Y a-t-il des robots au XVIIe siècle ? Descartes et l'invention de l'automatisme

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L’appartenance culturelle détermine en grande part la façon dont les machines sont perçues et plus ou moins harmonieusement intégrées dans le quotidien. Dans nos sociétéspostindustrielles, l’omniprésence des automates semble aller de soi et même s’il arrive à un être humain de s’insurger contre une machine détraquée ou par trop obstinée, la légitimité de l’existence de cette nouvelle classe d’êtres artificiels — les machines et, en particulier, les automates — fait rarement l’objet d’une remise en cause. Ce que l’on déplore, en cas de problème et de confrontation à la machine, c’est moins la présence de la machine que l’absence de l’être humain avec qui, dans la mesure où même « les hommes les plus hébétés » restent doués de raison[1], il est toujours possible de traiter. Bref, dans nos sociétés, la classe d’êtres récemment formée par les machines, les automates et les robots[2]semble avoir acquis en douceur une légitimité au moins tacite. Il demeure à vrai dire quelques contempteurs de la Technique, mais leur critique, voire leur diabolisation de la civilisation technique est une affaire qui intéresse au premier chef quelques philosophes postromantiques lecteurs d’Heidegger. Pour ce qui concerne un public plus large, remarquons que l’illustration cinématographique de l’absurdité de notre environnement technologique et de ses automatismes myopes ne fait plus vraiment florès. Le Chaplin du film Modern Times (1936), Jacques Tati en Monsieur Hulot, Antonioni et son Deserto rosso(1964) ont disparu sans laisser d’héritier. Les superproductions cinématographiques qui inondent les multiplexes indiquent que l’heure serait plutôt à l’exaltation ingénue des prouesses technologiques ou, tout au moins, comme chez certains philosophes et penseurs tels que Paul Virilio, à une approche décomplexée du phénomène technique.

Les machines sont parmi nous, les automates nous secondent journellement sans heurt, les robots font leur travail et tout se passe bien. Tout se passe bien, du moins aussi longtemps que ces êtres artificiels n’essaient pas trop de nous ressembler ou, pire de « vexer l’être humain », selon l’expression[3]du philosophe allemand Peter Sloterdijk, qui signalait naguère au lectorat du quotidien français Le Monde la quatrième et dernière en date d’une série d’humiliations essuyées par l’humanité depuis la publication en 1543 du De revolutionibus orbium coelestiumpar le chanoine Nicolas Copernic :

Freud avait déjà exprimé en 1918 le désarroi de l’homme moderne par son fameux bon mot sur les trois vexations qui auraient été infligées par la science moderne au narcissisme de l’espèce : la vexation cosmologique de Copernic, qui a laissé rouler la Terre hors du centre de l’univers ; la vexation de l’évolutionnisme biologique de Darwin, qui fit des hommes des cousins et des cousines des primates ; et la vexation psychanalytique de Freud lui-même, qui ôta aux sujets bourgeois l’illusion que leur Moi serait maître chez lui. C’est patent : cette série des vexations n’est pas close, et le présent est traversé par un violent complexe de vexation, que l’on pourrait appeler le cybernético-biotechnique.

La suite des propos de Peter Sloterdijk — baptisé « nouveau Nietzsche » par Bruno Latour — accentue la couleur des éléments de cette vaste fresque « postmétaphysique » et en précise l’inspiration historiographique. Ce que le motif du « postmétaphysique » pouvait comporter d’inquiétant se trouve largement compensé par le leitmotiv du continuum, aux connotations mélioratives et rassurantes. En revanche, avec ses « barrières », la métaphysique en prend pour son grade[4], ce dont témoigne un syntagme tel que « différence métaphysiquement codée » :

Bruce Mazlish, un historien et psychologue américain, a décrit cette histoire comme celle du remplacement successif de discontinuités métaphysiques par des continus postmétaphysiques. La barrière métaphysique entre le monde terrestre et l’espace céleste a été abolie par Galilée, montrant que, de part et d’autre de la Lune, les mêmes lois naturelles continuaient d’être en vigueur. Avec Darwin, c’est la différence métaphysique entre l’homme et l’animal qui a été relativisée et remplacée par un continu d’histoire naturelle les englobant tous deux. De son côté, Freud a transpercé les barrières métaphysiques séparant les processus conscients et rationnels des processus inconscients et irrationnels et fait apparaître, là aussi, un continu. Il n’y a plus que cette dernière différence métaphysiquement codée séparant l’organisme de la machine ou ce qui est né et ce qui est fabriqué qui résiste encore à l’irruption de la pensée du continu postmétaphysique. Ces deux paraboles parallèles ont, en dépit de toute leur simplicité, une certaine capacité à diagnostiquer l’époque. Si on leur associe les thèses du dernier Foucault sur les biopouvoirs modernes, on arrive à constituer un lieu depuis lequel les problèmes de la condition humaine dans l’espace anthropotechnique peuvent être discutés sans hystérie. 

