés (dont les fausses identités) auxquelles ces derniers sont confrontés et, par conséquent, les sentiments qu’ils doivent gérer. De ceci résulte un parfait alliage de parallélismes et de renvois. Sa composition suit les grands axes de l’intrigue structurée par Scudéry. Dans cette perspective, cinq correspondances peuvent être énumérées. La première réside dans l’alternance de condition du jeune cavalier Philoxène, reconnu comme prince, redevenu simple sujet, puis enfin rétabli dans sa condition véritable. La deuxième correspondance devient perceptible dans la reconnaissance de la jeune Bérénice comme simple sujette qui recouvre finalement sa véritable identité de fille de roi. La similitude suivante se rattache à l’évocation de tablettes perdues et retrouvées où sont inscrites les confessions d’une reine-mère agonisante, morte depuis longtemps, servant d’objets-preuves pouvant confirmer la nature des véritables identités interchangées. Un autre lien réside dans les aveux tardifs d’un ancien confident de la reine décédée, tout repentant d’avoir observé si longtemps le silence. Enfin, la dernière correspondance est notoire à travers les combats de générosité qui s’engagent entre les deux amants à chaque changement d’identité, le plus favorisé du sort souhaitant toujours, mus par un amour sincère, associer l’aimé(é) à son bonheur, lequel ou laquelle se dérobe inlassablement par excès de délicatesse. En usant d’une matière aussi fertile, la tragi-comédie de Corneille est devenue une pièce romanesque, imprégnée de l’atmosphère qui habitait le texte scudérien.

Les rapprochements sont étroits et nombreux entre les passages du roman et les différents actes de la pièce. Une résonance est toutefois particulièrement frappante à la lecture de la 3e scène du 4e acte de Bérénice, une scène qui traduit l’échange amoureux de la princesse Bérénice et du sujet Philoxène. Leurs confidences constituent l’écho vivant de celles de Timarète et Sésostris dans Le Grand Cyrus lorsque celle-ci promet à son amant de ne jamais l’oublier, peu importe sa condition :

ne me demandez rien davantage : je fais sans doute peu, pour la Bergere Timarète: mais je fais peut estre un peu trop, pour la Princesse d’Egipte (VI, 504).

Seront remises dans la bouche de Bérénice les mêmes paroles, alors versifiées, cette fois-ci adressées à Philoxène :

Sois seur, si mes ennuis soulagent ton malheur,
Que mon dernier soûpir marquera ma douleur.
Je sçay q’après deux ans d’un aveugle service
Borner là ton espoir c’est peu pour Berenice,
Mais à jetter les yeux sur ce que je me doy,
C’est peut-estre beaucoup pour la Fille d’un Roy. (Bérénice, IV, 2)

Un simple effet du hasard ne peut tout expliquer… Nous pouvons croire que Corneille a délibérément cherché à adapter l’histoire de Scudéry pour le théâtre. Dès cet instant, la prose s’est faite vers, le roman est devenu théâtre. Corneille s’est ainsi approprié un texte romanesque à succès pour en faire une pièce qu’il a signé, une signature derrière laquelle les lecteurs attentifs dépisteront également celle de la romancière Madeleine de Scudéry .

Une réflexion qui se poursuit

Les idées que les œuvres romanesques de Madeleine de Scudéry ont exploitées, véhiculées, mises de l’avant, notamment en ce qui a trait à la femme, à son indépendance, à sa formation intellectuelle, à la préciosité, à l’amitié tendre et au saphonisme ont été reprises à bon compte par un certain nombre d’auteurs de théâtre du XVIIe siècle. Évidemment, le nom de Molière ne peut être passé sous silence à cet égard, car comme le conclut J. H. Withfield, «Mlle de Scudéry anticipated some attitudes of Molière20 ». À l’image d’autres, ce dernier a vu dans Artamène ou le Grand Cyrus et dans Clélie (ce qui est généralement plus connu) des sources d’inspiration. Par exemple, tout comme Scudéry, Molière a vivement plaint les jeunes filles tyrannisées par leurs parents, mariées contre leur gré, soumises au joug d’époux contrôleurs/contrôlants. Molière, à l’instar de Scudéry, n’a pas hésité à pourfendre la jalousie des maris et l’ambition excessive des familles.

