Journal

Table of Contents

William Brooks. Nostalgia in the letters of Elisabeth Charlotte, the second Madame. 1

Bernadette Hoefer. Une insubordination clandestine, ou la relation entre l’esprit et le corps chez Surin et Lafayette. 19

Mary C. Ekman. Concealing Identities, Revealing Stories: Marie-Catherine d’Aulnoy’s Relation du voyage d’Espagne. 49

Charlotte Trinquet. Voix clandestines dans les contes de fées : L’exemple de « Finette Cendron » de Madame d’Aulnoy. 65

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Table of Contents

Claude Abraham. Comment peut-on etre femme?-1

Nancy Arenberg. Mirrors: Crossdressing and Narcissism in Choisy's Histoire de Madame la Comtesse de Barres. 11

Mark Bannister. The Mediatization of Politics during the Fronde: Condé's Bureau de Presse 31

Roger W. Herzel. Célimene's Last Word 45

Allan G. Wood. Opening Moves, Dialectical Opposites, and Mme. Pernelle. 55

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Martha M. Houle. Naming the "Confessions" of Jean-Jacques Bouchard. 1

Phillip Wolfe. Confession catholique, confession protestante dans les Histoiriettes de Tallemant des Réaux 11

James F. Gaines. Travailler en utopie: False Repentance in Racine. 21

Ran-E. Hong.
Quand le paraître prime l'être: les habits dans les Contes de Perrault. 35

Tabitha Spagnolo Sadr. Jean Rotrou and the Trappings of Identity.49

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Paul Pelckmans. “Thanatos au péril de la mer: à propos du
Journal de voyage de Robert Challe” 1

John F. Boitano. Startling Revelations From the Orient:
Martino Martini’s Histoire de la Chine 19

Ziad Elmarsafy. Love and Anarchy in 1666: The Case of
Corneille’s Agésilas 29

Thomas P. Finn. Reputation and Imaginary Identity in Le
Menteur and La Verdad sospechosa 44

Perry Gethner. A Baroque Guilt Trip: False Death
Announcements in Rotrou 58

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Priscilla Ferguson. Les Quinze Livres d’Athénée: French Culinary Culture in the Making. 1

Susan Read Baker. “Natutical Fare in Robert Challe’s Journal d’un voyage fait aux Indes orientales (1690-1691). 21

Jean Emelina. Le regard d’un savant sur les curiosités de la nature: plantes, jardins et eaux chez Peiresc. 33

William Roberts. Perelle's Veües des plus beaux endroits de Versailles: How the Engravings contribute. 49

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Table of Contents

Article Citation: 
Cahiers IX, 1 (2004)
Author: 
Editor John Boitano
Article Text: 

Table of Contents

Priscilla Ferguson. Les Quinze Livres d’Athénée: French Culinary Culture in the Making. 1

Susan Read Baker. “Natutical Fare in Robert Challe’s Journal d’un voyage fait aux Indes orientales (1690-1691). 21

Jean Emelina. Le regard d’un savant sur les curiosités de la nature: plantes, jardins et eaux chez Peiresc. 33

William Roberts. Perelle's Veües des plus beaux endroits de Versailles: How the Engravings contribute. 49

Elizabeth Woodrough. Molière et la mise en scène des jardins de Versailles. 61

Dana Marie Chase. Deflowering the Garden: Le droit du seigneur and La Fontaine. 75

Perry Gethner. Ransom and Piracy in Classical French Comedy. 83

David Eick. Redefining the Culture Wars: Furetière and the Académie française. 91

Marcelle Maistre Welch. Poullain de la Barre et les Modernes. 105

Adrienne Zuerner. Narrating the Life of a Scandalous Woman: Madame de Saint-Balmon. 119

Deborah Steinberger. Profiting from Scandal: the Case of La Devineresse. 135

Ralph Albanese. Les Fables de La Fontaine et la pédagogie républicaine de la ‘francité.’ 143

BOOK REVIEWS

Edited by John Boitano

Paige, Nicholas D. Being Interior: Autobiography and the Contradictions of Modernity in Seventeenth-Century France. University of Pennsylvania Press, 2001. 297 pp.
(Charles M. Natoli) 159

Norman, Buford. Touched by the Graces: The Libretti of Philippe
Quinault in the Context of French Classicism. Birmingham, AL:
Summa Publications, 2001. Pp. ix + 402. Paper.
(Perry Gethner) 165

Corum, Robert T., Jr. Reading Boileau: An Integrative Study of
the Early Satires. West Lafayette: Purdue UP, 1998, 170 pp.
ISBN: 1-55753-110-2.(Roland Racevskis) 168

Letts, Janet. Legendary Lives in La Princesse de Clèves. Charlottesville, VA: Rookwood Press, 1998. Pp. xiv + 286. Hardcover.
(Suzanne Toczyski) 170

Vuillermoz, Marc. (Sous la direction de) Dictionnaire analytique des oeuvres théâtrales françaises du XVIIe siècle. Collection Dictionnaires et références 3. Paris: Champion, 1998. 864 pp. 750 F.
(Claire Carlin) 173

Lyons, John D. The Tragedy of Origins: Pierre Corneille and Historical Perspective. Stanford, CA: Stanford University Press,1996. Pp. xv + 236. Cloth. $37.50. (Suzanne Toczyski) 175

Ludwin, Dawn M. Blaise Pascal’s Quest for the Ineffable.
New York: Peter Lang, 2001. (Charles M. Natoli) 178

Site Sections (SE17): 

Thanatos au péril de la mer: à propos du Journal de voyage de Robert Challe

Article Citation: 
Cahiers du dix-septième: An Interdisciplinary Journal 8, 1 (2003), 1–17
Author: 
Paul Pelckmans
Article Text: 
*/

[page 1]Il n’est sans doute plus vraiment utile de commencer un article
sur Robert Challe (1659-1721) par quelques effets de manche sur la
stature exceptionnelle de cet ex-inconnu. L’auteur des Illustres
françaises a définitivement pris rang parmi les plus grands. Son irrésistible
ascension risque même d’avoir l’inconvénient paradoxal de
le sortir un peu indûment de son époque. A force de saluer
l’initiateur d’un romanesque renouvelé ou du déisme éclairé, on vient
à oublier que Challe, avant de préparer les voies à Prévost et à Voltaire,
aura été d’abord un témoin de sa propre conjoncture historique.
Challe fut un homme d’avenir, qui aura réussi quelques brillantes
amorces; reste, je crois, à découvrir un peu mieux qu’il peut nous
édifier aussi sur tout un Ancien Régime qui nous est devenu très
étranger.

Cela revient à dire que l’oeuvre de Challe n’est pas des seuls ressorts
de la narratologie ou de l’histoire des idées: elle intéresse encore
—ou devrait intéresser— l’histoire des mentalités. Les interrogations
dans ce sens ont été jusqu’aujourd’hui un peu rares1; la
découverte émerveillée d’une indéniable grandeur a pu détourner de
l’interroger d’abord sur les postures élémentaires de ses contemporains
quelconques. N’empêche que cet auteur hors de pair ne peut
pas ne pas nous renseigner aussi sur une humanité moyenne ambiante
dont il devait partager bien des réflexes. Son intérêt, dans
cette perspective, est de s’être attardé —et souvent avec un magnifique
bonheur de plume— à des vécus qui, majoritaires, restaient le
plus souvent silencieux —et de corriger ainsi l’inévitable sécheresse
des document sériels où l’histoire des mentalités aime trouver ses
sources les plus fiables.

La présente étude voudrait confronter la première grande oeuvre
de Challe à une des problématiques les plus controversées de
l’histoire des vécus ordinaires. Il m’a semble que le Journal d’un
voyage fait aux Indes orientales2 propose une évocation particulièrement
suggestive de ce que Philippe Ariès aimait appeler la <>mort
apprivoisée —et pouvait du coup contribuer à dissiper quelques
malentendus fréquents autour de ce concept.

De ces malentendus, le contresens habituel lié au terme dont
Ariès a choisi de nommer sa découverte devrait être le plus bénin.

[page 2] On n’apprivoise au sens propre que des animaux d’abord sauvages;
l’idée d’une mort apprivoisée engage, comme toute métaphore qui
se respecte, une comparaison boiteuse. Le style paisible qu’elle désigne
ne triomphe donc pas, au regard de l’historien, de quelque sauvagerie
première de Thanatos, que telles époques passées auraient su
juguler. Il s’agirait au contraire, sous la plume de Philippe Ariès3,
d’une sérénité révolue: elle s’oppose à un ensauvagement ultérieur,
dont nous resterions en cette fin du XXe siècle largement tributaires.
Il y aurait eu jadis tout un ars moriendi sans âge, c’est-à-dire en fait
tout un art de vivre, dont notre modernité aurait perdu le secret.

Je concéderai sans lésiner que l’hypothèse d’une crispation moderne
devant Thanatos risque, pour la beauté de l’antithèse, de rabattre
le passé sur un dénominateur commun un peu sommaire. Ce serait,
bien entendu, trop simple: acceptée plus aisément que de nos
jours, la mort ne devait pas figurer pour autant, de l’Antiquité tardive
aux Lumières, une réalité immobile. Le thème de l’acceptation, en
d’autres termes, ne rend pas compte de tout; le contraire serait plus
surprenant puisque c’est le propre de toute vue d’ensemble de privilégier,
aux dépens d’une diversité plus voyante, des traits communs
qui, pour s’avérer à l’analyse décisifs, peuvent être au premier abord
moins évidents. Un modèle, j’ai presque honte de rappeler un tel
truisme, n’est jamais qu’une épure; la vraie question est de savoir si
le concept forgé par Philippe Ariès réussit à isoler efficacement un
trait pertinent, qui a pu se prêter, du fait même de l’étonnante stabilité
de «ce fonds élémentaire et immémorial»4, à bien des alliages.

La réserve essentielle est sans doute ailleurs. Que les civilisations
traditionnelles aient globalement fait preuve d’une aisance devant
la mort qui nous est désormais interdite, l’idée, je crois, gêne
moins d’effacer quelques vieilles différences que de majorer un
contraste désobligeant. Nos historiens, pour la plupart, ne sont plus
des thuriféraires du Progrès; le vieux mirage prométhéen subsiste
comme une conviction instinctive, on répugne toujours à admettre
que, sur tel point crucial, le passé a pu se montrer supérieur au présent.
La vieille mort apprivoisée s’opposerait à des sauvageries plus
récentes; je ne connais dans toute l’historiographie du XXe siècle
aucune thèse qui prend si massivement le contre-pied de nos évaluations
spontanées. Il y a là, qu’on le veuille ou non, une manière de
déchéance. Six ans après Philippe Ariès, Michel Vovelle propose un
second panorama de l’histoire de la mort, qui reste jusqu’aujourd’hui
irremplacé; il s’y démarque en toutes lettres de son
prédécesseur:

[page 3]

Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu un temps où la
mort humaine a pu être naturelle, acceptée sereinement,
sans crainte ni appréhension

5.

Comment «accepter» de bon coeur que des siècles entiers aient
été capables, face à l’échéance suprême, d’un «naturel» devenu pour
nous à peu près inimaginable?

Le lecteur se doute bien que je ne compte pas m’engager dans un
débat sur les mérites comparés du présent et du passé6. Il nous importe
plus ici que la répugnance à reconnaître une réussite passée
devenue désormais inaccessible a fini plus d’une fois par fausser les
termes du débat. On venait à prêter à la mort apprivoisée telle
qu’Ariès était censé la défendre une impassibilité marmoréenne, une
froideur en quelque sorte absolue que son hypothèse n’impliquait
aucunement. L’homme devant la mort, certes, accentuait ses
contrastes en alignant, «d’Homère à Tolstoï»7, les nonchalances, les
adieux sans phrases et les deuils expéditifs. En fait il n’en fallait pas
tant, ou plutôt il n’en fallait pas si peu: Ariès était le premier à admettre
que la mort n’avait «jamais» été «un phénomène neutre»,
qu’elle «rest(ait) toujours un mal-heur»8. La seule différence, à l’en
croire, était que les civilisations traditionnelles avaient su limiter les
dégâts, circonscrire la douleur entre des limites raisonnables. Le
deuil moderne est voué aux marasmes, à moins qu’on n’y échappe
au prix de dénégations laborieuses souvent suivies des pires effondrements.
La mort apprivoisée, au contraire, était faite d’émotions
qui ne tardaient jamais longtemps à rencontrer leurs limites, ni surtout
à s’y plier. Qui refuse aujourd’hui de reconnaître là une souplesse
que nous avons perdue, préfère croire que les larmes ou les
récriminations des chroniques ou des correspondances familières
rejoignent sans plus, et de plain-pied, les maladresses sans recours
qui prolifèrent autour de nous.

Y a-t-il lieu oui ou non de départager deux styles, l’un mesuré et
traditionnel, l’autre chaotique et «moderne», de l’émotion devant la
mort? Le Journal de Challe, auquel il est grand temps de revenir, me
semble apporter à cet égard un témoignage de choix. Le diariste note
en effet, parmi des occurrences plus anodines, quelques décès auxquels
lui-même et ses compagnons de route assistent avec une émotion
très intense. La mort du capitaine Hurtain, des débuts de sa
maladie à ses funérailles, domine un mois entier du Journal; il
s’agira ici de vérifier si les émois de toute évidence authentiques et
profonds autour de cette agonie —et de quelques autres que
j’évoquerai par la bande— comportent ou non leur dimension apprivoisée.

[page 4] Non sans avoir indiqué auparavant que Challe se montre fort capable,
pour des fins qui le concernent de moins près, des prosaïsmes
sommaires où les tenants de la mort apprivoisée ont découvert leurs
exemples les plus frappants 9. Le Journal nous ramène aussi à un
Ancien Régime démographique: les inconforts particuliers du voyage
s’ajoutant à certaine fragilité générale de la vie, la mort d’un matelot
ou d’un passager n’a a priori rien de surprenant. Challe note au pire
moment de la traversée qu’il «ne compte plus les morts» (II, 73): son
Ecueil n’a «plus l’air de vaisseau du roi, ni de vaisseau de guerre,
mais seulement d’hôpital» (II, 80). On est effaré de voir que, quelques
mois plus tard, un des chirurgiens de l’équipage estime
«qu’ordinairement les vaisseaux perdaient bien plus de monde
qu(‘eux) n’en av(aient) perdu» (II, 235)!

