"(Re)lectures écocritiques : l’histoire littéraire européenne à l’épreuve de la question environnementale", date limite le 20 oct 2015

APPEL A CONTRIBUTIONS LOXIAS 52 (15 mars 2016)

"(Re)lectures écocritiques : l’histoire littéraire européenne à l’épreuve de la question environnementale"

Sous la direction de Justine de Reyniès et Odile Gannier

 

Apparue aux États-Unis il y a une vingtaine d’années, l’écocritique s’installe aujourd’hui dans le paysage des Humanités. Alors qu’outre-Atlantique elle est en passe de devenir un pôle majeur des cultural et literary studies (à côté des études de genre ou des études postcoloniales), son rayonnement commence à s’étendre en Europe, où se multiplient les initiatives témoignant de la volonté d’interroger le rôle joué par les langages artistique et littéraire dans la formation d’une conscience écologique.

L’unité du terme ne doit pas dissimuler la pluralité des perspectives et des méthodes qu’il recouvre. Conçue comme branche des études culturelles ou de l’anthropologie, l’écocritique se borne à étudier le traitement des thèmes environnementaux dans les œuvres littéraires, ainsi considérées comme simples reflets de préoccupations extra-littéraires (relevant de l’écologie politique ou scientifique). Sa dimension ouvertement engagée s’est parfois traduit par une approche pragmatique de la littérature : reposant dans les termes renouvelés d’une éco-philosophie la question de l’utilité morale et politique des œuvres d’imagination, des spécialistes comme William Rueckert ou Joseph Meeker se sont intéressés à leur capacité à former ou modifier les représentations que l’homme se fait de son rapport à la biosphère, et partant son attitude à l’égard de celle-ci ; d’autres, comme Hubert Zapf, les envisagent comme une force de compensation et de régénération au sein de « l’écosystème culturel ».

S’il propose un modèle fonctionnel de la littérature, ce dernier n’en a pas moins souligné le risque d’une vision étroitement didactique des œuvres et la nécessité de prendre en compte leur spécificité médiale dans l’étude de leur rôle civilisateur. Des auteurs comme Nathalie Blanc rappellent ainsi le défi qui se pose à une écocritique revendiquant légitimement sa place au sein des études littéraires : celui de s’interroger sur « le travail écologique de l’écriture littéraire », sur l’élaboration ou la réélaboration du concept de nature au sein même de la langue et de l’imagination poétique.

Initialement circonscrite à un corpus anglo-saxon et axée sur les prémices romantiques d’une pensée écologique, sur les représentations littéraires de la nature, en particulier dans le genre du nature writing, l’enquête s’est ensuite élargie, couvrant un vaste spectre de productions littéraires et culturelles et remontant le fil de l’histoire jusqu’aux sources de la civilisation occidentale. Revendiquée par les éditeurs de certains ouvrages collectifs (Laurence Coupe ; Karla Armbruster et Kathleen R. Wallace ; Richard Kerridge et Neil Sammells), cette extension du domaine d’investigation entre dans la logique d’une écocritique qui entend faire justice à ce qui appartient en propre à son objet d’étude pour s’inscrire pleinement dans la discipline littéraire. En effet, réfléchir sur la capacité de l’imagination poétique à figurer et reconfigurer le concept culturel de « nature » demande qu’on s’autorise à porter son regard au-delà (autour, mais aussi en amont) d’une littérature ouvertement engagée dans la cause écologique, et en particulier vers les textes anciens, « classiques » ou méconnus.

Pourtant, cet examen rétrospectif n’en est qu’à ses balbutiements. Comme le fait remarquer Timothy Clark, nul ne s’est encore aventuré, par exemple, à « lire T. S. Eliot, Shakespeare ou Dante en relation avec les bouleversements que le réchauffement climatique entraîne dans la connaissance humaine ». De fait, le courant écocritique se montre encore réfractaire à l’analyse diachronique. Parmi les quelques tentatives faites dans ce sens, rares sont celles qui ont fait l’objet d’un effort de systématisation. Les travaux sur la pastorale (depuis Leo Marx et Raymond Williams jusqu’à Terry Gifford) constituent une exception exemplaire puisque le souci de la longue durée et des continuités historiques, posant la nécessité de redéfinir le terme dans un sens qui lui confère une pertinence dans le monde présent, a permis de raccorder tout un pan de la production contemporaine, représentative de ce qu’on pourrait appeler la « post-pastorale », à une longue tradition issue de l’Antiquité.

L’enjeu d’une telle relecture est double. Il s’agit d’abord de mettre en perspective la crise environnementale, en montrant dans quelle mesure la littérature a contribué, ou résisté, à la formation d’un paradigme intellectuel qui a rendu possible la domination technico-scientifique de la nature. Tâche qui engage à remonter aux origines des littératures vernaculaires européennes : faut-il rappeler que le « géocide » (Michel Deguy) en cours plonge ses racines dans le tournant épistémologique que constitue l’apparition des sciences modernes — tournant qui, comme l’a montré Vittorio Hösle, trouve lui-même ses fondements intellectuels dans la nouvelle conception de la nature qui s’élabore au Moyen Âge ? Le volume projeté ne prédéfinit pas la valeur des résultats de cette enquête : tournée aussi bien vers les manifestations d’une « écophilie » que celles d’une « écophobie » (Simon Estok), elle peut être conçue comme anatomie de nos maux présents ou comme quête d’exemples salutaires.