Ne faut-il voir dans cette déclaration qu’un simple effet d’annonce ou bien au contraire le signal du caractère désormais caduc de la bonne vieille différence entre naissance et fabrication ? « Vexer l’être humain », en tout cas, c’est ce dont le superordinateur d’IBM baptisé Deep Blue semble s’être rendu coupable en remportant sa première partie contre le champion du monde d’échecs Gary Kasparov en 1996. L’année suivante, Kasparov s’est incliné après deux défaites (pour une victoire et trois nuls) contre Deeper Blue, version améliorée du supercalculateur. Signe du malaise que cet événement a suscité, le match a été attentivement suivi de part et d’autre de l’Atlantique et abondamment commenté dans la presse. Comme le remarque élégamment le quotidien Le Monde, « l'un des fiefs de l'intelligence humaine était violé » (Alberganti). Peut-être trouvera-t-on moins circonspect le commentaire de Bernadette Bensaude-Vincent et William Newman dans leur « Introduction : The Artificial and the Natural : State of the Problem » : « Computer science has bridged the chasm between man and machine, giving us “Deep Blue”, the IBM product that defeated Garry Kasparov at chess » (1). Conclusion hâtive, affirmerait Descartes, dans la mesure où la performance de Deep Blue et de son clone surprogrammé Deeper Blue ne saurait aucunement les rapprocher de l’humanité. En effet, quandbien même ces

automates ou machines mouvantes […] eussent la ressemblance de nos corps, et imitassent autant nos actions que moralement il serait possible, nous aurions toujours deux moyens très certains, pour reconnaître qu'elles ne seraient point pour cela de vrais hommes. Dont le premier est que jamais elles ne pourraient user de paroles, ni d'autres signes en les composant, comme nous faisons pour déclarer aux autres nos pensées. Car on peut bien concevoir qu'une machine soit tellement faite qu'elle profère des paroles, et même qu'elle en profère quelques-unes à propos des actions corporelles qui causeront quelque changement en ses organes : comme, si on la touche en quelque endroit, qu'elle demande ce qu'on lui veut dire ; si en un autre, qu'elle crie qu'on lui fait mal, et choses semblables ; mais non pas qu'elle les arrange diversement, pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire. Et le second est que, bien qu'elles fissent plusieurs choses aussi bien, ou peut-être mieux qu'aucun de nous, elles manqueraient infailliblement en quelques autres, par lesquelles on découvrirait qu'elles n'agiraient pas par connaissance, mais seulement par la disposition de leurs organes. Car, au lieu que la raison est un instrument universel, qui peut servir en toutes sortes de rencontres, ces organes ont besoin de quelque particulière disposition pour chaque action particulière ; d'où vient qu'il est moralement impossible qu'il y en ait assez de divers en une machine, pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie, de même façon que notre raison nous fait agir. (Discours de la méthode, AT 6 : 55, 56–57 ; ses italiques)

Le second de ces « deux moyens très certains » cartésiens disqualifie par avance les prouesses des supercalculateurs et voue pour toujours à l’échec la prétention à l’humanité des plus brillants cyborgs de la science-fiction. Quelle que soit sa perfection, un programme (« particulière disposition » des « organes » adaptée à « chaque action particulière » envisagée par l’ingénieur) ou un ensemble de programmes ne saurait surclasser ou ne serait-ce qu’égaler la raison, laquelle est adaptable à « toutes les occurrences de la vie ». Ceci dit en faisant abstraction – comme c’est le cas dans ce texte de la cinquième partie du Discours de la méthode où le fonctionnement du corps humain est considéré sans l’âme – de l’incompréhensible union des deux substances (l’étendue et la pensante) qui caractérise l’humaine créature et confère à l’être humain même « le plus hébété », outre une distinction, voire une supériorité « morale », un statut ontologique unique. Selon la perspective adoptée par Descartes dans la cinquième partie du Discours de la méthode, les robots ne sauraient par conséquent se trouver un jour en mesure de « vexer l’être humain », ou bien il ne s’agirait que d’une vexation très superficielle.

Certes, objectera-t-on, l’analyse cartésienne reste tributaire du « schéma substantialiste de l’automate » qui, selon Jean-Pierre Séris, a cours depuis l’Antiquité et auquel le Marx de Misère de la philosophie (1846–1847) demeurerait assujetti (Technique 181) :

on retiendra trois figures typiques irréductibles de l’automate, correspondant à trois régimes de l’analogie ou du rapport avec les hommes. L’automate de l’antiquité et de l’âge classique (y compris l’âge des lumières) n’offre qu’une imitation illusoire de son modèle, vivant ou inerte. Celui de la manufacture et de la grande industrie, quel que soit son moteur, se substitue effectivement à l’agent humain dont il prend en charge les opérations et l’ouvrage : l’automate travaille. Celui enfin de l’usine cybernétique ou du cockpit informatisé fonctionne en dialogue permanent avec l’homme, le mixte d’homme et de machine « intelligente » permettant de « combiner les compétences du pilote et de l’ingénieur qui a conçu les automates embarqués ». (Technique 191)

