La ruse du nom, machination rhétorique dans Amphitryon de Molière

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Introduction

Amphitryon est une pièce que l’on n’a pas prise au sérieux, ce qui dans un sens est la moindre des choses pour une comédie, mais ne rend pas jus­tice à une machine aux rouages subtilement huilés qui, sans égaler le degré de sophistication du Tartuffe poursuit à bien des égards dans sa lancée. Antony McKenna s’insurge contre une tradition qui l’a considérée comme « un simple divertissement pour le repos des guerriers de Louis XIV » (McKenna 136). René Pommier dénonce les commentateurs qui sont allés jusqu’à en faire « une pièce-flagornerie », une manœuvre de courtisan flat­tant les bas instincts du souverain[1]. Il démontre aussi qu’en se focalisant sur la question de la clef (l’aventure de Jupiter et d’Alcmène serait, selon la thèse de Georges Couton adoptée par de nombreux cri­tiques, une allu­sion à la liaison de Louis XIV et de Mme de Montespan[2]), la critique s’est enfermée dans un débat peu éclairant sur le plan littéraire qui a eu pour effet d’affadir et de désamorcer le dispositif d’Amphitryon. Pour tenter de le restituer, il faut revenir aux circonstances dans lesquelles la pièce fut écrite : en choisissant comme personnage éponyme la victime d’une vile, quoique divine, imposture, Molière, loin de baisser les armes après la se­conde interdiction de Tartuffe, poursuit le combat sous le voile du sujet mythologique et traduit en langage scénique l’argumentation développée dans la Lettre sur l’Imposteur[3]. La source antique et sa reprise heureuse par Rotrou en 1636[4], l’adoption de la fable par la culture ga­lante[5], servent alors de garants à la reprise d’un thème controversé. Le cadre mythologique d’Amphitryon, pièce à grand spectacle où le luxe et la pompe des machines enveloppent élégamment le scabreux du sujet et le scandale nocturne de l’adultère divin, offre en effet peu de prises à la cen­sure religieuse.

La question de l’imposture surgit pourtant dès la scène d’exposition à trav­ers la confrontation de Sosie, le valet poltron d’Amphitryon, qui vou­drait se faire passer aux yeux d’Alcmène pour un brave guerrier, et de Mer­cure, qui usurpe l’identité de Sosie en sa présence. Dans le face à face où chacun accuse l’autre de mensonge et d’imposture se dessine en fil­igrane la théâtralisation de la querelle qui oppose au même moment Mo­lière à ses détracteurs à propos du Tartuffe[6]. Mais le débat Mercure / Sosie fait éclater la différence essentielle entre les adversaires de la querelle. Comme l’indique l’occurrence exemplaire de théâtre dans le théâtre, lorsque Sosie joue par anticipation la scène, qui n’aura pas lieu, de son ambas­sade auprès d’Alcmène figurée par une lanterne (I, 1), la simulation du fanfaron est d’ordre histrionesque, somme toute inoffensive, alors que la manipulation de Mercure est une manœuvre de pouvoir. Le même déséquili­bre s’applique entre Molière, accusé d’hypocrisie, et le groupe organisé des dévots, visé dans Tartuffe, en qui le public a reconnu la puis­sante Compagnie du Saint Sacrement.

Amphitryon paraît donc la réponse apportée par la comédie à la grave question de la ruse et de l’imposture. Mais au lieu que l’intérêt se porte sur un personnage central, comme c’est souvent le cas chez Molière, toute l’attention se concentre sur le discours et ses pièges, le raisonnement et ses chimères. Le débat liminaire entre Mercure et Sosie est sur ce point exem­plaire d’une dramaturgie du paradoxe, dont James F. Gaines a exposé les ressorts et les enjeux dans une étude lumineuse[7]. Jean de Guardia nous livre quant à lui une clef rhétorique décisive de la pièce lorsqu’il remarque que Molière, tout en suivant de très près ses prédécesseurs, isole un élé­ment et un seul, « un concept spectaculaire » aux ressources comiques in­finies : le débat étonnant, absurde, absolument impossible (Guardia 63). Ainsi, le ridicule, dans Amphitryon, procède non pas de la peinture des mœurs ou des caractères mais d’une situation rhétorique artificielle et ar­bitraire.

La lecture que nous proposons s’inscrit dans une perspective rhétorique qui permettra, dans un premier temps d’observer, dans la confronta­tion en miroir du valet et du dieu, l’un ayant pris la forme de l’autre, la mise en place d’une dramaturgie du double particulièrement élaborée. La ruse de Mercure constitue en effet un coup de force qui nous situe d’emblée au cœur de la problématique théâtrale et des questions de représentation. Nous verrons ensuite comment, à travers la performance oratoire du philosophe amateur et du sophiste, le débat se focalise autour d’une aporie rhétorique que sous-tendent des enjeux philosophiques. En dernière analyse, le principe du débat contradictoire peut être compris comme la ruse adoptée par Molière pour démonter les ressorts et les pièges de l’imposture, pour déjouer les ressources manœuvrières du men­songe.