Aussi le diariste se contente-t-il volontiers d’une notation sèche.
Une échéance si banale 10 ne requiert, quand il ne se sent pas personnellement
lié avec le défunt, aucune émotion de commande. Je cite
au hasard:

Il nous est mort cette nuit un matelot, nommé René
Dérien. (II, 80)
Un matelot, nommé René Le Penneven, vient de mourir.
(II, 212)
Il nous est mort un passager dont j’ignore le nom.
(II, 264)

Écrivain du roi, Challe a des obligations notariales; il se gêne peu,
quand Thanatos frappe dru, de s’inquiéter surtout du surcroît de travail
que cela entraîne:

Il nous est mort ce matin un matelot. Toutes ces
morts me déplaisent terriblement, parce que cela affaiblit
notre équipage & me donne de la peine fort infructueusement
parce qu’il faut faire l’inventaire & le
procès-verbal de vente de ce qu’ils laissent & porter
chaque article au compte particulier de chaque adjudicataire...
(II, 230)

En guise de dernier honneur, les équipages jettent leurs cadavres
à la mer; on les alourdit d’un boulet pour les entraîner de suite au
fond, un corps qui continuerait à flotter ne serait pas vraiment enseveli.
Le défunt se fait sa fosse avec ses pieds11; la formule, c’est le
moins qu’on puisse dire, ne respire aucun romantisme! Comme la

[page 5]
mort, ici, est assez familière pour admettre les réflexions enjouées,
Challe s’intéresse parfois de plus près à ce qui risque d’arriver à tels
cadavres12:

Le ministre, ou le prédicant hollandais, & un des Lascaris
dont j’ai parlé ci-dessus, ont pris la peine de se
laisser mourir cet après-midi. Les bonites, ni autres
poissons dont ces mers sont pleines, n’en auront pas
fait un repas fort succulent, car ils étaient si maigres
que le diable, tout fin & tout subtil qu’il est, ne pouvait
pas les tenter du côté de la chair (II, 234)

Ce n’est pas la seule fois que le Journal plaisante près d’un cadavre.
A la mort du sous-lieutenant Levasseur, qui n’était, il est vrai,
pas très aimé, on devine un assaut de lazzi. Challe lui avait adressé
six mois plus tôt des «reproches publics» qui l’auraient «tellement
frappé» qu’il «n’avait pas porté de santé depuis»; notre diariste
pourrait donc être le fauteur secret (et encore) de ce décès:

On me l’a dit en riant. J’ai répondu sur le même ton
que je n’en croyais rien & qu’au contraire j’étais
persuadé que sa vie & sa mort avaient été des prodiges
de la nature, qui l’avait fait vivre sans coeur &
mourir sans rendre l’esprit. (II, 86)

Je terminerai ce tour d’horizon des sécheresses sur une perspective
moins riante; aussi bien ne s’agit-il pas d’idéaliser l’Ancien Régime.
La résignation familière devant la mort entraîne ou facilite
d’ordinaire tout un lot d’autres acceptations: la torture, la peine capitale,
les cruautés de la guerre paraissent moins intolérables quand
elle ne font en somme que seconder, de façon plus douloureuse, un
sort commun largement admis. Sur ce point, Challe, qui, par ailleurs,
prélude si souvent aux Lumières, prolonge une dureté très ancienne.
La bestialité et la sodomie restent des «crimes en effet dignes du
feu» (I, 222). Il rêve contre les banqueroutiers des capitulaires de
Charlemagne & de Louis le Débonnaire son fils(...) :

Qu’on mette le banqueroutier entre les mains de ses
créanciers indignement volés, & que chacun pour son
argent lui coupe un morceau de chair: telle est la loi.
Que si personne n’en veut faire soi-même
l’exécution, qu’on abandonne le scélérat, nu, & vivant,
aux dents de dogues affamés: ils sauront, en le
dévorant, le punir d’avoir dévoré les autres... (II, 93-
94)

[page 6]Challe ne se sera pas fait d’illusions sur la restauration d’une
justice si énergique. Resterait au moins, pour sauver le crédit public
compromis par quelques verdicts trop indulgents, de

faire finir à une potence tous les banqueroutiers, sans
en excepter un seul, & du moins faire rouer vifs les
frauduleux. (II, 98)

On hésitera peut-être à rattacher ces visées cruelles à la paisible
évidence de la mort apprivoisée. S’agissant de la guerre, qui nous
paraît aujourd’hui tout aussi foncièrement barbare, Challe indique
presque explicitement le rapport:

La guerre a été de tous temps: c’est un malheur attaché
à la nature humaine, mais dont on ne doit pas lui
faire un crime; à moins que de vouloir blâmer les décrets
éternels de la Providence, qui y a soumis tous
les hommes (I, 212)

Et de s’étonner, avec plus qu’une nuance de mépris,

que les Asiatiques ou les Indiens ne se battent pas
comme les Européens. Sitôt qu’ils voient un des
leurs tué ou blessé, c’est-à-dire du sang, ils prennent
la fuite, & ne savent ce que c’est que de se battre de
pied ferme. (II, 111)

Tout cela rejoint d’assez près les gestuaires désinvoltes ou fatalistes
qu’on associe d’ordinaire à la mort apprivoisée. L’intérêt
particulier du Journal, dans notre perspective thanatologique
s’entend, est de compléter cette image reçue à la fois pertinente et
réductrice. En avril 1690, l’équipage de l’Ecueil craint pour la vie de
son capitaine et finit par le perdre; Challe, qui connaissait le défunt
de longue date et qui est de ses collaborateurs proches, se montre
très inquiet, puis très affecté par la perte. Le Journal transcrit donc,
autour de ce décès, une douleur visiblement très sentie:

M de La Chassée, l’aumônier & moi tâchons de nous
consoler l’un l’autre; mais, nous perdons également
notre temps: nous ne faisons que nous attrister. (I,
173)

Quand le capitaine reçoit le viatique, Challe ne se trouve pas le
courage —et il n’est pas le seul— d’assister à la triste cérémonie:

[page 7]

Nous sommes sortis quatre ensemble, parce qu’il
nous a été impossible de voir d’un oeil tranquille un
spectacle si touchant. (I, 174)

N’y manque même pas un bref moment d’occultation. Autour
de l’agonie du capitaine, des matelots continuent à mourir à petit
bruit; on décide un jour de lui cacher un de ces décès, «crainte de lui
donner de mauvais pressentiments sur sa maladie» (I, 169).

Voici qui ne rend pas précisément un son très apaisé. La mort
du capitaine est bien, pour reprendre le terme de Philippe Ariès, un
mal-heur. A lire d’un peu près, on n’en finit pas moins par constater
que la douleur qui se déploie ici avec une insistance que je n’ai
pas cachée réussit pourtant par divers biais à garder certaine mesure.
Le chagrin, quelque lancinant qu’il soit, n’empêche personne,
quand cela s’impose, de jouer convenablement son bout de rôle. «Le
travail du vaisseau» continue à se faire, fût-ce «avec un silence
morne» (I, 173). Challe lui-même, assez effacé au long des derniers
jours du capitaine où la maladie ne lui crée aucune obligation spécifique,
se met au travail dès que l’instant suprême requiert son office:

Il a lâché son dernier soupir, en se recommandant à
nos prières. Il est plus facile de comprendre que
d’exprimer nos sentiments.
Cependant, comme il faut que je remplisse mes devoirs,
j’ai fait transporter le corps, avec le matelas &
les paillasses dans la chambre du Conseil. J’ai fermé
& scellé ses coffres, son armoire & ses caves... (I,
175)

Seul, l’aumônier qui «condui[t] le deuil» déclare un instant forfait.
Il préfère «envoyer quérir son frère», qui est le pasteur d’un autre
vaisseau de l’escadre,

pour faire l’office: il était trop plongé dans la faiblesse
humaine pour avoir l’esprit tranquille (I, 177)

Le terme «faiblesse» n’est pas indifférent13: Challe comprend et
approuve14 son aumônier, mais ne se retient pas de noter qu’une
douleur qui fait négliger des devoirs se profile du coup comme une
défaillance. Du moins ce prêtre un instant faible se ressaisit-il pour
la tâche suprême:

[page 8]

Il a cependant rappelé ses esprits, & sa constance,
comme on verra par l’oraison funèbre dont je parlerai
tantôt. (I, 177)

La douleur n’est pas admise à empiéter sur aucun devoir d’état et
n’y réussit que très momentanément. Nous sommes dans un monde
où les émois particuliers paraissent d’instinct moins importants que
la scène d’ensemble et ses rôles; qui s’abandonne aux premiers se
trouve vite requis —ou, si l’on préfère, ressaisi— par quelque urgence
immédiate. La mesure qui encadre la mort apprivoisée ne fait
qu’un avec ce vieux primat du collectif sur l’individuel, qui pourrait
bien constituer le contraste majeur entre les sociétés traditionnelles et
notre modernité15. Thanatos, en ce cas, serait devenu une tragédie
insurmontable au moment où les anecdotes particulières venaient à
prendre le pas sur un cours global des choses et sur des contraintes
de groupe que les endeuillés du Journal respectent encore spontanément.

On me dira que c’est m’aventurer un peu vite et bien loin sur la
foi de quelques notations incidentes. A y regarder de près, le thème
du coude à coude évident domine l’ensemble de l’épisode. La mort
du capitaine, tout d’abord, n’est pas un phénomène isolé; deux autres
décès lui valent si l’on peut dire des prodromes16. La maladie
fatale est amenée entre autres par la fin catastrophique d’un jeune
protégé qui lui tenait particulièrement à coeur. Quelques jours plus
tard, Jean Canevette, celui dont on avait caché la mort au capitaine de
peur de lui donner des pressentiments, tarde étrangement à faire sa
fosse:

Une chose jusqu’ici inouïe nous a étonnés dans ce
mort (...). S’étant tourné du côté du derrière du vaisseau,
il s’est engouffré dans le revolis ou ressac du
gouvernail, où il est resté plus de quatre grosses heures,
& nous ne l’avons perdu de vue que vers les six
heures du soir. Les boulets de canon ne sont point
échappés, puisque le corps paraissait tout droit. (I,
169)

Cela pourrait être simplement un peu lugubre; Challe appréhende
un signe, ce corps en attente lui paraît amorcer un compagnonnage:

Quoique M de la Chassée, ni moi, ne soyons nullement
ni superstitieux ni visionnaires, j’avoue que cela
nous passe. Ce corps en attend-il un autre? (I, 169)

[page 9]La question termine la notice du jour concerné: on voit mal
comment le diariste aurait pu y répondre. Du moins sa glose attestet-
elle un tour d’imagination très porté aux effets de groupe.
La suite retrouve des proximités plus naturelles. On sait combien
les chambres mortuaires d’Ancien Régime pouvaient être encombrées;
la mort du capitaine devient à son tour un événement public:

Nous ne nous sommes point couchés cette nuit: missionnaires,
aumônier, trois passagers, M de La Chassée
& moi l’avons passée dans la chambre de M
Hurtain, celle du Conseil, ou la mienne. Il a conservé
son bon sens jusqu’au dernier soupir... (I, 175)

Le moribond s’isole un moment pour se confesser; «au bout
d’une heure», il fait rentrer tout son monde, qui ne le quittera plus.
L’oraison funèbre loue surtout la parfaite insertion du défunt; elle
paraît à cet égard d’autant plus significative qu’à d’autres époques
ce capitaine de naissance commune et qui n’avait «jamais eu d’autre
protecteur que lui-même» pourrait apparaître comme un self made
man. L’aumônier préfère encore attribuer le succès à «son application
à remplir ses devoirs» (I, 178). S’y ajoute une exemplaire fidélité
religieuse, vérifiée par «quatre ans de souffrances &
d’esclavage» en Barbarie, où il aurait héroïquement refusé de «se
rendre mahométan» (I, 179). La péroraison envisage un ultime rapprochement:
l’auditoire se voit invité à imiter les vertus de Hurtain
«afin que nous puissions nous rejoindre tous dans la vie éternelle»
(I, 180)...

En deçà de ces leçons qui pourraient être convenues, l’émotion
exceptionnelle du diariste et de ses entours est elle-même d’essence
sociable. Le Journal ne distingue nulle part entre les qualités de
l’homme et le prestige du capitaine; quand, au cours de l’agonie, «il
semble à chacun qu’il va perdre un père» (I, 173), l’image achève de
fusionner les deux registres. Les officiers des autres navires qui
viennent assister au service funèbre

sont tous très édifiés de notre dévotion, & plus encore
de la véritable douleur que nous avons de la mort
de notre capitaine. (I, 182)

La douleur est édifiante17. d’exprimer en tant que telle la cohésion
du groupe. La succession assurée, l’équipage ne tarde pas à se
regrouper autour du nouveau capitaine; sa prise de fonctions est un
[page 10]«jour de réjouissance pour l’Écueil» (I, 186). Elle est suivie quatre
jours plus tard d’une seconde «réjouissance» de style plus carnavalesque.
Comme on avait passé l’équateur pendant la maladie de M.
Hurtain, les matelots ont différé le traditionnel baptême de la ligne,
mais n’entendent pas s’en priver. Le nouveau capitaine le leur permet
tout de suite: «cela est d’usage et ne se refuse pas» (I, 194).
Comme quoi le mois tragique s’achève sur une joie elle aussi très
partagée:

Tout le monde a le coeur en joie, & les soldats & les
matelots, à leur dîner, se sont presque égosillés à crier
Vive le roi & à boire à la santé du commandeur. (I,
196)

La mort reste adossée à la permanence évidente et spontanément
respectée du groupe. Esprit indépendant s’il en fût, Challe est aussi
un homme du coude à coude: l’isolement, la séparation d’avec le
monde, où le Romantisme goûtera de hautaines délices, lui paraît
fondamentalement malsain. Les autorités ne manquent pas pour appuyer
une telle évidence:

Jésus Christ a donné de l’homme la peinture la plus
frappante lorsqu’il dit Vae soli.18. En effet, l’homme
n’a point de plus grand ennemi que lui-même lorsqu’il
se livre aux divagations de son esprit.
L’Espagnol a trouvé très juste le point & la définition
de l’esprit humain lorsqu’il dit Guardia me Dios de
me. Mon Dieu gardez-moi de moi-même. Je le répète:
l’homme est à lui-même son plus cruel ennemi
dans la solitude. L’exemple des Chartreux me le
prouve. Ceux de Paris disent que l’année n’est pas
mauvaise quand il n’y en a que douze d’entre eux qui
s’étranglent... (I, 111–12)

On n’est pas moins individualiste! Une exploration systématique
de l’importance et de l’autorité des groupes dans l’oeuvre de Challe
nous mènerait ici trop loin; je me contente de rappeler que l’Ecueil se
trouve héberger aussi un solitaire livré «aux divagations de son esprit
». Le lieutenant Bouchetière n’en fait qu’à sa tête, «son amourpropre
(...) l’autorise à préférer son sentiment particulier à celui de
tous les autres» (I, 60); il «vit seul comme une bête fauve, sans société
avec qui que ce soit» (I, 92) —et n’en finit donc pas de se rendre
ridicule par ses incartades. Cet «homme insensible à tout» (I,
173) est le seul à ne pas partager l’inquiétude de l’équipage pendant
la maladie du capitaine, le seul aussi, parmi les notables du navire, à
[page 11] ne pas assister à son agonie. Il réussit le tour de force de ne pas se
réveiller au bruit des six coups de canon «tirés de quart d’heure en
quart d’heure» pour saluer la mort de Hurtain selon «l’usage de la
mer» (I, 175). Le lendemain, il se croit assuré de la succession et se
donne déjà des airs de capitaine; il y gagne quelques déconvenues de
plus. La leçon de tout ceci n’est que trop claire. Le diariste, lors de
l’ultime humiliation du brutal, en emprunte l’énoncé à Pétrone:
quam male est extra leges viventibus! (I, 209). Me permettra-t-on de
suggérer que la mort apprivoisée ne se définirait pas trop mal
comme une mort intra leges?