De fait, Descartes aborde d’entrée de jeula questionde la « ressemblance de nos corps » et de l’imitation de « nos actions » (AT 6 : 56). À ce titre, conformément à la tripartition proposée par Jean-Pierre Séris, le « régime » forcément analogique de son analyse la limiterait au problème de l’« imitation illusoire », puisqu’il ne saurait être question au XVIIe siècle de « substitution effective » ni de « dialogue permanent ». Or il serait illusoire, précisément, de prétendre que la pensée cartésienne de l’automatisme est déterminée par une réflexion sur les automates en général et sur les grossières machines du XVIIe siècle en particulier. Aussi essaierons-nous de montrer que l’automatisme cartésien est une philosophie, une considération de l’essence plutôt qu’une réflexion sur les automates existants.

Mais ne perdons pas notre fil conducteur, la question du rapport homme/machine en fonction de l’appartenance culturelle. L’article du Monde déjà cité, intitulé « Pourquoi les Japonais acceptent mieux les robots humanoïdes » (Alberganti), s’interroge sur la différence de perception des robots zoomorphes ou anthropomorphes en Europe et au Japon. On observe en effet que les automates et les robots humanoïdes suscitent inquiétude et malaise auprès des Européens, alors que les Japonais se délectent de la compagnie du robot-chien commercialisé par Sony ou de celle des androïdes conçus par Honda, Fujitsu et autres constructeurs. Cela tiendrait à une différence de conception de la notion d’humanité. Et surtout, selon Frédéric Kaplan, chercheur dans un laboratoire de Sony, au Japon, « le naturel et l'artifice ne s'opposent pas » (Alberganti).

Il conviendrait peut-être d’enquêter afin de vérifier si on a effectivement dans la culture japonaise ce rapport décomplexé avec les automates les plus ressemblants à l’animal de compagnie ou à l’être humain. Mais à vrai dire, la seule mention d’une différence de perception et d’attitude à l’égard des automates en fonction de l’appartenance culturelle et ce, au sein des sociétés technologiquement les plus avancées, paraît de soi digne d’attention. Plus troublante encore est cette formule du chercheur de Sony : « le naturel et l'artifice ne s'opposent pas ». Troublante, car cet énoncé semble répondre en écho à un texte sans doute assez éloigné des préoccupations de Sony mais que les dix-septiémistes et les philosophes connaissent bien. Il s’agit de l’article 203 de la quatrième partie des Principes de la philosophie de Descartes, article intitulé « Comment on peut parvenir à la connaissance des figures, grandeurs et mouvements des corps insensibles ». Par « corps insensibles », Descartes entend les « choses matérielles » que « leur seule petitesse » ne permet pas d’« apercevoir par l'aide des sens ». Nous ne citons que la seconde moitié de cet article, invitant lectrices et lecteurs à (re)découvrir le reste, de même que les autres articles décisifs qui forment l’ahurissante coda des Principes :

je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des Mécaniques appartiennent à la Physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. Car, par exemple, lorsqu'une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu'il est à un arbre… de produire ses fruits. (AT 9–2 : 321–22 ; ses italiques).

Les considérations qui ont précédé sur les ordinateurs vexants et les robots japonais trop réalistes au goût des Européens permettent de mesurer l’énormité du bond conceptuel accompli par Descartes dans cet article des Principesde la philosophie, texte qui est au principe, précisément, de notre civilisation technologique. Non seulement Descartes abolit une très digne distinction traditionnelle, la distinction aristotélicienne de la phúsis (la nature) et de la tékhnē (l’art), mais encore, chose remarquable, il se livre à cette liquidation de la dichotomie mentale nature/artifice dans un dix-septième siècle dont les réalisations techniques, encore très rudimentaires, sont sans commune mesure avec la silencieuse saturation technologique que j’évoquais plus tôt et qui caractérise notre époque. Autrement dit, Descartes reconnaît un statut ontologique équivalent aux corps naturels et aux corps artificiels alors même que son environnement technique est marqué par la pénurie de machines plutôt que par la surabondance qui définit notre civilisation technologique.

Au XVIIe siècle, malgré quelques brillantes exceptions telles que le métier à bas, la « plus ingenieuse machine du monde »[5], les machines demeurent sommaires et peu nombreuses. Micro traité archimédien de statique[6]qui constitue la mécanique cartésienne proprement dite, le Traité des engins de Descartes donne un bon aperçu des machines les plus usuelles à l’époque. Il s’agit de trois feuillets accompagnant une lettre à Huygens (5 octobre 1637 ; AT 1 : 432–447) et intitulés Explication des engins par l'aide desquels on peut avec une petite force lever un fardeau fort pesant. La simplicité, voire la banalité des six machines décrites avec une extrême rigueur et illustrées par Descartes – la poulie, le plan incliné, la vis, le coin, la roue ou le tour, le levier – ne laissera pas de déconcerter la lectrice ou le lecteur à qui échapperait cette précision importante, à savoir qu’il suffit de connaître, de composer et d’assembler ces six machines élémentaires afin d’inventer et de construire des machines plus complexes. Descartes écrit en effet à la fin du Traité des engins :

il serait utile pour ceux qui se mêlent d'inventer de nouvelles machines, qu'ils ne sussent rien de plus de cette matière que ce peu que je viens d'en écrire ; car ils ne seraient pas en danger de se tromper en leur conte, comme ils font souvent en supposant d'autres principes. (AT 1 : 447)

Le mot « conte » employé ici par Descartes rappelle que la machine relève au moins autant du fantasme d’artisans et de mécaniques se fiant à des « principes » plus ou moins chimériques que du monde des applications concrètes.