I. La logique du double : dédoublement, duplicité et duplication

Une ruse en trompe-l’œil

Un réflexe fréquent, chez les spectateurs d’Amphitryon, consiste à dé­plorer le sort pitoyable du « malheureux Sosie », trompé, violenté, annihilé dès le lever de rideau par l’odieuse mystification du dieu malin. Le face à face inégal, classique de la farce, appelle d’emblée l’injure et les coups de bâtons. Mais, et c’est ce qui permet d’en rire, Sosie ne mérite-t-il pas ce qui lui arrive ? Le dialogue ne nous révèle-t-il pas que nous avons affaire, non pas à la victime innocente d’une justice arbitraire, mais à un drôle dont la conscience est chargée et que l’interrogatoire musclé du dieu fait passer aux aveux. Sosie, qui s’apprêtait, au moyen d’un grand récit hé­roïque, à faire son Rodrigue auprès d’Alcmène :

Ils n’ont pu résister, Madame, à notre effort :
Nous les avons taillés en pièces,
Mis Ptérélas leur chef à mort
Pris Télèbe d’assaut, et déjà dans le port,
Tout retentit de nos prouesses. (Amphitryon 228–232)

… se reconnaît menteur, voleur et déserteur. L’imposture du Fierabras est en effet déjouée par Mercure qui, en maniant habilement l’intimidation et la surprise, obtient des aveux complets et signe une déposition en bonne et due forme : 

D’un jambon […] Que j’allais déterrer
Je coupai bravement deux tranches succulentes,
Dont je sus fort bien me bourrer ;
En joignant à cela d’un vin que l’on ménage,
Et dont, avant le goût, les yeux se contentaient,
Je pris un peu de courage
Pour nos gens qui se battaient » (Amphitryon 498–504).

Punir un coquin de sa poltronnerie et de sa gloutonnerie n’est assurément pas indigne d’un dieu mais, et c’est là que tout dérape, Mercure, qui pour­rait se contenter d’employer la force, décide, sous un prétexte plutôt mince – « et je vais avec lui m’égayer comme il faut » (280) – d’y ajouter la ruse. Ici surgit une question épineuse : si « les ruses de l’intelligence », selon Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, sont bien conformes à « la mètis des Grecs », l’idée, dans la société du XVIIe siècle, d’une divinité « full of tricks » s’abaissant à jouer des tours à une humanité désemparée, semble difficilement acceptable. Lorsque Descartes en fait la proposition, au seuil des Méditations métaphysiques, c’est évidemment à titre d’hypothèse de travail, d’outil épistémologique[8]. Et imputer la chose à la malignité bien connue de Mercure dont la tradition a fait « le dieu des larrons, impos­teurs, et de toutes les fraudes »[9], c’est oublier que l’idée de la ruse du nom est moins le produit de la malignité de Mercure que de la lubricité de Jupi­ter. Tout spectateur, bien informé de l’histoire, est parfaitement conscient qu’au moment où Mercure « s’egaye » avec Sosie au moyen de sa drôle d’idée, Jupiter la met en application, « dans la possession des plaisirs les plus doux » (Prologue 65), avec Alcmène. Admettons donc que la ruse du dieu subalterne soit en trompe-l’œil afin de camoufler la conduite scanda­leuse du souverain des dieux. Il y a, suggère le dramaturge, des nuances de l’imposture dont le degré de gravité est inversement proportionnel au rang de ceux qui la commettent : la fanfaronnerie de Sosie paraîtra bénigne à côté de l’embuscade malveillante de Mercure, lui-même écolier du crime face à Jupiter, champion hors-catégorie de la métamorphose crapuleuse.

Dédoublements

Revenons au stratagème de Mercure : « et je vais m’égayer avec lui comme il faut, / En lui volant son nom, avec sa ressemblance ». L’imposture est double : d’une part, Mercure prend la place du valet d’Amphitryon, d’autre part, en empruntant à Jupiter son « bel artifice », il joue le personnage du dieu régnant, se fait l’imitateur de ses « tours ingé­nieux ». La manœuvre est certes motivée par la personnalité de celui qui s’est plaint dès le prologue d’être traité « comme un messager de village ». Mais il faut surtout y voir le moyen de faire coïncider dans la pièce l’invention des sosies avec le mécanisme des doubles[10] : Mercure, sosie de So­sie, est aussi le double de Jupiter ; Amphitryon, qui a pour sosie Jupiter, est aussi le double de Sosie. Le parallélisme des maîtres et des serviteurs forme un chiasme avec la duplication des sosies. Dans ce double dédouble­ment réside tout le sel et l’ingéniosité de la scène liminaire où le méchant tour que Mercure joue à Sosie est la version euphémisée de l’embuscade traîtresse de Jupiter. Nous sommes d’emblée dans un schéma qui est moins celui de la répétition et de la duplication, selon l’analyse de Guardia, que de la mise en abîme : on nous donne à voir une autre scène dans la scène – scène primitive, invisible, sidérante. Un rapport d’analogie s’installe entre les deux ruses divines qui ont pour particularité d’être des ruses paradoxales. Jupiter séduit Alcmène en se faisant passer pour son mari, ce qui, observe Mercure dans le prologue, serait avec toute autre épouse une garantie d’échec. Quant à Mercure, il se fait passer pour Sosie en présence du principal intéressé ce qui, en toute autre circonstance, se­rait une entreprise vaine. Amphitryon généralise une dramaturgie du dou­ble déjà à l’œuvre dans ce que Max Vernet désigne comme le « cycle de la jal­ousie » (Vernet 97) : dans Le Médecin volant, où Sganarelle se fait passer pour un médecin puis pour le frère « gémeau » de ce dernier, dans L’École des Femmes, où Arnolphe / M. de La Souche voit se retourner con­tre lui sa ruse du nom, dans Tartuffe dont le double jeu consiste à prendre progressivement la place d’Orgon.