A condition bien entendu de ne pas confondre ces leges avec un
corpus écrit aux stipulations précises. La sociabilité traditionnelle est
faite de règles vernaculaires, de gestes et de rôles qui se répètent et
qui y gagnent l’autorité de l’évidence. Thanatos s’accommode lui
aussi de ce naturel, des gestes qui l’accompagnent d’ordinaire
comme de ceux qu’il ne convient pas d’interrompre. Les uns et les
autres empêchent les émotions et les angoisses de se donner libre
cours.

Les leges ne se confondent pas plus avec les règles de la médecine.
Bouchetière vaut une doublure sommaire d’Alceste; Challe
prolonge aussi, et avec quelle insistance, les brocards de Molière
contre les médecins. Ils seraient moins utiles que les charpentiers19 ,
les animaux sont «heureux (...) de n’avoir ni chirurgiens ni médecins
de leur ordre» (II, 67). Le diariste se vante de n’en jamais consulter
pour lui-même20 ni pour son valet21. et s’amuse de disputes où les
hommes de l’art ont tous raison de se traiter les uns les autres
d’ignorants22. Dans la même optique, rien ne paraît plus plaisant
qu’un médecin malade; Challe y va à trois reprises d’un Medice
cura te ipsum23, dont la vertu comique lui semble apparemment inépuisable.

Comment comprendre tant d’acharnement? La médecine, au
XVIIe siècle, paraît suspecte de déployer elle aussi une initiative indue:

On veut éviter la mort, & très souvent, au lieu d’être
reculée, elle est précipitée par leur secours, soit par
leur ignorance, soit par leurs mortels remèdes donnés
mal à propos. (I, 122)

La vie du corps est de ces réalités primordiales sur lesquelles il
semble dérisoire de prétendre exercer une quelconque emprise savante.
Cela ne signifie pas qu’on se contentait invariablement de le-
[page 12]ver les bras au ciel: Challe sait fort bien, sans avoir besoin du conseil
de personne, expliquer une maladie ou indiquer un remède. Il lui
suffit pour cela d’un gros bon sens, qui se veut étranger aux élucubrations
de la Faculté. Bon sens qui n’a au demeurant rien
d’individualiste: Challe se loue —et se sert deux fois— d’un remède
de cheval qu’il aurait découvert dans les Mémoires de Bassompierre24.
Pour dompter une fièvre, il suffirait de vider à l’affilée, sans
rien manger avec, quatre bouteilles de vin de Grave; on sue, on vomit,
on s’endort ivre mort —et on se réveille guéri...

Les diagnostics et les remèdes que Challe préfère à ceux des professionnels
vaudraient à eux seuls une petite étude. J’y note seulement
un mélange pour nous assez déconcertant entre des considérations
que nous appellerions proprement médicales, liées aux
dysfonctionnements physiologiques du corps, et des étiologies qui
engagent la situation globale du malade. Cette médecine d’amateur
nous édifie peut-être sur un avers positif que les comédies de Molière
devaient traiter par prétérition: ce serait peu de la dire d’avance
psychosomatique, la maladie y est toujours un phénomène humain
total. Hurtain avait trop de raisons de tomber malade:

J’impute sa maladie, premièrement à son âge, de plus
de soixante ans; au cruel chagrin que son fils lui a
donné, dont j’ai parlé ci-dessus; à la mort de Nicole;
& à la chaleur excessive du climat, qui seule est capable
d’abattre les tempéraments les plus robustes. (I,
164)

Accumulation d’autant plus significative que le dernier motif aurait,
en principe, pu suffire; un vieux bon sens répugne à attribuer
une maladie un peu importante à la seule détérioration matérielle
d’un tempérament.

Une maladie, c’est plutôt une situation qui se dégrade. La méfiance
envers les remèdes des médecins tiendrait alors au fait qu’ils
achèvent de sortir leurs patients de leur assiette ordinaire; il s’agit par
définition, et en empruntant un terme que le XVIIe siècle réservait
plutôt à d’autres domaines, de nouveautés, dont on ne pouvait attendre
grand chose de bon. Les remèdes préconisés par Challe prolongeraient
plutôt le régime habituel, dont on sait d’expérience que
l’intéressé s’est déjà bien trouvé. Hurtain aurait pu en réchapper si
les médecins de l’escadre ne s’étaient obstinés à lui imposer saignées
et tisanes: Challe est persuadé que s’il

[page13]

pouvait vivre jusqu’à ce que nous attrapions une zone
plus tempérée ou un climat moins brûlant, la bonté de
son tempérament le tirerait d’intrigue sans (le) secours
(des médecins). Faire tant de fois saigner un
homme de son âge sous un climat de feu! Réduire à
la tisane, qui ne vaut pas le diable, et interdire le vin,
qui est sain, à un homme qui n’a jamais bu autre
chose et qui en est pétri et confit! (I, 172)

Hurtain serait-il mort de se voir «réduit à la tisane, lui qui n’en
but jamais» (I, 170)? Le diagnostic prouve au moins que la médecine
de Challe ramène elle aussi à un monde où les chemins battus
n’ont pas encore fini d’imposer leur évidence.

Comment conclure? L’article qu’on vient de lire ressemble à la
mentalité qu’il décrit dans la mesure où lui aussi ne prétend apporter
rien de vraiment neuf. L’idée que «la mort la plus ancienne» 25.était
apprivoisée essentiellement par la proximité ininterrompue des groupes
figure en toutes lettres dans la grande synthèse de Philippe Ariès,
qui y revient à chaque fois qu’il fait le point sur la vieille familiarité
avec la mort. Tout au plus le théorème est-il quelque peu écrasé au
niveau des exemples, où l’historien privilégie les désinvoltures les
plus abruptes, suggérant du coup l’idée d’une insensibilité sans
faille qu’il était trop facile de réfuter. Le Journal invite à une vision
des choses plus nuancée, qui retrouve, je crois, la vraie leçon de Philippe
Ariès.

Challe nous vaut aussi, et ce sera ma vraie fin, une manière de
contre-épreuve. Le diariste est assez sincère pour avouer à trois reprises
une viscérale horreur de la mort; cela coïncide à chaque fois
avec un relâchement des cadres. Ovide affirme dans un passage bien
connu des Tristes qu’un ensevelissement en pleine mer est plus terrible
qu’un enterrement: le premier met trop loin de tout. Challe, un
jour, abonde dans ce sens en en proposant une traduction amplifiée:

C’est quelque chose au moins à qui trouve la mort
Dans une guerrière aventure,
D’espérer une sépulture!
On parle à ses amis, on parle à ses parents:
Cela console en quelque sorte;
Mais se voir dévorer par des gouffres vivants... (I,
144)

Le Journal, nous l’avons vu, consigne plusieurs enterrements «à
la Marine» (I, 110) sans s’en formaliser autrement. Le propos
[page 14]d’Ovide exprime une angoisse de terrien toujours très répandue au
XVIIe siècle26, mais qu’un voyageur comme Challe devait avoir oublié
de longue date. Sa paraphrase prouve qu’il n’a au moins aucun
mal à s’aligner sur un tel sentiment, qui s’effraie d’abord d’une affreuse
solitude.

Le second moment d’effroi est moins littéraire: Challe tremble
pour sa vie au cours d’un bref engagement de son escadre avec une
flottille hollandaise. C’est apparemment surtout qu’il s’agissait
d’une canonnade, où l’écrivain du roi ne pouvait que compter les
coups:

Nous étions trop éloignés l’un de l’autre pour en venir
à la mousqueterie: ainsi, j’étais simple spectateur;
& n’étant occupé en rien, cette inutilité m’a donné le
temps de regarder le péril dans toute son étendue.
J’étais bien sur la dunette, mais, je ne m’en cache pas,
les boulets passaient si fréquemment au-dessus de
ma tête & à côté de moi... (II, 33)

Le «simple spectateur» ajoute qu’il avait su cacher sa peur et que
c’est tout ce qu’on peut raisonnablement demander dans une telle
occasion. Sa crainte n’a pas dégénéré en panique:

Je puis dire que la peur que j’avais a été celle d’un
honnête homme, & d’un bon chrétien qui ne regarde
point la mort avec brutalité. (II, 33)

La fin de la phrase doit signifier qu’à cet article de la mort le diariste
se devait de penser à son salut; on serait «brutal», au XVIIe siècle,
à ignorer un souci si impérieux. Avec un tel souci des convenances,
l’apprivoisement coutumier n’est pas très loin.

Le pire était encore à venir. Sur le chemin du retour, l’Ecueil, a
demi-démonté par une terrible tempête, n’obéissant plus à son gouvernail,
devient un jouet des flots, eux-mêmes fouettés par un vent
qui semble venir de tous côtés à la fois. Nous assistons en somme,
au long de deux jours interminables, à un retour au chaos. Challe
reprend la plume quand la tempête s’est apaisée; les notes de cet
homme curieux de tout ébauchent alors une petite psychologie de
l’angoisse. Le Journal précise notamment que, dans une bataille,
«l’animosité &la dissipation» (II, 185), autant dire la participation à
l’événement, ne tardent pas à conjurer la peur. La tempête exclut
toute participation puisqu’elle se joue de tout ce qu’on lui oppose.
Triomphe alors la peur toute nue, qui n’est plus contenue par rien:

[page 15]

On conçoit bien mal ces horreurs de la mort lorsqu’on
ne la voit que de loin: il faut avoir été aussi
près d’en être la victime que nous l’avons été pendant
plus de cinquante-quatre heures, pour les bien comprendre.
MM. le Commandeur, de Bouchetière, de
la Chassée & tous les autres, qui l’ont affrontée au
canon, au mousquet & à l’épée, n’en ont point été
exempts; & tel d’eux, qui passe pour être, & est en
effet, intrépide, se battait la tête contre la lice, en levant
les mains & les yeux au ciel . (II, 186)

Challe s’était avisé d’un ultime échappatoire: «ayant toujours regardé
la mort comme un mal nécessaire, & en stoïque» il s’était préparé
«six pistolets chargés à la balle de calibre» (II, 186) pour abréger
son agonie si le navire venait à couler. C’est, si je ne me trompe,
le seul projet de suicide du Journal, autant dire sa seule mort personnelle;
encore n’aurait-elle précédé que d’un instant un mal nécessaire
très imminent.

UFSIA/Anvers

NOTES

1Cf. surtout J. Goldzink, 1995.

2Références (tome, page) à Robert Challe, Journal..., éd. Frédéric
Deloffre/ Melâhat Menemencioglu, Paris, Mercure de France,
1983.

3Cf. «Quand nous appelons cette mort familière la mort apprivoisée,
nous n’entendons pas par là qu’elle était autrefois sauvage et
qu’elle a été ensuite domestiquée. Nous voulons dire au contraire
qu’elle est aujourd’hui devenue sauvage alors qu’elle ne l’était pas
auparavant. La mort la plus ancienne était apprivoisée» (Ariès, 1977:
36)

4Id, Ib.

5Vovelle 1983:9.

6Il y aurait beaucoup à dire sur les arrière-plans idéologiques
des controverses sur la mort apprivoisée. Ainsi, ce n’est sans doute
pas un hasard si les réserves de Michel Vovelle, qui fait ici figure de
principal opposant, sont le fait d’un historien marxiste, qui restait
donc immédiatement tributaire d’une idéologie du Progrès. Philippe
Ariès en était pour sa part aussi loin que possible: il coquetait plutôt
avec ses sympathies maurrassiennes. Cf. par exemple les contributions
à La nation française rassemblées récemment (Ariès 1997)
dans Philippe Ariès, Le présent quotidien. 1955-66.
[page 16]
7Ariès, ib.

8Ariès, ib., p. 599.

9Cf. aussi à ce sujet mes ’Quelques visages de Thanatos dans
Les illustres Françaises in Frédéric Deloffre, 1993: pp. 167-81.

10Quand, à l’escale de Moali, il ne meurt «aucun homme de
l’escadre» tout entier, un succès si inespéré vaut un «signe évident
que l’air de cette île est très pur et très salubre» (I, 238). L’escale de
Négrades est moins salubre: «l’Ecueil est le seul des navire qui n’y a
laissé personne» (II, 68).

11Cf. I, 110; II, 236

12Signalons -le contraste a son prix- qu’une bonne année plus
tôt, le diariste ne s’inquiète pas outre mesure du sort d’un homme
tombé à la mer:
Il est arrivé ce matin au Gaillard ce qui nous arriva le 22 du
mois passé, c’est-à-dire qu’un de ses matelots est tombé à la mer.
Ce vaisseau a mis comme nous vent devant: j’ignore s’il l’a sauvé;
car avant qu’un navire n’ait perdu son erre et que son canot
soit à l’eau, un malheureux est bien loin, surtout dans des parages
pleins de requins. (I, 164)

13On se souvient de l’aparté d’Orgon attendri malgré lui par les
larmes de Marianne: «Allons ferme mon coeur, point de faiblesse
humaine!» (Tartuffe, v.1293).

14Cf.: «Il a bien fait d’envoyer quérir ...» (I, 173)

15Cf. notamment l’oeuvre de Louis Dumont et surtout Dumont
1983.

16Le Journal n’en fait jamais autant pour les autres décès: la
mort d’un matelot est un événement banal, qui s’inscrit de lui-même
dans une série. Le capitaine, par définition plus singulier, est, si l’on
peut dire, amarré au sort commun.

17Cf. aussi une notation pour nous surprenante lors de la messe
du bout de l’an du capitaine, où les pleurs attestent d’abord une déférence:
Il y a encore eu des pleureurs: cela a fait plaisir au
commandeur, qui a vu le respect que nous conservons
pour le défunt. (II, 220)

18La formule vient en réalité de l’Ecclésiaste (IV:10); Challe a dû
citer de mémoire. L’erreur d’attribution prouve au moins que
l’axiome lui paraît digne de la Caution suprême.
[page 17]

19Cf. II, 79.

20Cf. II, 74/182/266..

21Cf. I, 172.

22 Cf. I, 85.

23Cf. I, 122 et II, 79/204.

24 Cf. II, 181/265.

25Ariès, op. cit. , p.36.