Au fantasme ressortissent plus encore les automates, des raretés dont on a alors généralement une connaissance soit par ouï-dire, soit par le biais des images des nombreuses encyclopédies illustrées intitulées Théâtres qui forment ce que Robert Halleux dénomme de façon fort appropriée le « genre littéraire des Théâtres des machines » :

Ce sont essentiellement des recueils de planches soignées et détaillées, avec des commentaires. Souvent, ils décrivent à la fois des instruments de précision et des machines « utiles et plaisantes ». Les catégories traditionnelles, machines de guerre et engins de levage, y cèdent peu à peu la place aux automates, aux jeux d’eau et aux machines nouvelles de l’industrie : martinets hydrauliques, trompes à eau, laminoirs, presses à estamper, tours, machines minières. Les destinataires ne sont pas les artisans, mais les commanditaires et les amateurs. Quant au contenu, il met en œuvre des combinaisons cinématiques de plus en plus compliquées, sans toujours tenir compte du frottement. Les Théâtres font appels à la géométrie, mais n’ont pas le souci de dégager des principes de statique, de dynamique ou de résistance des matériaux. Loin d’être un reflet exact de l’industrie du temps, ils s’adonnent volontiers au rêve technologique. En 1615, l’ingénieur Salomon de Caus écrira dans ses Raisons des forces mouvantes : « Besson, Ramelli et quelques autres ont mis en lumière quelques machines par eux inventées sur le papier, mais peu d’entre elles peuvent avoir aucun effet ». (587)

À première vue, la démarche principielle et la remise en ordre cartésiennes de la mécanique dans le Traité des engins[7]pourrait avoir également pour fonction de couper court au « conte » (AT 1 : 447) ou « rêve technologique » (Halleux 587) diffusé par ces Théâtres parfois superbement illustrés. L’expression « se tromper en leur conte » employée par Descartes invite cependant  à une analyse plus minutieuse de sa position à l’égard du merveilleux mécanique. Car si « ceux qui se mêlent d'inventer de nouvelles machines » risquent de « se tromper en leur conte », c’est bien évidemment parce qu’ils sont tout autant susceptibles d’avoir raison « en leur conte », concédera-t-on. Autrement dit, Descartes ne condamne pas le « rêve technologique » qui commence déjà d’enfiévrer son époque. Il se borne à en prendre acte et à en blâmer le manque de principes ou leur fausseté, suggérant qu’à partir du moment où il procède des vrais principes, forcément cartésiens, le « conte » est bon, pour ainsi dire. En somme, il est permis de rêver de machines et d’automates à condition d’être cartésien, la connaissance des principes garantissant que ce « conte » n’est plus une simple chimère mais que ces artefacts seront réalisés dans un futur plus ou moins proche. Réinvesti par le cartésianisme, le merveilleux mécanique passe du mode conditionnel au mode indicatif.

Même s’il mêle le merveilleux mécanique aux automates effectivement réalisés, Les Raisons des forces mouvantes se distingue des Théâtres du fait de sa recherche des « raisons », précisément, et de sa présentation d’allure géométrique articulée sur certains principes de la statique. Salomon de Caus est le constructeur en 1615 des jeux d’eau du château de Heidelberg (Halleux 586) qui, soit directement, soit par l’intermédiaire des illustrations des Raisons des forces mouvantes, inspirent à Descartes la « fameuse comparaison du corps humain avec une machine hydraulique »[8]dans les toutes premières pages du Traité de l’homme :

vous pouvez avoir vu, dans les grottes et les fontaines qui sont aux jardins de nos Rois, que la seule force dont l’eau se meut en sortant de sa source, est suffisante pour y mouvoir diverses machines, et même pour les y faire jouer de quelques instruments, ou prononcer quelques paroles, selon la diverse disposition des tuyaux qui la conduisent. (AT 11 : 130)

Dans le corps humain, la sensation est causée et s’explique par une simple interaction mécanique entre divers objets strictement corporels. Il est toutefois important de noter que, puisqu’il réagit aux « objets extérieurs » (qui « sont comme des Étrangers », c’est-à-dire des visiteurs), le corps humain n’est pas un

système clos sans ouverture sur le monde extérieur dans la mesure où l’on peut considérer les modifications de son comportement comme induites par des instructions et informations reçues de l’environnement. (Séris, Technique 185)

La comparaison cartésienne ménage ainsi d’avance les conditions nécessaires à l’émergence du concept de programme :