L’ère du soupçon

Si Amphitryon constitue, selon l’expression de Max Vernet, « le pas­sage à la limite de tout le cycle de la jalousie » (Vernet 97), c’est parce que la pièce pousse à l’extrême la logique du double. Deux personnages, un valet et son maître, sont doublés provisoirement par deux dieux mal intentionnés dont l’imposture va avoir pour effet de semer la zizanie entre les hommes. De ce schéma vont découler deux types d’échanges : des scènes de quiproquos proprement dit, dans lesquelles des copies trompent des originaux (Jupiter se fait passer pour Amphitryon auprès d’Alcmène ; Mercure se fait passer pour Sosie auprès d’Amphitryon) et des scènes d’affrontement entre les originaux dont la confiance a été sabotée par l’intervention des contrefaçons. L’imposture a donc pour effet de brouiller définitivement les échanges, de faire entrer l’humanité dans l’ère du soup­çon. Amphitryon soupçonne Sosie de lui raconter des sornettes pour se justifier de n’avoir pas accompli sa mission, mais surtout, il soupçonne son épouse de lui mentir pour dissimuler son crime. La perversion est achevée lorsque, fidélité et infidélité s’avérant indistinguables, l’innocence et l’intégrité même sont convaincues d’imposture :

La nature parfois produit des ressemblances
Dont quelques imposteurs ont pris droit d’abuser ;
Mais il est hors de sens que sous ces apparences
Un homme pour époux se puisse supposer,
Et dans tous ces rapports sont mille différences
Dont se peut une femme aisément aviser » (Amphitryon 1470–1475).

Contrairement au mensonge, qui est ponctuel, l’imposture introduit un trouble durable, un doute irréparable, que ne révoque pas le rétablissement de la vérité. L’impossibilité de distinguer le vrai du faux Sosie ainsi que le vrai du faux Amphitryon n’est pas sans évoquer la question, étudiée par Julia Prest, du « vrai » et du « faux dévot » dans la controverse de Tar­tuffe[11]. Toutefois, alors que dans Tartuffe, la fascination engendrée par les simulacres est combattue par les raisonnements sincères et lucides d’un Cléante[12], elle prend dès l’ouverture d’Amphitryon la forme d’une aporie dramatique et rhétorique dans le débat qui oppose Sosie à Mercure.

 

II. La forme du débat

Sosie raisonneur

Sosie, veule au combat, s’avère étonnamment combatif dans le débat, face à un adversaire dont Furetière rappelle qu’il est dieu de l’éloquence[13]. Contre toute attente, il oppose à l’agression caractérisée de l’imposteur une résistance qui prend la forme de l’argumentation, arme des faibles. Dans la catégorie des raisonneurs moliéresques, étudiée par Michael Haw­croft, Sosie n’égale pas le ridicule de Sganarelle dont la « grotesque impuis­sance rhétorique » (Declercq, Art d’argumenter 205) culmine dans sa « démonstration » absurde de l’existence de Dieu et de la nécessité de la damnation.

Toute la première partie de la controverse (I, 2) permet de situer Mer­cure, qui manie l’injure et l’accusation mensongère avec une mauvaise foi criante, du côté de la composante passionnelle du débat – « O le mensonge hor­rible ! et l’impudence extrême ! / Tu m’oses soutenir que Sosie est ton nom ? » (357–358) –, tandis que Sosie, dont la rhétorique est celle du sens commun, de l’opinable et du vraisemblable, maintient une position ration­nelle. Le valet d’Amphitryon raisonne avec adresse, maniant alternative­ment les trois types de preuves selon la rhétorique aristotélicienne. La preuve éthique est fournie par l’aveu de sa faiblesse : « C’est pure fanfa­ronnerie / De vouloir profiter de la poltronnerie / De ceux qu’attaque notre bras » (373–375). La preuve pathétique ressort du tableau émouvant de sa persécution : « Tes coups n’ont point en moi fait de métamorphose ; / Et tout le changement que je trouve à la chose, / C’est d’être Sosie battu » (380–382). La preuve logique enfin réside dans l’affirmation : « je le soutiens par la grande raison […] qu’il n’est pas en moi de pouvoir dire non, / Et d’être un autre que moi-même » (359–362). À force d’accumuler des prémisses vraisemblables, de se faire la voix de la doxa, Sosie con­traint son adversaire à dévoiler son jeu. La réplique de Mercure, « C’est moi qui suis Sosie », donne l’occasion à Sosie de caractériser avec justesse à la fois son adversaire et la sorte de malversation dont il est la victime : « Et par un imposteur me voir voler mon nom » (401).Loin de le déstabi­liser, le constat de l’agression caractérisée incite le raisonneur à relancer le dé­bat.