En fait, Madeleine de Scudéry n’est pas une des Précieuses ridicules de Molière; elle appartient plutôt au groupe d’«indépendantes d’esprit et de vie» qui les a précédées (si, bien sûr, nous endossons la thèse voulant que les précieuses ont déjà formé une communauté distincte, ce dont plusieurs doutent aujourd’hui et remettent en question
21 ). Désireuse de repousser la grossière ignorance et les effets opaques de surface, Scudéry s’est elle-même moquée de l’afféterie de la seconde «génération» de Précieuses. Elle s’est désolée de leurs lassantes mignardises et de leur superficialité, notamment en opposant Sapho et Damophile dans le dernier tome du Grand Cyrus22 , et en a longuement discuté dans les conversations parsemées dans la Clélie. Par conséquent, si c’est à titre de poète comique à la plume joyeuse qu’écrit Molière, toujours enclin à mettre au jour les excès et insuffisances du ridicule social, la plume de Scudéry trahit quant à elle un esprit «engagé» et un savoir que la femme de lettres met subtilement en mots
23 .

Les études sont nombreuses lorsqu’il est question d’établir un rapprochement idéologique (une connivence, si elle est possible) entre Scudéry et Molière, plutôt que de voir en eux deux irrémédiables ennemis. La question de Victor Cousin en 1858 était déjà à-propos: «En quoi donc peut-il [Molière] être en guerre avec mademoiselle de Scudéry, qui veut et qui dit absolument la même chose?24 » Il faut certes éviter de soutenir l’idée d’un reproche adressé à Scudéry lorsque Molière fait référence à ses romans ou à ses personnages25 . Pour en être convaincu, il suffit de consulter les études de Roger Duchêne26 ou d’Alain Niderst27 par exemple, lequel va même jusqu’à proposer l’idée d’une «alliance parfois explicite de la romancière et du dramaturge
28 » :

Madeleine de Scudéry est une humaniste comme Molière. C’est-à-dire qu’elle repousse, fièvreusement ou ironiquement, tout ce qui “déforme la Nature”. Pas plus que Molière, elle n’a l’idée d’opposer la nature et la culture, ni de rêver sur les balbutiements prélogiques. La Nature, c’est l’homme complet, et l’épanouissement de son esprit ne doit pas contrarier celui de son corps, ni de sa sensibilité. [...] comme Molière, Madeleine de Scudéry exprime, au sein d’une réalité sordide et tourmentée, la persistance des rêves humanistes d’équilibre, d’amour et d’amitié29 .

Que ce soit dans une perspective tragique ou comique donc, Artamène ou le Grand Cyrus a retenu l’attention de certains écrivains de théâtre du XVIIe siècle. Ils ont fait monter certains de ses personnages sur les planches. Ils leur ont permis de revivre leur histoire sous d’autres noms, dans des cadres littéraires différents. Ce roman scudérien (ou du moins certaines parties) n’a pas seulement été avidement lu, il a été vu et chaudement applaudi. Une hypothèse plausible peut être soulevée : considérant l’immense succès qu’a connu Artamène ou le Grand Cyrus, certains habiles y ont probablement vu une avenue sécuritaire à explorer, où s’aventurer, et un contenu intéressant à s’approprier pour satisfaire le goût des spectateurs, à cette époque encore fervents lecteurs de longs romans héroïques et galants. C’est ainsi ce qui a semblé assurer le succès de La Mort de Cyrus, entre autres, alors que Maurice Magendie soutient que la pièce «laisse bien loin derrière elle tous les soupirs, toutes les langueurs d’Artamène. La tragédie est une exagération et une aggravation du roman30 », et qui plus est, d’un roman à succès. En somme, si Madeleine de Scudéry ne s’est pas taillée une place ouvertement au creux du genre théâtral, c’est toutefois par le truchement de ses énormes romans un jour fort primés qu’elle laisse sa marque et des traces de son génie en filigrane dans l’histoire d’un genre combien masculin au XVIIe siècle.