Et véritablement l'on peut fort bien comparer les nerfs de la machine que je vous décris, aux tuyaux des machines de ces fontaines ; ses muscles et ses tendons, aux autres divers engins et ressorts qui servent à les mouvoir ; ses esprits animaux, à l'eau qui les remue, dont le cœur est la source, et les concavités du cerveau sont les regards. De plus, la respiration, et autres telles actions qui lui sont naturelles et ordinaires, et qui dépendent du cours des esprits, sont comme les mouvements d'une horloge, ou d'un moulin, que le cours ordinaire de l'eau peut rendre continus. Les objets extérieurs, qui par leur seule présence agissent contre les organes de ses sens, et qui par ce moyen la déterminent à se mouvoir en plusieurs diverses façons, selon que les parties de son cerveau sont disposées, sont comme des Étrangers qui, entrant dans quelques unes des grottes de ces fontaines, causent eux-mêmes sans y penser les mouvements qui s’y font en leur présence : car ils n’y peuvent entrer qu’en marchant sur certains carreaux tellement disposés, que, par exemple, s’ils s’approchent d’une Diane qui se baigne, ils la feront cacher dans les roseaux ; et s’ils passent plus outre pour la poursuivre, ils feront venir vers eux un Neptune qui les menacera de son trident ; ou s’ils vont de quelqu’autre côté, ils en feront sortir un monstre marin qui leur vomira de l’eau contre la face ; ou choses semblables, selon le caprice des Ingénieurs qui les ont faites. (AT 11 : 130–32)

Selon Descartes, inspiré ici par le Problème 27 desRaisons des forces mouvantes de Salomon de Caus, nulle intervention de l’« âme raisonnable » n’est donc requise pour causer la sensation, pas plus que la respiration, dans le corps humain. Jean-Pierre Cavaillé commente ainsi cette comparaison :

Dans la physique mécaniste, dans sa fable, les déesses et les dieux ne sont plus que des automates de jardin […] et comme la machine du monde même, obéissent aux lois physiques et aux vérités mathématiques instituées par un Dieu infiniment transcendant. L’imaginaire polythéiste, hérité de la fable des anciens, est débarrassé de sa forme symbolique, vidé de tout contenu métaphysique pour devenir, non sans ironie, l’ornement, la parure du modèle automatique, faire valoir et signe de triomphe de la science mécaniste. (236)

Or, ce « triomphe de la science mécaniste », seules quelques machines ansi que de très rares automates — mais naturellement, aucun robot — seraient susceptibles de le célébrer du vivant de Descartes. Aucun robot, pour la simple raison que les robots n’existent pas concrètement au XVIIe siècle. Ce qui s’en approche le plus, ce sont ces statues parlantes ou mouvantes que l’on figure sur les scènes théâtrales, à l’instar des Amants magnifiques de Molière. Ou, du vivant de Descartes, les « statues animées que les frères Francini avaient construites à Saint Germain [en 1598] et que Descartes auraient vues »[9]. En d’autres termes, le « triomphe » du mécanisme est un coup de force avant tout conceptuel dont Descartes propose des illustrations brillantes avant tout pour les besoins de l’exposition de la science qu’il essaie de fonder. Que ce coup de force de l’esprit aille de pair avec la création habile d’un imaginaire mécaniste est tout à l’honneur du philosophe mécaniste. Car c’est bien ce dont il s’agit dans les comparaisons mécanistes choisies par Descartes : toutes conspirent à créer l’illusion plaisante que le monde est peuplé de machines, d’automates, voire de robots de tous poils et que, somme toute, la conceptualité mécaniste a déjà triomphé.

Puisqu’il n’y a pas au XVIIe siècle de robot-chien fabriqué par Sony à qui il ne manque que la fourrure pour parfaire l’illusion, qu’est-ce qui a pu conduire Descartes, dans son XVIIe siècle technologiquement indigent, à affirmer dans l’article 203 de la quatrième partie des Principes que« toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles » ? Serait-ce l’observation de la montre et de l’arbre qu’il compare dans cet article ? En un sens, oui, à condition de préciser qu’il ne s’agit nullement d’une observation sensible faite par l’organe de la vision mais d’une observation intelligible faite par l’œil de l’esprit, tout à fait à la manière de l’analyse du morceau de cire dans la Méditation seconde, où Descartes oppose (pseudo)connaissance sensible et connaissance intelligible. Paradoxalement, ce n’est pas par la « vision des yeux », caractéristique de l’entendement naïf, que nous connaissons véritablement les corps sensibles, mais par une « inspection de l’esprit » (AT 9–1 : 23–25) qui révèle en l’occurrence que, même si l’arbre et la montre n’ont en tant qu’objets sensibles pas grand-chose en commun, en tant qu’objets intelligibles ou êtres géométriques il en va tout autrement puisque ce corps naturel et ce corps artificiel ne sont tous deux que matière en mouvement. Au reste, que les montres et les arbres existent concrètement et matériellement dans un monde ne fait rien à l’affaire puisque ce sont des êtres géométriques qui intéressent au premier chef la connaissance scientifique, qui, pour Descartes comme pour Galilée, est une connaissance d’entendement. Pour ces scientifiques, s’il est parfois problématique que le monde n’ait pas la perfection des êtres mathématiques, si cela pose effectivement quelques problèmes pratiques, aucun de ces problèmes n’est en principe insurmontable puisque théoriquement, abstraitement, l’univers est de part en part géométrique.