L’aporie rhétorique

Sa tactique repose sur l’accumulation d’arguments logiques. Il pose d’abord la question, pertinente entre toutes, du mobile : « que te reviendra-t-il de m’enlever mon nom ? » (413). Ce faisant, il met à jour la contradic­tion inhérente aux prémisses du discours adverse : « Et peux-tu faire enfin, quand tu serais démon, / Que je ne sois pas moi ? que je ne sois Sosie ? » (414–415). Il résout le dilemme (« puis-je cesser d’être moi ? ») par l’apport de « preuves » et d’« indices », et reconstruit une réalité tangible et factuelle par l’accumulation d’arguments empiriques :

Mon maître Amphitryon ne m’a-t-il pas commis
À venir en ces lieux vers Alcmène, sa femme ?
Ne lui dois-je pas faire, en lui vantant sa flamme,
Un récit de ses faits contre nos ennemis ?
Ne suis-je pas du port arrivé tout à l’heure ?
Ne tiens-je pas une lanterne en ma main ? (434–439)

À cette rhétorique du sens commun, appuyée par le recours à la preuve sensible[14], au témoignage du corps et à la certitude de l’évidence intellec­tuelle, Mercure réplique par un syllogisme qui s’avère un sophisme : tu es tout ce que tu dis être à toi ; or tout ce que tu dis être à toi est à moi (« Tout ce que tu viens de dire est à moi ») ; donc je suis toi (« C’est moi qui suis Sosie enfin »). On reconnaît sans mal dans l’entreprise sophistique de Mercure les causes de la fascination dont sont déjà victimes, selon Gilles Declercq, les personnages de Tartuffe :

Le déni de réalité consistant à qualifier celle-ci d’apparence trompeuse (…), par un effet de vertige sophis­tique, c’est la dé­nonciation de l’imposture qui se voit quali­fiée d’imposture (« Équivoques de la séduction » 119–120).

En outre, à la mauvaise foi, Mercure joint le cynisme, qui consiste, selon la définition de Vladimir Jankélévitch, « à faire de l’objection une raison de plus » (Jankélévitch 45) et porte la paradoxologie à son comble en y ajoutant la dérision :

C’est moi qui suis Sosie enfin, de certitude […]
Qui dans Thèbes ai reçu mille coups d’étrivière,
Sans en avoir jamais dit rien,
Et jadis fus marqué par derrière
Pour être trop homme de bien » (459–467)

L’aporie rhétorique, qui définit « une situation oratoire paradigmatique du raisonneur moliéresque » (« Équivoques de la séduction » 114), se solde donc par la victoire de la copie sur le modèle. L’ambition dialectique de Sosie est mise en échec : il s’est révélé incapable de distinguer dans le dis­cours les signes du vrai et du faux.

Cependant, accumulant à son tour, en réponse à l’interrogatoire de So­sie, des chefs d’accusation qui, comme ses coups, ne sont « que trop vérita­bles », Mercure parvient à convaincre sa victime de la nécessité d’un fait impossible. La victoire du raisonnement sophistique « qui abuse l’auditoire en présentant comme probable ce qui par nature, est paradoxal ou invraisemblable, en donnant au faux – notamment aux fautes logiques, un air de vraisemblance » (Art d’argumenter 29), s’avère complète à l’acte sui­vant lorsque Sosie, face à Amphitryon, entreprend de démontrer, dans une scène d’auto-persuasion caractéristique de la fascination engendrée par les simulacres de l’imposteur, l’existence des deux Sosie :  

Je ne l’ai pas cru, sans une peine extrême : 
Je me suis d’être deux senti l’esprit blessé,
Et longtemps d’imposteur j’ai traité ce moi-même.
Mais à me reconnaître enfin il m’a forcé :
J’ai vu que c’était moi, sans aucun stratagème […] »  (778–782).

La scène philosophique

Si l’enjeu de la controverse est absurde, les arguments employés constitu­ent des philosophèmes bien ancrés dans la culture du XVIIe siècle. Lorsque Sosie oppose le témoignage des sens à l’intuition intellectuelle, il parodie le débat philosophique entre Descartes et Gassendi, entre « l’esprit » et « le corps » : « La véracité divine étant disqualifiée, l’évidence de l’intuition intellectuelle est bafouée ; il ne reste que le témoign­age du corps […] » (Mc Kenna 130). Quant à l’objection qui con­siste en l’impossibilité de s’anéantir – « Puis-je cesser d’être moi ? » – elle calque l’argument cartésien qui vient réfuter l’hypothèse du malin génie : « […] qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose » (Méditation première). James F. Gaines interprète la confrontation de Mercure et Sosie (ainsi que l’ensemble de la pièce) dans le sens d’un scepticisme qui révèle un « moi dévalué », une identité qui n’est qu’affaire d’apparence et d’opinion (Gaines 111). Mais au-delà des références nombreuses au débat philosophique, cette « tirade vertigineuse » de Sosie constitue l’acmé d’une « dramaturgie de la semblance et de l’imposture aliénatrice » (« Équivoques de la séduction » 121), qui théâtralise l’effet contaminateur du simulacre et l’impossibilité de percevoir la vérité par des signes stables et fiables[15]. De même que Dorine menaçait Mariane d’être « tartuffiée », l’incrédulité d’Amphitryon lui vaudra d’être sosifié en devenant à son tour la victime de Mercure dans une scène-miroir (III, 2) où il reprend le rôle d’Orgon : « Juste retour des choses d’ici-bas. / Vous ne vouliez point croire, et l’on ne vous croit pas » (Tartuffe 1695–6). Le théâtre des dou­bles nous réserve cependant des surprises : contre toute attente, le Sosie qui avait succombé à l’emprise sophistique de Mercure dans la scène d’ouverture, va opposer, au moment du dénouement, une résistance fa­rouche et victorieuse à la rhétorique fallacieuse de Jupiter.