26A propos de la peur de la mer sous l’Ancien Régime, voir
p.ex. Jean Delumeau, 1978: 31-42.
Ouvrages cités ou consultés
Ariès, Philippe. L’homme devant la mort Paris: Seuil, 1977.
____________ Le présent quotidien. 1955-66, avant-propos et notes
de Jeannine Verdès-Leroux, Paris: Seuil, 1997.
Challe, Robert. Journal..., éd. Frédéric Deloffre/ Melâhat Menemencioglu,
Paris: Mercure de France, 1983, 2vol. (coll. Le
temps retrouvé 36/37).
Deloffre, Frédéric (éd.), Autour de Robert Challe, Paris: Champion,
1993.
Delumeau, Jean. La Peur en Occident (XIVe-XVIIIIe siècles), Paris:
Fayard, 1978.
Dumont, Louis. Essais sur l’individualisme : une perspective anthropologique
sur l’idéologie moderne, Paris, Seuil, 1983.
Goldzink, J. »Droit canon, casuistique, religion et roman dans les
Illustres françaises» in id., De chair et d’ombre, Orléans : Paradigme,
1995, pp.43-60.
Vovelle, Michel. La mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris,
Gallimard, 1983, p.
Site Sections (SE17): 

Bloechl: Savage Lully

Article Citation: 
Cahiers du dix-septième: An Interdisciplinary Journal, XI (2006) 45-80
Author: 
Olivia Bloechl
Article Text: 

Like many earlier productions at the court of Louis XIV, Jean-Baptiste Lully’s and Philippe Quinault’s last court ballet, Le Temple de la paix (1685) entertained the king and his guests with the spectacle of singing and dancing “sauvages.” According to the livret’s description of the first performance, the fifth entrée of the ballet featured an opening rondeau performed by a troupe of dancers costumed as American Indians. In the solo récit that commenced the entrée proper “un sauvage” explained that his company of Americans had crossed the ocean in order to pay homage “au plus puissant des Roys.” His refrain accordingly praised Louis in exuberant terms:

Son nom est reveré des Nations sauvages. Jusqu’aux plus reculez Rivages Tout retentit du bruit de ses Exploits. Ah! qu’il est doux de vivre sous ses loix (Quinault 28).

A chorus of basses repeated the refrain, and the Americans’ portion of the entrée concluded with a danced gavotte and gavotte air (“Dans ces lieux”) that hailed the return of the Golden Age in the “Provinces de l’Amerique qui despendent de la France.”

Though their American origins would seem to ensure their exotic differentiation in this context, Lully’s and Quinault’s Indians in fact sound more like ideal absolutist subjects. The Americans’ verses in Le Temple de la paix echoed royal panegyric familiar from decades of court performance, and in many respects their music, which I consider here, resembles that assigned to other celebratory figures in royal spectacles and operas. While the musical-dramatic idiom developed by Lully and his librettists could differentiate foreign peoples or places as exotic when that was desirable, the representation of foreign and colonial peoples depended more on the political demands of a particular performance or work than on an ideology of exotic difference per se. In Le Temple de la paix, for example, the Indians’ role is similar to that performed by the shepherds, Basques, Bretons, and Africans, whose entrées also celebrate the peace wrought by Louis XIV’s rule. The Americans’ foreign difference—or exoticism—in relation to the French is perceptible in some aspects of their characterization, but their value in this ballet’s political economy stems mainly from their ability to enhance the king’s gloire through their tribute of praise (Pritchard 234).

Yet praise of a sovereign by colonial peoples has different political connotations than praise offered by native-born or naturalized subjects. Royal panegyric modeled subjects’ willing, even joyous submission to monarchical rule, and Quinault’s assignment of royal panegyric to Indians transferred its absolutist model of subjugation to the relation between Louis XIV and colonial peoples. The librettists’ universalization of royal panegyric symbolically absorbed colonial peoples into the absolutist power structures that the spectacles memorialized. This strategy of symbolic absorption had important correlates in the assimilationist colonial policy and practice overseen by the king’s finance minister, Jean-Baptiste Colbert, as I discuss below. However, the question of colonial peoples’ political and cultural relation to France was more vexed than the ballets’ and operas’ absolutist rhetoric could account for. Political historian K. A. Strandbridge argues that the absolutist centralization of power and governance under Colbert was at least compatible with, and may even have required the incorporation of non-French peoples (both in the Gallic peninsula and in North America) into the French body politic (Stanbridge 44-45). The symbolic political integration of colonial peoples in royal spectacles was thus in keeping with some aspects of absolutist political theory and ideology—in particular, the aim to centralize power in the institution of the monarchy, and the emphasis on imperial expansion of the crown’s territories. Yet the political and, especially, the cultural absorption of colonial peoples threatened the distinctiveness of the elite French cultural identity that Colbert cultivated assiduously through absolutist patronage of the arts (Isherwood 150–80). The absolutist logic of royal spectacles demanded the symbolic integration of colonial peoples as quasi-French subjects; yet the threat that this posed to the integrity of a developing French cultural identity also encouraged performance of their difference.

The contradiction inherent in the spectacles’ dual posture toward colonial figures is a classic example of what Homi Bhabha terms colonial “ambivalence.” Ambivalence, in Bhabha’s sense, is apparent in colonial strategies of “mimicry” that realize “the desire for a reformed, recognizable Other, as a subject of a difference that is almost the same, but not quite” (emphasis in the original) (Bhabha 86). The ambivalence of colonial mimicry stems from its presentation of the colonial as an amenable object, that only just eludes regulation or representation. According to Bhabha, the near-identity of mimicry’s colonial other has a correlate in the nearly absolute difference of the colonial other figured as a “menace,” whose “difference...is almost total but not quite” (Bhabha 91). Both strategies—the desire for the colonial other as nearly the same (“mimicry”), and the fear of the colonial other’s near-total difference (“menace”)—involve ambivalence; and both are evident in early modern discourse and performance that invokes colonial relations, as, for example, in the twin stereotypes of the noble and ignoble savage. However, these and other colonial strategies were selectively preferred in colonial-era artistic productions according to the particular political demands that constrained the performance(s) in question. We should therefore expect to find different representational strategies at work in musical spectacles produced in different social and political contexts—which is why critical approaches that are only prepared to deal with “exotic” difference are often unable to account for the full range of colonial strategies evident in a particular work or performance (more on this below).

Royal spectacles produced under Louis XIV’s patronage are good to think with in this respect, because their rhetorical, material, and musical characterization of colonial peoples resists straightforward ideological analysis. Rarely do the spectacles depict colonial peoples’ “exotic” cultural difference without mediating marks of cultural likeness or political tractability, since in a French absolutist political context “difference” that was radicalized beyond “pleasing variety” threatened to diffuse the ideal concentration of power and authority in the monarchy, by opening a space for a questioning response from elsewhere. Likewise, however, the spectacles often supplemented their characterization of politically subjugated colonial peoples with marks of their cultural difference (though rarely their political resistance). The latter strategy, of mimicry, dominated the spectacles’ portrayal of Indians, which seem to vacillate between the necessity of mirroring the king’s power and presence through Indians’ symbolic subjugation, and the necessary of maintaining their minimal difference, which justified the continued exercise of French colonial power. The preference for mimicry in French colonial performance likely reflected France’s unusual approach to colonial relations in the early period, which emphasized trade, political alliance, intermarriage, and a unidirectional cultural integration. 1

The ambivalence of the spectacles’ colonial mimicry is reflected in their mixed representational strategies in relation to Indians. The formulaic panegyric, standardized dance forms, and minimally differentiated costumes assigned to Indians point to a desire to integrate them by extending normative artistic idioms to their characters. Yet departures from these stylistic norms could also highlight the exotic difference of Indian figures, for purposes of pleasure and cultural conservation. In this article chapter I argue further that Lully’s musical characterization was itself shaped by a French absolutist ambivalence toward colonial peoples. The nuanced idiom that Lully developed from the 1660s onward sometimes exoticized Indian figures by assigning them contextually aberrant styles. Yet, strikingly, the formulaicism and conventionalism that characterized Lully’s mature noble style also defined much of his music for Indians, especially in the later works. Applied to colonial figures, Lully’s noble idiom endowed them with what the French regarded as the most highly cultivated form of music and movement (and this cultural endowment must surely count among the “bienfaits” that the livrets continually ascribed to Louis XIV’s conquest of foreign peoples). The decorous style that Lully assigned to Indians actively normalized their characters by minimizing or eliminating musical traces of their cultural difference or, by extension, political resistance. It can thus be understood as an artistic mimicry of the “ideal” outcome of French colonial relations in the New World.

With this approach I aim to revise the tendency for early music scholarship to isolate composers’ exoticist stylistic differentiation as the sole significant point of contact between French Baroque music and colonial ideologies. Other intersections between early French music and early colonization included the effects of colonial encounters on French music concepts (Bloechl) and the performance of French works in the colonies (Powers). This article remains with the matter of musical style and its politics, due to its importance for the operatic querelles that erupted among the French literati from the period of Lully’s dominance through the late eighteenth century, as well as for present-day early music scholarship. However, rather than emphasizing the important work of stylistic differentiation in Lullian performances with colonial themes, I explore the possibility here that the exclusion of difference involved in Lully’s intensively normative, noble musical style was itself a powerful vehicle for colonial ideological meanings.

Lully’s Savages

The American “savages” of Le Temple de la paix had many antecedents in French court and public spectacles produced during the reigns of Henri IV (1589–1610) and Louis XIII (1610–1643) (De la Laurencie 284–89; McGowan 256–309). During the reign of Louis XIV (1643–1715), the king’s surintendant de la musique, Jean–Baptiste Lully, composed music for “Indian,” “American,” or “savage” characters in at least thirteen royal ballets de cour, intermèdes, and tragédies lyriques (Table 1). Table 1 lists all of the spectacles in Lully’s output that alluded directly or indirectly to French colonial relations in the Americas, through their use of terms that, in the spectacles as elsewhere, primarily designated native American peoples. The table thus includes numbers for non-American peoples, in recognition of the notorious multivalence of terms like “Indian” or “savage” in the seventeenth century, which was not simply the result of ignorance or carelessness on the part of librettists. Rather, a careful reading of the livrets suggests that poets deliberately exploited the flexibility of American colonial terminology in order to elicit analogies between ancient models of conquest and modern French colonization. They thus emphasized likenesses among peoples whose cultural identities strike us as irreducibly diverse, as is the case with the spectacles’ broad application of the terms “Indien” or “Indienne.” 3 Although the French were aware of cultural differences among peoples they labeled “Indians” or “savages,” specifying their mutual differences was far less of a priority than representing their subordinate political relation to France, either directly or through parallels with ancient empires.

In the court ballets, “Indian” characters sometimes had their own entrées, or else they joined other foreign or “exotic” characters in the ballets des nations or grands ballets that concluded some performances. Lully’s and Quinault’s tragédies lyriques had fewer Indian characters, and when they did appear their roles were limited to the divertissements, sections that preserved many of the features of the ballets. In both genres, Indian figures could be inflected as pastoral, martial, comic, or noble characters, though the pastoral variety, as in Le Temple de la paix, was by far the most common type, especially in later works. The music that Lully assigned to Indians always corresponded to the dramatic level and situation of their character type, and it therefore differs considerably across works.

However else their characterization might vary, “Indians” and “savages” were uniformly represented as subject peoples pacified under the Sun King, or his heroic alter-egos. 4 The artistic characterization of Indians as compliant subject peoples presented an idealized outcome of French colonial policy. The most influential early articulation of French colonial policy was in relation to the Americas; and as Cornelius Jaenen, Sara Melzer, and others have shown, throughout the seventeenth century colonial officials advocated the assimilation, or francisation, of indigenous American peoples through conversion, intermarriage, and education, as well as political or military domination (Aubert; Jaenen 153–89; Melzer 220–40). Louis XIV’s minister, Jean-Baptiste Colbert, was a particularly staunch advocate of this policy, even when faced with evidence of its dismal failure (Belmessous; Jaenen 173–185). Although royal spectacles were far more than propaganda for Colbert’s colonial policies, their fantastic mimicry of pacified, culturally assimilated colonial peoples was consistent with the policy aims of Louis’s minister.

Ces Indiens que nous voyons. Apres que le Soleil a noircy leurs visages Eviter avec soin l’ardeur de ses rayons,
Ne nous paroissent pas trop sages: Mais combien d’amants incensez.

Example 1 LWV 8/32 “6 Indiennes,” Amour malade

Semblent les imiter par leur tardive crainte, Et qui des traits d’Amour veulent parer l’atteinte Lors seulement qu’il s’en trouvent blessez ([Buti] 29).

Other style features that may have indicated exoticism in Lully’s compositions for Indian characters include the use of the “doubled continuo” texture (which I discuss below in relation to Le Temple de la paix), or, as in L’Amour malade, the presence of multiple meters in a single dance number, which sometimes indicated a comic or grotesque character. The entrées for Indians in the Ballet d’Alcidiane (1658) and the Ballet des Muses (1666), as well as L’Amour malade, each included internal metrical shifts, though this may also have indicated their accompaniment of pantomime dances. 8 As the tentativeness of the above discussion indicates, caution is necessary when trying to identify exoticist style features in Lully’s music, as in French Baroque music in general, because of the subtlety and equivocation that typically attach to such gestures. 9 Example 2 LWV 27/30 “Les Indiens et Phones” Naissance de Venus phrasing and its strong opening motif of three long pulses, followed by a faster dotted-rhythm consequent.

Lully’s music for the troupe of “sauvages Amériquains” in his last ballet, Le Temple de la paix, illustrates this well. As was often the case with foreign characters in Lully’s works, the Americans commenced their performance with one of the standard courtly dances, here, an F-major rondeau in the style of a gigue (Example 3). The division into a grand couplet (measures 1–4), which acts as a refrain, and two intermediate couplets (mm. 4–8 and 12–16) was the preferred form for Lully’s rondeaus, and the harmonic shift to the keys of B-flat and C in the first and second couplets is also unexceptional. The rondeau’s style identification as a gigue is somewhat less certain. Though the dance has the expected triple meter and halting dotted rhythms, it lacks the contrapuntal dialogue among inner “voices” and the irregular phrase length that characterized many gigues. The simplicity of the internal rhythms and regular phrasing even suggest the alternate possibility of a canary or loure style for the rondeau. However, an early eighteenth-century edition of the ballet ([Lully]/Roger) labeled the rondeau as a “gigue,” and Lully even Example 3 LWV 69/37 “Sauvages de l’Amerique,” Temple de la paix used the first phrase of the rondeau in the gigue from Act IV of Persée (Example 4). 10 If the rondeau in Le Temple de la paix was choreographed as a gigue, its choice as the opening dance would have underscored the entrée’s dominant affect of joy. Moreover, its character would have been appropriate for the pastoralism of the Indians in the ballet, and it may even have highlighted their identity as mariners, though this is speculative. We can at least say with certainty that the simplicity of the rondeau’s chordal texture and the regularity of its phrase structure (in the context of a gigue) suggested a lower-order, and possibly a comic characterization, which is borne out by their music in the rest of the entrée.