Mais il s’agit également, par un retour réflexif, de s’interroger sur les remaniements que la mutation épistémologique contemporaine de l’entrée dans l’ère anthropocène entraîne dans la pratique de l’histoire littéraire (que nous prenons ici au sens large, comme histoire de la littérature et du littéraire, mais aussi de la théorie poétique et de la critique). Sans doute celle-ci ne peut-elle se tenir à l’écart de l’aggiornamento qu’impose la faillite de modèles de pensées séculaires révélée par la destruction de l’habitat planétaire. Comme le suggèrent la richesse des perspectives ouvertes par les travaux ayant porté la question environnementale sur le terrain de l’altérité historique, l’étude des littératures antérieures au XIXe siècle gagneraient à se saisir des problématiques propres aux green studies. Elle serait ainsi conduite à se demander quelle vision de l’écoumène sous-tendent les cadres de pensée, les grilles d’analyse et les concepts qui ont guidé, dans l’histoire de la littérature occidentale, la composition et l’interprétation des œuvres :

- Quelle place les formes et les genres traditionnels font-ils au thème de la biosphère et dans quelle mesure lui permettent-ils de s’inscrire dans l’économie de l’œuvre ? Son absence implique-t-elle nécessairement, du reste, qu’il reste extérieur aux signifiés du texte ? La prise de conscience d’une dépendance de l’homme à l’égard de son environnement ne va pas sans reconfigurations dans l’échelle des valeurs et des priorités : quels reclassements induit-elle dans les canons littéraires ou la hiérarchie des genres ? Sur le modèle des études pionnières de l’écocritique qui ont œuvré à la (ré)habilitation du genre américain du nature writing, on pourrait par exemple être amené à redécouvrir et reconsidérer la place, dans le panthéon des lettres, de tout un ensemble d’œuvres non fictionnelles, anciennes ou plus récentes : bestiaires, poèmes géorgiques ou topographiques, « promenades », etc.

- S’il est vrai que les catégories héritées de la poétique aristotélicienne, qui place la représentation de l’action humaine au cœur de la mimèsis, sont de nature à favoriser une vision anthropocentriste, la littérature européenne offre-t-elle des exemples de fictions dramatiques ou narratives qui échappent à ce modèle ? On prêtera ainsi attention aux récits, aux drames qui placent la nature brute et inconsciente en position d’agent, font entendre sa voix ou restituent son point de vue, ou qui rendent l’action et la destinée humaines solidaire du devenir cosmique.

- On a souvent souligné le pouvoir de résistance (ou de compensation) qu’a représenté la vision poétique, fondée sur l’usage du trope, face à d’une conception cartésienne, mécaniste et instrumentaliste de la nature. En brouillant les frontières entre l’animé et l’inanimé, la métaphore transcenderait la scission entre le sujet et l’objet opérée par la science moderne. Dans quelle mesure la pensée analogique favorise-t-elle des modes de conscience différents de ceux imposée par la pensée technicienne ? Peut-on assigner une valeur cognitive ou heuristique à l’anthropomorphisme issu de l’activité figurative de l’imagination : ouvre-t-il à l’altérité du non-humain ou bien représente-t-il au contraire un obstacle à la compréhension de cette altérité ?

- La question de la figure rejoint celle de la référence et de l’interprétation. Sur le modèle de quelques spécialistes de la première modernité (Simon Estok, Ken Hiltner), on pourrait s’interroger sur le type de lecture (allégorique ou littérale) qu’appellent les allusions à l’environnement concret dans les formes de la pastorale, les genres tels que le conte, la fable, les voyages allégoriques, etc. Sont-elles exclusivement là, comme le veut la tradition critique, pour tenir lieu d’autre chose ?

C’est à des questions de ce genre, et bien d’autres, que médiévistes, spécialistes de la Renaissance ou de l’âge classique sont donc invités à réfléchir : il s’agira d’examiner, à partir de cas d’étude, les enjeux théoriques et méthodologiques d’une reconsidération des œuvres ou des traditions littéraires à la lumière des enjeux contemporains. Suivant une dynamique inverse, rétrospective celle-là, on pourra aborder une production plus récente, voire contemporaine, pour tenter de la situer dans la longue durée.

Voici une liste non exhaustive des thèmes et des axes d’étude qui pourront être explorés :

- Genres ou inspirations : l’héritage des Bucoliques et des Géorgiques, le poème de la nature et la poésie topographique, la littérature de voyage

- Mythes et motifs environnementaux : Arcadie, Eden, Prométhée, Pan, déluge, apocalypse, désert/wilderness, pollution, nature, Terre (et ses incarnations mythiques ou archétypales, de Gaïa à Dame-Nature), frontières entre l’humain et le non-humain et construction symbolique des espèces

- Catégories rhétoriques et poétiques : drame et récit, personnage, point de vue, voix, figures

- La constitution de la tradition littéraire : hiérarchie des genres, textes canoniques et œuvres mineures

 

Indications pratiques

Ce numéro sera publié sur la page http://revel.unice.fr/loxias le 15 mars 2016.

Prière d’envoyer vos propositions sous forme d’un résumé d’une demi-page et d’un bref CV avant le 20 octobre 2015.

Adresser votre proposition conjointement à Justine de Reyniès <jdereynies@googlemail.com> et Odile Gannier <gannier@unice.fr>

Les textes dont le principe sera retenu par le comité de lecture devront être envoyés pour le 15 janvier 2016 au plus tard, en respectant très scrupuleusement les indications aux auteurs http://revel.unice.fr/loxias/index.html ?id =2155 .

Responsable :

Justine de Reyniès

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