Appel à communications: Le pouvoir dans les marges du livre, XVIe-XVIIIe siècles

12-13 octobre 2018, Université d’Artois (Arras)

Propositions: avant le 15 janvier 2018

 

Sous l’Ancien Régime, l’éloge du pouvoir se déploie de manière privilégiée dans les marges des textes, des images et des spectacles : prologues, dédicaces, textes introductifs, privilèges, clés, etc. Ces textes disent la gloire du roi, de sa famille ou des grandes figures de pouvoir, offrent le livre à un puissant, l’autorisent depuis une position de pouvoir, ou programment sa lecture dans une perspective politique. Ce sont ces marges, souvent négligées, peu lues et peu commentées, que nous souhaitons prendre comme objet d’étude, à partir de l’apparent paradoxe que constitue leur investissement massif par l’écriture du pouvoir : situer le pouvoir dans les marges, est-ce marginaliser le politique ?

 

Les études sur les relations entre le pouvoir et les arts sous l’Ancien Régime et sur l’imaginaire monarchique du pouvoir abondent (L. Marin, Le Portrait du roi, Paris, Éditions de Minuit, 1981 ; P. Burke, The Fabrication of Louis XIV, Yale, Yale University Press, 1992 ; G. Sabatier, Le Prince et les arts. Stratégies figuratives de la monarchie française de la Renaissance aux Lumières, Paris, Champ-Vallon, 2010…). Elles se sont intéressées à la rhétorique de l’éloge, aux topiques de l’écriture du pouvoir et à ses genres privilégiés. La figure de Louis XIV et la politique de la gloire orchestrée autour d’elle ont fait l’objet d’un intérêt tout particulier. Récemment, l’anniversaire de la mort de Louis XIV a encore suscité de nombreuses publications associant études littéraires, histoire culturelle et histoire de l’art (E. Suire et B. Ringot, « Le tricentenaire de la mort de Louis XIV, un bilan historiographique fécond ? (I et II) », Revue Dix-septième siècle, 212 et 213, 2016 /3 et 4). Ces travaux se sont cependant peu intéressés aux écritures marginales du pouvoir et aux enjeux de leur position dans le livre.

 

La notion de « paratexte » introduite par Gérard Genette dans Seuils en 1987 a pourtant mis en lumière l’intérêt de ces textes marginaux. Si Genette s’est surtout intéressé aux plus « littéraires » des éléments paratextuels, à commencer par les préfaces, et aux ouvrages des XIXe et XXe siècles, l’histoire du livre s’est rapidement emparée de la notion pour l’appliquer à des périodes antérieures et à un corpus plus vaste (Histoire et civilisation du livre. Revue internationale, VI, 2010 : « Le paratexte »). Dans ce mouvement, la hiérarchie entre texte et paratexte établie par Genette (« Le paratexte, sous toutes ses formes, est un discours fondamentalement hétéronome, auxiliaire, voué au service d’autre chose qui est sa raison d’être, qui est le texte », Seuils, p. 17) s’est vue bousculée. Dédicaces, remerciements, légendes d’illustrations, privilèges de librairie… ne sont plus apparus comme des auxiliaires du texte mais comme des éléments du tout formé par le livre.

 

Dans la continuité de ces travaux, nous préférons à la notion de paratexte celle de marges, qui prend la mesure de la nature hybride, équivoque, de ces écrits, tout en les inscrivant dans la totalité du livre, sans préjuger de leur valeur. Objet ambivalent, à la fois inscrit dans le livre et susceptible de s’en détacher, la marge permet de penser l’inscription du livre, et à travers lui des lettres et des arts, dans le monde social : non pas comme un document qui viendrait témoigner du contexte dans lequel l’œuvre se serait inscrite, mais comme le lieu d’une action qui mobilise à la fois le lecteur, le livre et le pouvoir.

 

Ce colloque se propose d’étudier les écritures marginales du pouvoir comme autant d’usages du livre dans des relations sociales et de pouvoir. Nous espérons ainsi contribuer à la compréhension des mécanismes de production et de diffusion d’un imaginaire du pouvoir. La représentation du pouvoir qui se construit dans ces écrits marginaux est le résultat d’actions diverses qui convoquent le pouvoir dans le livre pour l’autoriser, le légitimer, construire ou renforcer une réputation, peser dans un conflit… Étudier ces actions permet de penser la diffusion d’un imaginaire du pouvoir à distance du modèle de la propagande, dans la continuité de la démarche d’A. Zanger (Scenes from the Marriage of Louis XIV. Nuptial fictions and the Making of Absolutist Power, Stanford, Stanford University Press, 1997).