Pour revenir une dernière fois à l’affirmation de l’article 203 des Principes de la philosophie selon lequel « toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles », je propose l’hypothèse suivante. À mon sens, ce n’est pas primordialement de la considération des machines et des automates effectivement existants que Descartes induit le mécanisme et l’automatisme[10]. Comme je le disais plus tôt, il s’agit d’un coup de force conceptuel ou, mieux, d’une déduction purement abstraite, sans modèle, à partir d’un principe que Descartes, dans Le Monde ou Traité de la lumière, est le premier à formuler : le principe d’inertie[11]. La comparaison d’une lettre adressée à Marin Mersenne en 1640 à l’article 6 de la première partie des Passions de l'âme dans lequelDescartesdéfinit l’automatisme suggère que l’automatisme serait une conséquence logique du mouvement inertiel qui, dans la nature, règle de jure tous les mouvements des corps, y compris ce qu’on appelle le repos. Descartes écrit à son ami minime le 28 octobre 1640 :

on a eu grand tort d'admettre pour principe, que nul corps ne se meut de soi-même. Car il est certain que, de cela seul qu'un corps a commencé à se mouvoir, il a en soi la force de continuer à se mouvoir ; ainsi que, de cela seul qu'il est arrêté en quelque lieu, il a la force de continuer à y demeurer. (AT 3 : 213)

Fait textuel pour le moins significatif plutôt que simple coïncidence — il s’agit à ma connaissance des deux seules occurrences de cette tournure chez Descartes – l’article 6 des Passions de l'âme contient en effet la réitération exacte de l’expression « se meut de soi-même » par laquelle nos dictionnaires, empruntant la formule cartésienne de l’article 6 des Passions, définissent toujours l’automate. Cet article des Passions, intitulé « Quelle différence il y a entre un corps vivant et un corps mort », établit une comparaison quelque peu brutale :

considérons que la mort n'arrive jamais par la faute de l'âme, mais seulement parce que quelqu'une des principales parties du corps se corrompt ; et jugeons que le corps d'un homme vivant diffère autant de celui d'un homme mort que fait une montre, ou autre automate (c'est-à-dire autre machine qui se meut de soi-même), lorsqu'elle est montée et qu'elle a en soi le principe corporel des mouvements pour lesquels elle est instituée, avec tout ce qui est requis pour son action, et la même montre ou autre machine, lorsqu'elle est rompue et que le principe de son mouvement cesse d'agir. (AT 11 : 330–31)

Bref, un cadavre serait comme une montre arrêtée[12], comme un automate déprogrammé ou un automate dont le programme (« principe corporel des mouvements pour lesquels elle est instituée ») altéré ne lui permet plus de « continuer à se mouvoir » « de soi-même », c’est-à-dire à effectuer indéfiniment – inertiellement – les opérations prescrites. Comme à l’ordinaire chez Descartes, la comparaison se veut de soi explicative. Celle de l’« homme mort » comme « montre rompue » semble d’autant plus explicative qu’elle est singulièrement saisissante. Saisissante au point d’obérer la leçon de l’article 6 des Passions, lequel ne compare pas frontalement l’homme à l’automate mais se borne à illustrer latéralement la « différence » entre « le corps d'un homme vivant » et « celui d'un homme mort » sous les espèces d’une physique mécaniste. Car ce qui est en question dans cet article n’est nullement l’homme mais le corps de l’homme en tant que ce corps est une « chose naturelle » soumise à ce titre aux lois naturelles (i. e. physiques) du mouvement et donc au principe d’inertie. Pour les besoins de l’exposition scientifique et seulement pour les besoins de l’exposition scientifique, l’article 6 semble suggérer que cette « chose naturelle » qu’est le corps humain « est avec cela artificielle », pour parodier en la renversant la formule de l’article 203 de la quatrième partie des Principes. En vérité, la leçon de l’article 6 des Passions est la même que celle de l’article 203 des Principes, lequel affirme que ce qui est fabriqué (« choses artificielles ») est soumis à la même législation naturelle que ce qui est né (« choses naturelles »), celle que décrit la physique géométrique et mécaniste. Descartes raisonne « en physicien »[13], c’est-à-dire à partir de la seule considération des mouvements des corps matériels (i. e. les corps naturels et artificiels). Cette perspective lui fournit un cadre explicatif unique et universel permettant d’englober la totalité des corps quel que soit leur état (vivant, mort, rompu…) et leur origine (né ou fabriqué). C’est bien sur l’unicité et l’universalité de ce cadre explicatif que Descartes entend mettre l’accent dans l’article 203 des Principes en soulignant que les limites de la perception sensible ne remettent pas en cause la validité de l’explication physique des « corps insensibles » et que, par conséquent, sa physique – en l’occurrence, sa nanophysique, dirions-nous aujourd’hui – demeure valable au niveau des phénomènes infrasensibles « qui causent les effets des corps naturels » (AT 9–2 : 321). À cette indifférence de la physique géométrique mécaniste à l’égard de notre équipement sensoriel – indifférence déjà soulignée par Galilée – répond dans l’article 6 des Passions l’indifférence de la nature à l’égard de notre corps : ne se souciant pas de ce que nous appelons « vivant » ou « mort », la nature agit sur notre corps comme sur n’importe quel autre corps matériel, qu’il soit naturel ou artificiel, humain ou automate. L’homme n’est pas automate, c’est l’automate qui par nature peut nous ressembler presque à s’y méprendre. Aussi n’y a-t-il pas à proprement parler chez Descartes de modèle « mécanique plaqué sur du vivant », pour reprendre la formule du Rire, mais, à l’inverse, un modèle naturel de ce qui est mécanique. Descartes est en cela bien de son siècle, un siècle qui ne partage pas notre méfiance postromantique à l’égard de la science et de la technique, un siècle qui ne connaît pas les robots de la science-fiction et ignore toute différence axiologique de principe entre le naturel et l’artificiel. Il suffit de considérer par exemple le frontispice du Leviathan de Hobbes ou les illustrations du Dom Juan de Molière pour s’apercevoir que l’automate reste de l’ordre de l’irreprésentable au XVIIe siècle. Costumé en roi, en dieu ou en Romain, le robot n’est qu’un héros comme les autres et ne possède pas l’aspect d’un androïde, c’est-à-dire d’une machine. L’automate demeure à l’âge classique une représentation heuristique, didactique, plaisante, mais pour ainsi dire sans existence concrète.