Example 4 Example 4: LWV 60/71 “Gigue,” Persée The remaining numbers for Indians in the entrée include a solo récit (“Nous avons traversé”) and refrain (“Son nom est reveré”) and a danced gavotte and chorus (“Dans ces lieux”). (The rest of the entrée features a scène for the pastoral characters Amaryllis, Lycidas, and Alcippe.)11 The Americans’ vocal numbers are composed exclusively for bass voices, basse continue, and strings, and the voices mainly follow the instrumental bass line, as in the gavotte chorus “Dans ces lieux” (Example 5).

Example 5: LWV 69/40 “Dans ces lieux,” Temple de la paix

Here the voices’ angular melodies and their predictable rhythms, chordal  texture, and limited harmonic range conform to a type of “doubled continuo” air (Bukofzer 158) that Lully assigned to a variety of bass-voiced characters in the ballets and tragédies lyriques. Patricia Howard and Miriam Whaples have noted that this type of texture—a bass voice paralleling the melody played by the basse continue—could connote a “grotesque” (Howard 144–51) or “primitive” (Whaples 21–22) character, which is certainly possible in light of its stylized naiveté. In Le Temple de la paix this texture and scoring reappear in the solo récit (“Quel bonheur pour la France”) for “un Afriquain” in the sixth entrée, suggesting that it might in fact be an exoticizing gesture in this context. However, the doubled continuo texture was widely distributed among high and low characters in Lully’s works, and its dramatic polyvalence should caution us against trying to fix its connotations too securely. In Le Temple de la paix, for example, Lully also used this texture in several decidedly non-exotic numbers: a duet for the shepherds Alcipe and Lycidas, “Choisis l’amant le plus fidelle,” in the pastoral scène that concludes the fifth entrée; and two solo airs for shepherds, “Que ce Roy Vainqueur à de gloire” and “Entre les autres Roys,” both of which precede refrain choruses in the Prologue. The texture and dramatic function of the latter two airs is closest to the Americans’ numbers: both have a single vocal line accompanied by the five-part violons and basse continue, and both feature panegyric verses, as do the doubled-continuo numbers for the African in the sixth entrée. Though the doubled-continuo texture in the Americans’ numbers may also have contributed to their exotic characterization, its dramatic association with panegyric celebration in Le Temple de la paix was undoubtedly a primary determining factor in its use here.

 

In short, the music for the Americans’ entrée in Le Temple de la paix does delineate aspects of their character, but these owe more to their low pastoralism and the celebratory function of their entrée than to their identification with a discrete ethnic, racial, or national group. Indeed, it is striking that we find no consistent musical stylistic features exclusively associated with “Indians,” “Americans,” or “savages” here or elsewhere in Lully’s works. Though Lully did sometimes differentiate Indian characters as exotically foreign by giving them conventionally aberrant music, this type of musical exoticism—though ideologically significant—was nonetheless relatively amorphous, not specific to an “Indian” or “American” identity per se. Indeed, Lully’s selection of dance types and musical styles for Indian characters appears far more interested in absorbing them into the French social and political order, as it was imagined in the ballets and lyric tragedies, via pastoral and celebratory conventions.

Example 6a: LWV 69/45 “Chaconne,” mm. 1–8, Temple de la paix

Example 6b: LWV 69/45, mm. 96–112

Example 6a–b shows the chaconne’s opening couplet and the first two couplets from its minor-mode middle section.  Chaconnes were often performed by foreign or colonial characters in Lully’s theatrical works, perhaps reflecting the genre’s reputed New World origins (though the French thought it was North African) (Pruiksma 227–48). It is entirely possible that the exotic and even the erotic associations of the chaconne could have communicated a sense of the Americans’ colonial otherness here. However, in the context of a celebratory ballet des nations it seems as likely, if not more so, that the chaconne’s music, verses, and choreography, like those in the fifth entrée, strongly reinforced the Indians’ identity as subjects of the king—that the chaconne was, in other words, as much an instrument of the spectacles’ assimilationist ideology as the rest of the Americans’ music.

 

Beyond Exoticism

In contrast, I propose that we re-conceive musical exoticism as one of a range of strategies for mimicking political relations of identity and difference in the early modern period. In its most basic definition, exoticism is a cultural strategy of differentiation whose impetus and effects are ideological. Not all musical exoticism pertains to colonial peoples or places, though exoticism in European music from the seventeenth century onward is inconceivable without the enabling ideological structures of colonialism and colonizing practices. Likewise, however, not all musical representations of colonial peoples or places make use of exotic techniques. Colonial ideologies and practices have varied across colonizing societies and periods, and so too have the strategies by which societies translate colonial relations into cultural meanings. For this reason, it is better to take our analytical and critical cues from the political relations at stake, rather than applying an a priori model of musical exoticism, as is often done.

The strange spectacle of Indians in absolutist drag begs the question of what their performance leaves unsaid (or unsung). The royal spectacles summoned colonial figures to witness the gloire and perfection of Louis XIV’s reign, but the decorous manner in which such characters were often staged attests to a violence that has been discreetly shunted off-stage, as it were. It is possible to introduce an awareness of what royal spectacles omitted, by placing their mimicry of colonial relations in encounter with aspects of French colonial history, as I argue elsewhere (Bloechl). Such knowledge was of course not admissible in the idealist milieu of the king’s spectacles—indeed, anything of the sort would have been in flagrantly bad taste—but it can provide leverage for a latter-day postcolonial criticism of their characterization, and the ideologies it supported.

Ce fut alors que l’Opera parut entre les mains de Lully avec toutes les beautez et tout l’agrément qu’on pouvoit desirer, et attira non-seulement l’admiration des François, mais celle des Etrangers. On trouve dans ses Recits, dans ses airs, dans ses choeurs et dans toutes ses symphonies un caractere juste et vrai, une varieté merveilleuse, une melodie et une harmonie qui enchante.... Enfin Lully merite avec raison le titre de Prince des Musiciens François, étant regardé comme l’inventeur de cette belle et grande Musique françoise, telle que celle de nos Opera, et des grands Concerts de Voix et de Symphonie, qui n’étoit connue que très-imparfaitement avant lui: il l’a portée à son plus haut point de perfection, et a été le pere de nos plus illustres Musiciens qui travaillent dans ce goût (Titon du Tillet 395–96).

Titon du Tillet gives Lully pride of place in his lineage of “Musiciens François,” emphasizing the “perfection” of taste that governed Lully’s compositional style and, by extension, its eighteenth-century legacy. There is little hint here that the “beautez” that Titon du Tillet singles out for praise in Lully’s operas involve any relation of difference, save perhaps in his nervous appeal beyond France’s boundaries, to the judgment of foreigners. We have seen something of the importance attached to foreign peoples’ tribute of praise in the panegyric economy of court spectacles under Louis XIV. By the mid-eighteenth century a cosmopolitan opera criticism regularly speculated about the global reception or even production of French music, less in the interest of absolutist propaganda now than in an effort to align French culture with a newly privileged category of nature. In this spirit, Toussaint Rémond de Saint-Mard speculated in his Réflexions sur l’Opéra (1741) that, climate-based cultural differences notwithstanding,

En tous tems et en tout pays, un sentiment tendre s’exprimera d’une maniere tendre. Par-tout un mouvement de colere sera rendu d’une maniere vive. Qu’on mette Armide à la Chine, qu’on la mette où l’on voudra, qu’on lui fasse dire, le vainqueur de Renaud si quelqu’un le peut être, il faudra nécessairement qu’elle fasse sentir la parenthese, et sûrement la maniere dont sera exprimée la parenthese ressemblera à celle de Lulli, du moins est-il sûr qu’elle ne s’en éloignera guére [emphasis in original] (Saint-Mard 86n–87n).

The prospect of a Chinese staging of Armide should give us pause (as it evidently did not Rémond de Saint-Mard). Leaving aside the bizarreness of the suggestion that elite kunqu audiences in eighteenth-century Suzhou, for example, would have been interested in a French lyrical rendering of the first Crusade, the common indulgence of such fantasies in French writing of the period itself indicates that something important was at stake.

University of California, Los Angeles

 

NOTES

1This sharply distinguishes the French from other colonial powers of the period, though it does not exempt French colonialism from charges of violence and cultural devastation, as is sometimes asserted. Unlike the other colonial powers, in the early period, at least, the French did not use native populations as a source of labor, immigration was relatively limited, immigrants did not settle extensively on native territory, and they therefore did not engage in large-scale military actions to acquire or protect seized land. In contrast, English colonial relations were characterized by a focus on physically and culturally isolated agricultural settlements, which required vast amounts of seized and martially defended native land; whereas the Spanish notoriously killed, enslaved, and conquered indigenous people through large-scale military engagements, in the interest of gold and silver production (Eccles; Jaenen 190–97; Pagden; and Seed).

2The exception to the rule of inclusiveness here is the representation of Africans in the spectacles. Though the characterization of African figures in ballets and operas is shaped by a colonial ideology of slavery, as articulated in the infamous Code Noir (Roach 115–25), this topic deserves its own dedicated study and, for this reason, is bracketed here. The spectacles also do not refer to African characters as “Indians” or “savages,” though they often have comparable attributes.

3Five of the works in Table 1 do not specify the geographic origins of their “Indian” characters, but seven of those that do are divided between Americans and East Indians. Works that refer explicitly to American Indians are the Ballet royal d’Alcidiane, the Ballet royal de Flore, and Le Temple de la paix; those that refer explicitly to East Indians are La Naissance de Venus, Le Triomphe de Bacchus dans les Indes, the Ballet des Muses, and Le Triomphe de l’amour. In a striking parallel with representations of American Indians, ballets with East Indian figures depicted their conquest by Alexander the Great or by the god Bacchus, both of whom were symbolic proxies for Louis XIV. The homonymic relation between American and East “Indians” supported a homology between their political status as conquered peoples. Likewise, the terms “sauvage” or “sauvagesse” permitted other analogies between ancient and modern conquests, as in the Entrée des Sauvages de la Colchide (in Les Amours déguisés), which depicted the natives of Colchis celebrating the arrival of Jason the Argonaut. Hellenic sources cast Colchis as the barbaric fringe of the Greek empire, and the librettists Périgny and Benserade reworked the ancient colonial palimpsest of the Argonauts myth into a parable of French conquest in the New World. See Hall (1–55, 101–59) for a discussion of Greek ethnocentrism as expressed in Hellenic tragedy.

4 The “quatres sauvages” who appear in the fourth Intermède of the Divertissement de Chambord are an exception, in that their dances have no explicit or implicit thematic relation to conquest. Molière’s authorship, or the fact that these were intermèdes performed between acts of a comedy, not a royal ballet or lyric tragedy, may explain the absence of conquest in the Indians’ characterization.

5 It is important to note that Lully was renowned during his lifetime and after for the innovations that he brought to French dramatic music, including the French overture, new theatrical dances, the novel use (in the French context) of expressive dissonance at passionate moments, and a more frequent use of counterpoint (see, for example, Titon du Tillet 393–401). However, Titon du Tillet and other eulogizers always point to Lully’s supreme adherence to the decorum, or bon gout, that dictated a regulated artistic expression of the passions, with departures permitted only in relation to liminal characters or extreme affective states. Titon du Tillet perfectly expressed the expressive and regulatory capacity of Lully’s music in his “Remarques sur la poësie et la musique” (appended to the 1732 edition of his Parnasse françois), noting that “Lully et nos grands Musiciens par l’excellence de leur Art font ressentir toutes les passions, et peuvent les calmer”(xxv).

6 In his classic study of baroque music Manfred Bukofzer characterized Lully’s music as representing the “acme of stylization” in the ancien règime (Bukofzer 160–61), and musicologist Paul Henry Lang likewise noted that “wherever we look we see Lully codifying French tastes, conventions, and aspirations” (Lang 3).

7 I would like to thank Rose Pruiksma for her suggestions regarding the exotic character of this entrée and the relationship of internal shifts of meter to pantomimed dances, discussed below. Responsibility for the interpretation here is, of course, my own.

8The multiple meters in Le Grand combat (LWV 32/12), in the Ballet des Muses, for example, undoubtedly reflected the Greek and Indian warriors’ pantomimed combat, rather than a grotesque or comic character.

9Of course, there are important exceptions, including in Lully’s output. Among the best-known examples of overt and vivid exoticist style differentiation is Lully’s music for “La Cérémonie des Turcs,” in his and Molière’s comédie-ballet, La Bourgeois gentilhomme (1670).

10The gigue is performed by a troupe of Ethiopians in celebration of Persée’s slaying of the monster. While Ethiopians would have had default exotic associations for the French, the tragedy is set in Ethiopia, and the peoples who dance the gigue are therefore rightful subjects of the Ethiopian king, Céphée, not conquered peoples or visiting foreigners. If my argument is correct, this political relation would have influenced their musical representation, which shows no signs of exoticism per se.

11All of the exotic entrées in Le Temple de la paix except the sixth have numbers for the exotic peoples in the first half of the entrée, and numbers for pastoral characters in the second half.

 

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Goldwyn: Mme de Villedieu — La Transformation théâtrale : de l’héroïsme à l’épicurisme galant

Article Citation: 
Cahiers du dix-septième XI, 1 (2006) 107–120
Author: 
Henriette Goldwyn
Article Text: 
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Mme de Villedieu débuta sa carrière littéraire comme dramaturge et écrivit trois pièces de théâtre dont deux tragi-comédies, Manlius et Le Favori, et une tragédie, Nitétis. Toute son œuvre théâtrale parut entre 1662 et 1665 sous son nom de jeune fille, Marie-Catherine Desjardins.

Dans deux ouvrages postérieurs, Les Annales galantes publiées en 1670, et surtout dans son œuvre posthume, Le Portrait des faiblesses humaines, parue en 1683, Mme de Villedieu énonce sa pensée sur son traitement et sa révision de l’Histoire : le véritable motif des grandes machinations historiques est placé dans l’univers passionnel des grands, dévoilant ainsi leurs faiblesses et leur égomanie. Établissant donc la passion amoureuse comme l’ingrédient vital qui impulse les intrigues de l’histoire politique, elle accorde aux femmes un rôle primordial. Cette érotisation de l’histoire1 est le sujet de son théâtre.