Université de McGill

NOTES

1Nous rappellerons ici que Melpomène est la muse de la tragédie alors que Thalia est celle de la comédie.

2Nous tenons à remercier le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture pour son soutien financier. Nos remerciements vont également à Michel Ducharme pour ses précieux commentaires à la lecture de ce texte.

3Dernière strophe d’un poème intitulé «Vers de Méliante sur des plumes» figurant dans les Chroniques du Samedi. Suivies de pièces diverses (1653–1654) [Alain Niderst, Delphine Denis et Myriam Maître (dir.), Paris, Honoré Champion, 2002, «Sources classiques», p. 156–157].

4Avec l’émergence du roman, la lecture collective devient un phénomène littéraire et social en elle-même : on lit les textes avec d’autres, on les écoute, on en cause, on s’en inspire. Comme le souligne Somaize, «ces ouvrages lus en public, soumis au jugement des ruelles avant d’être livrés à l’impression, devenoient en quelque sorte une œuvre collective» (Antoine Baudeau de Somaize, Dictionnaire des Précieuses, P. Jannet Libraire, Paris, 1660, p. xxv). D’ailleurs, «[l]a pratique de la lecture est un phénomène social et culturel qui se réfère à des normes et valeurs partagées par la société tout entière mais aussi à des normes et valeurs spécifiques aux différents groupes sociaux» (Chantal Horellou-Lafarge et Monique Segré, Regards sur la lecture en France. Bilan des recherches sociologiques, France, L’Harmattan, 1996, p. 315). Voir également Marie Gabrielle Lallemant, La Lettre dans le récit. Étude de Mlle de Scudéry, Tübingen, Gunter Narr Verlag, coll. “Biblio 17", 2000, p. 16. Voir P. Dumonceaux, «La lecture à haute voix des œuvres littéraires au XVIIe siècle», in Littératures classiques, no 12, janvier 1990, p. 117–125 et de R. Chartier, «Loisir et sociabilité : lire à haute voix dans l’Europe moderne», in Littératures classiques, no 12, janvier 1990, p. 127–147.

5Les termes ici employés («mélancoliques» et «enjoués») font référence aux deux catégories de personnages dépeints dans la Clélie, laquelle présente même une conversation sur le sujet.

6Nicole Aronson, Mademoiselle de Scudéry ou le voyage au pays de Tendre, Paris, Fayard, 1986, p. 57.

7Les dix tomes d’Artamène ou le Grand Cyrus totalisent quelque 13 095 pages alors que Célie. Histoire romaine, publiée également en 10 tomes, approche les 7 300 pages... des quantités qui ont fait dire à plusieurs qu’il s’agissait d’une œuvre-monstre.

8En vérité, le lectorat des œuvres de Madeleine de Scudéry est ressemblant à la société qui évolue dans l’entourage de la romancière. À ce chapitre, Victor Cousin note, dans Le Journal des Savants de juin 1858 : «On connaît maintenant les divers personnages qui composaient cette société, les hommes et les femmes, les visiteurs d’élite et les habitués, les grands seigneurs et les grandes dames, les lettrés, les bourgeois et les bourgeoises de rang différent, depuis la roture opulente jusqu’aux plus médiocres conditions.» (p. 355)

9J. H. Whitfield a déjà mis en lumière le lien possible à établir entre Molière et Scudéry. Voir «A Note on Moliere and Mlle de Scudéry», Le Parole e Le Idee : Rivista internazionale di varia cultura, no 5, 1963, 175–187.

10Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, Paris, Albin Michel, «Bibliothèque de l’Évolution de l’Humanité», 1997 [1948], tome 2, 354.

11Les dix tomes d’Artamène ou le Grand Cyrus furent publiés entre 1649 à 1653 alors que La Mort de Cyrus est parue en 1656.