 

Nos travaux pourront ainsi contribuer à la compréhension des relations entre les arts et le pouvoir sous l’Ancien Régime. Dans le contexte d’un processus d’institution des lettres et des arts (A. Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Éditions de Minuit, 1985 ; C. Jouhaud, Les pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000 ; D. Blocker, Instituer un art : politiques du théâtre dans la France du premier XVIIe siècle, Paris, Champion, 2009), les écrits marginaux du pouvoir, qui publient dans un même mouvement le livre, ses acteurs (l’auteur, l’éditeur…) et le pouvoir du roi ou d’un grand seigneur, apparaissent comme l’un des lieux où se configure la relation entre le littéraire et le politique et où se définit la valeur politique et sociale des lettres et des arts.

 

 

Les communications pourront étudier l’inscription du pouvoir dans les dédicaces, les prologues, les préfaces, avis et examens, les textes introductifs, les autorisations et privilèges, les annotations, les légendes de gravures ou d’illustrations, les clés, et toutes les marges du livre, du spectacle ou de l’image, dans l’espace européen entre le XVIe et le XVIIIe siècle, à partir des questions suivantes.

 

1. Y a-t-il une créativité de ces écritures du pouvoir ? Les écritures du pouvoir inscrites dans les dédicaces, les prologues, les textes d’autorisation ou de privilège, apparaissent souvent comme autant de passages obligés emplis de lieux communs, de formules stéréotypées dictées par le genre. Même le privilège de librairie, cadré par sa fonction juridique, est pourtant susceptible de variations : celui des Métamorphoses d’Ovide en rondeaux de Benserade est ainsi écrit… en rondeaux ! On s’attachera à mettre en lumière la variété de ces écrits, les marges de manœuvre des auteurs. On s’interrogera sur la valeur, les usages, l’efficacité des lieux communs et des innovations.

2. Qui est l’auteur de ces écrits ? Quel est le rôle du pouvoir, des institutions de la monarchie, dans leur production ? Dans quelle mesure la production institutionnelle de l’image du pouvoir constitue-t-elle un modèle pour ces écrits ? Comment configurent-ils les relations entre les différents acteurs du livre et le pouvoir ? On s’intéressera particulièrement aux auctorialités floues et à ce qu’elles peuvent produire en termes de hiérarchies, de légitimation, de représentations du pouvoir. On pourra aussi étudier les enjeux de la figure du roi comme auteur produite par de nombreuses dédicaces.

3. Ces écrits sont-ils lus et comment ? On s’intéressera aux traces de lecture de ces écrits marginaux, par exemple dans des contextes polémiques. Que deviennent les prologues des opéras dans les parodies ? dans les reprises ? Quel est le devenir de ces écrits marginaux dans les éditions successives, les traductions ? Comment continuent-ils (ou non) à être lus et interprétés, en dehors des circonstances de leur création, quand le régime politique a changé, dans un autre cadre géographique ? Quels sont les effets de cette circulation large sur leur portée politique ?

4. Quelle est la place de ces écrits dans le livre ? Leur position matérielle est-elle fixe, peuvent-ils se déplacer dans le livre, voire s’autonomiser ? En quoi cette position est-elle liée à une hiérarchie, à un ordre d’écriture ou de lecture, voire à des ordres (temporel, spatial, symbolique) en tension ou en conflit ? Que produisent les déplacements, les changements, les circulations des paratextes ? Les clés peuvent ainsi prendre des formes diverses, autonomes ou intégrées au livre, sous forme d’annexes ou de notes marginales (M. Bombart et M. Escola dir., Littératures classiques 2004/2, 54 : Lectures à clés). On interrogera la hiérarchie du texte et du paratexte en étudiant les éléments de cohérence, de dialogue, d’échos entre le centre et les marges. À partir de là, on pourra poser la question de la marginalité du discours politique, des relations et des hiérarchies entre valeur littéraire et valeur politique des textes.

5. Comment ces écrits convoquent-ils le pouvoir (du roi ou d’un autre) pour l’utiliser dans des actions diverses ? Le privilège peut ainsi être considéré comme un dispositif de légitimation des auteurs par le pouvoir (N. Schapira, « Quand le privilège de librairie publie l’auteur », De la Publication. Entre Renaissance et Lumières, Paris, Fayard, 2002). Dans quelle mesure la représentation du pouvoir fonctionne-t-elle comme une appropriation, voire un détournement ?

6. Comment ces écrits utilisent-ils le livre dans des actions diverses ? Les dédicaces présentent des scènes d’offrande, dans lesquelles l’auteur ou l’éditeur présente un livre au pouvoir (R. Chartier, « Dédicace et Patronage », Culture écrite et société, Paris, Albin Michel, 1996) : qu’offre-t-on quand on offre un texte, un livre ? Quelle est la valeur d’un tel présent ? Quelles valeurs (politique, sociale, éthique, esthétique…) les écrits marginaux du pouvoir donnent-ils au livre, et plus largement aux lettres et aux arts ? Comment cette valeur évolue-t-elle au cours de la période ?

 

 

Merci d’adresser vos propositions de communication avant le 15 janvier 2018 conjointement à :

Yohann Deguin                      yohann.deguin@univ-lorraine.fr

Marine Roussillon                 marine.roussillon@univ-artois.fr