Car quoi qu’il plaise à certains auteurs graves de soutenir, l’amour est aussi vieux que le monde ; de tout temps les plus grands hommes ont été soumis à sa domination et si quelques-uns ont su cacher la faiblesse de leur cœur, cette sagesse tant vantée n’a réglé qu’un extérieur où le secret de l’âme ne répondait pas.2

L’œuvre dramatique de Mme de Villedieu reflète donc le bourgeonnement d’une réflexion morale qui s’est ultérieurement développée dans la fiction romanesque. Le théâtre lui avait permis de représenter les passions dans leur état paroxystique en révélant ce qu’elle appelle « l’égarement » de l’homme troublé par ses passions. Elle y explorait les ramifications néfastes et destructrices de ce dérèglement qui domine l’homme dans son univers public et privé. Ces résonances historiques et morales se retrouvent plus tard dans ses nouvelles historiques et, tout particulièrement, dans l’ouvrage qui signe l’aboutissement de son œuvre, Le Portrait des faiblesses humaines.

À première vue, dans son théâtre, ce sont les personnages masculins, détenteurs de pouvoir, qui semblent souffrir de cette inconsistance morale. Cependant, je souhaite explorer dans cette étude l’importance des héroïnes, notamment Camille, Nitétis et Elvire, voir comment leur comportement influe sur la déconstruction des valeurs héroïques et impulse le glissement vers un épicurisme galant. De Camille à Elvire, Mme de Villedieu fait le procès de la vertu car, selon elle, cette vertu austère et ombrageuse cache toujours une faille, une faiblesse, sinon pourquoi l’affecter ainsi à outrance ? Elle démontre que la vertu peut être un déguisement avantageux de l’intérêt de soi.

Les trois pièces3 mettent en scène des héroïnes qui sont représentées selon une structure binaire4: Camille et Omphale dans Manlius ; Nitétis et Mandane dans Nitétis ; et Lindamire et Elvire dans Le Favori. Les deux premières pièces s’articulent autour de couples d’héroïnes qui se veulent des parangons de vertu. Les substantifs « vertu », « gloire » et « devoir» ponctuent leurs discours. Les héroïnes s’opposent avec véhémence aux tyrans, Torquatus dans Manlius et Cambyse dans Nitétis, essayant de leur faire entendre raison et de transformer leur comportement transgressif. Torquatus, le consul romain, retrouvera sa raison, il sera « rendu à lui-même » ainsi qu’il l’affirme, et la pièce se terminera sur un double mariage, tandis que dans Nitétis, Cambyse, le roi des Perses, l’esprit obnubilé par sa passion incestueuse se suicidera en déclarant : « Ma raison a si peu conservé son empire » (IV.i.977). Le Favori se distingue par la bipolarisation des héroïnes qui signale la mise en opposition de deux univers antagonistes : la vertueuse et sage Lindamire adhère à l’éthique périmée de la générosité, tandis que sa rivale, la volage Elvire, le « caméléon de cour », désabusée et hypocrite, à la morale équivoque, reflète un avant-goût de libertinage. La grandeur morale est remplacée par un épicurisme galant démuni de culpabilité et suscité par l’intérêt de soi et la poursuite du plaisir. L’intérêt de soi et le bonheur individuel œuvrent à la déconstruction de la mystique amoureuse néoplatonicienne — de l’amour bien fondé — , de cette constance amoureuse dont le début du siècle était imprégné. Heureusement, comme le proclame Elvire : « le siècle est bien guéri de cette maladie » (IV.i.914).

Manlius5, la première pièce de Mme de Villedieu, engendra toute une polémique et déclencha la critique de Donneau de Visé6 . Celui-ci reprochait d’une part à la dramaturge l’entorse faite à l’Histoire romaine de Tite-Live (VIII, 6-7), en particulier le revirement final du consul romain, Torquatus. Sous la plume de Mme de Villedieu, celui-ci gracie son fils, Manlius, au lieu de l’exécuter pour avoir désobéi aux ordres du Sénat et porté les armes contre les Latins. De surcroît, elle transforme le consul romain en un barbon galant, égomane, au discours érotique, qui convoite Omphale, une princesse épirote prisonnière de guerre, dont son fils est épris. L’éthique romaine fondée sur la gloire, l’honneur et le devoir est déconstruite, puisque l’auteure met en scène un consul aux prises avec la concupiscence, vacillant entre sa passion et son devoir jusqu’au dénouement où, dans un geste magnanime, il accorde la vie à son fils, lui cède Omphale et accepte d’épouser Camille, la veuve de Décius, le second consul. Avant de se sacrifier pour la gloire de Rome dans la bataille contre les Latins, Décius, véritable héros et ami de Torquatus, lui avait offert sa vertueuse femme en gage.

D’autre part, Donneau de Visé lui reprochait aussi l’invention du personnage féminin de Camille, qui ne figurait pas, disait-il, dans le texte de Tite-Live et dont le rôle lui paraissait tout à fait superflu. Paradoxalement, Manlius s’ouvre et se ferme sur Camille, personnage séminal dans la structure de l’œuvre et dans la progression du théâtre de Mme de Villedieu. La pièce débute par une question posée par Camille : « Puis-je croire, Pison, cette étrange nouvelle ? » (I.i.p.1,1). L’étrange nouvelle se rapporte à la révélation des amours secrètes d’Omphale et de Manlius que Camille dévoile au consul. Moteur de l’intrigue, cette nouvelle suscite chez le consul amoureux une intense émotion. Prisonnier de sa libido, il prend la décision de faire exécuter son fils dont il est jaloux et d’épouser la jeune Omphale.

Mme de Villedieu, n’exploite ni ne développe le sentiment de la jalousie chez les deux héroïnes. Au contraire, après un moment de défaillance où, emportée par la colère, Camille s’indigne d’avoir « une esclave, une infâme, un monstre pour rivale » (III.i.p.31, 22), elle reprend ses esprits et retrouve la voie de la raison, de la sagesse et du devoir. S’insurgeant contre la passion amoureuse et la défaillance des hommes, Camille se fera un plaisir d’en évoquer les dangers et les dérèglements :

Les pièges de l’amour sont presque inévitables,
Il remplit les esprits de vaines fictions, (I.ii.p.4,2–3) blockquote>

Elle n’hésite pas à rappeler au consul vacillant et tergiversant que son mépris des lois est une grave offense. Cependant, coincé dans sa monomanie, Torquatus est prêt à transgresser toutes les lois : la loi politique (Rome), la loi juridique (le mariage) et la loi naturelle (l’exécution de son fils).

Camille a été promise à Torquatus par son mari « Pour un gage éternel d’une ardente amitié » (I.iii.p.7,2). Représentante de la loi romaine, elle transcende tous les espaces, aussi bien masculins que féminins. Elle a du pouvoir sur l’armée, offre à Manlius et Omphale de fuir et songe même à tuer Torquatus de ses propres mains. Ce qui distingue Camille et rend son rôle primordial, c’est le fait qu’elle seule, « la triste moitié du plus grand des héros » (I.ii.p.2,13), ainsi qu’elle se définit, puisse rappeler à Torquatus les lois qui interdisent toute mésalliance entre un consul romain et une prisonnière. Cette infraction juridique est encore plus grave que le projet infanticide du consul amoureux et jaloux. Un consul romain ne peut pas souiller son sang par une mésalliance car Rome n’accepterait pas « un indigne hyménée ».

Pour parvenir à son but et afin de devenir la moitié du premier consul, Camille emploiera toutes sortes de stratagème de manière à faire échouer le plan de Torquatus. Il fallait donc inventer Camille pour introduire la grandeur romaine dont Décius fut le symbole : cette affirmation dispendieuse de soi 7 , ce souffle, cet élan, cette énergie qui manquent à Torquatus. Ce dernier récuse la gloire généreuse de Décius en affirmant que sa dévotion à la raison d’État n’était qu’une motivation intéressée et que Décius pensait plus à son immortalité qu’à la gloire de Rome. Mais Décius est mort. Il appartient à une ère révolue et cette pièce marque le début d’une époque où primera dorénavant l’intérêt de soi.

Après la métamorphose finale de Torquatus, Camille lui restitue son estime et lui accorde sa main. Il ne sera plus question d’empêcher le mariage des jeunes amoureux. Au contraire, le consul, maintenant réformé, lève tous les interdits qui pesaient sur leur union et, en guise de clôture, il déclare : « Je puis vous élever au but de vos souhaits » (V.vii.p.73,7).

Le deuxième personnage féminin de cette structure binaire, Omphale, objet du désir et du fils et du père, héroïne à la « vertu sublime », est prête à s’auto-immoler si l’on porte atteinte à son amant, Manlius8. Pour échapper à l’emprise du tyran, sa seule arme est l’autodestruction. Étrangère, prisonnière de guerre et victime, elle a la loi contre elle, tandis que le statut de veuve de consul romain confère à Camille du pouvoir en la situant sur un plan d’égalité avec Torquatus.

Nitétis9, la deuxième pièce de Mme de Villedieu est une tragédie dont la matière est encore une fois tirée de l’Histoire. Cette fois-ci, elle se tourne vers Hérodote dont Les Histoires10 qui, venaient d’être rééditées, n’étaient pas connues pour leur véracité historique. Cependant dans le livre III (3,2–4l et 3,10–37), Hérodote fait le récit de Cambyse II11, le fils épileptique, tyrannique et cruel du célèbre Cyrus qui, sous la plume de la dramaturge, se transforme en un frère incestueux. Cette pièce ne fut pas très bien reçue et Mme de Villedieu l’atteste elle-même. En altérant Les Histoires d’Hérodote, elle rend Cambyse encore plus exécrable dans sa monomanie — son obstination sexuelle — pour sa sœur, Mandane. Afin d’officialiser l’inceste en Perse, il souhaite l’épouser et proclame que personne ne peut s’opposer à ses voeux :

Où manquait la raison, j’ai fait agir la force,
J’ai contraint mes sujets à l’inceste, au divorce ; (IV.ii.1101-2)

Il va même jusqu’à tuer son frère, Smiris, qui n’est après tout qu’un sujet comme les autres. Face à l’égocentrisme dominateur de Cambyse, Smiris oppose des vers teintés de liberté et de dégoût pour les actions du tyran : on y décèle une critique de l’absolutisme qui confronte l’autonomie du sujet au pouvoir d’un monarque absolu, tyrannique et incestueux.

Cependant, cette pièce s’articule autour de Nitétis, une princesse égyptienne12 , l’épouse loyale et dévouée de Cambyse. Elle constitue un personnage fantôme dans Les Histoires d’Hérodote puisqu’il ne la mentionne qu’en passant, elle l’est d’autant plus que Cambyse ayant eu plusieurs épouses elle n’aurait eu que le statut de concubine. Cette reine à la vertu ombrageuse représentée comme l’opposée morale, le double renversé de son époux, devient l’héroïne de la pièce.

Bien qu’elle abhorre Cambyse, elle ne se rebelle pas contre lui car il est de son devoir d’obéir à son mari et à son roi, ainsi qu’elle le déclare :

Quels que soient les désirs d’un cœur comme le mien,
Quand le devoir lui parle, il n’écoute plus rien ; (V.ii.1271–2)

Nitétis n’aime pas Cambyse mais respecte les lois, tandis que le roi méprise tant Nitétis que les lois. Il est prêt à répudier son épouse légitime pour la remplacer par sa propre sœur, qui est pourtant amoureuse d’un autre. La jalousie féminine ne sera pas non plus exploitée dans cette pièce. Mandane, objet du désir comme Omphale dans Manlius, veut se suicider le soir même de ses noces. Nitétis, adhérant à son devoir d’épouse royale, conserve même dans l’adversité le discours de l’honneur, de la vertu et du dévouement. Contrecarrer les plans de son mari et se venger ne sont pas des solutions envisageables. Au lieu de céder à ses passions à l’instar de son époux, elle lutte contre tous ses désirs et se retranche derrière ce « rigoureux devoir » et sa foi en proclamant à Phameine, un prince égyptien prisonnier de guerre de Cambyse, qui l’aime et dont elle partage les sentiments :

Ces propos enchanteurs et de feux et de flamme :
La majesté du trône et les lois de ma foi
Ont mis tant de distance entre l’amour et moi. (III.i.670–2)

Mais quel est ce devoir auquel fait référence Nitétis dans la pièce ? Est-ce un idéalisme moral, une éthique de la vertu et du devoir ou ne serait-ce pas plutôt le désir de sauvegarder sa réputation ? Il est vrai que partager l’univers du tyran n’aboutit qu’à un assujettissement qui interdit l’action. Cependant vouloir conserver la mémoire du défunt paraît tout à fait paradoxal après le suicide de celui-ci, surtout quand elle déclare à Phameine qu’elle ne l’écoute « qu’en veuve de Cambyse ». Au-delà de l’apparence d’un moralisme rigide et de la volonté de ne pas vouloir être soupçonnée de collaboration contre le tyran, émerge l’amour d’elle-même 13, cet orgueilleux souci de son image à ne pas flétrir.

Au deuxième acte, lorsque Cambyse se rend compte que sa femme a aimé Phameine et lui fait des reproches, la réponse de Nitétis est des plus ambiguës :

C’est en toi mon honneur et ma gloire que j’aime,
Et je n’y trouve rien de charmant que moi-même. (III.ii.833–4)

À la fin, après le suicide de Cambyse, elle tient le même discours à un Phameine éploré et perplexe devant son refus inexplicable de vouloir l’épouser : « Et si vous m’êtes cher » – déclare-t-elle –« j’aime encore plus ma gloire » (V.iv.1384).

Mais toute cette vertu que déploient Camille et Nitétis ne serait-elle pas au contraire une posture ou une imposture politique ? Camille n’aime pas Torquatus bien qu’elle lui soit promise. Cependant elle éprouve de la jalousie, « une rage », lorsqu’elle apprend que Torquatus a promis le mariage à Omphale. Omphale usurpe non pas le cœur de Torquatus mais la place politique que Camille convoite car, après tout, ce n’est que grâce à un autre mariage qu’elle pourra conserver le statut privilégié d’épouse du consul. En ce qui concerne Nitétis, elle dit vouloir préserver la mémoire de son mari qu’elle abhorre et se sacrifie au nom d’un devoir imaginaire qu’elle s’impose. Serait-elle une des dernières héroïnes généreuses ? Elle libère Phameine et lui rend l’Égypte. Veuve, elle est, elle aussi, finalement libre et la Perse pourrait lui appartenir mais la pièce se clôt sur un double questionnement, une double incertitude : Nitétis sera-t-elle reine et épousera-t-elle Phameine qui l’aime ? Les derniers vers reviennent cependant à Mandane qui souhaite dorénavant «Établir dans ces lieux l’allégresse et la paix ». Voilà une tragédie qui finit bien mais à qui revient le sceptre ? À la veuve ou à la sœur ?

Le Favori14, la troisième et dernière pièce de Mme de Villedieu fut intitulée au départ La Coquette ou le favori. Pour cette dernière pièce, Mme de Villedieu abandonne l’Histoire et s’inspire d’une pièce espagnole de Tirso de Molina, El Amor y la amistad.

