Appel à contributions: Emotions de l’Ancien Régime (XVIIème-XVIIIème siècles)

Le Monde français du XVIIIe siècle

Eighteenth Century French World Group

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Emotions de l’Ancien Régime

(XVIIème-XVIIIème siècles)

 

L’un des tropes contemporains sur l’émotion est la relation, dévoilée par les

neurosciences, entre ces deux domaines qu’on croyait distincts, la cognition et les

affects. Selon António Damàsio, cette relation mise à jour constituerait signerait

définitivement « l’erreur de Descartes » (1995).

 

A chaque époque, son savoir sur les émotions, mais aussi « son » émotion : sa

sensibilité, ou même une image singulière qui lui appartient en propre ou que la

postérité a figée. Le double ouvrage collectif Histoire des émotions, dirigé par Alain

Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (2016), saisit depuis l’Antiquité

jusqu’à la fin du XIXe siècle les expressions de l’âme qui disent quelque chose de leur

temps, des larmes d’Achille de l’Antiquité jusqu’à la théorie des humeurs, passant par

l’extase médiévale et la colère des princes.

 

Si les emotion studies sont en plein essor dans les études littéraires, en esthétique et

en histoire (voire Bouju et Gefen 2012, Vernay 2013, le projet multidisciplinaire

australien « The History of Emotions 1100-1800 », ou encore la série d’émissions de

France Culture consacrée aux émotions en 2016), l’on peut cependant penser au

champ disciplinaire tantôt délaissé et faisant tantôt retour qu’est la rhétorique : Gisèle

Mathieu-Castellani (2000) rappelle à ce titre que l’oratio latine est avant tout une

« entreprise de séduction » avant de s’adresser à la raison (le domaine du sermo) de

l’auditoire.

 

La différence actuelle des récents travaux concerne tout d’abord l’aspect volontiers

transversal de l’entreprise de recherche sur les émotions, alliant analyse du discours et

interaction entre l’esthétique et le privé, qui peut éventuellement situer l’émotion dans

une perspective de genre, de milieu ou de race ; d’autre part le dévoilement d’objets

oubliés, de tableaux énigmatiques, de lettres et de discours mineurs qui révèlent les

mouvements de l’âme de leurs producteurs, récepteurs ou commentateurs. Enfin, la

littérature, en particulier, aurait vocation à nous enseigner un savoir sur les émotions

(voire Patrick Colm Hogan 2011).

 

En vue de la parution prévue du nouveau volume de la revue électronique Le monde

français du XVIIIe siècle, nous accueillons diverses contributions de la part des

chercheurs et doctorants qui travaillent sur le XVIIe et/ou le XVIIIe siècle, aussi bien en

littérature, en histoire, en histoire de l’art ou des idées.

 

Au XVIIe siècle, les premiers dictionnaires révèlent la difficulté taxonomique du terme

« émotion ». Pour Pierre Richelet (1680), l’émotion est un « trouble », une « sédition »

ou un « tremblement » qui excite l’agent. Antoine Furetière omet le substantif de son

Dictionnaire universel (1690) tandis que le Dictionnaire de l’Académie française (1694)

décrit que l’émotion est une « altération, mouvement […] dans les esprits ». L’on passe

de la turbulence sociale et politique qui marque le règne d’Henri IV à l’époque de la

raison où l’émotion est plus restreinte, plus intériorisée quoique toujours sociale.

Du rire aux larmes, les auteurs du Grand Siècle mettent en lumière la relation entre

l’émotion et le public, le comportement et sa réception. Pour convenir à sa portée

didactique, la littérature agit comme « miroir » selon la formule de Cureau de la

Chambre (1669), une réciprocité qui permet ou la purgation des passions excessives ou

le rire partagé. Hélène Merlin-Kajman (2009) le dit justement : « L’émotion est

mouvement communiqué. »

 

Le siècle des Lumières est indiscutablement celui de l’émergence d’une multitude

d’affects contradictoires, prolongeant ou contredisant les vues du siècle précédent avec

l’invention d’un moi « météorologique » — qui agit même comme cause déterministe

dans l’histoire des peuples selon Montesquieu — à l’apparition de l’âme sensible avec

Rousseau. On pourrait aussi se demander dans quelle mesure la notion d’énergie

(Delon 1988) contient ces différents développements.