12Nathalie Pierson explique le choix de Quinault d’omettre le détail des éléments sanguinaires de la scène par «la règle aristotélicienne [visant à] rejeter tout sentiment d’horreur dans la constitution de la catharsis et ne retenir que celui de crainte ou de pitié» («Madeleine de Scudéry et Philippe Quinault : du romanesque au spectaculaire tragique», dans Delphine Denis et Anne-Elisabeth Spica (dir.), Madeleine de Scudéry : une femme de lettres au XVIIe siècle, Actes du Colloque international de Paris, Arras, Artois Presses Université, 2003, «Études Littéraires», 257).

13Adam (1997 [1948]), 692.

14Toutefois, il arrive que ni l’un ni l’autre ne donne dans l’effusion. Alors que Thomiris se méfie de ses sentiments chez Scudéry en disant : «Il faut renvoyer promptement ce dangereux Ambassadeur, que nous voudrions pourtant qu’il ne partist jamais d’icy : il le faut, je le dois, & je le veux, mais je ne sçay si je le puis» (II, 1, 231), la reine de Quinault confie simplement :

«Je sais ce que je dois, mais consultant mes feux
Je ne sais pas trop bien encore ce que je veux» (V, 4).

15Pierson (2003), 255–256.

16Étienne Gros écrit : «Quinault est né à la vie en 1635; mais il est né au théâtre en 1653. Il a été “mis au monde” par une précieuse [...] il a vu lire les romans, discuter les romans et exalter les romans. À son tour, il les a lus et s’en est nourri. On l’a dit très justement : son théâtre sort du Grand Cyrus et de la Clélie» (Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre, Genève, Slatkine Reprints, 1970, 346).

17Dans son court article visant à éclairer quelques-unes des similitudes existant entre Artamène et Le Misanthrope, Anne Reese Pugh note : «it is interesting to find that the same woman who has often been supposed to have been the target of the malicious shafts lanced by Molière against prudes, has painted a coquette having much in common with Celimène, and that a prude can say agreeably the disagreeable speeches of Arsinoé» («Note Upon Somme Similarities between Le Grand Cyrus and Le Misanthrope», Modern Language Notes, vol. XI, no 3, mars 1896, 87).

18Alain Niderst, «Une source du Misanthrope (Mlle de Scudéry, Le Grand Cyrus)», dans Missions et démarches de la critique. Mélanges offerts au professeur J.-A. Vier, Paris, Klincksieck, 1973, 365.

19Concernant l’inspiration de cette histoire présente dans Artamène ou le Grand Cyrus de Scudéry, on se reportera à l’article de Francis Barton intitulé «The Sources of the Story of Sesostris and Timarète in Le Grand Cyrus», Modern Philology, vol. XIX, no 3, février 1922, 257–268.

20Whitfield, (1963) 86. Barbara Cison va dans le même sens : «Even if Molière might not have agreed with all that Madeleine de Scudéry said and did, he chose to subscribe to the basic philosophy which she espoused by incorporating it into his own work» (1967)166–167.

21Par exemple, selon Roger Duchêne, la précieuse n’est pas une figure ayant une existence réelle. Elle correspond plutôt à une création imaginaire. À ce titre, il écrit que «Les Précieuses ridicules ne sont ni une représentation caricaturale de vraies précieuses, ni une satire de leurs maladroites imitatrices. Comme l’a senti d’emblée le gazetier Loret, ce sont des précieuses imaginaires» (Les Précieuses ou comment l’esprit vint aux femmes suivies de Antoine Baudeau de Somaize (Les Véritables Précieuses, Les Précieuses ridicules mises en vers, Le Grand Dictionnaire des Précieuses ou la Clé de la langue des ruelles (1660), Le Grand Dictionnaire des Précieuses (1661), Paris, Fayard, 2001, 212).