Le Favori ne met en scène ni vrais héros, ni héros ratés. Nous ne sommes plus dans un univers peuplé de grands conquérants comme les Romains, les Perses ou les Égyptiens. Au contraire, nous nous retrouvons dans un espace restreint, la maison de campagne du favori du roi de Barcelone, Moncade. Bien que ce dernier soit indispensable au roi et qu’il se soit distingué par sa bravoure, il est réduit à l’assujettissement et à attendre la reconnaissance capricieuse du roi. Aristocrate déchu, angoissé par son état de dépendance face à la volonté du souverain et jalousé par la foule des courtisans qui l’entoure, Moncade souhaite se distinguer par la constance de l’amour qu’il porte à Lindamire. Dans cette société oisive où tous s’amusent, s’épient et s’entre-déchirent pour obtenir la faveur du roi, le Favori tente d’échapper à la servitude de son titre en aimant d’un amour pur et tendre. Recherchant la solitude pour s’entretenir avec la femme qu’il aime, il se plaint de son sort à son ami et allié, Don Alvar :

Enfin, nous voilà seuls, cette foule importune
Qu’attache auprès de moi l’éclat de ma fortune, (I,i,1–2)

Écrite la même année que l’inauguration de Versailles, la pièce renvoie à un moment crucial de la réalité politique contemporaine, la disgrâce réelle de Nicolas Fouquet, surintendant des finances, et s’articule autour de la disgrâce feinte de Moncade. En montant un stratagème, le roi de Barcelone parvient à percer les intentions perfides de ses courtisans. Il peut ainsi les circonscrire avant de rétablir Moncade, qui triomphe des envieux et des médisants. Donc l’exil de Moncade n’est qu’une illusion, un leurre suprême auquel met bon ordre la magnanimité du roi de Barcelone.

La constance, qualité suprême en amour, est ce qui permet à Moncade d’accéder au mythe révolu qu’est la gloire. Cet élan vertigineux que ressentait le généreux – ce libre arbitre – est passé de mode. Moncade ne dépend plus de lui-même même sur le plan affectif. Le moment de crise existentielle passé, il reviendra à la réalité et restera un favori, dont les fonctions dépendent du bon vouloir du souverain. Marc Fumaroli affirme que le favori se situe dans le registre de la vie privée du monarque et que « le mot favori n’apparaît jamais dans le vocabulaire officiel. Il désigne une sorte de marginal, au même titre ou presque que les maîtresses royales 15».

Lindamire est aimée de Moncade et Élvire, la coquette, le convoite car il est le favori du roi. Dans l’éventail des jeunes héroïnes amoureuses, Lindamire reste la plus audacieuse dans la mesure où elle est prête à s’exiler avec l’homme qu’elle aime, alors que la vertu d’Omphale l’en empêche. Omphale et Mandane menacent de se suicider pour échapper à la monomanie du tyran tandis que Lindamire qui appartient à un autre univers est prête à subir les conséquences de son amour16.

Volage, cynique et désabusée, Élvire considère Moncade comme un simple, amusement, une amourette. Ce qui l’intéresse, c’est compter « fleurette », comme l’affirme Mme de Villedieu dans sa dédicace au duc de Saint-Aignan. Élvire se moque de l’amour idéalisé qu’elle ridiculise et parodie, ce qui l’intéresse ce sont les jeux de séduction et de manipulation. En se proclamant l’amie intime de Lindamire qu’elle n’aime pas, elle dévoile son machiavélisme de séductrice perverse et se montre prête à tout (la tromperie, la dissimulation, la manipulation) pour la séparer de Moncade. Elle ne se soucie ni de sa vertu ni de sa gloire. Au contraire, ce qu’elle revendique envers et contre tout, c’est de disposer librement d’elle-même pour poursuivre son bon plaisir : « Mais je m’aime beaucoup et j’aime fort à plaire » (II.i.437). Son unique appartenance est le plaisir, le divertissement. En transgressant les normes d’un monde régi par la religion et les lois civiles, elle devient un des personnages avant-coureurs des libertins du dix-huitième siècle.

Dans cet univers de transformation où la nouvelle anthropologie de l’égocentrisme avide de divertissement, de puissance et de bonheur remplace l’ancienne, le personnage de la coquette atteint son apogée. À cet égard, Jean Rohou écrit : « les nouvelles et les comédies de mœurs dépeignent plus que jamais une société dominée par la jouissance et le profit… et au théâtre, le principal rôle féminin devient celui de la coquette intrigante17 ».

De Camille à Élvire, de 1662 à 1665, Mme de Villedieu signale dans son œuvre théâtrale l’effondrement des valeurs héroïques au profit de l’intérêt de soi et de l’épicurisme galant dont sa coquette sera emblématique. Dans cette société curiale démunie de grands sentiments, où règne l’interchangeabilité des partenaires, le dernier mot appartient à la coquette qui déclare : « Et Dom Lope m’attend qui m’en va consoler ». L’amour n’est qu’un jeu bien divertissant.

New York University

NOTES

1René Démoris, “Écriture féminine en Je et subversion des savoirs chez Mme de Villedieu," Femmes Savantes, Savoirs des femmes, ed. C. Nativel (Genève: Droz, 1999) 198-199.

2 Mme de Villedieu,Le Portrait des faiblesses humaines (Amsterdam: Henrie Desbordes, 1686). 40-41.

3 Faute d’édition moderne adéquate pour Manlius, j’ai consulté celle de Barbin de 1662 qui est sans versification. J’ai donc ajouté, après les numéros d’actes et de scènes, le numéro des pages et compté les vers qui correspondent uniquement à la page indiquée. Tandis que pour Nitétis et Le Favori, je me suis servie des deux éditions de Perry Gethner, Femmes dramaturges en France (1650-1750) Pièces Choisies (Paris, Seattle, Tubingen : Biblio 17, 1993) et Femmes dramaturges en France (1650-1750) Pièces Choisies (Tubingen : Gunter Narr Verlag, Biblio 17-136, 2002). J’ai indiqué les numéros des actes, scènes et vers après les citations.

4 J’emprunte ce terme à l’article de Nina Ekstein, « The Second Woman in the Theater of Villedieu, » Neophilologus (1996): 213–224 qui divise les personnages féminins en deux grandes catégories, celles qui sont objets du désir : Omphale, Mandane et Lindamire et celles qui ne le sont pas : Camille, Nitétis et Elvire.

5Manlius fut non seulement sa première tragi-comédie (en cinq actes et en vers) mais aussi la première œuvre écrite par une femme à être représentée en mai 1662 par une troupe professionnelle à l’Hôtel de Bourgogne. Publiée par Barbin et de Luyne en 1662 et dédiée à Mlle de Montpensier, cette pièce réussit « médiocrement » (succès correct) selon Tallemant.

6Voir La Défense de la tragédie de Sophonisbe ainsi que notre « Manlius ou l'héroïsme inversé, » L'image du souverain dans le théâtre de 1600 à 1650 (Paris, Seattle, Tubingen : Biblio 17, 1987) 421-437.

7 À l’article 173 du Traité des passions de l’âme de Descartes, Les Décies (père, fils et petit-fils) sont emblématiques du généreux, de celui qui est dévoué à la gloire de Rome. En outre, leur exemple est cité par le Dictionnaire de Furetière à l’article « Dévotion ».

8 Pour une analyse plus détaillée de l’autodestruction des héroïnes, on lira notre « Men in Love in the Plays of Mme de Villedieu, » A Labor of Love: Critical Reflections on the Writings of Mme de Villedieu, ed. R. Lalande (Madison : Fairleigh Dickinson UP, 2000) 64–83.

9Selon Perry Gethner Nitétis est le modèle parfait de la vertu héroïque. Cette tragédie dédiée au duc de Saint-Aignan fut représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1663 et publiée chez Barbin en 1664.

10En 1645 paraît une traduction des Histoires d’Hérodote par Pierre du Ryer, la source principale du Grand Cyrus de Mlle de Scudéry. Elle fut rééditée en 1660 avec une série de cartes géorgraphiques : Hérodote, Les Histoires d’Hérodote mises en français par P. du Ryer, Paris: A. de Sommaville, 1660.

11En 525, l'Égypte fut conquise par les Perses Achéménides de Cambyse qui installèrent la 27ème dynastie perse.

12 Hérodote (3.2). Il existe plusieurs versions de l’Histoire de Cambyse II et de sa conquête de l’Égypte. Dans la version perse, Nitétis, fille légitime d’Apriès, lui est envoyée par Amasis, l’usurpateur du trône d’Apriès, à la place de sa propre fille que Cambyse convoitait non pour l’épouser mais pour en faire sa concubine. Lorsque Cambyse se rend compte de cette supercherie, il déclare la guerre à l’Égypte. Selon une version égyptienne, Cambyse serait le fils de Nitétis et de Cyrus.

13Dans la maxime retranchée après la première édition, La Rochefoucauld définissait cette autôlatrie : « l’amour propre est l’amour de soi-même et de toutes choses pour soi ; il rend les hommes idôlatres d’eux-mêmes ».

14Cette tragi-comédie débuta au théâtre du Palais-Royal le 24 avril 1665 et fut bien reçue selon Le Registre de La Grange (Elle fut représentée 26 fois à Paris). Publiée en 1665 chez Quinet, Billaine et de Luyne, dédiée à son protecteur, Hugues de Lionne, c’est la première pièce écrite par une femme à être représentée à la Cour de France et à obtenir un compte-rendu favorable. Molière la choisit à l’occasion d’une fête organisée pour la reine-mère, Anne d’Autriche, dans les jardins de Versailles des 12 au 14 juin 1665.

15Marc Fumaroli, Le Poète et le roi (Paris: Fallois, 1997) 205.

16Voir la lecture surprenante de Fumaroli qui fait de Moncade et du roi des rivaux, accordant ainsi au roi des sentiments inédits pour Lindamire.

17Jean Rohou, Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine (Paris : Seuil, 2002) 347 et 506.

Site Sections (SE17): 

Shoemaker: Learning to Drink: Attitudes toward Drinking in Seventeenth-Century Guides to Manners

Article Citation: 
Cahiers du dix-septième: An Interdisciplinary Journal XI, 1 (2006) 283–296
Author: 
Peter Shoemaker
Article Text: 

In “Pour une psycho-sociologie de l'alimentation contemporaine,” Roland Barthes comments that:

En achetant un aliment, en le consommant et en le donnant à consommer, l'homme moderne ne manie pas un simple objet, d'une façon purement transitive; cet aliment résume et transmet une situation, il constitue une information, il est significatif [...] (979–80)

As his reference to “modern man” suggests, Barthes is primarily concerned with consumer society, where individual foodstuffs are markers of social and cultural identity. Nevertheless, his insight could equally well apply to any form of ritual consumption in any culture. Indeed it could be argued that virtually all eating and drinking is ritualistic. Whenever more than one person is present, these “natural” bodily functions necessarily become social acts, governed by a set of conventional and stylized gestures. By eating or drinking in certain ways, individuals and groups represent their relationships with one another and perform their social identities. This question of identity will guide my survey of aristocratic drinking etiquette in France between the late 1500s and early 1700s. I will argue that as aristocrats embraced the values of self-discipline and polite conversation, the drunken body increasingly became a marker of inferior social status and an object of social control.

The aristocratic culture of drinking in early modern France revolved around two poles: the cabaret (a commercial business that served alcohol and food on its premises) and polite society. To judge by the poetry that was produced by Saint-Amant, Théophile de Viau, and its other lesser known bards, the cabaretwas primarily a masculine place. The pleasures of the mouth—food, wine, and song—provided the basic elements for a ritual of “male bonding” between aristocrats, poets, and other hangers-on. Women were largely absent from this world, mentioned only to the extent that female companionship was considered inferior to wine. Saint-Amant's famous “Orgye” gives a flavor of this cabaret poetry:

Sus, sus, enfans! qu'on empoigne la coupe!

Je suis crevé de manger de la soupe.

Du vin! du vin! cependant qu'il est frais.

Verse, garçon, verse jusqu'aux bords,

Car je veux chiffler à longs traits

À la santé des vivants et des morts. (2: 76)

What is striking, here, is the physicality of drinking—from the grabbing of the glass (“qu'on empoigne la coupe!”), to the coolness/freshness of the wine (“cependant qu'il est frais”), to the drinking itself, captured in the wonderfully suggestive verb “chiffler.” Imbibing, for Saint-Amant, is an immediate, sensual experience that engages the entire body.1

Saint-Amant, of course, was writing within a poetic tradition that went back to the sixteenth century and beyond, and that had its own literary conventions. Nevertheless, other sources confirm that the cabaret was a frequent haunt of the Parisian aristocracy during the early seventeenth century. In his vituperative anti-libertine screed La Doctrine curieuse, published in 1623, Father Garasse describes the cabaret as a point of contact between aristocrats and free-thinkers:

[Les libertins] sçavent que tel jeune seigneur a de l'amour, ils composent une ode en laquelle ils comparent sa maistresse à une divinité raccourcie de toutes les perfections du monde, ils prennent leur temps, ils s'ingerent sur l'heure du soupper: ils se glissent és bonnes compagnies pour dire le mot, la partie se nouë à deux pistolles pour teste dans un cabaret d' honneur: ils suyvent asseurément, et se rendent officieux mechaniquement, la table se couvre, ils en sont comme l'importun de Regnier, ils payent leur escot, partie en bouffonneries, partie en cajolleries ou en impietez. (760)

Émile Magne has speculated that the cabaret provided aristocrats a refuge from the official culture of court and church, an escape from conventional norms and beliefs. With its focus on the satisfaction of natural bodily desires and the shedding of inhibitions, cabaret culture encouraged libertine discourse—or at least such was the perception (195).

The other pole of aristocratic drinking, and the subject of this essay, was the polite society of the salons, ruelles, and other similar social gatherings. Here the company was mixed, and drinking practices intersected with the emerging discourse on manners that flourished in the seventeenth century, variously referred to as honnêteté, civilité, politesse, and courtoisie (Magendie).2

Whereas the cabaret poets highlighted man's corporeal nature and celebrated drinking as an “idiom of social exchange” (Brennan 80), the exponents of honnêteté and civilité were primarily concerned with the ways in which drinking revealed an unruly body and was thus potentially incompatible with polite sociability. In particular, they directed their scrutiny to the mouth—site of both consumption of alcohol and production of language.

Guyon's Les Diverses leçons, published in 1604, contains a curious chapter entitled “Comm[ent] on connaîtra facilement de quel breuvage sera enyvrée une personne.” As the title suggests, the chapter provides a useful guide to the physical signs of inebriation produced by different intoxicants: wine, cider, poiré, mead, and so on. Beer drinkers, we learn, “ne chancelent pas de tous costez, mais seulement en arrière, & la renverse” whereas wine drinkers “chancelent [...] & tousjours tombent, ou se couchent sur la face, & sur le nez” (270-71). As confirmation of this observation, Guyon notes that French soldiers in the Netherlands found it easy to take advantage of beer-drinking Dutch women, as they passed out on their backs: “C'est pourquoy celles qui auront soin de leur chasteté, se donneront garde de s'enyvrer” (271).