 

La « Révolution du sourire » qui s’épanouit au XVIIIe siècle (Jones 2014) est à l’image

de tant d’idées du siècle : d’abord sous-terraine et séditieuse, puis se propageant de

manière fulgurante en peinture et dans les salons parisiens pour s’éteindre tout aussi

rapidement mais pour longtemps, puisque le sourire ne ressurgit qu’au XXe siècle dans

les publicités et à Hollywood. C’est en effet le rire sous toutes ses formes qui va le

remplacer, le gros rire grinçant de la Révolution (de Baecque 2000).

 

Les contributions pourront porter par exemple sur :

- L'émotion et la sensation ; l'émotion retenue ou au contraire confortée par la raison.

- L'émotion vraie ou feinte

- Cynétique et propagation des émotions

- Les codes de l'émotion

- L'émotion contractuelle

- Toutes les émotions : colère, rire, terreur, pitié, honte, mélancolie, haine… dans leurs

expressions littéraires ou artistiques aux XVIIe et XVIIIe siècles

- Des stratégies rhétoriques relatives à un champ artistique : catharsis pour le théâtre,

essor du récit d’épouvante, essor de la littérature satirique et libertine, développement

du récit autographe et de sa stratégie de sincérité, correspondance religieuse et

mondaine…

- Des théories ou des savoirs sur les affects aux XVIIe et XVIIIe : théorie des humeurs,

discours sur les passions et les caractères, notion d’impression sensualiste…

- Expression de l’amitié ou de la rivalité intellectuelle, artistique ou littéraire

- La bienséance et la malséance aux XVIIe et XVIIIe siècles : respect et digressions

- Didactique et divertissement ; la littérature moraliste

 

Prière d’envoyer une courte proposition (max. 300 mots) ainsi qu’une brève notice biobibliographique

avant le 15 mai 2017 aux éditrices :

Jessy Neau (jneau@uwo.ca) et Heather Kirk (hkirk4@uwo.ca)

Les articles dont la proposition aura été acceptée seront compris entre 3000 et 7000

mots environ et seront à remettre avant le 30 septembre 2017.

Les articles peuvent être en français ou en anglais.

 

Travaux cités

Emmanuel Bouju et Alexandre Gefen (dir.), Modernités, n° 34, 2012 : "L'Émotion, puissance de la littérature ?”

Patrick Colm Hogan, What Literature Teaches Us about Emotion (Studies in Emotion and Social Interaction), Cambridge, Cambridge University Press, 2011.

Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dir.), Histoire des émotions, vol. 1, De l’Antiquité aux Lumières, Paris, Seuil, 2016.

Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dir.), Histoire des émotions, vol. 2, Des Lumières à la fin du XIXe siècle, Paris, Seuil, 2016.

António Damàsio, L’erreur de Descartes : la raison des émotions, Paris, Odile Jacob, 1995.

Antoine de Baecque, Les éclats de rire. La culture des rieurs au XVIIIe siècle, Paris, Calmann-Lévy, 2000.

Michel Delon, L'idée d'énergie au tournant des Lumières (1770-1820), Paris, Presses Universitaires de France, 1988.

Colin Jones, The Smile Revolution in Eighteenth Century Paris, Oxford University Press, 2014.

Gisèle Mathieu-Castellani, La rhétorique des passions, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, p.15.

Hélène Merlin-Kajman, éd., Les émotions publiques et leurs langages à l’âge classique, Littératures classiques 1.68 (2009).

Jean-François Vernay, Plaidoyer pour un renouveau de l’émotion en littérature, Paris, Complicités, coll. « Plaidoyer », 2013.