Y a-t-il donc des robots au XVIIe siècle ? Descartes n’est pas parvenu à en construire, mais il en a toutefois établi les principes et les conditions de possibilité. Et, surtout, sa science mécaniste a peuplé l’imaginaire scientifique moderne d’une infinité abstraite d’automates, au point d’ériger l’automatisme en catégorie mentale dans la culture européenne, raison de notre incorrigible croyance en la possibilité toujours ouverte d’une solution technologique à n’importe quel problème.

The University of Alabama

Ouvrages cités ou consultés

Alberganti, Michel. « Pourquoi les Japonais acceptent mieux les robots humanoïdes ». Le Monde 24 décembre 2003. 21 février 2009 <http://forum.aceboard.net/1467-5855-47967-0-.htm>

Baltrušaitis, Jurgis. Anamorphoses ou magie artificielle des effets merveilleux. Paris : Olivier Perrin, 1969.

Bensaude-Vincent, Bernadette, et William R. Newman, eds. The Artificial and the Natural: An Evolving Polarity. Cambridge (Mass.) : MIT P, 2007.

Bergson, Henri. Le Rire. Essai sur la signification du comique. Paris : Alcan, 1900.

———. L’Évolution créatrice. Paris : Alcan, 1907.

Cavaillé, Jean-Pierre. Descartes. La fable du monde. Paris : Vrin, 1991.

Descartes, René. Le Monde, L’Homme. Ed. Annie Bitbol-Hesperies et Jean-Pierre Verdet. Paris : Seuil, 1996.

———. Œuvres de Descartes. Ed. Charles Adam et Paul Tannery. 11 vols. Paris: Vrin, 1996.

———. Règles utiles et claires pour la direction de l’esprit en la recherche de la vérité. Trad. Jean-Luc Marion. La Haye : Nijhoff, 1977.

Des Chenes, Dennis. Spirits and Clocks : Machine and Organism in Descartes. Ithaca: Cornell UP, 2001.

Halleux, Robert. « Machine ». La Science classique. XVIe-XVIIIe siècle. Dictionnaire critique. Dir. Michel Blay et Robert Halleux. Paris : Flammarion, 1998. 581–90

Haraway, Donna J. Simians, Cyborgs, and Women : The Reinvention of Nature. New York : Routledge, 1991.

Latour, Bruno. « Sloterdijk, l'insupportable ». Le Monde des débats 9 (novembre 1999). 21 février 2009 <http://www.bruno-latour.fr/presse/presse_art/006.html>

Marin, Louis. « Sur une société des machines dans la Logique de Port-Royal ». Revue des sciences humaines 186–187 (1982) : 159-69.

Rodis-Lewis, Geneviève. L’Œuvre de Descartes. 2 vols. Paris : Vrin, 1971.

———. « Machineries et perspectives curieuses dans leurs rapport avec le cartésianisme ». XVIIe siècle 32 (1956) : 461–74.

Séris, Jean-Pierre. « Descartes et la mécanique ». Bulletin de la Société française de Philosophie 81.2 (1987) : 29–66.

———. Machine et communication. Du théâtre des machines à la mécanique industrielle. Paris : Vrin, 1987.