Beyond its anecdotal amusement value and mild-mannered misogyny, Guyon's text signals an increased interest in the signs produced by the drinking body and the ways in which such signs are mastered (or not) by the drinking subject. Presumably, people had always been aware, on some level, of the symptoms of drunkenness. These signs, however, become an object of increased scrutiny and discourse in the early seventeenth century.

Nicolas Pasquier's roughly contemporary Le Gentilhomme, published in 1611 compares the drunken subject to a carriage without a coachman:

[T]out ainsi qu'un chariot que les chevaux meinent après avoir jetté le cocher par terre vague ça et la à l'aventure sans guide: ainsi l'ame et le corps privez de leurs fonctions sont vuides de sens et de raison, qui courent à bride abatuë le frain aux dents sans repos et sans cesse où le vin les dresse: l'on peut dire que celuy qui se rend esclave du vin et qui n'est temperé en son boire, ne fait jamais rien approchant de ce qui est de la decence du Gentilhomme [...] (199–200)

The analogy of the carriage of course recalls Plato's Phaedrus and his comparison of the soul to a chariot piloted by a charioteer and drawn by two winged steeds, the one pulling the soul up toward the realm of Ideas and the other dragging him back down to Earth (493–95). Without the charioteer (or reason), the downward-pulling steed gains the upper hand and the chariot becomes mired in the corporeal realm. Pasquier extends this lesson to the subject of drinking, reasoning that without the higher functions of reason governing his behavior, man cannot act in a gentlemanly fashion. When he is intoxicated, the lower body takes over, rebelling against the higher functions:

[C]ar où l'yvresse a quelque surintendance, elle fait voir au jour tout ce qui est caché en l'esprit de l'yvrogne: comme le moust boüillant dans le vaisseau pousse à mont tout ce qui est au fonds: aussi le vin desbonde les plus cachez secrets à ceux qui en ont pris sans choix et outre mesure. (200)

On the one hand, the must (“moût”) represents the secrets of the mind that are revealed when reason loses its sovereignty. On the other, by virtue of its crude materiality and its location at the bottom of the barrel, it recalls the imperfect, corporeal steed that weighs down Plato's chariot in the Phaedrus. Its rising to the surface thus signals a reversal of proper hierarchy of upper functions and lower body.

The term “surintendance,” it should be noted, suggests a political subtext. Indeed this entire passage can be read as political allegory, with the sober pilot serving as a figure for the sovereign reason of the prince and the drunken body evoking the menace of popular rebellion (Merrick). In the early modern political imagination, the masses are typically represented as amorphous and chaotic, flailing wildly in all directions—much like the limbs of a drunkard. By establishing a parallel between the individual body and the body politic, Pasquier makes the gentleman's sobriety a sign of his participation in the reasoned political activity of the prince.

Thomas Brennan has pointed to a divide, in the eighteenth century, between popular traditions of drinking as a form of working class sociability, and the elite disapproval of drunkenness as an “offence against reason” and public order. Whereas the Encyclopédistes attacked drunkenness on utilitarian grounds, “popular discourse preferred not to speak of drunkenness and cloaked it in terms of sociability” (76). In the popular imagination, drink was not a menace to society or Reason; rather it was a social lubricant that helped shopkeepers and workers drop their social inhibitions and fraternize. As my examples show, this same divide is present over a hundred years earlier, in early seventeenth-century aristocratic texts. Like popular drinking, cabaret culture represents a form of social exchange that takes place in a refuge free from the demands of family and court. Texts such as Pasquier's Le Gentilhomme, by contrast, offer a reaction against this model of sociability and anticipate the new modes of elite conduct that would emerge over the course of the seventeenth century.

Drunkenness was of course not unknown in elite circles in the latter half of the seventeenth century. La Bruyère describes courtiers abandoning wine and seeking stronger liquors to satisfy their jaded tastes. “Il ne manque à leur débauche,” he writes, “que de boire l'eau forte” (232). In another fragment, he comments that the only difference between an aristocrat and a commoner is that the former gets drunk on better wine (219). Similarly, in his Réflexions sur la politesse, Morvan de Bellegarde describes a young man showing up in a mondain gathering, half-drunk after dining in a cabaret. While testifiying to the persistence of such behavior, however, Bellegarde nonetheless makes it clear that it is considered unacceptable and draws a sharp line between the masculine cabaret and the mixed salon: “Est-ce en cét état,” he asks “qu'il faut se montrer à des femmes d'une naissance distinguée?” (54). Vaumorière, in his 1701 L'Art de plaire dans la conversation, similarly insists that while heavy drinking may have its place, it is antithetical to the spirit of conversation: “Demeurons d'accord que la conversation ne sauroit être agréable durant le repas, ni immediatement aprés, si on y mêle quelque excés de vin” (74).

Treatises on manners from the period show an increasing preoccupation with controlling the signs produced by the drinking body. Courtin's famous Nouveau traité de la civilité, first published in 1673, gives detailed prescriptions for drinking. To start with, before putting the glass to one's lips, one should wipe one's mouth and swallow any remaining food. The affectation of tasting wine and savoring it slowly is to be avoided as “trop [...] familier,” as is the opposite excess of thirstily gulping it down, which is described as “une action de goinfre.” Rather, the entire glass should consumed in a single, poised gesture. Courtin further specifies that that the drinker should take care not to make any noise with his throat; otherwise, as he points out, the rest of the company might find itself tempted to count the number of swallows. After drinking, finally, the drinker should wipe his mouth, taking care not to let out a deep sigh (176–78). Courtin, in other words, systematically suppresses all of the signs of pleasure that the body might produce. Such signs externalize the sordid inner mechanics of the body, causing discomfort to others. Social drinking, in other words, becomes a performance of corporal restraint and self-control.

Jean-Baptiste de La Salle's 1703 treatise for wayward schoolboys, Les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, follows Courtin closely on these points:

Il ne faut pas boire, ni trop lentement, comme si on suçait et si on goûtait avec plaisir ce qu'on avale, ni trop vîte, comme font les sensuels; mais il faut boire doucement et posément, quoique cependant tout d'une haleine, sans reprendre son vent, et non pas à plusieurs reprises: on doit, en buvant, avoir la vue arrêtée dans le verre, et toujours boire tout ce qui est dedans sans en rien laisser [...] il ne faut pas non plus, en buvant, faire du bruit avec le gosier, et donner lieu, par ce moyen, de compter les gorgées qu'on avale. Il est indécent, après avoir bu, de pousser un gros soupir pour reprendre son haleine; il faut cesser de boire sans faire aucun bruit, non pas même avec les lèvres; & aussitôt après avoir bu, il faut essuyer sa bouche, comme on a dû faire avant de boire. (360–61)

La Salle is particularly insistent on certain points, mentioning three times, for example, that one should wipe one's mouth before drinking. This reflects his larger preoccupation with liquids—soup, gravy, saliva, phlegm, and so on—and keeping them contained within appropriate limits. To the extent that it is possible, the body should be a sealed vessel, its orifices tightly closed. It should not leak, so to speak, any auditory or visual signs. He thus devotes long sections to not only drinking, but also spitting and sneezing.

For La Salle, the policing of the mouth extends beyond the consumption of drink to the production of language itself. The discourse on drinking, so important in cabaret society (because it indicates shared enjoyment), disappears in La Salle. The drinker should not express his opinion on the wine, as that might draw attention to the satisfactions (or insatisfactions) of the body and thus offend the sensibilities of others. Nor, for that matter, should the drinker draw attention to himself when he desires to quench his thirst; he should ask, rather, to drink “tout bas” and “par signes” (358).

Another related aspect of the new drinking etiquette is its treatment of the practice of toasting, one of the staples of drinking-as-sociability. In Courtin, this ritual is subject to an elaborate etiquette. In order to avoid the informality that breeds incivility, he insists upon using the appropriate formula of address when offering a toast:

C'est le comble de l'incivilité, d'ajoûter, comme nous avons déjà dit, le nom de la personne qualifée [...] Il faut nommer la femme par la qualité, ou par le surnom du mari; & les autres, ou par leurs surnoms, ou par quelque qualité, s'ils en ont; en disant par exemple, A la santé de Madame la Maréchale, de Monsieur le Marquis. (177)

The egalitarian spirit of reciprocity that pervades cabaret drinking is absent here: toasting is permissable, but only to the extent that the manner of toasting reaffirms social hierarchies. La Salle goes one step further, suggesting that all toasting reeks of informality: “il ne faut pas même boire facilement à la santé les uns des autres, à moins qu'on ne soit avec ses amis les plus familiers” (362).

Behind such prescriptions clearly lurks the spectre of popular culture, with its association between drinking, the body, and informal sociability. Rather than bringing people together, drinking, for Courtin and Salle, has the potential to separate them by revealing the potentially revolting bodies that they inhabit. The new polite sociability consists in policing one's body (and particularly the mouth) and in executing a corporal performance that manages, paradoxically, to erase the body—or at the very least, to hide its inner workings. The most remarkable symptom of this erasure of the body is the virtual disappearance of drunkenness from the moral discourse on drinking. Unlike Pasquier and Guyon, Courtin and La Salle have little to say on the subject. This omission undoubtedly reflects an increased social taboo attached to the body. In a social context where one is supposed to drink without swallowing, so to speak, intoxication is beyond the pale, outside the realm of even the discourse of manners itself.

To some extent, of course, this evolution in drinking manners closely parallels Elias's famous “Civilization Process.” Drinking, however, has its own history, linked to demographic changes in France and the general economy of alcoholic beverages in early modern Europe. The waning years of the sixteenth century saw broad shifts in French drinking practices. In 1587, an ordinance allowed cabarets to expand their clientele to include locals, and not merely travellers and coachmen (Sournia 18). As it became increasingly available and affordable, alcohol lost its function as a social marker of the aristocracy (Austin 129, 281; Braudel 236). As alcohol consumption increased, moreover, it was increasingly associated with political and social disorder.3 In 1596 the jurist Barthélémy Laffemas deplored “les yvrogneries qui ruynent bien souvent les mesnages et les familles.” He returned to this theme again in 1600, blaming the problem specifically on the deregulation of the cabarets (Dion 488).4

These trends go a long way to explaining the shift in focus, noted in the examples analyzed above, from drinking itself to the manner of drinking. In order to distinguish themselves from the lower classes and what were increasingly considered to be popular forms of sociability, authors such as Courtin developed what we might call a euphemistic art of drinking. In a paradoxical reversal, the erasure of the signs of the body became a sign in itself—a present absence that served as an indicator of social status. Drinking assumed what David Mandelbaum has referred to as a “diacritical function”: “one group or class within a larger society follows drinking patterns that serve as a badge marking them off from others” (Marshall 16).

This explanation, however, fails to account for La Salle, who wrote not for aristocrats or would-be aristocrats, but for the young boys who attended his schools, the majority of whom came from humble origins. How, then, do we explain his quasi-obsessive prescriptions regarding drinking and popular culture? One plausible explanation is that La Salle was aware of the scrutiny that these boys, who came to schools without the slightest rudiments of manners, would face when they entered the outside world. He knew, in particular, that any deviation from good manners, especially in the realm of drinking, would be attributed to their social origins. Whereas an aristocrat could afford an occasional lapse, La Salle's boys needed to exercise constant vigilance if they were to keep signs of the body—which were also signs of potential social disorder—under control.

These examples give an insight into the unique place of wine in modern French cultural identity. In his essay on wine and milk in Mythologies, Roland Barthes argued that wine was the consummate French national food. In the France of the 1950s as described by Barthes, drinking wine was not a matter of personal preference, it was a “national technique”: “Savoir boire est une technique nationale qui sert à qualifier le Français, à prouver à la fois son pouvoir de performance, son contrôle et sa sociabilité” (Mythologies 76). The origins of this distinctively French “technique,” I would offer, can be traced back to the treatises on manners examined above, with their characteristic focus on performance. Following a typical pattern, a mentality that was formerly limited to the social elite gradually became a constituitive element of French national identity—a sign of the quintessential politesse of the French people (Muchembled). A Frenchman of Barthes's generation, to put it simply, knew how to drink his wine, and this knowledge was an implicit condition for citizenship in the “imagined community” of the French nation.5

Of course, there is much that separates twentieth-century drinking practices from the norms expressed in late seventienth-century treatises. Pleasure, for instance, plays an essential role in Barthes's description of French drinking-as-performance: “la boisson est sentie comme l'étalement d'un plaisir” (Mythologies 75). The art of gastronomy, first elaborated in the eighteenth and nineteenth centuries, provides a synthesis between the traditions of drinking-as-pleasure and drinking-as-polite-performance.6 Finally, there is much that separates contemporary twenty-first-century French drinking practices from those observed by Barthes. In particular, net consumption of alcohol has decreased and younger drinkers, rejecting the traditions of their elders, have turned away from wine toward more international drinks such as distilled spirits and beer (Heath 107–11). These trends suggest that the national “technique” of wine-drinking is on the decline, along with the spirit of polite sociability that it expressed.

The Catholic University of America

NOTES

1Cabaret poetry reflects the predominant moral tradition prior the seventeenth century. This tradition treated alcohol not as a intoxicant, but rather as a foodstuff to be consumed in healthy moderation. Erasmus, for instance, specified that children limit themselves to two or three glasses of wine per meal, diluted with water (67). And Montaigne, for his part, recommended that the drinking of wine be guided by natural thirst, and that drinkers avoid the two extremes of excessive and over-fastidious drinking—of consuming too much or too little wine (12–20).

2Italian theorists set the tone. In his 1555 Galateo, Giovanni della Casa's emphatically rejected the opinion of scholars who “greatly praise someone by the name of Socrates [...] because he lasted through an entire night, from dusk to dawn, drinking challenges with another good man who was called Aristophanes” (58).

3An early text dealing with the public impact of drunkenness is Sebastian Brant's 1494 Ship of Fools (Austin 130).

4Over the course of the seventeenth century, these trends of democratization and elite censure continued. Soon, Parisians were discovering new poisons, such as hard spirits and thronging to the “guinguettes” outside of Paris to drink duty-free on weekends.

5What about women? Barthes does not address the question, but it is difficult to escape the suspicion that women, traditionally viewed as less able drinkers, would also be less qualified “Frenchmen.”

6This synthesis is anticipated by Saint-Évremond (1616–1703), who established l'Ordre des Côteaux de Champagne, one of the earliest wine-aficionado clubs.

Works Cited

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———. “Pour une psycho-sociologie de l'alimentation contemporaine.” Annales 16 (1961): 977–86.

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