22On peut lire : «Il n’y a rien [...] de si ridicule ni de si ennuyeux qu’une femme sottement savante» (Artamène ou le Grand Cyrus, Genève, Slatkine Reprints, 1972 [1656], X, p. 352). Molière, quant à lui, dans les Femmes savantes (1673), fera dire à son Clitandre :

Je consens qu’une femme ait des clartés de tout,
Mais je ne lui veux point la passion choquante
De se rendre savante afin d’être savante;
Et j’aime que souvent, aux questions qu’on fait,
Elle sache ignorer les choses qu’elle sait;
De son étude, enfin, je veux qu’elle se cache,
Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache. (I, III)

23Au sujet de l’idéal féminin tel que l’expose Scudéry, Madeleine Alcover ajoute que «For Molière, as for Scudéry, the ideal of the honnête femme consists of a tempering of the two extremes of the excessively learned and the ignorant woman, and this concept necessarily encompasses responsability for the household» («The Indecence of Knowledge», Rive University Studies, vol. LXIV, no 1, hiver 1978, 29)

24Cousin (1858) 360. Pour sa part, bien qu’il tire principalement les preuves de son argumentation de la Clélie, J. H. Whitfield précise que «Molière is not hostile to her, rather stands by her side in a particular attitude» (179).

25On lira l’article de Nicole Aronson «“Je vois bien que c’est un Amilcar” : Mlle de Scudéry et les Précieuses ridicules» (Papers on French Seventeenth Century Literature, vol. XX, no 38, 1993, 85–95).

26Duchêne (2001), 568 pages.

27Niderst (1973) 359–365.

28Niderst, Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leur monde, Paris, Presses universitaires de France, 1976, «Publications de l’Université de Rouen», 302.

29Niderst (1976) 543–544.

30Maurice Magendie, La Politesse mondaine et les théories de l’honnêteté, en France au XVIIe siècle, de 1600 à 1660, Paris, Librairie Félix Alcan, tome 2, [1925], 703. Yves Guiraud, dans sa présentation de Thimocrate de Thomas Corneille, écrit : «La même année que Timocrate, Quinault donnera lui aussi une tragédie, d’après Mlle de Scudéry, La Mort de Cyrus. Les pièces tirées de romans à succès sont relativement nombreuses : ces scénarios, ces découpages théâtraux d’épisodes romanesques en conservent les caractères. La surabondance de ces éléments estompe le tragique; la vision précieuse du monde ignore même le tragique, puisque l’héroïsme ne s’y applique qu’à la galanterie» (Thomas Corneille, Timocrate, tragédie, texte établi et présenté par Yves Guiraud, Paris/Genève, Minard/Droz, 1970, «études littéraires françaises», 35).

Ouvrages Cités

Adam, Antoine. Histoire de la littérature française au XVIIe siècle. Paris, Albin Michel, «Bibliothèque de l’Évolution de l’Humanité», 1997 [1948], 3 tomes.

Alcover, Madeleine. «The Indecence of Knowledge». Rive University Studies, vol. LXIV, no 1, hiver 1978, 25–39.

Aronson, Nicole. Mademoiselle de Scudéry ou le voyage au pays de Tendre. Paris: Fayard, 1986.

———. «“Je vois bien que c’est un Amilcar” : Mlle de Scudéry et les Précieuses ridicules». Papers on French Seventeenth Century Literature, vol. XX, no 38, 1993, 85–95.

Barton, Francis. «The Sources of the Story of Sesostris and Timarète in Le Grand Cyrus». Modern Philology, vol. XIX, no 3, février 1922, 257–268.

Chartier, Roger. «Loisir et sociabilité : lire à haute voix dans l’Europe moderne». Littératures classiques, no 12, janvier 1990, 127–147.

Chroniques du Samedi. Suivies de pièces diverses (1653-1654). Alain Niderst, Delphine Denis et Myriam Maître (dir.), Paris, Honoré Champion, 2002, «Sources classiques».

Cison, Barbara. The Samedis of Mademoiselle de Scudéry. New York: Fordham University, 1967.

Corneille, Thomas. Bérénice dans Théâtre de T. Corneille. partie 2, Amsterdam: Frères Châtelain, 1709 [1657].

———. Timocrate, tragédie. texte établi et présenté par Yves Guiraud, Paris/Genève: Minard/Droz, 1970, «études littéraires françaises».