———. La Technique. Paris : PUF, 1994.

Sloterdijk, Peter. « Du centrisme mou au risque de penser ». Trad. Denis Thouard.Le Monde 8 octobre 1999. 21 février 2009 <http://multitudes.samizdat.net/Du-centrisme-mou-au-risque-de>

Virilio, Paul. L’Inertie polaire. Paris : Christian Bourgois, 1990.


[1]Allusion au premier des « deux moyens très certains » dont, selon Descartes, on disposera « toujours » afin de distinguer l’humain de l’automate(les références à l’édition Adam et Tannery des Œuvres de Descartes sont abrégées « AT » suivi du numéro du volume et de la page ;ici AT 6 : 57, 56). Lire plus bas l’extrait de la cinquième partie du Discours de la méthode.

[2]La machine est un objet fabriqué qui transforme de l’énergie en travail. L’automate est une « machine qui se meut de soi-même », selon le Petit Robert d’après Descartes en 1649 dans l’article 6 de la première partie des Passions de l’âme (AT 11 : 330–31). Le Petit Robert donne la définition suivante de « robot » : « machine, automate à l'aspect humain, capable de se mouvoir et d'agir ».

[3]Citée par Michel Alberganti dans Le Monde.

[4]Cela ne laisse pas d’étonner venant d’une analyse qui, en dernier ressort, s’articule sur la différence du même (continu) et de l’autre (discontinu) ; autrement dit, qui relève de l’ontologie la plus classique, celle du Sophiste de Platon (tautón et héteron, 254 e).

[5]Furetière, article « Mestier ». L’article « Bas » la mentionne également : « tres-belle machine qu’on a apportée depuis peu d’Angleterre ». La « machine à bas » continue de faire l’admiration de Diderot, qui dans l’article « Bas » de l’Encyclopédie rapporte « le jugement que faisoit de cette machine un homme qui a très-bien senti le prix des inventions modernes »,Charles Perrault (2 : 98–99). Voir encore, dans le Discours préliminaire, la liste des « personnes [qui], sans nous avoir fourni des articles entiers, ont procuré à l'Encyclopédie des secours importans » : « M. Barrat, ouvrier excellent dans son genre, a monté & démonté plusieurs fois en présence de M. Diderot le métier à bas, machine admirable » (1 : xliv).

[6]« Branche de la mécanique », la statique « étudie l'équilibre des forces auxquelles est soumis un système physique » (Petit Robert).

[7]Descartes ne s’y « borne pas à substituer sa mécanique […] aux écrits et aux principes des autres, qui ne peuvent être que des obstacles à l’intelligence du vrai […] : il opère une refonte complète et décisive de la signification même de la mécanique » (Séris, « Descartes » 34 ; ses italiques).

[8]Rodis-Lewis, reprenant Baltrušaitis (« Machineries » 482).

[9]Descartes, Règles, annotations du traducteur sur la Règle XIII (258).

[10]Dans une de ces formules que son auditoire trouvait alors un peu « forcées » (« Descartes » 57), Jean-Pierre Séris qualifiait la démarche cartésienne d’« épochè de la machine » (29). C’est avec plaisir que j’avoue ma dette envers son enseignement.

[11]« Selon lequel un corps pesant, non soumis à une force, est au repos ou en mouvement rectiligne uniforme » (Petit Robert). La définition proposée par Descartes dans le Monde en son Chapitre 7 (intitulé « Des lois de la Nature de ce nouveau Monde ») n’est pas moins lumineuse que celle de nos dictionnaires : « chaque partie de la matière […] continue toujours d'être en un même état, pendant que la rencontre des autres ne la contraint point de la changer. C'est-à-dire que : si elle a quelque grosseur, elle ne deviendra jamais plus petite, sinon que les autres la divisent ; si elle est ronde ou carrée, elle ne changera jamais cette figure, sans que les autres l'y contraignent ; si elle est arrêtée en quelque lieu, elle n'en partira jamais, que les autres ne l'en chassent ; et si elle a une fois commencé à se mouvoir, elle continuera toujours avec une égale force, jusqu'à ce que les autres l'arrêtent ou la retardent » (AT 11 : 38).

[12]Ou une montre mise en pièces par un ou plusieurs autres corps, puisque « rompu » signifie à la fois « cassé » (mis en pièces) et « arrêté ». L’opposition de « rompue » à « montée » (remontée) suggère toutefois ce dernier sens.

[13]Voir la préface aux Passions de l’âme : « mon dessein n'a pas été d'expliquer les passions en orateur, ni même en philosophe moral, mais seulement en physicien. Ainsi je prévois que ce traité n'aura pas meilleure fortune que mes autres écrits ; et bien que son titre convie peut-être davantage de personnes à le lire, il n'y aura néanmoins que ceux qui prendront la peine de l'examiner avec soin, auxquels il puisse satisfaire » (AT 11 : 326).

Author: 
Jean Luc Robin
Article Citation: 
XIII, 2 (2011) 110–129
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