III. Jupiter ou l’imposteur

La revanche de Sosie

Le pari dramaturgique de la pièce repose sur le choix audacieux de l’aporie dialectique comme élément déclencheur. Le spectacle de Sosie, piètre soldat mais hardi raisonneur, jeté dans la perplexité de l’aporia, ré­duit ad absurdum, est, il faut l’avouer, moins réjouissant que celui du dé­lire des extravagants. La fureur d’Harpagon dépouillé de sa cassette déclenche une hilarité plus franche que le désarroi de Sosie, dépossédé de son être. Or, selon René Pommier ce malaise initial se confirme, s’aggrave en fait, dans le dénouement d’Amphitryon. Son analyse de la dernière scène et des modifications qu’y apporte Molière par rapport à ses modèles, met en évidence l’ironie profonde de la situation : toute l’éloquence dé­ployée par Jupiter ne parvient pas à désarmer Amphitryon qui garde jusqu’au bout un silence obstiné – au lieu, comme chez Rotrou, de se dé­clarer satisfait et honoré et d’inviter tout le monde à bénir son rival divin[16]. Or c’est Sosie, prenant sa revanche sur l’humiliation de la scène 2, qui com­mente avec audace l’échec oratoire du dieu – « Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule » (III, 10, 1913) – et se fait le porte-parole d’Amphitryon lorsqu’à la flagornerie de Mercure – « Et les coups de bâton d’un dieu / Font honneur à qui les endure » –, il réplique par l’équivoque : « Ma foi ! Monsieur le dieu, je suis votre valet : / Je me serais passé de votre cour­toisie » (III, 9, 1880–1881). C’est lui enfin qui, s’interposant entre son maître et les discours complimenteurs des capitaines, prononce une conclusion qui évacue à mots couverts la révélation de la disgrâce de son maître :

Tout cela va le mieux du monde :
Mais enfin coupons court aux discours,
 Et que chacun chez soi doucement se retire.
Sur de telles affaires, toujours
Le meilleur est de ne rien dire (III, 10, 1940–1943).

Le discours voilé par lequel Sosie a le dernier mot montre qu’après avoir été la victime de l’imposture, il en a apparemment tiré les leçons puisqu’il adopte à son tour une posture qui est celle du rire dissimulé[17].

Double langage

Le cocu Joconde, dans le conte de La Fontaine, arrivait à la même conclu­sion, optant sagement pour le silence plutôt que pour une vengeance qui ferait éclater le scandale[18]. Sosie souligne la maladresse de Jupiter dans son compliment public à Amphitryon et le fiasco rhétorique du sou­verain des dieux invite à relire la victoire apparente de Mercure dans la scène du vol du nom. Selon cette perspective en effet, la capitulation ini­tiale de Sosie apparaît comme le faire-valoir de la résistance finale d’Amphitryon. L’argumentation rhétorique est le vecteur par lequel, dans la pièce, on passe des problèmes logiques aux questions éthiques et poli­tiques. Ainsi, l’enthymème prononcé par Mercure dans le prologue est du point de vue de l’éthique autant une contradiction que le vol du nom l’est du point de vue de la logique :

Lorsque dans un haut rang on a l’heur de paraître,
Tout ce qu’on fait est toujours bel et bon ;
Et suivant ce qu’on peut être,
Les choses changent de nom » (128–131).

Loin de considérer qu’il s’agit là de « la leçon principale de la comédie » (Guardia 218), visant à décourager la critique et à suspendre son jugement au sujet de l’adultère royal, nous tenons l’enthymème pour exemplaire d’une utilisation biaisée du raisonnement à des fins malhonnêtes. Au seuil de la pièce, il éveille les soupçons, jette le discrédit sur cet autre du poli­tique qu’est la sophistique :

C’est parce qu’on est imposant, parce qu’on en impose, qu’on peut être un imposteur, et on n’en impose jamais qu’au peuple, et toujours à propos de, autour, ou avec le lan­gage (Cassin 16).