Cousin, Victor. «Mademoiselle de Scudéry et sa société, d’après le Grand Cyrus». Journal des Savants, avril 1858, 238–259; mai 1858, 304–325; juin 1858, 345–364.

Duchêne, Roger. Les Précieuses ou comment l’esprit vint aux femmes suivies de Antoine Baudeau de Somaize (Les Véritables Précieuses, Les Précieuses ridicules mises en vers, Le Grand Dictionnaire des Précieuses ou la Clé de la langue des ruelles [1660], Le Grand Dictionnaire des Précieuses [1661]). Paris, Fayard, 2001.

Dumonceaux, Pierre. «La lecture à haute voix des œuvres littéraires au XVIIe siècle». Littératures classiques, no 12 (janvier 1990) 117–125.

Gros, Étienne. Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre. Genève: Slatkine Reprints, 1970.

Horellou-Lafarge, Chantal et Monique Segré. Regards sur la lecture en France. Bilan des recherches sociologiques, France: L’Harmattan, 1996.

Lallemant, Marie Gabrielle. La Lettre dans le récit. Étude de Mlle de Scudéry. Tübingen: Gunter Narr Verlag, coll. «Biblio 17», 2000.

Magendie, Maurice. La Politesse mondaine et les théories de l’honnêteté, en France au XVIIe siècle, de 1600 à 1660. Paris, Librairie Félix Alcan, 2 tomes, 1925.

Molière. Mélicerte dans Chefs d’œuvre de la littérature française. Œuvres complètes de Molière, tome 8. Lietchtenstein: Kraus Reprint [Paris: Garnier Frères, 1882 [1666]], 1976.

———. Le Misanthrope dans Œuvres complètes françaises. Œuvres de Molière, tome 5. Paris : Hachette, 1880 [1666].

Niderst, Alain. Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leur monde. Paris: Presses universitaires de France, 1976, «Publications de l’Université de Rouen».

———. «Une source du Misanthrope (Mlle de Scudéry, Le Grand Cyrus)». Dans Missions et démarches de la critique. Mélanges offerts au professeur J.-A. Vier. Paris: Klincksieck, 1973, 359–365.

Pierson, Nathalie. «Madeleine de Scudéry et Philippe Quinault : du romanesque au spectaculaire tragique». Dans Delphine Denis et Anne-Elisabeth Spica (dir.), Madeleine de Scudéry : une femme de lettres au XVIIe siècle, Actes du Colloque international de Paris. Arras: Artois Presses Université, 2003, «Études Littéraires», 255–268.

Quinault, Philippe. La Mort de Cyrus dans Le Théâtre de Mr. Quinault contenant ses tragédies, comédies et opéra, tome 1. Paris: Pierre Ribou, 1715 [1656].

———. Astrate , ou le roy de Tyr dans Le Théâtre de Mr. Quinault contenant ses tragédies, comédies et opéra, tome 3. Paris: Pierre Ribou, 1715 [1665].

Reese Pugh, Anne. «Note Upon Somme Similarities between Le Grand Cyrus and Le Misanthrope», Modern Language Notes, vol. XI, no 3, mars 1896, 85–87.

Scudéry, Madeleine de. Artamène ou Le Grand Cyrus, 10 volumes. [Paris: Augustin Courbé, 1649-1653, 10 volumes], Genève: Slatkine Reprints, 1972.

———. Clélie. Histoire romaine, 10 volumes. [Paris: Augustin Courbé, 1654–1660], Genève: Slatkine Reprints, 1973 [2e édition de 1658–1662].

Somaize, Antoine Baudeau de. Dictionnaire des Précieuses. Paris: P. Jannet Libraire, 1660.

Whitfield, J. H. «A Note on Moliere and Mlle de Scudéry», Le Parole e Le Idee : Rivista internazionale di varia cultura, no 5, 1963, 175–187.

Author: 
Isabelle Ducharme
Article Citation: 
Cahiers du dix-septième: An Interdisciplinary Journal XI, 1 (2006) 81–105.
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