Chef-d’œuvre de comique à demi-mot, Amphitryon tient de bout en bout un double langage. L’ironie est présente d’emblée dans la controverse bur­lesque qui oppose Mercure et la Nuit : l’un se plaint de la pénurie de moyen de transport qui rend ses fonctions harassantes, l’autre ironise sur les « pratiques » douteuses du souverain des dieux. La conclusion sous forme de prétérition – « N’apprêtons point à rire aux hommes / en nous disant nos vérités » (146–147) – prévient le spectateur qu’on va le régaler du spectacle burlesque de dieux charlatans dont la littérature satirique a déjà su tirer parti[19]. Mais chez Molière, Jupiter lui-même n’est pas mieux loti, son apparition en majesté ne parvenant pas à compenser le comique de la scène de séduction lorsque, empêtré dans un distinguo paradoxal, il tente vainement de persuader Alcmène de la supériorité de l’amant sur le mari (I, 3)[20]. Il reprend alors, par le recours à une rhétorique parfaitement hypocrite et un discours d’incitation à la luxure, le rôle de galant malhon­nête tenu précédemment par Tartuffe à ceci près que, le crime étant déjà consommé, le discours de persuasion arrive un peu tard[21].

Un art de l’esquive

Face à l’imposture, l’attaque frontale est à proscrire : « la dispute est par trop inégale entre nous » (I, 2, 387). Ce constat de Sosie résume peut-être l’expérience de Molière face aux adversaires de Tartuffe mais suggère aussi un art de l’esquive dont La Fontaine a fait un principe poétique. Amphit­ryon transpose au théâtre la ruse, fréquente chez le fabuliste, qui consiste à se faire le chantre d’un point de vue qu’on dénonce. La pseudo-morale énoncée au début de la pièce – les grands font toujours bien et sont exceptés de la morale commune – est ensuite démentie, révélée comme imposture[22]. La comédie propose une variation brillante de l’apologue équivoque de la fable – « La raison du plus fort est toujours la meilleure » – en dévoilant les mécanismes du faux à l’œuvre dans le détournement de la raison logique. La scène de reconnaissance finale, apparemment résolu­tive, porte en réalité à son comble la perturbation des conventions et des certitudes. Car l’efficacité redoutable du ridicule se communique, par le biais de la rhétorique, d’un discours à l’autre, du paradigme galant à celui de la religion. Le spectateur déniaisé saura aisément déceler dans le dis­cours conclusif de Jupiter, qui se révèle imposteur devant le peuple des fidèles – « Regarde, Amphitryon, quel est ton imposteur » (III, 10, 1890) –, et parodie la révélation avec l’annonce de la naissance d’Hercule, la thèse de l’imposture politique des religions. En dévoilant la rhétorique illusion­niste par laquelle le pouvoir assoie son autorité sur un peuple crédule, Amphit­ryon s’inscrit dans la droite ligne de la culture libertine qui, selon l’expression de Jean-Charles Darmon, « a fait de l’imposture la grande affaire de toute pensée » (Darmon 72).

La dernière scène d’Amphitryon est au bout du compte exemplaire de la façon dont le théâtre de Molière réfléchit la situation équivoque qui est la sienne, dans le débat avec ses adversaires. En instruisant lui-même le procès du pouvoir trompeur de la représentation, en radicalisant la confu­sion dont le signe théâtral est accusé d’être l’opérateur, Molière adopte la stratégie équivoque d’Elmire contre Tartuffe, qui consiste à affronter l’adversaire sur son propre terrain et avec ses propres armes :

La dialectique clairvoyante ne peut venir à bout de l’imposture. Celle-ci impose le recours à une rhétorique du vraisemblable et à une dramaturgie du simulacre usant des armes même de la sophistique qu’elle entend combattre (« Équivoques de la séduction » 118).

 

Dans la galerie d’imposteurs composée par Molière, Jupiter prend la re­lève du galant Panulphe, lui-même l’avatar du dévot Tartuffe. Sous des déguisements et avec des attributs divers, c’est un même personnage qui revient sur le théâtre et un même combat qui se poursuit contre les puis­sances des ténèbres (Jupiter a la nuit pour alliée). Mais ici, l’objet de fascina­tion se déplace de la figure de l’hypocrite aux figures du discours et toute l’attention est portée par le dramaturge aux fondations rhétoriques de la ruse. La matrice du débat impossible permet de démonter les méca­nismes sur lesquels repose l’exercice d’un pouvoir abusif : raisonnement fallacieux, dérive sophistique, perversion de la logique aboutissant à la paralysie de l’adversaire médusé, résigné à l’absurde. La multiplication des figures du dédoublement (sosies, doubles, personnages-acteurs, person­nages à clef) expose le spectateur au trouble durable, à l’aporie face au divorce de l’être et du paraître, qui caractérise les victimes de l’imposture. Or c’est au ridicule, au pleutre Sosie qu’est confié le soin de déjouer cette sombre machination, à l’individu asservi qu’est confié le dis­cours de liberté. Quelle meilleure occasion de réaffirmer les pouvoirs de la co­médie, à laquelle la censure vient d’infliger un revers avec l’interdiction de Tartuffe ? En caricaturant le discours de l’adversaire, en se faisant le champion de la logique du double, en agissant donc per contrarium, ce vulgaire bouffon, pâle reflet de l’héroïsme de son maître, parvient à faire endosser son ridicule au dieu trompeur. C’est alors que tombe le masque du dramaturge et que le rire vient démentir la morale prétendue de la Fable.

Wilfrid Laurier University


 

Ouvrages cités

Adam, Antoine. Histoire de la littérature française au XVIIe siècle. Paris: Domat, 1952, tome III.

Cassin, Barbara. « Philosophe, sophiste, orateur: qui imite qui? », Figures de l’imposture. Entre philosophie, littérature et science, J. -Ch. Darmon (dir.), 15–27. Paris: Desjonquères, 2013.

Cavaillé, Jean-Pierre. « Hypocrisie et Imposture dans la querelle du Tar­tuffe (1664–1669): La Lettre sur la comédie de l’imposteur (1667) », Les Dossiers du Grihl [En ligne], Les dossiers de Jean-Pierre Cavaillé, Lib­ertinage, athéisme, irréligion. Essais et bibliographie, mis en ligne le 09 juin 2007, consulté le 19 octobre 2013. URL : http://dossiersgrihl.revues.org/292 ; DOI : 10.4000/dossiersgrihl.292

Couton, Georges. Molière, Œuvres complètes, « Bibliothèque de La Pléi­ade » T II. Paris,: Gallimard, 1971.

Darmon, Jean-Charles. « Libertinage et imposture : remarques sur quel­ques exercices de « souplesse » de Cyrano à Fontenelle. » Figures de l’imposture […], 71–110. Paris: Desjonquères, 2013.

Declercq, Gilles. L’Art d’argumenter. Structures rhétoriques et littéraires, Paris, Éditions Universitaires, 1993.

———. « Équivoques de la séduction : Elmire entre honnêteté et libertinage », Biblio 17, n°181 (2009): 71–127.

De Guardia, Jean. Poétique de Molière. Comédie et répétition, Genève: Droz, 2007.

Detienne, Marcel et Jean-Pierre Vernant. Les ruses de l’intelligence. La mètisdes grecs, Paris, Flammarion, 1974.

Gaines, James F. Molière and Paradox. Skepticism and Theater in the Early Modern Age, Tübingen, Narr Verlag, Biblio 17, 2010.

Hawcroft, Michael. Molière : Reasoning with fools. Oxford, Oxford UP, 2007.

Jankélévitch, Vladimir.  L’ironie. Paris: Flammarion, 1964.

Jasinski, René. Molière. Paris: Hatier, 1959.

McKenna, Anthony. Molière dramaturge libertin. Paris: Champion, 2005.

Pommier, René. « Sur une clef d’Amphitryon. » RHLF 96, 2 (1996):  212–228.

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Roederer, Pierre-Louis. Mémoire pour servir à l’étude de la société polie en France, ch. XXII, cité dans Molière, Œuvres completes. « Grands Écrivains de la France » T. VI. Paris: Hachette, 1873–1893.

Truchet, Jacques. « À propos de l’Amphitryon de Molière : Alcmène et La Vallière. » Mélanges d’histoire littéraire offerts à Raymond Lebègue. Paris: Nizet, 1969, 241–248.

Ubersfeld, Anne. « Le double dans l’Amphitryon de Molière. » Dramatur­gies, langages dramatiques, mélanges pour J. Scherer. Paris: Nizet, 1986,  234–244.

Vernet, Max.  Molière. Côté jardin, côté cour. Paris: Nizet, 1991.



[1] René Pommier cite Daniel Mornet, « qui n’a pas craint d’écrire qu’Amphitryon était une “pièce-flagornerie, ou, si l’on songe à toutes les flagorneries du temps, une pièce de courtisan” (Molière, [Paris: Boivin, 1943], 145–146) ». La thèse de la pièce de courtisan a d’abord été avancée par Roederer, suivi par des critiques comme Jacques Truchet, René Jasinski, Antoine Adam, Georges Couton.

[2] « Le dossier rassemblé par George Couton prouve bien que Molière devait savoir que Louis XIV s’intéressait à Mme de Montespan et que, connaissant la cour, il devait savoir aussi qu’il pouvait faire allusion à cette intrigue sans créer de scandale. Mail il ne suffit pas de prouver qu’il pouvait le faire pour prouver qu’il l’a effectivement fait » (Pommier 214).

[3] La Lettre sur la comédie de l’imposteur paraît, sans nom d’auteur, sans lieu et sans nom d’imprimeur, quelques jours après l’interdiction, par les autorités civiles et religieuses, de la Comédie de l’imposteur, représentée le 4 août 1667. Ce texte, longtemps considéré comme une riposte de Molière, a été attribué par Robert Mc Bride à La Mothe Le Vayer (La Mothe Le Vayer, Lettre sur la comédie de l’imposteur, éd. Robert Mc Bride, Université de Durham, Durham Modern Language Series, 1994). Jean-Pierre Cavaillé émet quant à lui l’hypothèse d’une œuvre collective, issue des milieux libertins fréquentés par Molière et auquel le dramaturge aurait lui-même donné la main (« Hypocrisie et imposture dans la querelle du Tartuffe […] » Les Dossiers Grihl, 20.  http://dossiersgrihl.revues.org/292).

[4] Le projet « Molière 21 » donne une idée claire de l’utilisation des sources par Molière : d’une part de la traduction de l’Amphitruo de Plaute par Marolles, d’autre part de la comédie Les Sosies, de Rotrou (http://www.moliere.paris-sorbonne.fr/).

[5] En 1653, la Comédie muette d’Amphitryon devenait la sixième Entrée de la quatrième Veille du Grand Ballet Royal de la Nuit dansé par le jeune Louis XIV dans la salle du Petit-Bourbon (libretto imprimé par Ballard).

[6] « Les adversaires déchaînés contre la pièce proclament bien sûr l’authenticité de leur dévotion et de leur moralité. Or comme précisément les accusations sont d’emblée récusées, elles ne peuvent être que des accusations réciproques de simulation et de dissimulation, de falsification et d’occultation : Molière est accusé par ses ennemis de diffuser dans sa pièce une doctrine libertine dissimulée, et réciproquement, Molière accuse ses détracteurs, dès le Premier Placet, d’être des tartuffes » (J.-P. Cavaillé, « Hypocrisie et imposture dans la querelle du Tartuffe […] », op. cit., 5)

[7] James F. Gaines, Molière and Paradox. Skepticism and Theater in the Early Modern Age (Tübingen: Biblio 17, 2010).

[8] « Mais il y a un je-ne-sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose » (Descartes, Méditations métaphysiques, Méditation Seconde).

[9] Jean Baudoin, ed. Mythologie ou explication des Fables, (Paris: Pierre Chevalier, 1627).

[10] Ce mécanisme a été analysé par Anne Ubersfeld comme ressort de la théâtralité dans « Le double dans l’Amphitryon de Molière, » Dramaturgies, langages dramatiques, mélanges pour J. Scherer (Paris: Nizet, 1986), 234-244.

[11] Julia Prest, « Where Are the vrais dévots and Are They véritables gens de bien ? Eloquent Slippage in the Tartuffe controversy, » Neophilologus 97, 2 (2013):  283-297.

[12] Voir Michael Hawcroft, Molière: Reasonning with fools, (Oxford, Oxford UP, 2007), 83-85.

[13] Voir la définition du Dictionnaire universel et l’illustration de cette facette du personnage dans Le voyage de Mercure, particulièrement dans les livres 1, 3 et 5, éd. J. Leclerc, (Paris: Hermann, 2014).

[14] Alcmène aura à son tour recours au même type de preuve dans sa brillante réplique à Amphitryon à propos des « cinq diamants » qu’elle ne peut tenir que de lui (II, 2, 953).

[15] Gilles Declercq interprète cette crise du signe à la lumière de la thèse foucaldienne, dans Les mots et les choses, de la fin de « l’âge du semblable » marquant le début d’une ère où « la similitude n’est plus la forme du savoir mais plutôt l’occasion de l’erreur » (« Équivoques de la séduction […] » 119).

[16] René Pommier ajoute que l’absence d’Alcmène dans la scène de dénouement où tous les personnages sont censés figurer est un autre signe de ce malaise (« Sur une clef […] », op., cit., note 21).

[17] En 1651, La Mothe Le Vayer, dans sa Rhétorique du Prince, rédigée à l’intention du jeune Louis XIV, reprend la définition de Quintilien de l’ironie comme feinte : « l’Ironie est une raillerie contenue dans un sens fort différent de ce que les paroles semblent signifier. C’est pourquoi les Latins l’ont nommée Dissimulation, & Illusion » (Œuvres, nouvelle édition précédée de L’Abrégé de la vie de La Mothe le Vayer [Michel Groell Dresde, 1756] [Genève: Slatkine reprints, 1970] t. I, 171).

[18] « Le moins de bruit que l’on peut faire / En telle affaire / Est le plus sûr de la moitié » (La Fontaine, Contes et Nouvelles, I, 1, v. 95-103).

[19] Scarron, dans son Virgile travesti, avait déjà fait de Mercure un personnage peu recommandable : « [Jupiter] fit venir pour lui plaire / Son fils, son courrier ordinaire : / C’est son fils, ce fils de putain, / Qui sait parler grec et latin, / Qui coupe si bien une bourse, / Qui de l’éloquence est la source, / Sait bien jouer des gobelets, / Faire comédie et ballets, / Inventeur des dés et des cartes, / Des tourtes, poupelins et tartes, / Et, pour achever son tableau, / Sur le tout un peu maquereau » (Scarron, Le Virgile travesti, éd. Jean Serroy [Paris, Classiques Garnier, 1988], 96, v. 963-974).

[20] « Si la galanterie est ridicule, c’est parce qu’elle consiste en une duplicité foncière entre le discours et ce à quoi il est employé : il consiste en effet en des propos qui euphémisent mensongèrement la passion amoureuse, des propos qui dissimulent le désir sexuel dont ils visent pourtant à assurer la satisfaction » (Jean-Pierre Cavaillé, 50).

[21] À la différence aussi que Tartuffe trouve en Elmire un adversaire autrement redoutable, comme l’a montré Gilles Declercq dans son étude de la fonction de séduction équivoque de ce personnage (« Équivoques de la séduction […] »).

[22] Elle sera réfutée par l’enthymème que Dom Luis oppose à Dom Juan : « La naissance n’est rien où la vertu n’est pas » (IV, 4).

Author: 
Nathalie Freidel
Article Citation: 
XVI, 1 (2015): 18–34
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